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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
4A_225/2020  
 
 
Arrêt du 4 septembre 2020  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Kiss, présidente, Rüedi et May Canellas. 
Greffier : M. O. Carruzzo. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
B.________ LTD, 
C.________, 
et 
D.________ SA, 
représentés par Me Clarence Peter, 
demandeurs et recourants, 
 
contre  
 
E.________ Limited, 
représentée par Me Danièle Falter, 
défenderesse et intimée. 
 
Objet 
contrat de vente d'actions 
 
recours contre l'arrêt rendu le 25 février 2020 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (C/13586/2017 ACJC/440/2020). 
 
 
Faits :  
 
A.   
La société anonyme F.________ SA a notamment pour but le commerce et la gestion des droit audiovisuels multimédias, des droits de logiciels et des droits de technologie informatique. Les sociétés ou établissements A.________, B.________ LTD et C.________, en divers pays, et D.________ SA, en Suisse, ont détenu la majorité de ses actions. 
Le 4 décembre 2015, à l'issue de longs pourparlers, ces actionnaires principaux ont convenu avec E.________ Limited, en Grande-Bretagne, de lui vendre la totalité des actions au prix de 7'700'000 fr. L'acheteuse a versé le jour même 5'600'000 fr. 
Le contrat autorisait l'acheteuse à retenir le solde de 2'100'000 fr. en garantie d'éventuelles prétentions en réduction du prix. Celui-ci devait être réduit dans l'éventualité où le revenu de F.________ SA pour l'année 2015 n'atteindrait pas 4'700'000 fr.; il devait être réduit ou augmenté selon l'état du fonds de roulement de la société, et il devait être réduit, le cas échéant, en application de diverses autres clauses de garantie insérées dans le contrat. 
L'acheteuse s'obligeait à transmettre aux vendeurs les comptes et diverses données financières « audités » de l'année 2015 le 30 avril 2016 au plus tard. Dès réception de ces documents, les vendeurs jouiraient d'un délai de vingt-et-un jours pour les étudier et, au besoin, faire exécuter un audit destiné à vérifier les revenus de 2015 et le fonds de roulement comptabilisé. Toutes les parties jouiraient ensuite d'un délai de dix jours pour « se mettre d'accord sur le montant des revenus et [le montant] du fonds de roulement » qui détermineraient le prix de vente définitif. Le solde de ce prix devrait être versé le 30 novembre 2016 au plus tard. 
Le contrat était soumis au droit suisse et le for judiciaire était fixé à Genève. 
 
B.   
Le 19 juin 2017, les vendeurs ont conjointement ouvert action contre l'acheteuse devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. La défenderesse devait être condamnée à payer 1'393'447 fr. à A.________, 154'217 fr. à B.________ LTD, 49'602 fr. à C.________ et 460'696 fr. à D.________ SA. Ces montants devaient porter intérêts au taux de 5 % par an dès le 1er décembre 2016. Le montant de 2'057'962 fr. correspondait à la totalité du solde du prix de vente convenu, soit 2'100'000 fr., rapporté aux actions de F.________ SA que les demandeurs détenaient eux-mêmes ou dont les détenteurs leur avaient cédé leurs créances. 
La défenderesse a conclu au rejet de l'action. 
Le tribunal s'est prononcé le 15 avril 2019. Il a entièrement accueilli l'action et il a condamné la défenderesse selon les conclusions de la demande en justice. Selon son jugement, la défenderesse n'a pas transmis à temps les comptes et autres renseignements audités qui devaient être remis au plus tard le 30 avril 2016; elle était par conséquent déchue de son droit de réclamer une réduction du prix à raison des revenus et du fonds de roulement de F.________ SA en 2015. Aucune réduction n'était non plus due à raison de l'insolvabilité de l'un des débiteurs de cette société. 
La Chambre civile de la Cour de justice a statué le 25 février 2020 sur l'appel de la défenderesse. Accueillant partiellement cet appel, elle a réformé le jugement. La défenderesse doit payer avec intérêts 200'860 fr.75 à A.________, 22'229 fr. 85 à B.________ LTD, 7'149 fr. 95 à C.________ et 66'407 fr. 80 à D.________ SA. Le total s'élève à 296'648 fr. 35. 
 
C.   
Agissant par la voie du recours en matière civile, les demandeurs saisissent le Tribunal fédéral de conclusions correspondant à celles de leur demande en justice. 
La défenderesse conclut principalement à l'irrecevabilité du recours et subsidiairement à son rejet. 
Par ordonnance du 15 juillet 2020, la Présidente de la Ire Cour de droit civil a rejeté une demande d'effet suspensif jointe au recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont satisfaites, notamment à raison de la valeur litigieuse. 
 
2.   
A la différence du Tribunal de première instance, la Cour de justice interprète le contrat de vente des actions de F.________ SA en ce sens qu'en dépit du retard survenu dans la remise des comptes et autres renseignements audités de cette société, la défenderesse conserve le droit d'exiger la réduction du prix de vente contractuellement prévue. Sur la base des résultats audités, la Cour applique les règles de calcul convenues et elle parvient à la conclusion que la défenderesse doit encore 296'648 fr. 35. La Cour répartit cette somme entre les demandeurs. A l'instar du tribunal, la Cour juge que les demandeurs ne sont pas tenus à garantie par suite de l'insolvabilité de l'un des débiteurs de F.________ SA; elle rejette la prétention correspondante de la défenderesse. 
 
3.   
La Cour de justice interprète le contrat de vente d'actions au regard de l'art. 18 al. 1 CO. Elle parvient à la conclusion que, selon la réelle et commune intention des cocontractants, la réduction du prix de vente n'est pas subordonnée à la remise des comptes et autres renseignements audités dans le délai qui était fixé au 30 avril 2016, et que ce délai est un simple « délai d'ordre ». Les juges d'appel portent ainsi une constatation de fait qui lie le Tribunal fédéral selon l'art. 105 al. 1 LTF (ATF 140 III 86 consid. 4.1 p. 91 relatif à l'interprétation des contrats). Les demandeurs tiennent cette constatation pour manifestement inexacte aux termes de l'art. 97 al. 1 LTF
Cette dernière disposition habilite le Tribunal fédéral à invalider les constatations entachées d'arbitraire aux termes de l'art. 9 Cst. (art. 105 al. 2 LTF; ATF 141 IV 249 consid. 1.3.1 p. 253; 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62). En matière d'appréciation des preuves et de constatation des faits, l'autorité tombe dans l'arbitraire lorsqu'elle ne prend pas en considération, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, sur la base des éléments recueillis, elle parvient à des constatations insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62). 
 
4.   
Les demandeurs reconnaissent que le contrat de vente d'actions ne prévoit pas les conséquences d'un retard dans la remise des comptes et autres renseignements audités de F.________ SA. Ils excluent cependant que le délai convenu soit un simple « délai d'ordre » selon l'interprétation de la Cour de justice, dont l'inobservation n'entraîne pas de conséquence défavorable sur les droits de la partie obligée. Ils affirment que le délai s'inscrit dans une « procédure précise » destinée à garantir que le prix de vente final soit « calculé sur une base commune, selon des critères stricts et définis d'entente entre les parties ». Ils se réfèrent à une cause jugée par le Tribunal fédéral le 8 juillet 2008 (arrêt 4A_156/2008). Le tribunal a alors considéré qu'au regard de l'économie du contrat qui lui était soumis et de la nature de l'affaire, le délai dont était discussion ne pouvait pas être un simple « délai d'ordre » selon la thèse de l'une des parties (consid. 1.4). 
Il est vrai qu'en l'espèce, le contrat prévoit une succession d'opérations destinées à précéder le versement du solde du prix de vente par la défenderesse, et à fixer le montant de ce même solde. La durée de chaque opération est précisément délimitée. La première de ces opérations consiste dans la remise des comptes et autres renseignements audités par la défenderesse. La dernière impose aux parties de « se mettre d'accord sur le montant des revenus et [le montant] du fonds de roulement » déterminants pour le calcul. Dans la mesure où l'accord ainsi nécessaire dépend du bon vouloir de chacun des cocontractants, la procédure de fixation du solde du prix de vente est dépourvue du caractère précis et rigoureux sur lequel les demandeurs insistent. 
Il est aussi vrai que le contrat prévoit surtout des causes de réduction du prix de vente; il prévoit toutefois aussi une cause d'augmentation de ce prixen rapport avec l'état du fonds de roulement. Cette augmentation pouvait aboutir à ce que la défenderesse dût verser davantage que 2'100'000 francs. Dans cette éventualité, si l'interprétation présentement avancée par les demandeurs était exacte, la défenderesse avait la possibilité de limiter son obligation à ce dernier montant en s'abstenant simplement de remettre les comptes et autres renseignements audités. De toute évidence, cela ne pouvait pas correspondre à la réelle et commune intention de toutes les parties au contrat. Au contraire, l'interprétation ainsi avancée ne se concilie pas avec l'économie générale de cette convention. Pour ce motif aussi, l'interprétation différente retenue par la Cour de justice échappe au grief d'arbitraire. 
 
5.   
Pour le surplus, le calcul du solde du prix de vente et sa répartition entre les demandeurs sont incontestés. Le recours en matière civile se révèle donc privé de fondement, ce qui conduit à son rejet. A titre de parties qui succombent, ses auteurs doivent acquitter l'émolument à percevoir par le Tribunal fédéral et les dépens auxquels l'autre partie peut prétendre. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
Les demandeurs acquitteront un émolument judiciaire de 17'000 francs. 
 
3.   
Les demandeurs verseront une indemnité de 19'000 fr. à la défenderesse, solidairement entre eux. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 4 septembre 2020 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La présidente : Kiss 
 
Le greffier : O. Carruzzo