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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
9C_324/2020  
 
 
Arrêt du 5 février 2021  
 
IIe Cour de droit social  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, Stadelmann et Moser-Szeless. 
Greffier : M. Berthoud. 
 
Participants à la procédure 
Mutuel Assurance Maladie SA, 
Service juridique, rue des Cèdres 5, 1920 Martigny, 
recourante, 
 
contre  
 
A.________, 
représentée par Me Cédric Kurth, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-maladie, 
 
recours contre le jugement de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 16 mars 2020 (A/1787/2018 ATAS/230/2020). 
 
 
Faits :  
 
A.   
A.________, née en 1939, est affiliée pour l'assurance obligatoire des soins et accidents auprès de Mutuel Assurance Maladie SA (ci-après: Mutuel). Le 12 juin 2017, l'assurée a chuté sur le visage ce qui a notamment entraîné des dommages dentaires (fractures des racines des dents 12 et 21, luxations des dents 11, 12 et 21, subluxation de la dent 22). 
 
Le 26 juin 2017, le docteur B.________, dentiste traitant, a établi un devis de 10'373 fr. 40 pour la réalisation d'un pont pour quatre incisives et deux implants. Après avoir soumis le cas à son médecin-conseil, le docteur C.________, Mutuel a fait savoir à l'assurée qu'elle allait refuser la prise en charge du traitement tel que devisé par le docteur B.________ vu l'état parodontal préexistant, car l'accident n'expliquait pas les dégâts constatés. 
 
Par décision du 20 octobre 2017, confirmée sur opposition le 23 avril 2018, Mutuel a refusé d'intervenir. 
 
B.   
A.________ a déféré cette décision à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales. Cette dernière a tenu une audience d'enquêtes le 14 octobre 2019, au cours de laquelle ont été entendus les docteurs B.________ et D.________, médecin-conseil de Mutuel qui avait remplacé le docteur C.________. Par jugement du 16 mars 2020, la juridiction cantonale a admis partiellement le recours et annulé la décision du 23 avril 2018; elle a constaté que l'atteinte dentaire était en lien de causalité avec l'accident assuré et renvoyé la cause à l'assureur pour instruction et décision sur le montant de la prise en charge. 
 
C.   
Mutuel interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement dont elle demande l'annulation. A titre principal, elle conclut à la confirmation de sa décision du 23 avril 2018; à titre subsidiaire, elle conclut au renvoi de la cause à la Cour de justice pour nouvelle décision. 
 
L'intimée conclut au rejet du recours. L'Office fédéral de la santé publique a renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Dans la mesure où la décision de renvoi contraint la recourante à rendre une décision sur le montant de la prise en charge du traitement dentaire en retenant l'existence d'un lien de causalité entre l'accident et l'atteinte dentaire, elle est de nature à lui causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF; cf. ATF 133 V 477 consid. 4.1.3 p. 481). Dirigé contre le jugement du 16 mars 2020 qui constitue une décision incidente, le recours est donc recevable. 
 
2.   
Le recours en matière de droit public peut être formé notamment pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), que le Tribunal fédéral applique d'office (art. 106 al. 1 LTF), n'étant limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, et ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF). Il fonde son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF) sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant qui entend s'écarter des faits constatés doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées, sinon un état de fait divergent ne peut être pris en considération. 
 
3.   
Le litige porte sur le principe de la prise en charge du traitement dentaire préconisé par le docteur B.________ selon le devis du 26 juin 2017, en lien avec l'accident dont l'intimée a été victime le 12 juin 2017. 
 
La juridiction cantonale a exposé de manière complète les règles légales applicables à la solution du litige (art. 1a al. 2 let. b, 28 et 31 al. 2 LAMal). En ce qui concerne l'exigence d'un lien de causalité naturelle et adéquate entre l'accident et l'atteinte à la santé, elle a rappelé que la responsabilité de l'assurance ne peut être exclue au motif qu'une atteinte à la santé est en grande partie imputable à un état antérieur massif et que l'événement accidentel n'a qu'une importance secondaire (cf. ATF 129 V 177 consid. 3.1 p. 181, 402 consid. 4.3.1 p. 406 et les arrêts cités; arrêt 9C_242/2010 du 29 novembre 2010 consid. 3.2). En présence d'un état antérieur, ce n'est que si une sollicitation quotidienne aurait pu causer les mêmes dommages au même moment en raison de cet état que la causalité naturelle peut être niée (arrêt 9C_242/2010 cité consid. 3.2). 
 
4.   
Examinant les divergences de vues entre les médecins-conseils de l'assureur et les dentistes de l'assurée, les premiers juges ont admis que le dossier ne permettait pas de considérer qu'une sollicitation quotidienne normale, soit l'acte de mastiquer, aurait entraîné une luxation, une subluxation ou encore une fracture des dents en question, à peu près au même moment que l'accident. Même si les dents étaient déjà branlantes avant l'accident, rien au dossier ne justifiait de retenir que le fait de mastiquer les aurait déplacées ou entraîné une fracture de la racine en juin 2017. Les juges cantonaux en ont déduit que l'accident ne constituait pas une cause fortuite, de sorte que le lien de causalité naturelle devait être admis, de même que le lien de causalité adéquate puisque les conditions pour admettre son interruption étaient identiques. 
 
5.   
La recourante soutient que la juridiction cantonale a constaté les faits de manière manifestement inexacte et fait preuve d'arbitraire dans l'appréciation des preuves en suivant l'opinion des deux dentistes traitants, les docteurs E.________ et B.________, et non pas celle de son médecin-conseil, le docteur D.________. Se référant à l'avis de ce dernier (cf. procès-verbal d'entretien du 29 janvier 2019), elle demande que les faits soient complétés ou corrigés en ce sens que le Tribunal fédéral retienne que les incisives de l'intimée étaient vouées à tomber même sans l'accident, ce qui devrait conduire à nier le lien de causalité entre cet événement et la perte des dents. 
 
6.  
 
6.1. Selon la jurisprudence, l'arbitraire dans l'appréciation des preuves et l'établissement des faits ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution serait envisageable ou même préférable. Le Tribunal fédéral n'annule la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (cf. ATF 141 I 49 consid. 3.4 p. 53 et les arrêts cités). Pour qu'une décision soit annulée au titre de l'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst., il ne suffit pas qu'elle se fonde sur une motivation insoutenable; encore faut-il qu'elle apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 137 I 1 consid. 2.4 p. 5 et les arrêts cités). En ce qui concerne plus précisément l'appréciation des preuves et l'établissement des faits, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266).  
 
6.2.  
 
6.2.1. Dans son argumentation, la recourante commence par affirmer que les faits retenus par la juridiction cantonale doivent être complétés ou corrigés. Elle n'explique toutefois pas en quoi, sur les points qu'elle soulève, les constatations des premiers juges seraient manifestement inexactes ou incomplètes, de sorte qu'il n'y a pas lieu de revenir sur les précisions qu'elle souhaiterait obtenir (consid. 2 supra).  
 
6.2.2. En ce qui concerne l'état de la dentition au moment de l'accident, la recourante soutient que si l'intimée avait croqué normalement des aliments, ses incisives se seraient luxées ou subluxées, car ces dents ne supportaient plus une charge normale en raison de l'état d'avancement de la parodontite. On ne saurait toutefois suivre ce raisonnement à la lumière des déclarations de son médecin-conseil, le docteur D.________. En effet, ce dernier a retenu que l'intimée pouvait encore croquer doucement avec ses incisives (l'attache osseuse étant de 3mm), car la résistance existait encore avant l'accident même si elle était fortement diminuée (cf. avis du 29 janvier 2019). Lors de l'audience d'enquêtes du 14 octobre 2019, le docteur D.________ a certes qualifié la parodontite de sévère à très sévère et indiqué que le pronostic était clairement mauvais. Néanmoins, s'agissant de la mobilité des dents, il a précisé qu'il ne pouvait pas contredire les affirmations de son confrère E.________, selon lequel il n'y avait aucune mobilité des incisives avant l'accident, même si ce fait pouvait être suspecté. De plus, si le docteur D.________ s'est étonné du pronostic évoqué par le docteur E.________, qui était d'avis que les dents auraient encore été en place dans cinq ans, il ne l'a cependant pas contredit quant à cette durée.  
 
En l'espèce, il incombait à la partie recourante d'établir en quoi les premiers juges auraient constaté les faits de manière manifestement inexacte en n'ayant pas retenu qu'une sollicitation quotidienne des dents aurait pu produire les mêmes dommages à peu près au moment de l'accident. L'affirmation de la recourante selon laquelle "les incisives de l'assurée étaient condamnées" ne suffit pas. A la lumière des avis médicaux qui lui étaient soumis (cf. explications des docteurs E.________ du 21 septembre 2017 et B.________ du 2 novembre 2017 d'une part, ainsi que des docteurs C.________ du 2 octobre 2017, F.________ du 19 octobre 2017 et D.________ du 14 octobre 2019 d'autre part), la juridiction cantonale n'a pas tiré de constatations insoutenables en écartant cette éventualité, nonobstant la fragilité avérée des dents en raison de l'étendue de la perte osseuse (parodontite). L'instance précédente pouvait ainsi admettre que l'état antérieur de la dentition n'avait constitué qu'une cause partielle de la perte des incisives et que celles-ci n'auraient pas été endommagées de la même manière sans l'accident. 
 
6.2.3. Les griefs de la recourante doivent dès lors être écartés en tant qu'elle s'en prend à l'appréciation des preuves à l'issue de laquelle la juridiction cantonale a admis l'existence d'un lien de causalité naturelle entre la chute sur le visage et les dommages subis à quatre dents. Le Tribunal fédéral est dès lors lié par les faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF).  
 
6.3. Quant au lien de causalité adéquate, la recourante se réfère à la jurisprudence en matière de cas dentaires (ATF 114 V 169 consid. 3b p. 171). En tant qu'elle se réfère à une condition particulière concernant la causalité adéquate, elle semble ignorer que la jurisprudence prévoit une analogie entre la causalité naturelle et la causalité adéquate dans ce domaine (arrêt 9C_242/2010 cité consid. 3.3 avec la référence à l'ATF 114 V 169). Une violation du droit fédéral à cet égard ne saurait être reprochée aux premiers juges.  
 
7.   
Vu ce qui précède, le recours est mal fondé. 
 
8.   
La recourante, qui succombe, supportera les frais de la procédure (art. 66 al. 1 LTF) et les dépens de l'intimée (art. 68 al. 1 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.   
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 2800 fr. à titre de dépens pour la procédure fédérale. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 5 février 2021 
 
Au nom de la IIe Cour de droit social 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
Le Greffier : Berthoud