Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_431/2024
Arrêt du 3 juillet 2025
IIIe Cour de droit public
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux
Moser-Szeless, Présidente,
Parrino, Beusch, Bollinger et Berger, Juge suppléant.
Greffière : Mme Perrenoud.
Participants à la procédure
Caisse cantonale neuchâteloise de compensation, Faubourg de l'Hôpital 28, 2000 Neuchâtel,
recourante,
contre
A.________,
intimée.
Objet
Assurance-vieillesse et survivants,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel du 27 juin 2024 (CDP.2023.300-AVS).
Faits :
A.
A.________, née en février 1959, et B.________, né en janvier 1962, se sont mariés en 1989 et ont eu trois enfants (nés en 1990, 1991 et 1993).
Par décision du 27 juin 2023, confirmée sur opposition le 28 août suivant, la Caisse cantonale neuchâteloise de compensation (ci-après: la CCNC ou la caisse de compensation) a octroyé à A.________ une rente ordinaire simple de vieillesse d'un montant mensuel de 2'097 fr. à partir du 1er mars 2023. Cette prestation a été calculée en fonction d'un revenu annuel moyen déterminant de 61'740 fr. (soit un revenu moyen provenant d'une activité lucrative de 50'887 fr. et des demi-bonifications pour tâches éducatives de 1991 à 2009 pour un montant de 9'743 fr.) et d'une durée de cotisations de 43 années et 0 mois (application de l'échelle de rentes 44).
B.
A.________ a formé recours contre la décision sur opposition du 28 août 2023 devant le Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public. Elle a conclu à son annulation et à ce que le calcul de sa rente ordinaire simple de vieillesse soit effectué en lui attribuant en totalité au moins quinze bonifications pour tâches éducatives (de 1990 à 2004), jusqu'à ce que les revenus du couple soient partagés au moment où son époux atteindra l'âge légal de la retraite.
Statuant le 27 juin 2024, la juridiction cantonale a admis le recours. Elle a annulé la décision sur opposition du 28 août 2023 et renvoyé la cause à la caisse de compensation pour nouvelle décision au sens des considérants (prise en considération de l'entier des bonifications pour tâches éducatives de 1991 à 2009 dans le calcul de la rente de vieillesse due à l'assurée).
C.
La CCNC interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, dont elle demande l'annulation. Elle conclut principalement à la confirmation de sa décision sur opposition du 28 août 2023. Subsidiairement, la caisse de compensation requiert le renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.
A.________ conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) en propose l'admission.
A.________ s'est encore exprimée sur la prise de position de l'OFAS.
Considérant en droit :
1.
1.1. Le dispositif (ch. 2) de l'arrêt attaqué renvoie la cause à la recourante pour nouvelle décision au sens des considérants. L'arrêt cantonal ne met donc pas fin à la procédure et constitue une décision incidente qui ne peut être déférée immédiatement au Tribunal fédéral que si la condition du préjudice irréparable prévue par l'art. 93 al. 1 let. a LTF est réalisée ou pour éviter une procédure probatoire longue et coûteuse au sens de l'art. 93 al. 1 let. b LTF. Selon la jurisprudence, une autorité qui devrait, à la suite d'une décision de renvoi, rendre une nouvelle décision qui, de son point de vue, serait contraire au droit sans pouvoir par la suite la remettre en cause devant l'instance supérieure, est réputée subir un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (cf. ATF 144 V 280 consid. 1.2; 133 V 477 consid. 5.2).
1.2. Cette éventualité est réalisée en l'espèce. En effet, le Tribunal cantonal a retenu que la rente de vieillesse due à l'assurée devait être calculée en prenant en considération l'entier des bonifications pour tâches éducatives de 1991 à 2009. Sur ce point, l'arrêt attaqué contient une instruction contraignante pour la caisse de compensation qui l'obligerait à rendre une décision contraire au droit, selon elle, sans qu'elle ne puisse la contester par la suite devant l'instance supérieure. L'arrêt entrepris peut donc être déféré immédiatement au Tribunal fédéral et il y a lieu d'entrer en matière sur le recours.
2.
Le recours en matière de droit public peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF . Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il statue par ailleurs sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant qui entend s'en écarter doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de fait divergent ne peut pas être pris en considération.
3.
Le litige porte sur le calcul de la rente de vieillesse de l'intimée, plus particulièrement sur l'étendue de la prise en compte des bonifications pour tâches éducatives (bonifications entières ou demi-bonifications) durant la période où elle a réduit son taux d'activité professionnelle afin de s'occuper de ses trois enfants (de 1991 à 2009). Il s'agit singulièrement de trancher le point de savoir si l'instance précédente était en droit de refuser d'appliquer l'art. 29sexies al. 3 LAVS, relatif au partage par moitié entre les conjoints de la bonification pour tâches éducatives attribuée pendant les années civiles de mariage, pour le motif que cette disposition contrevient, dans le cas d'espèce, à l'art. 14 CEDH, en relation avec l'art. 8 CEDH.
4.
Dans le cadre de la révision "AVS 21", la LAVS - notamment - a été modifiée avec effet au 1er janvier 2024 (modification du 17 décembre 2021, RO 2023 92; FF 2019 5979). Compte tenu cependant du principe de droit intertemporel prescrivant l'application des dispositions légales qui étaient en vigueur lorsque les faits juridiquement déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), le droit applicable reste, en l'occurrence, celui qui était en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023 dès lors que la décision administrative litigieuse a été rendue le 28 août 2023 et concerne l'octroi d'une rente à partir du 1er mars 2023.
5.
5.1. Après avoir circonscrit le litige à la question de savoir si l'art. 29sexies al. 3 LAVS viole en l'occurrence un droit fondamental garanti par la CEDH, la juridiction cantonale a examiné si la recourante avait été victime d'une discrimination indirecte "au sens de l'arrêt Di Trizio de la Cour européenne des droits de l'homme", parce qu'elle avait diminué son taux d'activité à la suite de la naissance de ses trois enfants. Dans ce contexte, elle a rappelé que les art. 29quinquies al. 3 et 29sexies al. 3 LAVS introduisent une réglementation asymétrique, en ce sens que les prétentions résultant des tâches typiquement effectuées par les hommes (partage des revenus) sont partagées plus tard que celles résultant des tâches effectuées typiquement par les femmes (partage des bonifications pour tâches éducatives). L'instance précédente a constaté à cet égard que bien que le partage par moitié de la bonification pour tâches éducatives constitue le corollaire du partage par moitié des revenus de l'activité lucrative entre époux (ATF 126 V 433), l'intimée ne peut pas bénéficier de la moitié des revenus de son conjoint pour le calcul de sa rente tant que celui-ci n'a pas atteint l'âge de la retraite, alors même que la rente de vieillesse à laquelle elle peut prétendre est calculée en ne prenant en compte que des demi-bonifications pour tâches éducatives durant la période où elle a réduit son taux d'activité professionnelle afin de s'occuper de ses trois enfants. En se référant à différents documents statistiques (notamment au rapport annuel statistique de l'AVS 2023 établi par l'OFAS), le Tribunal cantonal a également constaté qu'en Suisse davantage de femmes que d'hommes travaillent à temps partiel et que parmi les personnes mariées dans le premier cas d'assurance (c'est-à-dire lorsque le conjoint n'a pas encore droit à une rente), le montant des rentes varie fortement selon le sexe (rente mensuelle moyenne des femmes s'élevant à 1'574 fr. contre 2'047 fr. pour un homme). Il a admis que ces éléments faisaient naître une présomption de discrimination indirecte envers les femmes qui réduisaient leur taux d'activité pour s'occuper du ménage et des enfants.
Les juges précédents ont ensuite considéré que la différence de traitement découlant de l'art. 29sexies al. 3 LAVS pour certaines femmes ne repose sur aucune justification raisonnable. Ils ont exposé à cet égard que la réduction de la rente de l'assurée avait pour fondement sa volonté de réduire son activité rémunérée pour s'occuper de son ménage et de ses enfants, dès lors qu'il était vraisemblable que si l'intimée avait travaillé à plein temps, elle aurait obtenu une rente de vieillesse "entière" dès l'âge de sa retraite. La juridiction cantonale en a déduit que pour la grande majorité des femmes souhaitant travailler à temps partiel à la suite de la naissance des enfants, le fait de ne prendre en considération que la moitié des bonifications pour tâches éducatives alors que le conjoint n'est pas encore à la retraite se révèle discriminatoire. Partant, l'instance précédente a considéré qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer l'art. 29sexies al. 3 LAVS en l'espèce, si bien que l'entier des bonifications pour tâches éducatives de 1991 à 2009 devaient être prises en considération. Ayant admis le grief de l'assurée tiré d'une violation de l'égalité de traitement entre hommes et femmes, les premiers juges ont considéré qu'il n'y avait pas lieu de se prononcer sur celui relatif à l'inégalité de traitement avec les couples divorcés.
5.2. La recourante reproche à l'instance précédente d'avoir violé le droit fédéral "en abusant de son pouvoir d'appréciation", en ce qu'elle a considéré que l'entier des bonifications pour tâches éducatives de 1991 à 2009 devaient être prises en considération dans le calcul de la rente de l'intimée. Elle rappelle que la règle du partage par moitié des bonifications pour tâches éducatives et d'assistance acquises durant les années civiles de mariage (art. 29sexies a|. 3 et 29septies al. 6 LAVS) a pour but de répartir les effets du partage des tâches convenu durant l'union et constitue à ce titre le parallèle de la répartition des revenus ("splitting"; art. 29quinquies al. 3 LAVS) et qu'il s'agit d'une règle impérative, à laquelle les époux n'ont pas la possibilité de déroger. Dans ce contexte, la caisse de compensation allègue que la répartition des bonifications pour tâches éducatives par moitié entre les parents mariés "ne semble pas discriminatoire et tend vers un système de partage des tâches entre les conjoints". Quant au fait que le partage par moitié des bonifications pour tâches éducatives ne soit pas effectué au même moment que le partage par moitié des revenus de l'activité lucrative entre époux (splitting), la recourante considère qu'il n'est pas constitutif d'une inégalité de traitement entre femmes et hommes. Elle fait valoir que cette différence "découle simplement" de l'art. 29quinquies al. 3 let. a LAVS qui, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023, prévoyait que les revenus que les époux ont réalisés pendant les années civiles de mariage commun sont répartis et attribués pour moitié à chacun des époux lorsque les deux conjoints ont droit à la rente, soit lorsque les revenus nécessaires pour le calcul des rentes sont connus. À l'inverse, si les bonifications pour tâches éducatives sont prises en compte dès le moment où la personne peut bénéficier d'une rente, c'est parce qu'il s'agit d'un revenu fictif (à savoir un montant prédéfini correspondant au triple du montant de la rente de vieillesse annuelle minimale).
5.3. Pour sa part, l'intimée fait en substance valoir que conformément au but des bonifications éducatives, à la volonté du législateur et au droit international (art. 14 CEDH), les bonifications pour tâches éducatives doivent revenir en totalité, jusqu'à la retraite du conjoint, à la personne qui a diminué son taux d'activité pour s'occuper de ses enfants si son conjoint a continué à exercer une activité professionnelle à plein temps.
6.
6.1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (art. 8 par. 1 CEDH). Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (art. 8 par. 2 CEDH). La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation (art. 14 CEDH).
6.2. La Confédération et les cantons respectent le droit international (art. 5 al. 4 Cst.). Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international (art. 190 Cst.). Aucune de ces deux dispositions n'instaure de rang hiérarchique entre les normes de droit international et celles de droit interne. Selon la jurisprudence, en cas de conflit, les normes du droit international qui lient la Suisse priment celles du droit interne qui lui sont contraires. Il faut présumer que le législateur fédéral a entendu respecter les dispositions des traités internationaux régulièrement conclus, à moins qu'il ait en pleine connaissance de cause décidé d'édicter une règle interne contraire au droit international. En cas de doute, le droit interne doit s'interpréter conformément au droit international (ATF 147 IV 182 consid. 2.1; 146 V 87 consid. 8.2.2 et les arrêts cités; cf. aussi art. 27, première phrase, de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111]).
6.3. Selon l'art. 29sexies al. 3 LAVS, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023 (consid. 4 supra), la bonification pour tâches éducatives attribuée pendant les années civiles de mariage est répartie par moitié entre les conjoints. La répartition ne porte cependant que sur les bonifications acquises au cours de la période comprise entre le 1er janvier de l'année qui suit celle au cours de laquelle l'assuré a eu 20 ans révolus et le 31 décembre qui précède la réalisation de l'événement assuré pour le conjoint qui, le premier, a droit à la rente. Le partage par moitié de la bonification pour tâches éducatives constitue le corollaire du partage par moitié des revenus de l'activité lucrative entre les époux au sens de l'art. 29quinquies al. 3 LAVS (ATF 126 V 429 consid. 3b). Selon cette disposition (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023, applicable en l'espèce), les revenus que les époux ont réalisés pendant les années civiles de mariage commun sont répartis et attribués pour moitié à chacun des époux. La répartition est effectuée lorsque: les deux conjoints ont droit à la rente (let. a); une veuve ou un veuf a droit à une rente de vieillesse (let. b); le mariage est dissous par le divorce (let. c).
6.4. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH), toute prestation pécuniaire a généralement certaines incidences sur la gestion de la vie familiale de celui ou celle qui la perçoit, sans que cela suffise à la faire tomber sous l'empire de l'art. 8 CEDH. Dans le cas contraire, en effet, l'ensemble des allocations sociales tomberait sous l'empire de cette disposition, ce qui serait excessif (arrêt
Beeler contre Suisse du 11 octobre 2022 [requête n° 78630/12], § 67). Pour que l'art. 14 CEDH entre en jeu en matière de prestations sociales, la matière sur laquelle porte le désavantage allégué doit compter parmi les modalités d'exercice du droit au respect de la vie familiale tel que garanti par l'art. 8 CEDH, en ce sens que les mesures visent à favoriser la vie familiale et qu'elles ont nécessairement une incidence sur l'organisation de celle-ci. Un éventail d'éléments sont pertinents pour déterminer la nature de l'allocation en question et il convient de les examiner dans leur ensemble. Figurent parmi ces éléments, notamment: le but de l'allocation tel que déterminé à la lumière de la législation concernée; les conditions de l'octroi, du calcul et de l'extinction de l'allocation prévues par les dispositions légales; les effets sur l'organisation de la vie familiale tels qu'envisagés par la législation; les incidences réelles de l'allocation, compte tenu du cas individuel du requérant et de sa vie familiale pendant toute la période de versement de l'allocation (ibidem, § 72; cf. aussi arrêt 8C_267/2024 du 31 octobre 2024 consid. 3.1.4). Pour rappel, dans l'arrêt
Beeler contre Suisse précité, la CourEDH a constaté une violation de l'art. 14 CEDH combiné avec l'art. 8 CEDH, du fait d'une inégalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de rentes de survivants de l'assurance-vieillesse et survivants suisse (ibidem, § 98 à 116).
7.
En application de la jurisprudence de la CourEDH précédemment rappelée, il y a lieu en l'occurrence d'examiner si les bonifications pour tâches éducatives visent à favoriser la vie familiale et ont nécessairement une incidence sur l'organisation de celle-ci.
7.1. Les bonifications pour tâches éducatives (art. 29sexies LAVS) ont été introduites à l'occasion de la 10e révision de l'AVS (modification du 7 octobre 1994, RO 1996 2466), entrée en vigueur le 1er janvier 1997, en même temps que les bonifications pour tâches d'assistance (art. 29septies LAVS). L'art. 29sexies LAVS a pour but de prendre en compte la valeur que présentent les tâches éducatives pour la société, en atténuant les effets négatifs que peut avoir l'accomplissement de celles-ci (et la cessation ou réduction de l'exercice de l'activité professionnelle pouvant en découler) sur le montant de la rente (Message concernant la dixième révision de l'assurance-vieillesse et survivants du 5 mars 1990, FF 1990 II 1, 28, ch. 241; cf. aussi ATF 126 V 153 consid. 4, s'agissant des bonifications pour tâches d'assistance). Les bonifications pour tâches éducatives (et d'assistance) sont un revenu fictif pris en considération pour calculer le montant de la rente du premier pilier, qui correspond au triple du montant de la rente de vieillesse annuelle minimale prévu à l'art. 34 LAVS, au moment de la naissance du droit à la rente (cf. art. 29sexies al. 2 et 29septies al. 4 LAVS). L'octroi de bonifications pour tâches éducatives vise donc à tout le moins en partie à favoriser la vie familiale des parents, en leur permettant de s'occuper des enfants sans avoir à subir d'importants préjudices en relation avec le montant de la rente du premier pilier, du fait d'une éventuelle diminution du taux d'activité professionnelle pendant les périodes consacrées à l'éducation des enfants.
L'attribution de bonifications pour tâches éducatives tend également à la réalisation de l'égalité entre les sexes, étant donné que les tâches éducatives sont actuellement encore majoritairement accomplies par les femmes (STÉPHANIE PERRENOUD, Familles et sécurité sociale en Suisse: l'état civil, un critère pertinent ?, 2022, n. 1439). Pour sa part, le partage par moitié de la bonification pour tâches éducatives entre les conjoints pendant les années de mariage (art. 29sexies al. 3 LAVS) a pour but de répartir les effets du partage des tâches convenu durant l'union et constitue à ce titre le parallèle de la répartition des revenus ("splitting"; art. 29quinquies al. 3 LAVS; arrêt 5A_678/2023 du 20 juin 2024 consid. 6.3.1 et la référence).
7.2. Il reste à déterminer, conformément à la jurisprudence de la CourEDH
Beeler, si l'octroi de bonifications pour tâches éducatives a nécessairement une incidence sur l'organisation de la vie familiale. À cet égard, la conception légale en matière de bonifications pour tâches éducatives se fonde sur l'exigence formelle de l'autorité parentale telle que définie par le droit civil suisse (art. 296 ss CC) sur un ou plusieurs enfants âgés de moins de 16 ans (art. 29sexies, 1re phrase, LAVS; ATF 130 V 241 consid. 3.2 et la référence; cf. aussi arrêts 9C_364/2022 du 26 septembre 2022 consid. 4.1; 9C_172/2011 du 22 août 2011 consid. 4). L'attribution des bonifications pour tâches éducatives n'est en revanche pas liée à une diminution de l'activité lucrative ou à une perte de revenu, comme le fait valoir l'OFAS. Dans le cadre des travaux préparatoires concernant la 10e révision de l'AVS, la nécessité d'accorder des bonifications pour tâches éducatives à tous les parents, sans égard au point de savoir s'ils exercent ou non une activité lucrative, a en effet été mise en évidence; le but d'un octroi à tous les parents est d'éviter de devoir procéder à des vérifications entraînant probablement une charge administrative excessive (cf. BO 1991 E 275, intervention du Conseiller aux États Niklaus Küchler). Ainsi, par l'octroi des bonifications pour tâches éducatives, il s'agit d'honorer de manière adéquate la tâche socialement importante que représente l'éducation des enfants, sans que la preuve d'un renoncement partiel ou total à une activité lucrative ne soit nécessaire (cf. BO 1993 N 220, intervention du Conseiller national Heinz Allenspach). Un revenu fictif forfaitaire (correspondant au triple du montant de la rente de vieillesse annuelle minimale prévu à l'art. 34 LAVS, au moment de la naissance du droit à la rente; cf. art. 29sexies al. 2 LAVS) est donc pris en considération lors du calcul de la rente revenant aux personnes ayant exercé l'autorité parentale sur un ou plusieurs enfants âgés de moins de 16 ans (cf. art. 29sexies al. 1, 1re phrase, LAVS), indépendamment de la question de savoir s'il aura une incidence sur le montant de la rente. Si les bonifications pour tâches éducatives permettent d'augmenter le montant de la rente versée aux personnes percevant de bas revenus (que ce soit du fait de l'activité exercée ou du taux d'exercice de celle-ci), elles n'auront en revanche aucune incidence sur le montant de la rente versé aux personnes dont le revenu annuel moyen ouvre le droit à la rente maximale de l'échelle de rentes applicable.
Dans la mesure où la baisse de l'activité lucrative n'est pas un critère déterminant pour l'attribution des bonifications pour tâches éducatives, l'octroi de celles-ci n'a pas nécessairement d'incidence réelle sur l'organisation de la vie familiale. Le choix de la personne assurée d'exercer ou non une activité lucrative (à temps plein ou à temps partiel) durant la période où elle se consacre à l'éducation de ses enfants n'a en effet pas d'incidence sur le droit à des bonifications pour tâches éducatives, pas plus du reste que sur le montant de la bonification pris en compte lors du calcul de la rente, dès lors qu'il s'agit d'un montant forfaitaire (consid. 7.1 supra). Par ailleurs, étant donné que les conséquences de la prise en compte d'une demi-bonification pour tâches éducatives sont avant tout de nature financière, il s'agit d'un aspect qui n'est a priori pas couvert par la notion de "vie privée" (cf. arrêt
E.G. contre Suisse du 22 février 2024 [requête n° 43908/16], § 18), si bien que l'art. 8 CEDH n'entre pas en jeu sous cet angle-là non plus. On ajoutera au demeurant que les prestations de retraite relèvent d'ordinaire du champ d'application de l'art. 1 du Protocole n° 1 du 20 mars 1952 à la CEDH (arrêt
Romanov c. Russie du 25 octobre 2005 [requête n° 69341/01], § 43 à 40), qui n'a pas été ratifié par la Suisse, et non pas de l'art. 8 CEDH (cf. ATF 140 I 77 consid. 5.3 et 10).
7.3. Au vu de ce qui précède, les juges cantonaux ont violé le droit en admettant que la situation de la recourante tombait sous l'empire de l'art. 8 CEDH et en refusant d'appliquer l'art. 29sexies al. 3 LAVS. Le recours est bien fondé.
8.
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires seront supportés par l'intimée (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public, du 27 juin 2024 est annulé et la décision sur opposition de la Caisse cantonale neuchâteloise de compensation du 28 août 2023 confirmée.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 3 juillet 2025
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Moser-Szeless
La Greffière : Perrenoud