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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
5A_659/2011 
 
Arrêt du 5 avril 2012 
IIe Cour de droit civil 
 
Composition 
Mme et MM. les Juges Escher, Juge présidant, 
Marazzi et Herrmann. 
Greffier: M. Braconi. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Sabrina Burgat, avocate, 
recourant, 
 
contre 
 
dame A.________, 
représentée par Me Pierre Bauer, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
divorce (compétence), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour d'appel civile 
du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel 
du 24 août 2011. 
 
Faits: 
 
A. 
A.________ et dame A.________, tous deux binationaux suisses et anglais, se sont mariés le 12 août 1988 à Genève; trois enfants, nés en 1991, 1993 et 1995, sont issus de cette union. Les époux se sont installés à Londres, où - après un bref séjour à Zurich puis deux ans à Paris - ils ont habité durablement dès 1994. 
 
Les époux A.________ se sont séparés au printemps 2008; le mari a occupé dès cette époque un appartement meublé à Londres, alors que les enfants sont restés auprès de leur mère dans la maison familiale, située également à Londres. 
 
B. 
Le 21 juin 2010, le mari a déposé une demande unilatérale en divorce devant le Tribunal matrimonial du district de Neuchâtel. Son épouse a conclu à l'incompétence à raison du lieu de cette juridiction. 
 
Par jugement du 2 février 2011, le Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers (selon la nouvelle organisation judiciaire neuchâteloise en vigueur depuis le 1er janvier 2011) s'est déclaré incompétent à raison du lieu pour connaître de la demande. Statuant le 24 août 2011, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel a confirmé cette décision. 
 
C. 
Par mémoire du 23 septembre 2011, le demandeur exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral; il conclut à l'annulation de l'arrêt entrepris (1), à la constatation de la compétence du Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers pour connaître de la demande (2) et au renvoi de la cause à ladite autorité pour qu'elle prononce le divorce des parties (3). 
 
La défenderesse propose le rejet du recours ainsi que la confirmation du jugement de première instance et de l'arrêt du Tribunal cantonal; la Cour d'appel cantonale se réfère aux motifs de sa décision. 
 
Les parties ont procédé à un ultérieur échange d'écritures. 
 
Considérant en droit: 
 
1. 
1.1 Le recours a été déposé dans le délai légal (art. 100 al. 1 LTF) à l'encontre d'une décision finale (art. 90 LTF; ATF 135 V 153 consid. 1.3; arrêt 5A_663/2009 du 1er mars 2010 consid. 1.1) rendue en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière instance statuant sur recours (art. 75 LTF). La décision attaquée a pour objet la compétence (internationale) à raison du lieu pour prononcer le divorce, en sorte que l'affaire est de nature non pécuniaire (arrêt 5A_663/2009 précité consid. 1.2). Le recourant, qui a été débouté de ses conclusions par l'autorité précédente, a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF). 
 
1.2 Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF); le recourant ne peut critiquer ces faits que s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 137 III 268 consid. 1.2) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; cf. sur les exigences de motivation: ATF 134 V 53 consid. 3.4). 
 
Dans ses observations du 21 novembre 2011 - produites en réponse aux remarques de l'intimée -, le recourant a déclaré que le «recours ne porte pas sur la constatation inexacte des faits, mais bel et bien sur la notion juridique de domicile au sens de l'art. 59 LDIP» et qu'il «ne conteste pas les faits retenus par la Cour d'appel». Partant, il n'y a pas lieu de tenir compte des précisions qui figurent dans l'exposé des faits de l'acte de recours (par ex.: demande immédiate à la gérance de ne pas remettre en location l'appartement sis dans l'immeuble dont il est propriétaire; finalisation de l'accord de départ avec l'employeur après plusieurs semaines de discussions; retours fréquents à Londres dans le but notamment d'exercer le droit de visite), sans qu'il faille examiner si ces allégations seraient par ailleurs suffisamment motivées (art. 106 al. 2 LTF) et/ou comporteraient des nova (art. 99 al. 1 LTF). 
 
2. 
2.1 L'autorité précédente a constaté que, au début de l'année 2010, le recourant avait son domicile à Londres; il y résidait dans son propre appartement, sa famille s'y trouvait également - même s'il ne faisait plus ménage commun avec elle - et il y travaillait. Dans le courant du premier semestre 2010 - le dossier ne permettant pas de fournir une date plus précise -, l'intéressé a projeté de quitter la Grande-Bretagne pour s'installer à Neuchâtel et a commencé à prendre les dispositions qui accompagnent d'ordinaire un changement de domicile; cependant, ces démarches ne se sont pas faites en l'espace de quelques jours, mais se sont étalées sur plusieurs semaines, voire mois: en mai 2010, il a séjourné à deux reprises durant quelques jours chez sa mère à Peseux; dès le 16 mai, il a conclu un abonnement demi-tarif CFF; le 25 mai, il a conclu une «convention de fin de rapports de travail» avec son employeur anglais, dont les effets ont été arrêtés au 12 mai 2010; le 16 juin, il a pris de nouveau le train de Genève-aéroport à Neuchâtel; le lendemain, il a déposé ses papiers auprès de la police des habitants de Neuchâtel, en indiquant comme adresse «rue ...», et en annonçant son installation à partir du «10 juin 2010». Le recourant a poursuivi ses démarches en concluant un abonnement de téléphonie mobile puis une assurance-ménage, avec effet au 18 juin 2010, et en donnant à chaque fois son adresse de la «rue ...». Avant la fin du mois de juin, il a aussi dû donner congé à son bailleur anglais, puisque le préavis était de deux mois et qu'il a restitué les locaux le 24 août 2010. Il a reçu à Neuchâtel une première facture le 2 juillet 2010 (taxe d'enlèvement des déchets solides pour le 3e trimestre de l'année); des démarches étaient en cours en juillet 2010 au sujet de sa couverture d'assurance-maladie. En août 2010, il a définitivement quitté les locaux qu'il louait à Londres; en outre, il a signé, le 20 août, les statuts de la société qu'il a créée, laquelle a été inscrite le 23 août 2010 au registre du commerce. 
 
Selon la cour cantonale, le recourant, tout en effectuant les démarches énumérées ci-dessus, a conservé des liens réguliers avec Londres; il s'y est trouvé avant comme après le 16 juin, et il y était à nouveau au mois d'août, où il a disposé d'un appartement presque jusqu'à la fin du mois et où des factures ont continué de lui être adressées. Il apparaît ainsi que le changement de domicile s'est fait de façon progressive et il n'est pas possible d'affirmer que l'intéressé, comme il le prétend, était domicilié en Grande-Bretagne jusqu'au 9 juin 2010 puis à Neuchâtel à compter du lendemain; du moins, un changement aussi net et radical ne pouvait-il être perçu des tiers, sur la base de signes objectifs. Dans ces conditions, les éléments font défaut pour conclure «que, le 21 juin 2010, l'intéressé avait manifesté de manière reconnaissable pour les tiers sa volonté de s'établir à Neuchâtel et d'y créer le centre de ses intérêts personnels et professionnels». En raison de ce «changement progressif plutôt que net et subi» et de «l'existence apparente durant plusieurs semaines de deux domiciles potentiels alors qu'un seul n'est légalement concevable», la notion de résidence habituelle prend toute son importance, car c'est elle qui est décisive à défaut de domicile. Or, il s'avère que, dans la période qui a immédiatement précédé puis suivi l'introduction de la demande, le recourant s'est trouvé beaucoup plus régulièrement à Londres qu'à Neuchâtel, où il ne semble avoir fait qu'un bref passage pour accomplir diverses formalités administratives. Ainsi, la résidence habituelle du demandeur à Londres, au moment du dépôt de la demande, conduit aussi à retenir qu'il n'avait pas de domicile à Neuchâtel au sens de l'art. 20 al. 1 let. a LDIP. S'il convient de ne pas encourager la création soudaine d'un «domicile de circonstance» en cas de brusque départ du domicile conjugal, il faut se montrer prudent «en présence de la création soudaine d'un nouveau domicile à la veille du dépôt d'une demande, alors que jusqu'alors et depuis longtemps existait ailleurs un domicile réel qui a de fait subsisté encore plusieurs semaines après le dépôt de la demande». 
2.2 
2.2.1 Comme l'a retenu la cour cantonale, la présente affaire revêt un caractère international (cf. art. 1er al. 1 let. a LDIP); la compétence à raison du lieu est ainsi réglée par l'art. 59 let. b LDIP - seule hypothèse qui entre en considération -, aux termes duquel sont compétents pour connaître d'une action en divorce les tribunaux suisses du domicile de l'époux demandeur, si celui-ci réside en Suisse depuis une année ou est suisse. Il ressort des constatations de l'autorité cantonale (art. 105 al. 1 LTF) que les conjoints sont «tous deux (...) binationaux suisses et anglais»; seule la nationalité suisse du recourant est pertinente en l'occurrence (art. 23 al. 1 LDIP, par analogie; Bucher, in: Commentaire romand, 2011, n° 4 ad art. 59 LDIP; Volken, in: Zürcher Kommentar zum IPRG, 2e éd., 2004, n° 32 ad art. 59 LDIP; idem, mais sans se référer à la norme précitée: arrêt 5A_573/2007 du 6 décembre 2007 consid. 3.2). Enfin, l'art. 59 let. b LDIP n'exige pas que le conjoint de nationalité suisse ait, par surcroît, résidé en Suisse depuis une année (arrêt 5C.99/1993 du 21 septembre 1993 consid. 5 et la doctrine citée; Volken, loc. cit.). 
2.2.2 Le domicile au sens de l'art. 59 LDIP est déterminé d'après les critères de l'art. 20 al. 1 let. a LDIP, dont la teneur correspond à celle de l'art. 23 CC (FF 1983 I p. 307/308). La notion de domicile comporte deux éléments: l'un objectif, la présence physique en un lieu donné; l'autre subjectif, l'intention d'y demeurer durablement. Pour déterminer si une personne réside dans un lieu déterminé avec l'intention de s'y établir, ce n'est pas la volonté interne de l'intéressé qui est décisive, mais les circonstances objectives, reconnaissables pour les tiers, qui permettent d'en déduire une telle intention (ATF 119 II 64 consid. 2b/bb et 167 consid. 2b, avec les citations; arrêt 5A_432/2009 du 23 décembre 2009 consid. 5.2.1, in: FamPra.ch 2010 p. 435). Si ces manifestations relèvent du fait, les conclusions à en tirer quant à l'intention de s'établir ressortissent au droit (ATF 120 III 7 consid. 2a). Aux fins de l'art. 59 LDIP, la compétence à raison du lieu des juridictions suisses doit être donnée à la date de l'ouverture d'action (ATF 116 II 209 consid. 2b/bb et les citations; arrêt 5A_663/2009 précité consid. 2.2.2 in fine). 
 
2.3 L'autorité précédente n'a pas nié l'intention du recourant de quitter la Grande-Bretagne pour s'établir en Suisse; elle a néanmoins estimé que, au moment déterminant de l'ouverture d'action, les démarches accomplies à cette fin n'étaient pas révélatrices, aux yeux des tiers, de sa volonté de s'établir à Neuchâtel et d'y créer le centre de ses intérêts personnels et professionnels. Au regard des faits constatés dans l'arrêt attaqué (art. 105 al. 1 LTF), que le recourant ne remet pas en question (cf. supra, consid. 1.2), cet avis ne viole pas le droit fédéral. 
 
D'emblée, il convient de rappeler que la simple intention de s'établir à l'étranger, en tant qu'expression de la volonté interne de l'intéressé, ne suffit pas (ATF 97 II 1 consid. 3 et les citations). Si la constitution d'un domicile à l'étranger n'implique pas que toutes les démarches relatives au transfert dans le nouvel État de résidence soient achevées, encore faut-il - comme l'a retenu l'autorité précédente - que ces démarches démontrent d'une manière reconnaissable pour les tiers l'intention de l'individu de créer dans ce nouvel État le centre de ses intérêts. A cet égard, le recourant perd de vue qu'un endroit peut (encore) constituer le domicile d'une personne qui a manifesté son intention de transférer par la suite son domicile dans un autre pays (cf. arrêt 5A_725/2010 du 12 mai 2011 consid. 2.3, obs. KARRER, in: successio 2012 p. 63 ss). 
 
Il est vrai que l'élément objectif du domicile (i.e. la présence physique en un endroit donné) ne suppose pas nécessairement que le séjour ait déjà duré un certain temps; si la condition subjective (i.e. l'intention de rester durablement en ce lieu) est par ailleurs remplie, la constitution d'un domicile peut se produire dès l'arrivée dans le nouveau pays; en d'autres termes, pour déterminer si l'intéressé s'y est créé un domicile, ce n'est pas la durée de sa présence à cet endroit qui est décisive, mais bien la perspective d'une telle durée (arrêts 5C.99/1993 précité consid. 3a; 5C.163/2005 du 25 août 2005 consid. 4.1; 5A_398/2007 du 28 avril 2008 consid. 3.2; 5A_432/2009 précité; idem, pour la résidence habituelle: 5A_607/2008 du 2 mars 2009 consid. 4.4; 5A_440/2011 du 25 novembre 2011 consid. 2.2). C'est ainsi que le Tribunal fédéral a jugé que l'existence d'un domicile en Suisse n'était pas exclue du seul fait que le demandeur avait ouvert action en divorce six jours seulement après son arrivée (consid. 3b/aa, non publié à l'ATF 119 II 64; cf. pour d'autres références: BUCHER, op. cit., n° 23 ad art. 20 LDIP). 
 
En invoquant ce principe, le recourant part toutefois de la prémisse que les conditions de la création d'un domicile en Suisse existaient dès son arrivée à Neuchâtel; or, c'est précisément ce qu'il fallait démontrer en l'espèce. Les démarches accomplies par l'intéressé avant l'ouverture d'action (i.e. séjours chez sa mère, abonnements de demi-tarif CFF et de téléphonie mobile, conclusion d'une assurance-ménage) ne sont pas en soi de nature à rendre reconnaissables pour les tiers son intention de transférer en Suisse son centre de vie, à savoir le lieu où se situent ses «intérêts familiaux, professionnels et financiers» (FF 1983 I p. 307; cf. pour la casuistique: BUCHER, op. cit., n° 19 ss ad art. 20 LDIP). Sur ce dernier point, l'arrêt attaqué retient que le 25 mai 2010 le recourant a passé une convention relative à la fin des rapports de travail avec son employeur anglais, mais que le «dossier ne contient aucune indication portant sur la recherche, à la même époque, d'un emploi en Suisse pour succéder à celui qu'il quittait»; ce n'est que le 20 août 2010 - à savoir après le dépôt de l'action - que l'intéressé a signé les statuts de la société qu'il a créée, laquelle a été inscrite au registre du commerce le 23 août suivant. 
 
Enfin, le Tribunal fédéral a jugé à plusieurs reprises que le dépôt des papiers d'identité, ou d'autres documents administratifs, ne constitue qu'un indice (ATF 125 III 100 consid. 3 et les citations), qui ne saurait de surcroît l'emporter sur les rapports et intérêts personnels (ATF 91 III 47 consid. 3). En l'occurrence, le dépôt des papiers le 17 juin 2010 auprès de la police des habitants de Neuchâtel n'est donc pas décisive, d'autant que, comme l'a démontré pertinemment l'autorité cantonale, la date d'installation alléguée (10 juin 2010) est hautement douteuse. 
 
3. 
En conclusion, le présent recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Les frais et dépens incombent au recourant (art. 66 al. 1 et art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2. 
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3. 
Une indemnité de 4'000 fr., à payer à l'intimée à titre de dépens, est mise à la charge du recourant. 
 
4. 
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel (Cour d'appel civile). 
 
Lausanne, le 5 avril 2012 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant: Escher 
 
Le Greffier: Braconi