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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
6B_931/2020  
 
 
Arrêt du 22 mars 2021  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Denys, Juge présidant, Muschietti et Hurni. 
Greffière : Mme Kistler Vianin. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Daniel Christe, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
intimé. 
 
Objet 
Ordonnance de classement (blanchiment d'argent, etc.), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 16 juin 2020 (ACPR/413/2020 P/72/2015). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Par ordonnance du 11 octobre 2019, le Ministère public du canton de Genève a classé la procédure ouverte le 6 janvier 2015 contre inconnu pour blanchiment d'argent à la suite de la plainte pénale déposée par A.________. 
 
B.   
Par arrêt du 16 juin 2020, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a déclaré irrecevable le recours formé par A.________ au motif que celui-ci ne revêtait pas la qualité de lésé et qu'il n'avait donc pas d'intérêt juridiquement protégé à l'annulation de la décision attaquée (art. 382 al. 1 CPP). 
 
En substance, elle a retenu les faits suivants : 
 
B.a. Le 15 mars 2010, B.________ a déposé une plainte pénale en Espagne contre C.________ et d'autres personnes pour, entre autres, escroquerie, appropriation illégitime et blanchiment d'argent dans le cadre d'une opération immobilière. Par acte passé devant notaire le 29 décembre 2011, elle a fait donation à son neveu, A.________, de "toutes ses prétentions en dommages-intérêts en lien avec la procédure espagnole en cours", l'acte valant cession pour les prétentions en dommages et intérêts.  
 
B.b. Le 26 novembre 2014, A.________ a porté plainte pénale contre C.________ auprès du Ministère public de la Confédération pour blanchiment d'argent et faux dans les titres. La cause a été transmise au Ministère public genevois en application de l'art. 302 al. 1 CPP, dès lors que celui-ci avait déjà été saisi, dans la procédure espagnole, de demandes d'entraide judiciaire et que les actes dénoncés auraient été commis à X.________.  
 
C.   
Contre ce dernier arrêt, A.________ dépose un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour qu'elle se prononce sur le recours formé contre l'ordonnance de classement du 11 octobre 2019. 
 
Invités à se déterminer, la cour cantonale et le Ministère public genevois y ont renoncé. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Conformément à l'art. 54 al. 1 LTF, le présent arrêt sera rendu en français, langue de l'arrêt attaqué, même si le recours est rédigé en allemand, comme l'autorise l'art. 42 al. 1 LTF
 
2.   
Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au Tribunal fédéral si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Indépendamment de sa qualité pour recourir sur le fond, celui qui se prétend lésé par une infraction peut invoquer la violation de droits que la loi de procédure applicable ou le droit constitutionnel lui reconnaît comme partie à la procédure, lorsque cette violation équivaut à un déni de justice formel (ATF 141 IV 1 consid. 1.1. p. 5; 138 IV 78 p. 79). Il peut notamment recourir contre la décision qui, comme en l'espèce, déclare irrecevable un recours cantonal pour défaut de qualité pour recourir. Le présent recours est dès lors recevable. 
 
3.   
Dénonçant une violation de l'art. 382 al. 1 CPP, le recourant prétend que c'est à tort que la cour cantonale lui a dénié la qualité pour recourir. 
 
3.1. Selon l'art. 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci. L'art. 104 al. 1 let. b CPP précise que la qualité de partie est reconnue à la partie plaignante.  
 
On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). Le lésé est celui dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). Lorsque la norme protège un bien juridique individuel, la qualité de lésé appartient au titulaire de ce bien (ATF 138 IV 258 consid. 2.3 p. 263; 129 IV 95 consid. 3.1 p. 98 s.; 126 IV 42 consid. 2A p. 43-44; 117 Ia 135 consid. 2a p. 137). Lorsque l'infraction protège en première ligne l'intérêt collectif, les particuliers ne sont considérés comme lésés que si leurs intérêts privés ont été effectivement touchés par les actes en cause, de sorte que leur dommage apparaît comme la conséquence directe de l'acte dénoncé (ATF 141 IV 454 consid. 2.3.1 p. 457; 138 IV 258 consid. 2.3 p. 263; 129 IV 95 consid. 3.1 p. 99 et les références citées). 
 
Pour être directement touché, le lésé doit subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie, ce qui exclut les dommages par ricochet (arrêts 6B_1014/2020 du 10 février 2021 consid. 3.2; 6B_608/2020 du 4 décembre 2020 consid. 3.1; 6B_1239/2020 et 6B_1240/2020 du 2 décembre 2020 consid. 5.1). Lorsqu'une infraction est perpétrée au détriment du patrimoine d'une personne morale, seule celle-ci subit un dommage et peut donc prétendre à la qualité de lésée, à l'exclusion des actionnaires d'une société anonyme, des associés d'une société à responsabilité limitée, des ayants droit économiques et des créanciers desdites sociétés (ATF 141 IV 380 consid. 2.3.3 p. 386; 140 IV 155 consid. 3.3.1 p. 158). 
 
3.2. Selon l'art. 305bis CP, se rend coupable de blanchiment d'argent celui qui aura commis un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales, dont il savait ou devait présumer qu'elles provenaient d'un crime ou d'un délit fiscal qualifié. Le comportement punissable consiste à mettre en sécurité des valeurs patrimoniales acquises illicitement par le crime préalable.  
 
Le bien juridique protégé est en première ligne l'administration de la justice. En plus de l'intérêt de l'État à pouvoir confisquer, cette disposition protège également les intérêts patrimoniaux de ceux qui sont lésés par le crime préalable lorsque les biens soumis à la confiscation proviennent d'infractions contre le patrimoine (ATF 146 IV 211 consid. 4.2.1 p. 216; 145 IV 335 consid. 3.1 p. 341; 129 IV 322 consid. 2.2.4 p. 325 ss). Lorsque l'infraction préalable a porté atteinte à des droits patrimoniaux individuels, l'acte propre à entraver l'activité de la justice peut avoir pour effet de mettre en danger les intérêts du lésé, consistant à récupérer son bien dans le cadre de la restitution au lésé (art. 70 al. 1 in fine CP) ou de l'allocation à celui-ci du produit de la confiscation (art. 73 al. 1 let. b CP). Dès lors, le lésé de l'infraction préalable peut réclamer des dommages et intérêts au blanchisseur pour acte illicite en vertu de l'art. 41 CO (CASSANI, in Commentaire romand, Code pénal II, 2017, n° 11 ad art. 305bis CP). 
 
3.3. La cour cantonale a considéré que le recourant n'était pas touché directement par l'infraction de blanchiment et qu'il ne revêtait en conséquence pas la qualité de lésé au sens de l'art. 115 CPP. En effet, les détournements dénoncés avaient été commis au détriment de la tante du recourant dans le cadre d'une opération immobilière en Espagne, laquelle lui avait cédé ultérieurement ses prétentions civiles à l'encontre des auteurs des détournements. Le recourant qui n'était pas titulaire du patrimoine lésé à l'époque des faits n'avait pas été touché directement dans ses droits par les infractions dénoncées et ne pouvait en conséquence pas être considéré comme lésé au regard de l'art. 305 bis CP, même si des actes de blanchiment étaient encore intervenus postérieurement à la cession de créance du 29 décembre 2011 (arrêt attaqué p. 4, consid. 2.4).  
Le recourant soutient que la qualité de lésé au sens de l'art. 115 al. 1 CPP doit être reconnue à la personne lésée par le crime préalable, mais également à son successeur à la suite d'une cession volontaire. Il explique que les actes de blanchiment empêcheront également ce dernier d'accéder aux valeurs patrimoniales. Selon le recourant, on devrait reconnaître la qualité de lésé à celui qui subit un désavantage directement de par un délit contre l'administration de la justice comme le blanchiment. 
 
3.4.  
 
3.4.1. Une cession de la créance fondée sur le dommage causé par une infraction ne confère pas au tiers cessionnaire la qualité de lésé. Celui-ci ne peut en effet pas se prévaloir de l'art. 121 CPP, dans la mesure où il n'est ni proche du lésé ni tiers subrogé (ATF 146 IV 76 consid. 2.2.1 p. 80; 140 IV 162 consid. 4 p. 164 ss; arrêt 6B_549/2013 du 24 février 2014 consid. 3.2.2). Ainsi, en tant que simple cessionnaire "des prétentions en dommages-intérêts en lien avec les détournements commis en Espagne", le recourant n'est pas touché directement par les actes de détournements et n'a donc pas la qualité de lésé en relation avec ces infractions.  
 
3.4.2. Le recourant allègue toutefois que C.________ a commis des actes de blanchiment (notamment en transférant des valeurs détournées à l'étranger) postérieurement à la cession de créance. Si le cessionnaire de la créance fondée sur l'infraction préalable n'est pas directement lésé par cette dernière infraction, il sera en revanche directement touché par les actes de blanchiment commis postérieurement à la cession. En effet, ces actes de blanchiment pourront avoir pour effet de mettre en danger les intérêts du cessionnaire, dans la mesure où ils l'entraveront dans l'obtention du paiement de la créance cédée, notamment par le biais de l'art. 73 CP. Si les allégations du recourant devaient être suivies, le recourant est bien directement touché dans ses droits par l'infraction de blanchiment dénoncée, de sorte que c'est à tort que la cour cantonale lui a dénié la qualité pour recourir selon l'art. 382 al. 1 CPP.  
 
4.   
Le recours doit être admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu'elle rende une nouvelle décision. 
 
Le recourant qui obtient gain de cause ne supportera pas de frais judiciaire (art. 66 al. 1 LTF). Il peut prétendre à des dépens à la charge du canton de Genève (art. 68 al. 1 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
 
2.   
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.   
Le canton de Genève versera au recourant une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours. 
 
 
Lausanne, le 22 mars 2021 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant: Denys 
 
La Greffière : Kistler Vianin