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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_773/2021  
 
 
Arrêt du 24 mai 2022  
 
Ire Cour de droit social  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Viscione et Abrecht. 
Greffière : Mme Elmiger-Necipoglu. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Alain Steullet, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-accidents (réduction des prestations; participation à une bagarre), 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura du 20 octobre 2021 (AA 19 / 2020 + AJ 20 / 2020). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ est employé comme collaborateur en distribution au sein de B.________ SA et est à ce titre assuré obligatoirement contre le risque d'accident auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après: la CNA). Le 17 juillet 2019, son employeur a annoncé à la CNA qu'il avait été blessé à l'arcade gauche (coupure sur 1 cm), au doigt, à la nuque et au dos lors d'une bagarre survenue le 13 juillet 2019 en fin de soirée à la gare de C.________. Les examens médicaux pratiqués à l'Hôpital D.________ ont fait état d'une fracture comminutive transfixiante du corps vertébral de C7, d'une fracture du processus épineux de L4, d'une contusion du rachis cervical ainsi que d'une contusion du 4e doigt droit. L'assuré a été en incapacité de travail depuis lors.  
 
A.b. Par décision du 22 octobre 2019, confirmée sur opposition le 10 janvier 2020, la CNA a réduit de 50 % l'indemnité journalière de l'assuré, au motif qu'il était clairement établi par les pièces du dossier pénal qu'il s'était bagarré avec un autre individu après une dispute verbale qui avait mal tourné au sujet d'un dépassement en voiture. Par ordonnance du 19 août 2020, la juge pénale du tribunal de première instance de la République et canton du Jura a classé la procédure pénale ouverte contre l'assuré pour conduite inconvenante.  
 
B.  
Par arrêt du 20 octobre 2021, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura a rejeté le recours formé par l'assuré contre la décision sur opposition du 10 janvier 2020. 
 
C.  
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant principalement à sa réforme en ce sens qu'il a droit à l'entier des indemnités journalières ensuite de l'événement du 13 juillet 2019. À titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué suivie du renvoi de l'affaire à la CNA pour nouvelle décision au sens des considérants. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable. 
 
2.  
 
2.1. Le litige porte sur le point de savoir si la cour cantonale a violé le droit fédéral en confirmant la décision de l'intimée de réduire de moitié les prestations en espèces allouées au recourant ensuite de l'événement du 13 juillet 2019.  
 
2.2. S'agissant d'une procédure concernant l'octroi de prestations en espèces de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par l'autorité précédente (art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF).  
 
3.  
 
3.1. Aux termes de l'art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l'assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces; la réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l'art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Fondé sur cette délégation de compétences, l'art. 49 al. 2 OLAA (RS 832.202) dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d'accident non professionnel survenu dans les circonstances suivantes: participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l'assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu'il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu'il venait en aide à une personne sans défense (let. a); dangers auxquels l'assuré s'expose en provoquant gravement autrui (let. b); participation à des désordres (let. c).  
 
3.2.  
 
3.2.1. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la notion de rixe dans l'assurance-accidents est plus large que celle de l'art. 133 CP, même si elle en revêt les principales caractéristiques objectives (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2). Par rixe ou bagarre, il faut entendre une querelle violente accompagnée de coups ou une mêlée de gens qui se battent (ATF 107 V 234 consid. 2a).  
 
3.2.2. Il y a participation à une rixe ou à une bagarre, au sens de l'art. 49 al. 2 let. a OLAA, non seulement quand l'intéressé prend part à de véritables actes de violence, mais déjà s'il s'est engagé dans l'altercation qui les a éventuellement précédés et qui, considérée dans son ensemble, recèle le risque qu'on pourrait en venir à des actes de violence (ATF 107 V 234 consid. 2a; 99 V 9 consid. 1). Il importe peu que l'assuré ait effectivement pris part activement aux faits ou qu'il ait ou non commis une faute, mais il faut au moins qu'il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger (ATF 99 V 9 consid. 1; arrêt 8C_193/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3.1, publié in SVR 2020 UV n° 12 p. 43; arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013 consid. 2 et les arrêts cités).  
 
3.2.3. En revanche, il n'y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l'assuré se fait agresser physiquement, sans qu'il y ait eu au préalable une dispute, et qu'il frappe à son tour l'agresseur dans un mouvement réflexe de défense (arrêts 8C_702/2017 du 17 septembre 2018 consid. 3.1; 8C_575/2017 du 26 avril 2018 consid. 3; 8C_459/2017 du 16 avril 2018 consid. 4.1; 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 3; 8C_788/2016 du 20 novembre 2017 consid. 3).  
 
3.2.4. Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l'attitude de l'assuré - qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre - n'apparaît pas comme une cause essentielle de l'accident, l'assureur-accidents n'est pas autorisé à réduire ses prestations d'assurance. Il faut que le comportement à sanctionner soit propre, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, à provoquer une atteinte à la santé du genre de celle qui s'est produite (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2; arrêt 8C_532/2021 du 9 décembre 2021 consid. 3.3 et les arrêts cités). A cet égard, les diverses phases d'une rixe, respectivement d'une bagarre, forment un tout et ne peuvent pas être considérées indépendamment l'une de l'autre (arrêts 8C_702/2017 du 17 septembre 2018 consid. 3.2; 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 3).  
 
3.3. Enfin, selon une jurisprudence constante, le juge des assurances sociales n'est pas lié par les constatations de fait et l'appréciation du juge pénal. Il ne s'en écarte cependant que si les faits établis au cours de l'instruction pénale et leur qualification juridique ne sont pas convaincants, ou s'ils se fondent sur des considérations spécifiques au droit pénal qui ne sont pas déterminantes en droit des assurances sociales (ATF 143 V 393 consid. 7.2; 125 V 237 consid. 6a; arrêt 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 5.1, publié in SVR 2018 UV n° 30 p. 105).  
 
4.  
 
4.1. La cour cantonale a constaté qu'une altercation verbale liée au comportement routier respectif des protagonistes avait opposé le recourant à E.________ avant leur confrontation physique, qui s'était déroulée à la place de la gare de C.________. Elle a considéré que le recourant pouvait et devait se rendre compte qu'il existait un risque non négligeable que la dispute verbale qui l'avait opposé à E.________ dégénère en bagarre avec des actes de violence physique; en se confrontant à l'inconnu qui venait de le dépasser et compte tenu des références explicites à la possibilité d'en venir aux mains, le recourant s'était placé dans une zone de danger exclue par l'assurance. Par ailleurs, les juges cantonaux ont considéré qu'il n'y avait aucune interruption du lien de causalité entre le comportement du recourant et le résultat survenu, relevant que les événements s'étaient produits dans un périmètre restreint et qu'ils appartenaient à un seul et même complexe de faits.  
 
4.2. Le recourant invoque une constatation incomplète et erronée des faits ainsi qu'une violation de l'art. 49 al. 2 OLAA et de l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.). Il fait valoir que la cour cantonale se serait uniquement fondée sur les déclarations de E.________ pour retenir qu'il y avait eu une altercation verbale qui avait précédé son agression. En outre, il n'existerait pas de lien de causalité entre son comportement et le résultat survenu.  
 
4.3. En l'occurrence, les événements du 13 juillet 2019 se laissent subdiviser en deux parties: en premier lieu, les faits qui se sont produits à la rue F.________, à C.________, après que E.________ avait dépassé le recourant en voiture, et en second lieu, l'altercation physique entre les deux protagonistes qui a eu lieu vers 22 heures à la place de la gare de C.________.  
 
4.4. En ce qui concerne l'altercation, les faits ont été instruits au cours d'une procédure pénale ouverte contre le recourant pour conduite inconvenante (art. 15 de la loi cantonale du 9 novembre 1978 sur l'introduction du Code pénal suisse; RS/JU 311) qui a débouché sur une ordonnance de classement du 19 août 2020, entrée en force. Il ressort en bref de cette ordonnance de classement que plusieurs éléments permettaient de douter que le prévenu (le recourant) s'était battu le jour en cause, laissant penser qu'il avait essayé de se défendre. Selon les témoignages crédibles de G.________ et de H.________, amis du recourant, celui-ci se trouvait au volant de sa voiture quand un autre individu (E.________) l'avait sorti de son véhicule par la force. Le recourant avait été blessé, ce qui avait été constaté médicalement. La version des faits qu'il avait donnée à la doctoresse I.________ correspondait à celle qu'il avait exposée à la police. En revanche, aucune lésion n'avait été constatée médicalement pour E.________. De surcroît, ce dernier ne semblait pas dire toute la vérité puisqu'il avait deux objets dans ses mains vers la fin de l'altercation et que la police, qui était intervenue rapidement, n'avait pas pu retrouver ces objets. En conséquence, il apparaissait que le recourant n'avait qu'essayé de se défendre lors des faits.  
Cela étant, il n'y a pas lieu de s'écarter des faits constatés par l'autorité pénale, qui sont convaincants et par ailleurs concordants avec les éléments versés au dossier de l'intimée. 
 
4.5. Il convient ensuite de déterminer si, préalablement à cette agression, une dispute entre le recourant et son agresseur a eu lieu (cf. consid. 3.2.3 supra).  
Sur ce point, les déclarations des personnes interrogées divergent. E.________ soutient que le recourant l'aurait insulté verbalement en disant notamment "tu es un malade, tu roules comme un connard", alors que celui-ci conteste avoir prononcé des grossièretés à son égard, en admettant toutefois l'avoir klaxonné ensuite de son dépassement. En outre, le recourant conteste s'être arrêté à la station d'essence J.________, prétendant qu'il était passé à côté de E.________ à faible vitesse et que, voyant que celui-ci était énervé, il avait continué son chemin. En revanche, E.________ a déclaré que le recourant s'était arrêté à côté de lui, l'avait injurié et avait pris une photo de sa plaque d'immatriculation. Quant à H.________, il a déclaré que le recourant l'aurait appelé ce samedi soir vers 21h50, en expliquant qu'une personne avait essayé de lui foncer dessus avec sa voiture et était sortie de sa voiture en le menaçant. 
Quand bien même le comportement et les propos précis des protagonistes ne peuvent pas être établis, ceux-ci s'accordent sur le fait que préalablement à l'agression survenue à la place de la gare, ils ont eu un différent quant à leur comportement routier respectif. Contrairement à ce que soutient le recourant, la question de savoir si la dispute était verbale n'est pas décisive pour la question à trancher, dans la mesure où une dispute au sens de la jurisprudence (cf. consid. 3.2.3 supra) peut avoir lieu sous différentes formes et notamment de façon non verbale, par exemple par un geste désobligeant (arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013, publié in SVR 2013 UV n° 21 p. 78 et résumé in Plaidoyer 2013 n° 3 p. 58) ou encore par un comportement routier inapproprié (par exemple le fait d'accélérer alors qu'un autre véhicule est en train de dépasser, puis de klaxonner pour exprimer son mécontentement; arrêt 8C_685/2016 du 1er juin 2017 consid. 3 et 5), comme ce fut le cas en l'espèce. C'est dès lors à juste titre que la cour cantonale a retenu qu'une dispute liée à leur comportement routier respectif a opposé le recourant à E.________ avant leur confrontation physique. 
 
4.6. On ne peut pas non plus suivre l'argumentation du recourant quant à l'interruption du lien de causalité adéquate entre le comportement du recourant et le résultat qui est survenu (sur cette notion cf. ATF 134 V 340 consid. 6.2; 133 V 14 consid. 10.2; 130 III 182 consid. 5.4; voir également, pour un cas où une interruption de la causalité adéquate a été admise, l'arrêt 8C_363/2010 du 29 mars 2011 et, concernant la même affaire au plan civil, l'arrêt 4A_66/2010 du 27 mai 2010), en particulier lorsqu'il fait valoir qu'il n'y aurait pas de continuité entre l'altercation routière et l'agression. En effet, les faits se sont produits dans un périmètre restreint (à une distance de quelques centaines de mètres) et dans un intervalle relativement court puisque l'agression à la place de la gare a eu lieu environ 30 voire 60 minutes après l'incident routier, comme l'admet le recourant. La cour cantonale était dès lors fondée à considérer que les diverses phases de la bagarre formaient un tout et ne pouvaient pas être considérées indépendamment l'une de l'autre (cf. consid. 3.2.4 supra; cf. arrêt 8C_405/2016 du 18 août 2016 consid. 3.4, publié in SVR 2016 UV n° 42 p. 140, dans lequel le Tribunal fédéral a admis une unité entre deux altercations qui s'étaient déroulées à un intervalle de 2,5 heures et à une distance de 1 km).  
Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'entre les deux événements, le recourant a appelé son ami H.________ en lui expliquant "j'ai un problème vers chez J.________ à C.________". Ensuite de son appel, celui-ci a rejoint le recourant ("pour aider mon copain A.________) qui l'attendait avec K.________. À trois, ils se sont rendus à la place de la gare, où le recourant s'est fait agresser par E.________, qui était également venu avec deux amis. Cela tend à démontrer qu'avant même l'altercation proprement dite, le recourant avait déjà conscience du fait que la situation présentait un danger pour lui. 
 
4.7. Partant, on doit admettre, à l'instar des premiers juges, que l'agression dont a été victime le recourant s'est produite alors que ce dernier avait eu un comportement tombant sous le coup de l'art. 49 al. 2 let. a OLAA. Par conséquent, l'assureur-accidents pouvait réduire ses prestations en espèces de moitié.  
 
5.  
Vu ce qui précède, le recours se révèle mal fondé et doit être rejeté. Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Bien qu'elle obtienne gain de cause, l'intimée n'a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Cour des assurances, et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 24 mai 2022 
 
Au nom de la Ire Cour de droit social 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
La Greffière : Elmiger-Necipoglu