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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
1C_59/2018  
 
1C_60/2018  
 
 
Arrêt du 25 octobre 2018  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président, 
Karlen, Fonjallaz, Chaix et Kneubühler. 
Greffière : Mme Tornay Schaller. 
 
Participants à la procédure 
1C_59/2018 
Christophe Aumeunier, 
Chambre genevoise immobilière, 
tous les deux représentés par Me François Bellanger, avocat, 
recourants, 
 
contre  
 
Comité d'initiative "Construisons des logements pour toutes et tous", représenté par Mes Damien Chervaz et Christian Dandrès, avocats, rue du Lac 12, 1207 Genève, 
intimé, 
 
1C_60/2018 
Comité d'initiative "Construisons des logements pour toutes et tous", 
Carole-Anne Kast, 
Pablo Cruchon, 
Guillaume Käser, 
tous les quatre représentés par Mes Damien Chervaz et Christian Dandrès, avocats, 
recourants, 
 
contre 
 
Christophe Aumeunier, 
Chambre genevoise immobilière, 
tous les deux représentés par Me François Bellanger, avocat, 
intimés, 
 
Conseil d'Etat du canton de Genève, 
rue de l'Hôtel-de-Ville 2, 1204 Genève. 
 
Objet 
Initiative populaire cantonale IN 161 "Construisons 
des logements pour toutes et tous : Davantage de coopératives et de logements bon marché", 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton 
de Genève, Chambre constitutionnelle, du 11 décembre 2017 (ACST/23/2017 - A/599/2017-INIT). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Par arrêté du 21 septembre 2016, publié dans la Feuille d'avis officielle du 23 septembre 2016, le Conseil d'Etat du canton de Genève (ci-après: le Conseil d'Etat) a constaté l'aboutissement de l'initiative populaire cantonale intitulée "Construisons des logements pour toutes et tous : Davantage de coopératives et de logements bon marché! " (ci-après: l'initiative ou l'IN 161). Cette initiative législative porte sur l'introduction d'un nouvel art. 4A dans la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD; RS/GE L 1 5) dont la teneur est la suivante: 
 
Art. 4A Catégories de logements (nouvelle teneur)  
1. Dans les périmètres sis en zones de développement : 
       a) au moins 80 % des logements construits doivent être destinés à la       location. 
       b) au moins 50 % des logements construits doivent être d'utilité              publique au sens de la loi pour la construction de logements d'utilité              publique du 24 mai 2007 et sont des immeubles soumis aux                     catégories de l'article 16 de la loi générale sur le logement et la              protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL). 
       c) au moins 30 % des logements construits doivent être des                     habitations bon marché au sens de l'article 16 alinéa 1 lettre a) de la       loi générale sur le logement et la protection des locataires du 
       4 décembre 1977. 
2. En principe, dans les périmètres sis en zones de développement, au moins 50 % de l'ensemble des logements sont réalisés par des maîtres d'ouvrage sans but lucratif, notamment des coopératives d'habitation. 
 
3. Si les circonstances l'exigent, le Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie peut accepter de déroger aux proportions mentionnées dans le présent article. Dans les cas visés aux alinéas 1 et 2, celui qui réalise des logements doit créer des compensations équivalentes, de manière à ce que les proportions soient respectées à l'échelle du plan localisé de quartier, du plan de zone, voire de la commune considérée.  
 
L'initiative ne comporte aucun exposé des motifs. 
L'art. 4A LGZD a la teneur actuelle suivante: 
 
1. Dans les périmètres sis en zone de développement et dont la zone primaire est la zone villa, celui qui réalise des logements a le choix entre : 
       a) la construction de logements soumis au régime HM, au sens de              l'article 16, alinéa 1, lettre d, de la loi générale sur le logement et la              protection des locataires, du 4 décembre 1977, ou en coopérative              d'habitation à raison de 30% du programme, ou 
       b) la cession à l'Etat, à une commune ou à un autre organisme sans       but lucratif, à titre onéreux et au prix admis par l'Etat dans les plans              financiers, de 25% du périmètre pour la construction de logements              d'utilité publique. 
2. Dans les périmètres déclassés en zone de développement après le 1er janvier 2007 et dont la zone primaire est la zone villa, il est réalisé au moins 15% de logements d'utilité publique. Dès lors, pour permettre la réalisation de cet objectif, celui qui réalise des logements a le choix entre : 
       a) la cession à l'Etat, à une commune ou à un autre organisme sans       but lucratif, à titre onéreux et au prix admis par l'Etat dans les plans              financiers, de 15% du périmètre pour la construction de logements              d'utilité publique, d'une part, et la construction de logements HM ou              en coopérative d'habitation à raison de 15% du programme, d'autre              part, ou 
       b) la cession à l'Etat, à une commune ou à un autre organisme sans       but lucratif, à titre onéreux et au prix admis par l'Etat dans les plans              financiers, de 25% du périmètre pour la construction de logements              d'utilité publique. 
3. Dans les périmètres sis en zone de développement et dont la zone primaire est la zone agricole, ainsi que dans le périmètre des communaux d'Ambilly (commune de Thônex), il est réalisé des logements d'utilité publique pour au moins un quart du programme et des logements soumis au régime HM, HLM ou en coopérative d'habitation pour au moins un quart du programme. Pour permettre la réalisation de ces objectifs, celui qui réalise des logements dans un tel périmètre peut être contraint de céder à l'Etat, à une commune ou à un autre organisme sans but lucratif, à titre onéreux et au prix admis par l'Etat dans les plans financiers, 25% du périmètre pour la construction de logements d'utilité publique. 
 
4. La présente disposition est applicable à toute demande déposée jusqu'au 31 juillet 2019. A l'issue de cette période, le Conseil d'Etat présente un rapport au Grand Conseil. 
5. Si les circonstances l'exigent, le département peut accepter de déroger aux proportions énoncées dans le présent article. Dans de tels cas, celui qui réalise des logements doit offrir des compensations équivalentes, de manière à ce que les proportions soient respectées à l'échelle du plan localisé de quartier, du plan de zone, voire de la région considérée. Dans des cas de peu d'importance, le département peut exceptionnellement renoncer à cette exigence. 
 
B.   
Par arrêté du 18 janvier 2017, publié dans la FAO du 20 janvier 2017, le Conseil d'Etat a déclaré l'IN 161 valide. Il a saisi le Grand Conseil d'un rapport sur la prise en considération de l'IN 161 (ci-après : IN 161-A), l'invitant à rejeter l'initiative et à lui opposer un contre-projet. 
Par acte du 20 février 2017, Christophe Aumeunier, l'Association des promoteurs constructeurs genevois, la Chambre genevoise immobilière et l'Union suisse des professionnels de l'immobilier Genève ont interjeté recours auprès de la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la Cour de justice) contre l'arrêté du Conseil d'Etat déclarant l'IN 161 valide, en concluant à son annulation et à l'invalidation de ladite initiative. 
Par arrêt du 11 décembre 2017, la Cour de justice a admis partiellement le recours déposé contre l'arrêté du Conseil d'Etat déclarant valide l'IN 161. Elle a annulé le membre de phrase "doivent être d'utilité publique au sens de la loi pour la construction de logements d'utilité publique du 24 mai 2007 et" de l'alinéa 1 let. b de l'art. 4A, a annulé en entier l'alinéa 2 et a rejeté le recours pour le surplus. 
 
C.   
Cet arrêt fait l'objet de deux recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Le recours 1C_59/2018, formé par Christophe Aumeunier et par la Chambre genevoise immobilière (ci-après: Christophe Aumeunier et consorts), tend à l'annulation de l'arrêt du 11 décembre 2017 et à l'invalidation de l'initiative. Le Comité d'initiative de l'IN 161, Carole-Anne Kast, Pablo Cruchon et Guillaume Käser (ci-après: le Comité d'initiative et consorts) demandent quant à eux l'annulation de l'arrêt du 11 décembre 2017 en ce qu'il annule le membre de phrase précité de l'alinéa 1 let. b et l'alinéa 2 de l'art. 4A LGZD/IN 161 (cause 1C_60/2018). 
 
Invitée à se prononcer sur les recours, chacune des parties conclut au rejet de celui formé par l'autre. La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité des recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le Conseil d'Etat renonce à se déterminer. Chacune des parties a en outre déposé des observations ultérieures, dans lesquelles elles ont confirmé les conclusions de leurs mémoires de recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Les deux recours sont dirigés contre une même décision d'invalidation partielle rendue en dernière instance cantonale. Bien que les motifs invoqués et les conclusions prises soient opposés, il y a lieu de joindre les deux procédures et de statuer par un même arrêt, de façon à permettre une pesée globale des intérêts en présence. 
 
2.   
Selon l'art. 82 let. c LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours qui concernent le droit de vote des citoyens ainsi que les élections et votations populaires. 
 
2.1. Cette disposition permet de recourir contre l'ensemble des actes affectant les droits politiques (ATF 138 I 171 consid. 1.1 p. 175). Elle permet en particulier au citoyen de se plaindre de ce qu'une initiative populaire a été indûment soustraite au scrutin populaire, parce qu'elle a été déclarée totalement ou partiellement invalide par l'autorité cantonale chargée de cet examen (ATF 128 I 190 consid. 1.1 p. 193). Elle permet également de contester la décision, prise par l'autorité cantonale, de valider une initiative et de la présenter au vote populaire, pour autant que le droit cantonal charge l'autorité compétente de vérifier d'office la conformité des initiatives aux règles supérieures. Dans ce cas, le citoyen dispose d'une prétention à ce que ce contrôle obligatoire soit effectué correctement et à ce que le corps électoral soit dispensé de se prononcer, le cas échéant, sur des dispositions qui paraissent d'emblée contraires au droit matériel supérieur (ATF 128 I 190 consid. 1.3 p. 194). Selon l'art. 60 de la Constitution genevoise du 14 octobre 2012 (Cst./GE; RS/GE A 2 00), la validité des initiatives populaires cantonales est examinée par le Conseil d'Etat; cet examen porte sur l'unité du genre (al. 2), de la matière (al. 3) et la conformité au droit supérieur.  
 
2.2. Les recours 1C_59/2018 et 1C_60/2018 sont formés par des citoyens genevois qui ont, à ce titre - et indépendamment de tout intérêt juridique personnel -, qualité pour se plaindre d'une violation de leur droit de vote (art. 89 al. 3 LTF). La qualité pour recourir peut aussi être reconnue au Comité d'initiative en tant que personne morale qui a lancé l'initiative invalidée partiellement par la Cour de justice (cf. ATF 130 I 290 consid. 1.3 p 292 et les arrêts cités). Quant à la Chambre genevoise immobilière, sa qualité pour recourir peut demeurer indécise.  
 
2.3. Le recours est par ailleurs formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d et 88 al. 2 LTF). Il y a par conséquent lieu d'entrer en matière.  
 
3.   
Le Comité d'initiative et consorts reprochent à la Cour de justice d'avoir annulé l'alinéa 2 et l'alinéa 1 let. b - en tant qu'il fait référence à des logements d'utilité publique au sens de la loi pour la construction de logements d'utilité publique (LUP; RS/GE I 4 06) - de la disposition proposée, pour violation du principe de la clarté et atteinte disproportionnée au droit supérieur. 
Quant à Christophe Aumeunier et consorts, ils font grief à la Cour de justice de ne pas avoir annulé l'art. 4A LGZD tel que prévu par l'IN 161 dans son intégralité pour non-conformité à la garantie de la propriété et à la liberté économique. 
Il convient donc d'examiner si l'initiative litigieuse est conforme au droit supérieur, notamment à la garantie de la propriété (art. 26 Cst.). 
 
3.1. Lorsqu'une initiative populaire porte atteinte à un droit fondamental, elle est doublement soumise à une exigence de clarté de son texte.  
D'une part, toute restriction à un droit fondamental doit reposer sur une base légale (art. 36 al. 1 Cst.). Lorsque l'atteinte est grave, outre que la base légale doit être une loi au sens formel, celle-ci doit être claire et précise. Cette exigence résulte aussi du principe de la légalité, qui est posé de façon générale pour toute l'activité de l'Etat régie par le droit (art. 5 al. 1 Cst.). En d'autres termes, l'exigence d'une base légale ne concerne pas que le rang de la norme - à savoir celui d'une loi formelle en cas de restrictions graves (art. 36 al. 1 phr. 2 Cst.) -, mais s'étend à son contenu, qui doit être suffisamment clair et précis (ATF 140 I 168 consid. 4 p. 170; 119 Ia 362 consid. 3a p. 366; 115 Ia 333 consid. 2a p. 336). Il faut que la base légale ait une densité normative suffisante pour que son application soit prévisible. Pour déterminer quel degré de précision l'on est en droit d'exiger de la loi, il faut tenir compte du cercle de ses destinataires et de la gravité des atteintes qu'elle autorise aux droits fondamentaux (ATF 138 I 378 consid. 7.2 p. 391; 131 II 13 consid. 6.5.1 p. 29). 
D'autre part, en matière de droits politiques, le texte de l'initiative est soumis à une exigence de clarté. En effet, selon l'art. 34 al. 2 Cst., la garantie des droits politiques protège la libre formation de l'opinion des citoyens et des citoyennes et l'expression fidèle et sûre de leur volonté. Les votations et élections doivent être organisées de telle manière que la volonté des électeurs puisse s'exercer librement. Cela implique en particulier une formulation adéquate des questions soumises au vote. Celles-ci ne doivent pas être rédigées dans des termes propres à induire en erreur le citoyen (ATF 133 I 110 consid. 8.1 p. 127 et les arrêts cités). L'exigence de la clarté du texte de l'initiative découle ainsi de la liberté de vote garantie à l'art. 34 al. 2 Cst. Les électeurs appelés à s'exprimer sur le texte de l'initiative doivent être à même d'en apprécier la portée, ce qui n'est pas possible si le texte est équivoque ou imprécis (cf. ATF 133 I 110 consid. 8 p. 126). 
 
3.2. En l'occurrence, il n'est pas contesté que l'initiative litigieuse introduit une série de mesures étatiques qui sont de nature à restreindre le droit de propriété garanti par l'art. 26 Cst. Dans son développement juridique, la cour cantonale est partie du principe que la base légale fondant la restriction à la garantie de la propriété devait être suffisamment claire et précise, insistant à cet égard sur une densité normative suffisante. Ce faisant, elle a axé son raisonnement sur la prémisse que l'atteinte à la propriété en question était grave. Il convient de vérifier ce point avant de poursuivre l'analyse des dispositions contestées.  
Selon la jurisprudence, l'atteinte au droit de propriété est tenue pour particulièrement grave lorsque des interdictions ou des prescriptions positives rendent impossible ou beaucoup plus difficile une utilisation du sol actuelle ou future conforme à sa destination (ATF 140 I 168 consid. 4 p. 170; 133 II 220 consid. 2.5 p. 225), à l'instar d'un plan d'aménagement de détail qui empêche désormais toute construction (ATF 121 I 117 consid. 3/b/bb p. 120). Le classement d'un bâtiment constitue également une restriction grave au droit de propriété puisqu'une telle mesure risque d'empêcher le propriétaire de pouvoir modifier substantiellement l'usage d'une construction (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 221; 118 Ia 384 consid. 4a p. 387). Le Tribunal fédéral a aussi considéré que le fait de soumettre à autorisation l'aliénation d'appartements à usage d'habitation constituait une restriction importante à la propriété privée (ATF 113 Ia 126 consid. 6 p. 132). De même, l'exercice par une collectivité publique d'un droit de préemption légal sur un immeuble constitue une restriction grave du droit de propriété (ATF 142 I 76 consid. 3.1 p. 79). Le Tribunal fédéral a enfin vu une atteinte grave au droit de propriété dans l'atterrissage tout au long de l'année de parapentes sur un terrain voué à l'exploitation agricole (ATF 135 III 633 consid. 4.3 p. 637). En revanche, ne consacrent pas une restriction grave à la propriété une réglementation qui, à défaut d'entente entre les propriétaires fonciers concernés, permet à la main publique de construire, aux frais de ceux-ci, des routes privées pour l'équipement des terrains à bâtir (ATF 98 Ia 43 consid. 2b p. 46), celle qui - sans interdire toute construction sur une parcelle - en réduit uniquement la densité d'occupation (ATF 115 Ia 363 consid. 2a p. 365), celle qui - sans aller jusqu'au classement de l'objet - vise à protéger le patrimoine bâti (arrêt 1C_439/2012 du 15 janvier 2013 consid. 4.3) ou celle qui oblige le propriétaire d'un fonds à prévoir des places de stationnement dans un projet de construction (arrêt 1C_486/2013 du 11 décembre 2013 consid. 5.2.5). La remise à ciel ouvert d'un ruisseau autrefois enterré, par son emprise réduite sur la parcelle du propriétaire (soixante centimètres) et ses conséquences juridiques limitées, ne saurait non plus être qualifiée d'atteinte grave à la propriété (ATF 140 I 168 consid. 4.1.2 p. 172). 
Dans ses grandes lignes, l'initiative litigieuse impose au propriétaire de parcelles sises en zone de développement de construire, pour 80% du programme total, des logements locatifs (art. 4A al. 1 let. a LGZD/IN 161), dont la majorité est contrôlée par l'Etat (art. 4A al. 1 let. b et c LGZD/IN 161); en outre, elle crée une obligation pour le propriétaire concerné de céder au moins 50% des logements à des maîtres d'ouvrage sans but lucratif, notamment des coopératives d'habitation (art. 4A al. 2 LGZD/IN 161). De telles mesures restreignent considérablement les prérogatives du propriétaire d'un terrain à bâtir quant à l'usage de son fonds: à l'instar notamment du classement d'un bâtiment ou du contrôle de l'aliénation d'un appartement d'habitation, ces mesures empêchent grandement de disposer d'un fonds. En outre, l'obligation de céder la moitié des logements - sans que les conditions de cette cession ne soit prévue dans la loi (cf. consid. 3.3.1  infra) - empêche le propriétaire de conserver son bien et elle le prive du droit de convenir librement des conditions d'une telle aliénation, en particulier de choisir un acquéreur: en cela, la situation se rapproche de l'exercice d'un droit de préemption légal par une collectivité publique. Il apparaît ainsi que l'initiative litigieuse rend très difficile une utilisation du sol conforme à sa destination et supprime des attributs essentiels de la propriété, tels que le droit de la conserver, d'en jouir et de l'aliéner (cf. ATF 131 I 333 consid. 3.1 p. 338). Les mesures proposées portent ainsi une atteinte grave au droit de propriété garanti par l'art. 26 al. 1 Cst.  
Par conséquent, le texte de l'initiative doit satisfaire à l'exigence de clarté, tant pour fonder une restriction grave à un droit fondamental que pour permettre aux citoyens de se prononcer en connaissance de cause sur l'objet soumis au vote. 
 
3.3. La Cour de justice a relevé plusieurs imprécisions se rapportant au principe qu'au moins la moitié des logements en zone de développement soient réalisés par des maîtres d'ouvrage sans but lucratif (alinéa 2 de l'art. 4A LGZD/IN 161 et alinéa 1 let. b - en tant qu'il fait référence à des logements d'utilité publique au sens de la LUP -).  
 
3.3.1. La cour cantonale a d'abord estimé que l'alinéa 2 de l'art. 4A LGZD/IN 161 instaurerait une obligation de cession, en principe systématique concernant au moins la moitié des logements à construire en zone de développement, sans préciser si cette cession interviendrait à titre gratuit ou onéreux (arrêt attaqué consid. 10 d.).  
Le Comité d'initiative et consorts prétendent à cet égard que l'initiative litigieuse n'entend pas modifier la manière dont l'Etat mène sa politique d'acquisitions foncières, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de mettre en place de nouveaux mécanismes; "les dispositions légales et réglementaires en vigueur indiquent déjà que les cessions doivent être faites à titre onéreux en indiquant par ailleurs les conditions, qu'il s'agisse de ventes de gré à gré, de l'exercice d'un droit de préemption légal ou d'expropriation". 
Ce faisant, le Comité d'initiative et consorts se contentent de renvoyer au système actuel de manière générale, alors que l'actuel art. 4A LGZD prévoit que la cession à l'Etat, à une commune ou à un autre organisme sans but lucratif se fait à titre onéreux et au prix admis par l'Etat dans les plans financiers. L'art. 4A al. 2 LGZD/IN 161 n'utilise pas le terme "cession" et ne précise pas à quelles conditions la cession se fait, de sorte qu'il n'a pas une densité normative suffisante pour que son application soit prévisible. Ce manque de précision est d'autant plus problématique que l'atteinte à la garantie de la propriété portée par l'art. 4A LGZD/IN 161 est grave. La cour cantonale a ainsi considéré à juste titre que l'IN 161 n'avait pas la densité normative nécessaire pour fonder une telle obligation de cession. 
 
3.3.2. L'instance précédente a aussi relevé qu'à teneur de l'art. 1 al. 3 LUP, des logements d'utilité publique peuvent également être détenus par toute autre entité si celle-ci s'engage contractuellement à cette fin, pour 50 ans au moins, avec l'Etat de Genève. Pour la cour cantonale, l'initiative ne fait pas mention du corollaire de l'obligation de cession pour les logements d'utilité publique, à savoir l'obligation pour l'Etat et les communes d'acquérir les terrains des propriétaires n'entendant pas se soumettre contractuellement pour au moins 50 ans aux conditions arrêtées par l'Etat pour la moitié des logements à bâtir sur leurs périmètres; en d'autres termes, l'IN 161 ne dit rien d'une obligation d'acquisition incombant à l'Etat ou aux communes concernées, ainsi que d'une obligation de faire réaliser des logements sur les parcelles ainsi acquises, dans un délai raisonnable (arrêt attaqué consid. 10. e.).  
Pour répondre à cette critique, le Comité d'initiative et consorts se réfèrent à nouveau au contexte général de la politique d'acquisitions foncières de l'Etat et au système légal existant. Cela est toutefois insuffisant pour permettre aux électeurs appelés à s'exprimer sur le texte de l'initiative d'en apprécier la portée. 
 
3.3.3. Enfin, la Cour de justice a relevé que l'initiative litigieuse n'abordait aucunement les conditions auxquelles pourrait intervenir ultérieurement une vente des immeubles d'habitation réalisés par des maîtres d'ouvrage sans but lucratif (arrêt attaqué consid. 10. f.). Le Comité d'initiative et consorts ne le contestent pas.  
 
3.3.4. En définitive, la Cour de justice a mis en évidence, à juste titre, trois imprécisions relatives aux alinéas 1 let. b et 2 de l'article proposé par l'initiative litigieuse dont la portée est difficilement prévisible. Le Comité d'initiative et consorts ne sont pas parvenus à démontrer que cette partie de l'initiative litigieuse était assez claire et précise pour permettre aux citoyens, lors du scrutin populaire, de se déterminer sur les conséquences du texte soumis au vote. S'y ajoute que l'IN 161 ne comporte aucun exposé des motifs.  
Le Comité d'initiative et consorts se prévalent encore du principe "  in dubio pro populo ", selon lequel un texte n'ayant pas un sens univoque doit être interprété de manière à favoriser l'expression du vote populaire. Cependant, lorsqu'est en jeu la clarté de la proposition soumise au vote, l'adage  in dubio pro populo n'est d'aucune aide car le fait de soumettre au peuple une question trop imprécise à certains égards ne permet pas aux citoyens d'exprimer clairement leur volonté. S'ajoute à cela que la marge d'appréciation de l'autorité de contrôle est évidemment plus grande lorsqu'elle examine une initiative non formulée que lorsqu'elle se trouve en présence d'une initiative rédigée de toutes pièces, sous la forme d'un acte normatif (ATF 143 I 129 consid. 2.2 p. 133; 124 I 107 consid. 5b p. 119 et les arrêts cités).  
Par conséquent, l'alinéa 2 et la partie de l'alinéa 1 let. b de l'art. 4A LGZD/IN 161 ne sont pas suffisamment précis pour constituer une base légale permettant l'atteinte grave à la garantie de la propriété prévue par l'IN 161. Leur annulation, telle que décidée par la Cour de justice, doit ainsi être confirmée. 
Il s'ensuit que le recours 1C_60/2018 est rejeté, sans qu'il soit nécessaire de traiter du grief relatif à la violation du principe de la proportionnalité. 
 
4.   
Dès lors que les alinéas 2 et 1 let. b - en tant qu'il se rapporte à la LUP - de l'art. 4A LGZD/IN 161 sont invalidés, il convient d'examiner si la partie restante de l'initiative peut être soumise seule à la votation populaire. L a teneur de l'alinéa 1 de l'art. 4A LGZD/IN 161 serait donc la suivante: 
 
1. Dans les périmètres sis en zones de développement :  
a) au moins 80 % des logements construits doivent être destinés à la location. 
b) au moins 50 % des logements construits sont des immeubles soumis aux catégories de l'article 16 LGL. 
c) au moins 30 % des logements construits doivent être des habitations bon marché (HBM) au sens de l'article 16 alinéa 1 lettre a LGL. 
L'art. 16 al. 1 de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL; RS/GE I 4 05) prévoit trois catégorie d'immeubles, les immeubles d'habitation bon marché (HBM), les immeubles d'habitation à loyers modérés (HLM) et les immeubles d'habitation mixte (HM), comprenant des logements avec subvention proportionnelle aux revenus des locataires et des logements sans subvention. 
 
4.1. L'articulation entre les lettres b et c de l'alinéa 1 de l'art. 4A LGZD/IN 161 tel qu'exposé ci-dessus peut toutefois prêter à confusion. En effet, il est impossible de déterminer si les 50 % de logements LGL prévus à la lettre b et les 30 % de logements HBM prévu à la lettre c doivent s'additionner pour correspondre aux 80 % de logements prévus à la lettre a ou si les 30 % de logements HBM doivent se déduire des 50 % de logements LGL prévus à la lettre b, ce qui laisserait 20 % de logements à réaliser dans les autres catégories de logements prévues par l'art. 16 LGL et 30 % de location non soumise au système de contrôle cantonal des loyers.  
La compréhension de la disposition est ainsi confuse et ne peut être soumise telle quelle au vote des citoyens. 
S'ajoute à cela que la cour cantonale a encore mis en évidence deux imprécisions relatives à l'initiative litigieuse dans son intégralité, portant sur son champ d'application matériel (consid. 4.2 infra) et temporel (consid. 4.3 infra). 
 
4.2. Elle a d'abord relevé que l'IN 161 ne faisait pas de distinction suivant que les zones de développement ont été créées sur des zones d'origine agricoles ou sur des zones d'origine constructibles; l'intensité de l'atteinte portée aux droits fondamentaux n'était cependant pas identique selon que les parcelles se situaient en zone agricole (le déclassement en zone de développement implique en général une valorisation significative) ou en zone villa (le déclassement en zone de développement produit en principe une valorisation moindre); des quotas élevés notamment de logements d'utilité publique au sens de la LUP (et/ou de logements sociaux au sens de la LGL) pourraient être acceptables pour des parcelles dont la zone d'origine est la zone agricole, mais ils ne seraient pas  ipso jure acceptables pour des parcelles dont la zone d'origine est une zone constructible, notamment la zone villa (arrêt attaqué consid. 7).  
Le Comité d'initiative et consorts critiquent cette appréciation en affirmant que le prix des terrains n'est qu'un paramètre parmi d'autres et que l'initiative propose uniquement des pourcentages, de sorte que l'atteinte aux droits des propriétaires serait "équitable et égalitaire". 
Partant, le Comité d'initiative et consorts se méprennent sur le fait que c'est justement le caractère rigide de ces pourcentages que la Cour de justice a retenu comme inadmissible, en tant qu'il n'est pas possible d'y déroger en fonction de l'appartenance à la zone agricole ou à la zone constructible. L'argumentation de l'instance précédente peut être suivie, en ce sens qu'il se justifie de traiter différemment une zone de développement créée sur une zone agricole d'une zone de développement instaurée sur une zone villa, le prix d'origine du terrain n'étant pas le même. En d'autres termes, le coût très différent du terrain justifie de traiter les futures constructions, notamment le ratio de logements publics, de manière distincte en fonction de la nature de la zone d'origine. C'est d'ailleurs ce que prévoit l'actuel art. 4A LGZD, lequel distingue les périmètres déclassés en zone de développement dont la zone primaire est la zone villa (al. 2) de ceux dont la zone primaire est la zone agricole (al. 3). 
Par conséquent, le champ d'application matériel de l'initiative n'est pas défini clairement. 
 
4.3. L'instance précédente a ensuite relevé que l'initiative litigieuse n'opérait pas de distinction selon les dates de déclassement des périmètres considérés. Elle a souligné en particulier que l'IN 161 ne distinguait pas les périmètres en zone de développement selon qu'ils auraient été créés avant ou après l'éventuelle adoption de l'initiative litigieuse.  
Le Comité d'initiative et consorts soutiennent à cet égard, en se fondant sur l'arrêté du Conseil d'Etat du 18 janvier 2017, que l'IN 161, en vertu du principe de non-rétroactivité des lois, pourra uniquement s'appliquer à des déclassements postérieurs à son entrée en vigueur. Cette affirmation pose différents problèmes. 
D'abord, si l'on suit le Comité d'initiative et consorts, un vide juridique serait créé lors de l'abrogation de l'actuel art. 4A LGZD: en effet, comme l'art. 4A LGZD/IN 161, qui remplacerait l'actuel art. 4A LGZD, ne s'appliquerait qu'aux déclassements intervenus après son entrée en vigueur, tous les terrains situés actuellement en zone de développement ne seraient plus soumis à aucune obligation de construire des logements sociaux. Cette solution serait discriminatoire pour les propriétaires qui feraient l'objet de nouveaux déclassements. 
Ensuite, l'application de l'IN 161 uniquement aux déclassements postérieurs à son entrée en vigueur causerait une restriction de la portée de l'initiative, qui va à l'encontre du texte de l'art. 4A LGZD proposé. En effet, le texte de l'art. 4A LGZD/IN 161 ne prévoit aucune distinction quant au champ d'application temporel. Le fait que le Conseil d'Etat a eu une appréciation différente dans son analyse ne change rien au texte clair de la norme. 
Enfin, le Comité d'initiative et consorts ne peuvent rien tirer de l'interdiction de la rétroactivité, laquelle fait obstacle à l'application d'une nouvelle disposition légale à des faits entièrement révolus avant son adoption (rétroactivité proprement dite); il est en effet admissible d'appliquer l'IN 161 à des faits ayant pris naissance antérieurement, mais qui déploient encore des effets dans le temps (rétroactivité improprement dite), sous réserve des droits acquis (cf. ATF 140 V 154 consid. 6.3.2 p. 163; 122 I 57 consid. 3 c/bb p. 59; Thierry Tanquerel, Manuel de droit administratif, 2011, n° 418), exception non réalisée en l'espèce. Les propriétaires de parcelles n'ont ainsi aucun droit au maintien du régime juridique régissant celles-ci lorsqu'ils en avaient fait l'acquisition, sauf disposition légale prévoyant explicitement le contraire. Le texte de l'initiative litigieuse doit ainsi être compris en ce sens qu'il aurait  de facto un effet rétroactif improprement dit sur les droits des propriétaires de parcelles dont le déclassement serait antérieur à la possible entrée en vigueur de l'initiative.  
Par conséquent, comme l'a relevé la Cour de justice, l'art. 4A LGZD/IN 161 s'appliquerait à toute construction réalisée sur des parcelles sises en zone de développement, indépendamment de leur date de déclassement, sauf à être couverte par une autorisation de construire ou un plan localisé de quartier déjà entrés en force; l'IN 161 aurait ainsi un champ d'application très vaste, ce d'autant plus que le potentiel constructible du canton se trouvait déjà largement en zone de développement; autrement dit, l'initiative litigieuse aurait des effets considérables en termes de gravité des atteintes portées à la garantie de la propriété des propriétaires des parcelles sises en zone de développement, raison supplémentaire de se montrer exigeant quant à la clarté et à la densité normative d'une norme ayant de tels effets (arrêt attaqué consid. 8). 
 
4.4. En définitive, l'absence de clarté de la partie restante de l'IN 161 ressort de différents éléments.  
D'abord, l'articulation entre les lettres b et c de la partie restante de l'alinéa 1 de l'art. 4A LGZD/IN 161 prête à confusion (consid. 4.1). Ensuite, le champ d'application tant matériel (consid. 4.2) que temporel (consid. 4.3) de l'IN 161 n'est pas défini de manière suffisamment précise pour que la portée de l'initiative soit prévisible pour les électeurs. Les conséquences du texte soumis au vote sont ainsi confuses. Ces imprécisions sont d'autant plus problématiques que l'IN 161 consacre une atteinte grave à la garantie de la propriété, ce qui nécessite une base légale dépourvue d'ambiguïté. S'y ajoute qu'il s'agit d'une initiative rédigée de toutes pièces qui ne laisse aucune marge de manoeuvre dans son application. En outre, la matière dont traite l'IN 161, à savoir le droit du logement et de la protection des locataires, est particulièrement technique et touche à trois lois, la LGL, la LUP et la LGZD, ce qui représente un motif supplémentaire pour imposer une absence d'ambiguïté. Enfin, le Comité d'initiative et consorts ne sont pas parvenus à démontrer que l'initiative en question était suffisamment claire et précise pour permettre aux citoyens, lors du scrutin populaire, de se déterminer sur toutes les conséquences du texte soumis au vote. 
Par conséquent, en raison de son manque de précision sur de nombreux points, l'IN 161 peut exposer les citoyens au danger de commettre une erreur de compréhension et d'appréciation sur des points essentiels de son contenu et de sa portée, de sorte qu'ils ne soient pas en mesure de s'exprimer de façon correcte et conforme à leur volonté (art. 34 al. 2 Cst.). 
Faute de satisfaire aux exigences de clarté et de densité normative, l'initiative en question doit être invalidée totalement. 
 
5.   
Il s'ensuit que le recours 1C_59/2018 est admis, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs. L'arrêt attaqué et l'arrêté du Conseil d'Etat du 18 janvier 2017 sont annulés. L'initiative IN 161 est entièrement invalidée. 
Les frais judiciaires des causes 1C_59/2018 et 1C_60/2018, arrêtés à 2'000 francs, sont mis à la charge du Comité d'initiative et consorts, qui succombent (art. 68 al. 1 LTF). Une indemnité de dépens de 2'500 francs est allouée à Christophe Aumeunier et consorts, à la charge solidaire du Comité d'initiative et consorts. 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Les recours 1C_59/2018 et 1C_60/2018 sont joints. 
 
2.   
Le recours 1C_60/2018 est rejeté. 
 
3.   
Le recours 1C_59/2018 est admis. L'arrêt attaqué et l'arrêté du Conseil d'Etat du 18 janvier 2017 sont annulés. 
 
4.   
Les frais judiciaires des causes 1C_59/2018 et 1C_60/2018, arrêtés à 2'000 francs, sont mis à la charge du Comité d'initiative et consorts. 
 
5.   
Une indemnité de dépens de 2'500 francs est allouée à Christophe Aumeunier et consorts à la charge du Comité d'initiative et consorts. 
 
6.   
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires de Christophe Aumeunier et consorts et du Comité d'initiative et consorts, au Conseil d'Etat du canton de Genève et à la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 25 octobre 2018 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Merkli 
 
La Greffière : Tornay Schaller