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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
8C_723/2017  
 
 
Arrêt du 8 août 2018  
 
Ire Cour de droit social  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Maillard, Président, Frésard et Viscione. 
Greffière : Mme von Zwehl. 
 
Participants à la procédure 
Office cantonal de l'emploi, Service juridique, rue des Gares 16, 1201 Genève, 
recourant, 
 
contre  
 
A.________, 
intimé. 
 
Objet 
Assurance-chômage (remise de l'obligation de restituer; bonne foi), 
 
recours contre le jugement de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 12 septembre 2017 (A/1315/2017 ATAS/788/2017). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Après avoir passé cinq ans à V.________, A.________, ressortissant suisse né en 1960, est revenu en Suisse le 1er janvier 2016. Il s'est inscrit au chômage le 11 janvier suivant. 
 
Le 25 février 2016, l'Office régional de placement (ORP) a enjoint A.________ à participer, du 25 février au 20 mai 2016, à une mesure relative au marché du travail auprès de l'agence B.________ afin d'améliorer son aptitude au placement. 
 
L'assuré y a participé jusqu'au 21 avril 2016, date à laquelle C.________, conseillère en placement à l'agence B.________, a informé par courriel D.________, cheffe de groupe à l'ORP et responsable du suivi de A.________, qu'elle mettait un terme à l'accompagnement de ce dernier "en raison de son comportement inacceptable au sein d'une agence de placement, compromettant toute tentative de réinsertion et mettant de surcroît en péril les relations de confiance de l'agence B.________ avec les entreprises". Le comportement inacceptable auquel il était fait référence résidait dans la teneur de deux courriels que A.________ avait adressés le 18 avril 2016 à une collaboratrice de l'agence de placement E.________, laquelle s'en était plainte à C.________. 
 
Le 21 mai 2016, l'assuré est sorti du chômage, ayant perçu le nombre maximum d'indemnités journalières auxquelles il avait droit. 
 
Par décision du 23 juin 2016, l'Office cantonal genevois de l'emploi (OCE) a suspendu le droit de A.________ à l'indemnité journalière pour une durée de 25 jours dès le 22 avril 2016, au motif qu'il avait fait échouer, par son attitude, une mesure relative au marché du travail. Le prénommé n'a pas contesté cette décision. 
 
Par décision du 26 septembre 2016, la Caisse cantonale genevoise de chômage a réclamé à A.________ la restitution de 1'899 fr. 90 correspondant aux indemnités qu'il avait perçues du 22 avril au 20 mai 2016. En effet, la suspension n'avait pas pu être exécutée, si bien que ces prestations étaient indues. L'intéressé a formé opposition à cette décision par courrier du 28 septembre 2016. Interprétant les termes de ce courrier comme une demande de remise de l'obligation de restituer, la caisse l'a transmis à l'OCE pour objet de sa compétence. 
 
Par décision du 9 mars 2017, confirmée sur opposition le 30 mars suivant, l'OCE a rejeté la demande de remise, considérant que la condition de la bonne foi n'était pas remplie. En faisant échouer la mesure relative au marché du travail, l'assuré avait manqué à ses obligations vis-à-vis de l'assurance-chômage; il devait dès lors s'attendre à être suspendu dans son droit à l'indemnité. 
 
B.   
Par jugement du 12 septembre 2017, la Chambre des assurances sociales de la Cour de Justice de la République et canton de Genève a partiellement admis le recours de l'assuré en ce sens qu'elle a annulé la décision litigieuse du 30 mars 2016 et renvoyé la cause à l'OCE pour examen de la condition économique. 
 
C.   
L'OCE interjette un recours en matière de droit public, en concluant à l'annulation du jugement cantonal. 
 
A.________ conclut au rejet du recours. Le Secrétariat d'Etat à l'économie ne s'est pas déterminé. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Par le jugement attaqué, la juridiction cantonale a annulé la décision sur opposition du 30 mars 2017, considérant que la condition de la bonne foi était remplie, et renvoyé la cause à l'administration pour examen de la situation difficile. Aussi ce jugement doit-il être qualifié de décision incidente, laquelle ne peut être déférée immédiatement au Tribunal fédéral que si la condition du préjudice irréparable est réalisée ou pour des motifs d'économie de la procédure (art. 93 al. 1 LTF).  
 
1.2. Lorsqu'une administration ou un assureur social sont contraints par un jugement incident à rendre une décision qu'ils estiment contraire au droit et qu'ils ne pourront eux-mêmes pas attaquer, un tel jugement incident peut être déféré au Tribunal fédéral sans attendre le prononcé du jugement final (ATF 133 V 477 consid. 5.2 p. 483).  
 
1.3. Cette éventualité est en l'espèce réalisée car le jugement cantonal a un effet contraignant pour l'office recourant en ce sens que celui-ci doit statuer sur la remise éventuelle de l'obligation de restituer tout en étant lié quant à l'une des conditions de la remise, à savoir celle de la bonne foi.  
 
1.4. Pour le reste le recours est dirigé contre un arrêt rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.  
 
2.   
Le recours en matière de droit public peut être formé notamment pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), que le Tribunal fédéral applique d'office (art. 106 al. 1 LTF), n'étant limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral fonde son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF) sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). 
 
3.   
La cour cantonale a considéré que la transmission de l'opposition de l'assuré du 28 septembre 2016 à l'OCE pour être traitée comme une demande de remise de l'obligation de restituer était justifiée. En effet, l'assuré n'y avait soulevé aucun moyen en relation avec le bien-fondé de la décision de restitution de la caisse - qui était ainsi entrée en force -, tandis qu'il invoquait notamment être dans l'impossibilité de rembourser la somme réclamée. Il n'y a pas lieu de revenir sur ce point dont l'intimé ne s'est jamais plaint. 
 
Le litige porte donc uniquement sur la remise éventuelle de l'obligation de restituer le montant de 1'899.90 fr., singulièrement sur la question de savoir si l'intimé remplit la condition de la bonne foi. 
 
4.   
Le jugement entrepris expose de manière exacte et complète les dispositions légales sur la remise de l'obligation de restituer des indemnités de chômage indûment perçues (art. 25 al. 1 LPGA [RS 830.1] en liaison avec l'art. 95 al. 1 LACI [RS 837.0]), ainsi que la jurisprudence concernant la condition de la bonne foi. Il suffit donc d'y renvoyer. 
 
5.   
La cour cantonale a constaté que l'interruption de la mesure auprès de l'agence B.________ avait pour cause non pas le fait que l'assuré, comme il l'alléguait, n'avait pas trouvé de stage jusqu'au 21 avril 2016, mais la teneur des deux courriels qu'il avait envoyés le 18 avril 2016 à une collaboratrice de l'agence de placement E.________. Elle en a déduit que pour l'examen de la bonne foi de l'assuré, il fallait déterminer si celui-ci était à même de comprendre que par son attitude, il risquait de se voir infliger une sanction, telle une suspension de son droit à l'indemnité de chômage, autrement dit s'il était conscient du fait que ses courriels étaient de nature à provoquer l'arrêt de la mesure. La cour cantonale a répondu par l'affirmative à cette question, retenant que l'assuré ne pouvait en effet manquer de réaliser que leur contenu serait peu apprécié. Par conséquent, elle a conclu qu'il s'était rendu coupable d'une négligence grave, son comportement n'étant pas conforme à ce qui pouvait raisonnablement être exigé d'une personne capable de discernement dans une situation identique. Néanmoins, la cour cantonale a jugé que l'on ne pouvait pas considérer que lorsque l'assuré avait reçu les prestations de l'assurance-chômage du 22 avril au 20 mai 2016, il savait ou devait savoir, en faisant preuve de l'attention requise, que celles-ci étaient indues. En effet, elles ne l'étaient pas à ce moment-là. Sa bonne foi devait ainsi être admise. 
 
6.   
Pour l'office recourant, dans la mesure où les juges cantonaux avaient retenu (à juste titre selon lui) qu'en envoyant des courriels au contenu inacceptable de nature à entraîner l'interruption de la mesure auprès de l'agence B.________, l'assuré avait commis une négligence grave, la conséquence logique de leur appréciation aurait dû être de nier sa bonne foi. La question de la bonne foi d'un assuré devait certes être examinée en fonction de la situation de fait existante au moment de la perception des indemnités dont la restitution était exigée. Cependant, un assuré n'était pas fondé à se prévaloir de sa bonne foi lorsqu'il devait s'attendre à une suspension de son droit à l'indemnité en raison d'un comportement qu'il savait fautif. Or l'intimé devait bien se rendre compte qu'il s'exposait à une suspension de son droit à l'indemnité du fait de son comportement. La circonstance que la sanction et la restitution ont été prononcées alors que celui-ci était déjà sorti du chômage n'aurait pas dû conduire les juges cantonaux, qui ont retenu qu'il s'était rendu coupable d'une négligence grave, à admettre pourtant qu'il était de bonne foi au moment déterminant. 
 
7.   
On doit convenir avec l'office recourant que la question de la bonne foi de l'intimé ne saurait dépendre du moment auquel l'administration a suspendu son droit à l'indemnité et demandé la restitution des prestations correspondant à la durée de cette sanction et déjà versées. Cette question dépend bien du point de savoir si celui-ci pouvait et devait reconnaître qu'il a eu un comportement fautif sous l'angle de l'assurance-chômage et par conséquent susceptible d'être sanctionné. A cet égard, il y a lieu cependant de préciser que l'existence d'une décision de suspension entrée en force n'exclut pas forcément la bonne foi d'un assuré (cf. arrêt 8C_269/2009 du 13 novembre 2009 consid. 5.2.1 in fine). En l'occurrence, l'examen de la question déterminante pour la bonne foi au regard des circonstances du cas concret ne permet pas de se rallier au point de vue de l'office recourant, comme on le verra ci-après. 
 
Les courriels reprochés à l'assuré avaient pour destinataire une collaboratrice de l'agence de placement E.________ avec laquelle il avait été prié d'entrer en contact par sa conseillère C.________ de l'agence B.________ pour lui soumettre son curriculum vitae et trouver un stage. Dans le premier courriel, l'assuré s'indignait de ce que cette collaboratrice avait qualifié son curriculum vitae de " foutrek " et terminait son message par ces mots: "si c'est parce que j'ai voyagé et travaillé à l'étranger que vous trouverez mon CV confus, moi j'en suis fier; bref vous êtes française compétente mais vous travaillez en Suisse, alors sentez vous privilégiée par rapport aux Suisses comme moi et arrêtez de les dénigrer. merci". Dans le second courriel envoyé à cette même collaboratrice un peu plus tard, l'assuré avait écrit que la qualification "foutrek" à propos de son curriculum vitae lui avait été rapportée par C.________ qui lui avait également dit que cela venait d'elle, ce à quoi il avait encore ajouté ceci: "je ne suis pas raciste, je constate qu'en suisse il y a des millions de frontaliers qui nous passent devant nous les suisses sur les places de travail disponibles [...] bref vous pourriez avoir parlé avec C.________ un peu plus délicatement au lieu de me rabaisser comme vous l'avez fait." A la suite de ces courriels, la collaboratrice a répondu à l'assuré qu'elle était suisse, qu'elle était étonnée que celui-ci puisse faire preuve d'un tel "relent de racisme", qu'elle n'avait jamais utilisé le terme "foutrek" pour qualifier sa candidature et qu'au vu "de ses considérations vis-à-vis de [sa] personne", elle classait son dossier. 
 
Certes on ne peut nier que l'assuré a tenu des propos à caractère polémique qui n'ont assurément pas leur place dans un échange professionnel. Cependant, ils ne paraissent pas pour autant injurieux. Quoi qu'il en soit, ils ne sont pas d'une gravité telle qu'ils pouvaient justifier la rupture immédiate et définitive de la collaboration entre l'agence de placement et l'assuré. On se trouve bien plutôt en présence d'une réaction inappropriée à la suite d'un malentendu qui aurait pu être dissipé par une discussion ouverte entre C.________, A.________ et la collaboratrice de l'agence de placement E.________, d'autant plus que la conseillère de l'agence B.________ savait que le prénommé rencontrait une période difficile (son père est décédé au mois de mars 2016, date qui marquait également celle du décès de sa fille, en bas âge, trois ans plus tôt à V.________). Dans cette mesure, il est loin d'être évident que les propos inappropriés tenus par l'assuré à l'occasion de cet échange réalisent le comportement visé par l'art. 30 al. 1 let. d LACI. Cette disposition sanctionne les comportements compromettant ou empêchant le déroulement de la mesure ou la réalisation de son but. Or quand bien même la participation de l'assuré aux mesures proposées par l'agence B.________ a été interrompue, dans les faits, en raison des courriels de l'assuré, on ne saurait assimiler l'attitude incorrecte dont il a fait preuve à l'égard de la collaboratrice de l'agence de placement E.________ à un comportement propre à faire échouer une mesure relative au marché du travail. D'ailleurs, d'après le règlement de l'agence B.________, les cas de figure qui constituent un motif d'interruption des prestations de cette agence sont le non respect du règlement (en particulier de l'engagement à être joignable et disponible à 100 % pour toutes les mesures mises en place), la non-participation active à la mesure, l'abandon de stage ou le refus de poste ciblé dans le projet professionnel. Aucune de ces raisons ne s'appliquait à l'assuré, ce qui donne à penser que la décision d'interruption de la mesure avait un caractère de représailles, l'intéressé s'étant par ailleurs comporté comme un candidat qui se donnait de la peine mais qui apparaissait difficile et inadapté au marché du travail suisse (voir le bilan de sortie de C.________). 
 
Au regard de ce qui précède, l'intimé avait des raisons de penser qu'il n'avait commis aucun comportement fautif du point de vue du droit du chômage et qu'il pouvait donc continuer à prétendre son droit à l'indemnité puisqu'il a poursuivi ses recherches d'emploi durant la période suivant l'interruption de la mesure jusqu'à sa sortie du chômage. Sa bonne foi doit donc être admise. Le jugement entrepris doit ainsi être confirmé dans son résultat et le recours rejeté. 
 
8.   
Bien qu'il succombe, l'office recourant ne peut se voir imposer des frais de justice (art. 66 al. 4 LTF; ATF 133 V 640 consid. 4.5 p. 641 s.). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
II n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève et au Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO). 
 
 
Lucerne, le 8 août 2018 
 
Au nom de la Ire Cour de droit social 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Maillard 
 
La Greffière : von Zwehl