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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
1D_3/2020  
 
 
Arrêt du 6 août 2020  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Chaix, Président, 
Kneubühler et Jametti. 
Greffière : Mme Tornay Schaller. 
 
Participants à la procédure 
Commune de Jorat-Mézières, représentée par 
Me Alain Thévenaz, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
A.________, représentée par Me Matthieu Genillod, avocat, 
intimée, 
 
Service de la population du canton de Vaud, avenue de Beaulieu 19, 1014 Lausanne. 
 
Objet 
Octroi de la bourgeoisie, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton 
de Vaud, Cour de droit administratif et public, 
du 9 décembre 2019 (GE.2019.0134). 
 
 
Faits :  
 
A.   
A.________ (parfois également désignée sous l'identité A.A.________) est une ressortissante iranienne née en 1972. Elle est arrivée en Suisse le 20 septembre 2002 et a séjourné à Lausanne jusqu'au 30 mai 2012, date de son départ pour la localité de Carrouge, dans la commune vaudoise de Jorat-Mézières, où elle est propriétaire d'un immeuble dans lequel elle réside. A.________ est au bénéfice d'un permis d'établissement valable jusqu'au 29 octobre 2022. Elle est mariée et vit séparée de son mari depuis avril 2015. Leurs deux enfants communs sont majeurs. 
Le 22 janvier 2018, A.________ a déposé une demande de naturalisation ordinaire dans le canton de Vaud. Selon le rapport d'enquête du Secteur naturalisation du Service de la population du canton de Vaud (SPOP), la prénommée, qui disposait d'une formation d'aide-soignante acquise dans son pays d'origine, a effectué divers stages d'aide-infirmière. De 2007 à 2016, elle a été employée comme gouvernante. En incapacité totale de travailler depuis le 1 er janvier 2017, elle a bénéficié d'indemnités journalières versées par son assurance perte de gain en cas de maladie. Elle est désormais bénéficiaire d'une rente de l'assurance-invalidité.  
A.________ n'a pas été sanctionnée pour des comportements contraires à la sécurité et à l'ordre publics. 
Un extrait du registre des poursuites daté du 3 décembre 2018 indique qu'elle a fait l'objet, le 27 février 2018, d'une poursuite frappée d'opposition de la part de son mari pour une créance d'un montant de 600'000 francs. Aucun acte de défaut de biens n'a en revanche été dressé contre l'intéressée. 
Lors de la session du 16 janvier 2019 organisée par la Commune de Jorat-Mézières, A.________ a réussi, avec un total de 44 points sur 48, le test de connaissances élémentaires. La Commission de naturalisation l'a auditionnée, le 20 février 2019. A l'issue de cette audition, la Municipalité de Jorat-Mézières a émis, le 26 février 2019, un préavis négatif quant à sa demande de naturalisation, préavis auquel le Service de la population s'est rallié le 7 mars 2019. 
Le 18 mars 2019, la Municipalité de Jorat-Mézières a donné l'occasion à A.________ de se déterminer sur les points litigieux, à savoir la poursuite ouverte à son encontre et le solde d'impôt à payer. Elle l'a invitée par ailleurs à justifier que ses revenus lui permettaient de subvenir à ses besoins. L'intéressée s'est déterminée le 17 avril 2019, en précisant que la poursuite introduite à son encontre concernait une prétention injustifiée de son conjoint en relation avec une donation d'une part de copropriété. 
Par décision du 13 mai 2019, la Municipalité de Jorat-Mézières (ci-après: la Municipalité) a refusé d'octroyer la bourgeoisie de la commune de Jorat-Mézières à A.________, en raison de la poursuite faisant l'objet d'une opposition à son encontre (art. 12 let. a de la loi fédérale sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 [LN; RS 141.0]). 
 
B.   
Par arrêt du 9 décembre 2019, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal cantonal) a admis le recours déposé par A.________. Elle a annulé la décision du 13 mai 2019 et a renvoyé la cause à la Municipalité pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants. 
 
C.   
Agissant par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, la commune de Jorat-Mézières demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du 9 décembre 2019, en ce sens que la décision du 13 mai 2019 est confirmée. 
Le Tribunal cantonal renonce à se déterminer et se réfère aux considérants de l'arrêt attaqué. Le Service de la population conclut implicitement au rejet du recours. L'intimée conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Un second échange d'écritures a eu lieu, au terme duquel les parties ont maintenu leurs conclusions respectives. 
Par ordonnance du 18 février 2020, le Juge présidant de la Ire Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif, présentée par la recourante. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Le recours en matière de droit public (art. 82 LTF) est irrecevable contre les décisions relatives à la naturalisation ordinaire (art. 83 let. b LTF). Le recours constitutionnel subsidiaire est par conséquent ouvert (art. 113 LTF). 
 
1.1. Aucun article de la LTF ne traite de l'éventuelle qualité pour recourir d'une collectivité publique par le biais du recours constitutionnel subsidiaire.  
 
1.1.1. D'après l'art. 115 LTF, a qualité pour former un recours constitutionnel quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a) et a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (let. b). Le recours constitutionnel ne peut être formé que pour violation des droits constitutionnels (art. 116 LTF). La notion d'intérêt juridiquement protégé au sens de l'art. 115 let. b LTF est étroitement liée aux motifs de recours prévus par l'art. 116 LTF, en ce sens que la partie recourante doit être titulaire d'un droit constitutionnel dont elle invoque une violation. De tels droits ne sont reconnus en principe qu'aux citoyens, à l'exclusion des collectivités publiques qui, en tant que détentrices de la puissance publique, ne sont pas titulaires des droits constitutionnels et ne peuvent donc pas attaquer, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, une décision qui les traite en tant qu'autorités. Cette règle s'applique aux cantons, aux communes et à leurs autorités, ainsi qu'aux autres corporations de droit public, qui agissent en tant que titulaires de la puissance publique (ATF 145 I 239 consid. 5.1 p. 245 et les références citées).  
La jurisprudence admet toutefois qu'il y a lieu de faire une exception pour les communes et autres corporations de droit public lorsque, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, elles se plaignent de la violation de garanties qui leur sont reconnues par les constitutions cantonales ou par la Constitution fédérale, telles que leur autonomie, l'atteinte à leur existence ou à l'intégrité de leur territoire (arrêt 1D_4/2019 du 10 mars 2020 consid. 1.2.1, destiné à la publication; ATF 145 I 239 consid. 5.1 p. et les arrêts cités; cf. aussi GIOVANNI BIAGGINI, in: Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 3 ème éd. 2018, n° 1 ad art. 115 LTF;  HANSJÖRG SEILER, in: Bundesgerichtsgesetz,       2 ème éd. 2015, nos 11 ss ad art. 115 LTF; JEAN-MAURICE FRÉSARD, in: Commentaire de la LTF, 2 ème éd. 2014, n° 13 ad art. 115 LTF).  
 
1.1.2. La commune de Jorat-Mézières, qui invoque une violation de son autonomie en lien avec l'octroi du droit de cité communal, dispose de la qualité pour agir. La question de savoir si elle est réellement autonome dans ce domaine relève du fond (ATF 143 I 272 consid. 2.3.2 p. 278; 129 I 313 consid. 4.2 p. 319 et les références). En lien avec le grief de violation de son autonomie, la commune peut aussi faire valoir une violation de l'interdiction de l'arbitraire et du droit d'être entendu (arrêt 1D_2/2012 du 13 mai 2013 consid. 2.3 non publié in ATF 139 I 169; ATF 136 I 265 consid. 3.2 consid. 272).  
 
1.2. L'arrêt attaqué, qui annule la décision de la Municipalité et lui renvoie la cause pour nouvelle décision, ne met pas fin à la procédure cantonale; il ne s'agit donc pas d'une décision finale au sens de l'art. 90 LTF. L'arrêt attaqué impose à la Municipalité d'instruire différents points et de rendre une nouvelle décision. Le renvoi n'a pas lieu uniquement en vue de son exécution par l'autorité inférieure sans que celle-ci ne dispose encore d'une liberté d'appréciation notable (ATF 144 V 280 consid. 1.2 p. 283; 142 II 20 consid. 1.2 p. 24). Il constitue donc une décision incidente ou préjudicielle qui peut donner lieu à un recours immédiat au Tribunal fédéral dans les conditions alternatives posées par l'art. 93 al. 1 let. a et b LTF. La recourante ne prétend pas, avec raison, que l'arrêt attaqué l'exposerait à un préjudice irréparable de nature juridique au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 144 III 475 consid. 1.2 p. 479). Elle soutient en revanche que les conditions posées à l'art. 93 al. 1 let. b LTF seraient réunies.  
 
1.2.1. Selon l'art. 93 al. 1 let. b LTF, une décision incidente ou préjudicielle peut être attaquée sans attendre la décision finale devant le Tribunal fédéral si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse. Selon la jurisprudence, il incombe à la partie recourante d'établir, si cela n'est pas manifeste, qu'une décision finale immédiate permettrait d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse; cette partie doit indiquer de manière détaillée, en particulier, quelles questions de fait sont encore litigieuses et quelles preuves, déjà offertes ou requises, doivent encore être administrées, et en quoi celles-ci entraîneraient une procédure probatoire longue et coûteuse (ATF 134 II 137 consid. 1.3.3 p. 141; 133 III 629 consid. 2.4.2 p. 633).  
 
1.2.2. En l'occurrence, si l'admission du recours conduirait immédiatement à une décision finale, rien ne permet toutefois d'affirmer que l'instruction par la Municipalité nécessiterait une procédure probatoire prenant un temps considérable et exigeant des frais importants au sens de l'art. 93 al. 1 let. b LTF. Tout complément d'instruction entraîne nécessairement des frais et un prolongement de la procédure; cela ne suffit pas pour ouvrir le recours immédiat auprès du Tribunal fédéral. Pour que la condition de l'art. 93 al. 1 let. b LTF soit remplie, il faut que la procédure probatoire, par sa durée et son coût, s'écarte notablement des procédures habituelles. Si l'administration des preuves doit se limiter à entendre les parties, à leur permettre de produire des pièces et à procéder à l'interrogatoire de quelques témoins, un recours immédiat n'est pas justifié. Il en va différemment s'il faut envisager une expertise complexe ou plusieurs expertises, l'audition de très nombreux témoins ou encore l'envoi de commissions rogatoires dans des pays lointains (arrêts 2C_814/2012 du 7 mai 2013 consid. 3.3 in SJ 2013 I 57 et 2C_111/2011 du 7 juillet 2011 consid. 1.1.3 in SJ 2012 I p. 97; BERNARD CORBOZ, Commentaire de la LTF, 2 ème éd., 2014, n. 34 ad art. 93).  
En l'espèce, la Municipalité est tenue d'interpeller l'intimée en lui donnant la possibilité de produire un nouvel extrait du registre des poursuites ou pour que celle-ci explique les motifs pour lesquels la poursuite apparaît toujours dans celui-ci. Il lui incombe aussi de requérir la production d'un nouveau relevé général de l'Administration cantonale des impôts, afin de vérifier que la requérante est toujours à jour dans le paiement de ses impôts. Dans son recours, la Municipalité ne vise d'ailleurs pas d'autres actes d'instruction. Ces mesures, qui ne revêtent aucune complexité, peuvent être mises en oeuvre rapidement et sans frais particuliers. La réquisition de documents d'administration cantonale et l'interpellation d'une partie pour qu'elle s'exprime sur la consistance d'une poursuite ne représentent en effet pas des actes constitutifs d'une procédure probatoire longue et coûteuse. Il s'agit au contraire d'actes de procédures usuels qui se font sans allongement excessif de la procédure. 
 
1.2.3. Il s'ensuit que l'arrêt entrepris ne peut pas faire l'objet d'un recours immédiat au Tribunal fédéral.  
 
2.   
Par conséquent, le recours est irrecevable. 
Il n'y a pas lieu de percevoir de frais judiciaires, la recourante ayant agi dans l'exercice de ses attributions officielles, sans que son intérêt patrimonial soit en cause (art. 66 al. 4 LTF). La commune versera néanmoins une indemnité de dépens à l'intimée, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 68 al. 1 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est irrecevable. 
 
2.   
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.   
Une indemnité de 1'500 francs est allouée à l'intimée à titre de dépens, à la charge de la commune. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires de la commune et de l'intimée, au Service de la population et à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 6 août 2020 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Chaix 
 
La Greffière : Tornay Schaller