Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_631/2023
Arrêt 18 septembre 2025
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mmes les Juges fédéraux Abrecht, Président,
van de Graaf, Koch, Kölz et Hofmann.
Greffier: M. Hösli.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Raphaël Jakob, avocat,
recourante,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève,
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
Objet
Consultation d'une ordonnance pénale,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 28 juillet 2023
(ACPR/595/2023 - P/427/2023).
Faits :
A.
Le 9 juin 2023, le Ministère public de la République et canton de Genève a, par ordonnance pénale, reconnu A.________ (ci-après: la prévenue) coupable de faux dans les titres. Celle-ci y a formé opposition.
Le 15 juin 2023, la prévenue a requis que l'ordonnance pénale frappée d'opposition ne fût pas communiquée à des tiers, en particulier à des médias ou à des journalistes. Par ordonnance du 16 juin 2023, le Ministère public a refusé d'accéder à cette demande.
B.
Par arrêt du 28 juillet 2023, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Chambre pénale de recours) a rejeté le recours formé par la prévenue contre cette ordonnance.
C.
Par acte du 14 septembre 2023, A.________ interjette un recours en matière pénale contre cet arrêt, en concluant à sa réforme en ce sens qu'il ne soit pas donné accès à des tiers à l'ordonnance pénale du 9 juin 2023, ni à toute potentielle future ordonnance pénale dans la même cause, et à ce que la violation de ses droits fondamentaux à la présomption d'innocence et à la vie privée soit constatée.
Invitée à se déterminer, la Chambre pénale de recours y a renoncé, tandis que le Ministère public a conclu au rejet du recours. La recourante a spontanément répliqué.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 150 II 346 consid. 1.1; 150 I 174 consid. 1; 150 IV 103 consid. 1).
1.1.
1.1.1. Selon l'art. 78 al. 1 LTF, le recours en matière pénale est ouvert contre les décisions rendues en matière pénale, par quoi on entend toute décision fondée sur le droit pénal matériel ou sur le droit de procédure pénale (ATF 133 IV 335 consid. 2; arrêts 1B_103/2021 du 4 mars 2022 consid. 1.1; 1B_122/2020 du 20 mars 2020 consid. 1; 1B_410/2019 du 4 octobre 2019 consid. 1). Le Tribunal fédéral a itérativement soumis les décisions portant sur la consultation d'une ordonnance ou d'un jugement rendu dans une procédure pénale non au recours en matière pénale, mais au recours en matière de droit public (cf. arrêts 1B_103/2021 précité consid. 1.1 [ordonnance de non-entrée en matière]; 1C_394/2018 du 7 juin 2019 [jugement pénaux de fond]; 1C_13/2016 du 18 avril 2016 consid. 1 [ordonnance de classement]; 1C_322/2010 du 6 octobre 2010 consid. 1, non publié in ATF 137 I 16 [ordonnance de classement]; 1C_302/2007 du 2 avril 2008 consid. 1.2, non publié in ATF 134 I 286 [ordonnances de classement et de non-entrée en matière]).
1.1.2. En l'espèce, le recours est dirigé contre un arrêt refusant de restreindre l'accès à une ordonnance pénale qui n'est pas entrée en force. Il se pose ainsi la question de savoir s'il s'agit là d'une décision soumise au principe de la publicité de la justice au sens de l'art. 30 al. 3 Cst., ressortissant au recours en matière de droit public, ou s'il s'agit d'une pièce du dossier sujette aux règles relatives à leur consultation dans le cadre d'une procédure pendante, ressortissant au recours en matière pénale. Comme on le verra (cf. consid. 2.4.7
infra), il s'avère que les ordonnances pénales entrées en force sont soumises aux règles applicables à la consultation du dossier pénal.
1.2. Dans la mesure où les ordonnances pénales entrées en force sont soumises aux règles applicables à la consultation du dossier pénal, l'arrêt entrepris ne clôt pas la procédure pénale ouverte contre la recourante. Il s'agit par conséquent d'une décision incidente, au sens de l'art. 93 LTF. Le recours n'est ainsi recevable qu'en présence d'un risque de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF - la lettre b de cette disposition n'entrant pas en considération dans le cas d'espèce -, à savoir d'un préjudice de nature juridique, qui n'est pas susceptible d'être supprimé par une décision ultérieure favorable au recourant (ATF 150 IV 103 consid. 1.2.1; 148 IV 155 consid. 1.1).
En l'espèce, il y a lieu d'admettre que l'arrêt attaqué est de nature à causer à la recourante un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a CPP (dans le même sens: arrêts 1B_371/2020 du 16 août 2021 consid. 1.3; 1B_340/2017 du 16 novembre 2017 consid. 1.3). En effet, selon la directive A.7 du procureur général genevois, une copie non anonymisée d'une ordonnance pénale frappée d'opposition est, sur simple requête d'un journaliste accrédité formulée pendant un délai de 30 jours après son prononcé, transmise à ce dernier (cf. consid. 1.3.2
infra) et l'atteinte engendrée de ce fait au principe de la présomption d'innocence n'est pas susceptible d'être entièrement réparée par une décision ultérieure favorable à la recourante (cf. consid. 2.4.5
infra).
1.3.
1.3.1. Selon l'art. 81 al. 1 LTF, quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a) et a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (let. b) a qualité pour former un recours en matière pénale.
L'intérêt d'un recourant doit en outre être actuel et pratique, en ce sens que sa situation juridique ou factuelle serait améliorée si celui-ci était admis (ATF 150 II 409 consid. 2.2.2; 147 I 1 consid. 3.4; 140 IV 74 consid. 1.3.1). Cet intérêt doit exister tant au moment du dépôt du recours qu'au moment où l'arrêt est rendu (ATF 150 II 409 consid. 2.2.1; 143 III 578 consid. 3.2.2.2; 142 I 135 consid. 1.3.1). Par exception, il peut être renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel et pratique; tel est le cas si, cumulativement, la question objet d'un litige peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, si sa nature rend presque impossible de la soumettre à une autorité judiciaire avant qu'elle perde son actualité et s'il existe un intérêt public suffisamment important à sa résolution en raison de sa portée de principe (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1; 140 III 92 consid. 1.1; 140 IV 74 consid. 1.3.3; arrêt 7B_441/2025 du 19 juin 2025 consid. 2.2.1; voir également: ATF 146 II 335 consid. 1.3). Il est en outre renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsqu'un recourant formule de manière défendable un grief de violation de la CEDH (ATF 147 II 49 consid. 1.2.1; 139 I 206 consid. 1.2.1 et 1.2.2; voir également ATF 142 I 135 consid. 1.3.1; 136 I 274 consid. 1.3).
1.3.2. L'ordonnance du Ministère public du 16 juin 2023 est équivoque quant à l'existence d'une requête de consultation concrète par un tiers de l'ordonnance pénale du 15 juin 2023. Quoi qu'il en soit, il apparaît que, en vertu de la directive A.7 du procureur général genevois, une copie non anonymisée d'une ordonnance pénale frappée d'opposition est, sur simple requête d'un journaliste accrédité formulée pendant un délai de 30 jours après son prononcé, transmise à ce dernier. La question au coeur de la présente procédure est partant susceptible de se reproduire en tout temps sans qu'elle puisse être tranchée par le Tribunal fédéral dans un délai permettant de garantir qu'elle n'eût, dans l'intervalle, pas perdu son actualité. En effet, la procédure pénale n'est pas suspendue après qu'un prévenu a formé opposition à une ordonnance pénale; elle est au contraire amenée à se poursuivre et à conduire à une nouvelle ordonnance pénale, à un classement ou à une mise en accusation devant un tribunal (cf. art. 355 al. 3 CPP). En outre, la question juridique au coeur de la présente procédure est l'objet de pratiques divergentes de différents tribunaux supérieurs ainsi que d'un débat doctrinal marqué. Sa résolution par le Tribunal fédéral est donc pertinente dans une optique de sécurité du droit. Enfin, la recourante expose de manière circonstanciée en quoi l'arrêt entrepris violerait le principe de la présomption d'innocence consacré par l'art. 6 par. 2 CEDH.
À la lumière de ce qui précède, il convient de renoncer à l'exigence d'un intérêt actuel pour la procédure de recours fédérale. La Chambre pénale de recours en a d'ailleurs fait de même au stade du recours cantonal.
1.4. Pour le surplus, le recours a été formé en temps utile (cf. art. 100 al. 1 LTF), contre une décision rendue par une autorité cantonale de dernière instance (cf. art. 80 al. 1 LTF) et dans le respect des formes prescrites par la loi (cf. art. 42 LTF). Il est donc recevable, sous réserve des deux conclusions en constatation "préalable" ou "préparatoire", qui sont irrecevables (cf. ATF 148 I 160 consid. 1.6; arrêt 9C_115/2025 du 4 juin 2025 consid. 1.2)
2.
2.1. La Chambre pénale de recours a constaté que la question de la consultation d'une ordonnance pénale qui n'est pas encore entrée en force n'avait pas encore été tranchée par le Tribunal fédéral. Se fondant sur une opinion doctrinale, elle a appliqué par analogie la jurisprudence fédérale relative à la consultation de jugements non entrés en force ou annulés, considérant qu'une ordonnance pénale consacrait le résultat de la procédure préliminaire. Elle en a conclu que l'art. 69 al. 2 CPP trouvait application aux ordonnances pénales immédiatement après leur prononcé, et pas seulement aux ordonnances pénales entrées en force.
2.2. La recourante fait grief à la Chambre pénale de recours d'avoir mal appliqué l'art. 69 al. 2 CPP. Après avoir procédé à une interprétation complète de cette disposition et exposé les opinions antagonistes de plusieurs tribunaux cantonaux supérieurs et d'auteurs sur la question de la publicité d'une ordonnance pénale qui n'est pas entrée en force, notamment parce qu'une opposition a été formée, elle conclut que l'art. 69 al. 2 CPP ne trouverait pas application dans un tel cas.
2.3.
2.3.1. Les art. 6 par. 1 CEDH, 14 par. 1 Pacte ONU II (RS 0.103.2) et 30 al. 3 Cst. garantissent le principe de la publicité de la justice. Ce principe fondamental de l'État de droit protège d'une part les parties impliquées directement dans une procédure en favorisant un traitement de leur cause qui soit correct et conforme à la loi; d'autre part, ce principe permet au public de suivre la manière dont les procédures sont menées et le droit appliqué, et d'assurer ainsi la confiance en les autorités judiciaires en évitant que l'on puisse conjecturer qu'elles avantagent ou désavantagent des personnes particulières ou conduisent des procédures de manière unilatérale et discutable à la lumière des principes de l'État de droit (ATF 147 I 463 consid. 3.1.1; 147 I 407 consid. 6.1; 143 I 194 consid. 3.1; 139 I 129 consid. 3.3; 137 I 16 consid. 2.2; 134 I 286 consid. 5.1; 124 IV 234 consid. 3b). Le principe de la publicité a notamment pour effet de soumettre les décisions étatiques qu'il vise au droit fondamental à la liberté d'information consacré par l'art. 16 al. 3 Cst. (ATF 147 I 463 consid. 3.1.1; 147 I 407 consid. 6; 143 I 194 consid. 3.1; 139 I 129 consid. 3.3; 137 I 16 consid. 2.2).
La consultation des décisions judiciaires s'étend à l'ensemble d'un prononcé, à savoir à la composition du tribunal, à l'exposé des faits, aux considérants en droit et au dispositif (ATF 139 I 129 consid. 3.6). Le principe de la publicité n'est toutefois pas absolu; il peut être limité afin de protéger des intérêts personnels (notamment des parties à la procédure) ou publics; les jugements peuvent ainsi être anonymisés ou caviardés dans une mesure qui doit être déterminée au cas par cas (ATF 147 I 463 consid. 3.1.1; 147 I 407 consid. 6.4.2; 139 I 129 consid. 3.6; 124 IV 234 consid. 3c; voir également ATF 133 I 106 consid. 8.3).
Le droit de consulter les jugements n'est en principe pas soumis à l'existence d'un intérêt digne de protection (ATF 147 I 463 consid. 3.1.1; arrêts 1C_225/2019 du 27 juin 2019 consid. 3.1; 1C_394/2018 du 7 juin 2019 consid. 4.1; 1C_123/2016 du 21 juin 2016 consid. 3.5.2). Le principe de la publicité de la justice fonde également un droit de consulter les prononcés finaux relevant de la procédure pénale qui mettent fin à la procédure sans statuer sur la culpabilité (en particulier les ordonnances de classement); les tiers - non parties à la procédure - doivent disposer d'un intérêt digne de protection à la consultation, lequel doit être mis en balance avec d'éventuels intérêts des autorités pénales ou de tiers concernés par la décision en cause au maintien du secret (ATF 147 I 463 consid. 3.1.2; 137 I 16 consid. 2.4; 134 I 286 consid. 6.6).
2.3.2. En matière de procédure pénale, le législateur a posé à l'art. 69 CPP des règles concrétisant le principe de la publicité. Cette disposition prévoit que les débats de première instance et d'appel, de même que la notification orale des jugements sont publics, à l'exception des délibérations (al. 1). Lorsque, dans ces cas, les parties ont renoncé à un prononcé en audience publique ou qu'une ordonnance pénale a été rendue, les personnes intéressées peuvent consulter les jugements et les ordonnances pénales (al. 2). Ne sont pas publics: a. la procédure préliminaire, les communications des autorités pénales au public étant réservées; b. la procédure devant le tribunal des mesures de contrainte; c. la procédure devant l'autorité de recours et, en tant qu'elle est menée par écrit, devant la juridiction d'appel; d. la procédure de l'ordonnance pénale (al. 3). L'art. 69 CPP ne règle toutefois pas exhaustivement la portée du principe de la publicité en droit pénal; l'art. 69 al. 3 CPP n'envisage en particulier pas tous les aspects de la consultation des décisions rendues en matière pénale du point de vue de la protection de la personnalité (arrêts 1C_616/2018 du 11 septembre 2019 consid. 2.1; 1C_225/2019 du 27 juin 2019 consid. 3.2; 1C_394/2018 du 7 juin 2019 consid. 4.2; voir également ATF 143 I 194 consid. 3.1).
2.3.3. Selon la jurisprudence fédérale, les jugements qui ne sont pas encore entrés en force ou qui ont par la suite été annulés peuvent être consultés sous une forme anonymisée, sans qu'il ait pour cela besoin de justifier d'un intérêt particulier (arrêt 1C_123/2016 du 21 juin 2016 consid. 3.9). Quant aux ordonnances de non-entrée en matière qui ne sont pas encore en force, elles peuvent également être consultées par des personnes qui ne sont pas parties à la procédure, pour autant qu'un intérêt privé prépondérant lié à la protection de la sphère privée ne s'y oppose pas (arrêt 1B_103/2021 précité consid. 3.3).
Comme le relèvent tant l'autorité précédente que la recourante, la question de la consultation d'une ordonnance pénale non entrée en force par des personnes qui ne sont pas parties à la procédure pénale, soit l'application de l'art. 69 al. 2 CPP et de l'art. 30 al. 3 Cst. à un tel prononcé, n'a pas encore été tranchée par le Tribunal fédéral. Il convient donc de la résoudre, en débutant par un bref exposé des différentes décisions cantonales et opinions doctrinales à ce sujet.
2.3.4. La jurisprudence cantonale n'apparaît pas univoque.
Dans un arrêt du 20 octobre 2016, le Tribunal cantonal lucernois, après avoir procédé à une interprétation de l'art. 69 al. 2 CPP, a conclu qu'une ordonnance pénale qui n'était pas encore en force n'était pas soumise aux règles relatives à la publicité des prononcés finaux (cf. arrêt du Kantonsgericht Luzern, 1. Abteilung, du 20 octobre 2016 [n° 2N 16 129] consid. 6.1 à 6.4, publié in Luzerner Gerichts- und Verwaltungsentscheide [LGVE] 2016 I 19). La Cour suprême bernoise est du même avis (cf. arrêt de la Cour suprême du Canton de Berne du 11 juillet 2024 [n° BK 2024 152] consid. 4.4), tout comme le Tribunal cantonal soleurois (cf. arrêts de l'Obergericht Solothurn, Beschwerdekammer, du 25 janvier 2018 [n° BKBES.2018.7] consid. 2 et du 8 novembre 2011 [n° BKBES.2011.103] consid. 4, publié in forumpoenale 2/2012 77).
À l'inverse, l'opinion de la Chambre pénale de recours genevoise selon laquelle les ordonnances pénales qui ne sont pas encore en force sont soumises au principe de la publicité semble partagée par le Tribunal cantonal st-gallois (cf. arrêt du Kantonsgericht St. Gallen du 25 mai 2011 [n° AK.2011.106-AK] consid. 2, publié in forumpoenale 6/2011 338; voir également: TPF 2021 201 du 16 août 2021 consid. 6.8.1 à 6.8.3 [concernant un mandat de répression au sens de la Loi fédérale sur le droit pénal administratif {RS 313.0}]).
Selon une étude des pratiques cantonales réalisée par SIMMLER, la position soleuroise est en outre partagée par les cantons d'Argovie, de Bâle-Campagne, de Bâle-Ville, de Fribourg, de Glaris, de Schaffhouse et de Vaud, tandis que les cantons des Grisons et du Jura ont un usage analogue à celui de Genève (MONIKA SIMMLER, Einsicht der Medien in Strafbefehle - Zur Reichweite des Art. 69 Abs. 2 StPO, ZStrR 138/2020 211, p. 214).
2.3.5. La doctrine est également divisée. Selon une première partie des auteurs, le droit d'accès aux décisions de justice trouve application uniquement aux ordonnances pénales entrées en force (DONATSCH/SUMMERS/WOHLERS, Strafprozessrecht, 2023, p. 398; JOSITSCH/SCHMID, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 2023, p. 100 n. 270; les mêmes, Praxiskommentar StPO, 4e éd. 2023, n° 5 ad art. 69 CPP; VIKTOR LIEBER, forumpoenale 6/2022 400, p. 404; a priori du même avis: MOREILLON/PAREIN-REYMOND, Petit commentaire CPP, 2e éd. 2016, n° 5 ad art. 69 CPP; FRANZ RIKLIN, Orell Füssli Kommentar StPO, 2e éd. 2014, n° 3 ad art. 69 CPP). Selon une seconde tendance doctrinale, le principe de la publicité trouve application aux ordonnances pénales qui ne sont pas encore entrées en force (GEROLD STEINMANN, ZBl, 124/2023 252, pp. 252 s.; MONIKA SIMMLER, op. cit., pp. 219 s. et 223; WIEDERKEHR/PLÜSS, Praxis des öffentlichen Verfahrensrechts, 2020, n° 1231; MATTHIAS MICHLIG, Öffentlichkeitskommunikation der Strafbehörden unter dem Aspekt der Amtsgeheimnisverletzung (Art. 320 StGB), 2013, p. 173; MICHAEL DAPHINOFF, Das Strafbefehlsverfahren in der Schweizerischen Strafprozessordnung, 2012, p. 403; a priori du même avis: MAHON/JEANNERAT, in Commentaire romand CPP, 2e éd. 2019, n° 20b ad art. 69 CPP). Enfin, à suivre une troisième opinion, une ordonnance pénale contre laquelle une opposition a été formée n'est pas sujette au principe de la publicité sauf si elle est par la suite maintenue au sens de l'art. 355 al. 3 let. a CPP (BRÜSCHWEILER/NADIG/SCHNEEBELI, Schulthess Kommentar StPO, 3e éd. 2020, n° 7 ad art. 69 CPP).
2.4.
2.4.1. La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale); si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique); le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme (ATF 151 V 129 consid. 5; 151 III 81 consid. 3.5; 150 II 478 consid. 7.2.2; 150 IV 329 consid. 4.1; 150 I 80 consid. 3.1). Si plusieurs interprétations sont possibles, il faut préférer celle qui correspond le mieux aux prescriptions constitutionnelles (ATF 151 V 129 consid. 5; 149 I 2 consid. 3.2.1; 148 II 218 consid. 5.2; 145 III 56 consid. 5.3.1).
Lorsque l'exercice d'un droit fondamental par une personne - voire la concrétisation d'un tel droit par une autorité à travers la poursuite d'un intérêt public - se heurte à l'exercice d'un ou de plusieurs autres droits fondamentaux par une autre personne, il y a conflit de libertés ("Grundrechtskollision" ou "mehrpoliges Grundrechtsverhältnis"); lorsqu'un tel conflit n'a pas été désamorcé par le législateur à travers une harmonisation normative des intérêts antagonistes ou par une hiérarchisation légale des valeurs dans un contexte déterminé, c'est au juge qu'il incombe de vérifier que la décision entreprise ménage un juste équilibre entre les différents principes constitutionnels et droits fondamentaux en jeu, étant rappelé que la Constitution fédérale ne prévoit elle-même aucune hiérarchie entre les droits fondamentaux; pour parvenir, de façon rationnelle et transparente, à l'établissement d'un tel équilibre, le juge se laissera en règle générale guider par les principes ancrés à l'art. 36 Cst., en les adaptant le cas échéant aux besoins spécifiques qui découlent des conflits entre plusieurs libertés ou intérêts collectifs fondamentaux, et tout en faisant preuve d'une certaine retenue face à la pesée qu'aurait déjà opérée l'instance précédente (ATF 142 I 195 consid. 5.5 et 5.6; 140 I 201 consid. 6.6 et 6.7; voir également arrêt 2C_441/2024 du 25 mars 2025 consid. 6.5, destiné à la publication).
2.4.2. La lettre de l'art. 69 al. 2 CPP est formulée comme suit: "Lorsque, dans ces cas, les parties ont renoncé à un prononcé en audience publique ou qu'une ordonnance pénale a été rendue, les personnes intéressées peuvent consulter les jugements et les ordonnances pénales.". Contrairement à ce que soutient la recourante, les textes allemand et italien sont en substance identiques au texte français. Les termes "dans ces cas" ("in diesen Fällen"; "in tali casi") font clairement référence à la notification orale des jugements et décisions prévue par l'art. 69 al. 1 CPP. La lettre de l'art. 69 al. 2 CP ne permet en revanche pas de déterminer si elle vise uniquement les ordonnances pénales entrées en force ou toutes les ordonnances pénales. Il s'impose par conséquent de recourir aux autres méthodes d'interprétation.
2.4.3. Sur le plan systématique, l'art. 69 al. 3 let. d CPP prévoit que la procédure de l'ordonnance pénale n'est pas publique. Cette précision est particulièrement intéressante pour l'interprétation de l'alinéa précédent. En effet, trois des six normes régissant la procédure de l'ordonnance pénale portent sur le prononcé de l'ordonnance pénale ( art. 352, 352a et 353 CPP ) et les trois autres sur l'opposition à l'ordonnance pénale et ses suites ( art. 354, 355 et 356 CPP ). Dans la mesure où, pour les trois premières, l'ajout d'une règle expresse de confidentialité en sus de celle visant la procédure préliminaire (cf. art. 69 al. 3 let. a CPP) paraît superflu, l'art. 69 al. 3 let. d CPP paraît ainsi viser la phase de la procédure consécutive à une opposition à l'ordonnance pénale.
L'interprétation systématique penche ainsi pour écarter les ordonnances pénales qui ne sont pas en force (cf. art. 354 al. 3 CPP et considérant 2.4.6
infra) du champ d'application de l'art. 69 al. 2 CPP.
2.4.4. Le message du Conseil fédéral relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005 précise ce qui suit eu égard à l'art. 67 al. 4 P-CPP (qui correspond en substance à l'art. 69 al. 2 CPP en vigueur) : "
L'al. 4vise à satisfaire les droits légitimes des tiers à l'information en prévoyant que les personnes intéressées peuvent consulter les prononcés rendus en procédure écrite ou, à tout le moins, en audience non publique. Cette réglementation est en conformité avec la jurisprudence voulant que lorsque le tribunal renonce à notifier publiquement le jugement, il doit faire en sorte que le public puisse en avoir connaissance d'une autre manière, par exemple en le consultant au greffe du tribunal." (cf. Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1130 ch. 2.2.8.2). Le commentaire de l'avant-projet se rapportant à l'art. 76 al. 4 et 5 AP-CPP, consacré au principe de la publicité des décisions pénales, n'apporte pas d'éclaircissement supplémentaire (Rapport explicatif relatif à l'avant-projet d'un code de procédure pénale suisse, Office fédéral de la justice [éd.], Berne, 2001, p. 67). La question de la publicité d'une ordonnance pénale qui n'est pas entrée en force n'a pas non plus été discutée lors des débats à l'Assemblée fédérale. Dans le cadre d'une discussion portant sur la nécessité ou non d'un intérêt légitime pour consulter une ordonnance pénale, le conseiller fédéral Blocher a néanmoins mentionné ce qui suit: "Die Fassung der Mehrheit ist die bessere: Interessierte Personen können Einsicht in die Urteile und Strafbefehle nehmen, wenn die Parteien auf eine öffentliche Urteilsverkündung verzichtet haben." (cf. BO 2006 E 1004). Or, comme le souligne la recourante, le prévenu qui fait opposition à une ordonnance pénale n'a précisément pas renoncé à son droit fondamental à une audience publique. Le Conseil national a suivi sans discussion la version adoptée par le Conseil des États (cf. BO 2007 N 949).
Sans être décisive, l'interprétation historique tend partant à corroborer le résultat de l'interprétation systématique.
2.4.5. Comme déjà mentionné (cf. consid. 2.3.1
supra), le principe de la publicité vise d'une part à protéger l'intérêt des parties à la procédure, notamment du prévenu, et d'autre part à protéger la confiance de la société civile en le bon fonctionnement de la justice.
Le principe de la présomption d'innocence, ancré aux art. 6 par. 2 CEDH et 32 al. 1 Cst., postule que tout personne est présumée innocente jusqu'à ce qu'elle fasse l'objet d'une condamnation entrée en force. Ce principe se trouve notamment méconnu si, sans établissement légal préalable de la culpabilité d'un prévenu et, notamment, sans que ce dernier ait eu l'occasion d'exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu'il est coupable; il peut en aller ainsi même en l'absence de constat formel; il suffit d'une motivation donnant à penser que le juge ou l'agent d'État considère l'intéressé comme coupable (arrêts de la CourEDH [Grande Chambre]
Allen contre Royaume-Uni du 12 juillet 2013 [requête n° 25424/09] §93;
Karaman contre Allemagne du 27 février 2014 [requête n° 17103/10] § 41;
Minelli contre Suisse du 25 mars 1983 [requête n° 8660/79] § 37; ATF 147 I 386 consid. 1.2; 124 I 327 consid. 2b; voir également ATF 137 I 31 consid. 5.1). Cet aspect du principe de la présomption d'innocence entre en conflit avec le fait de soumettre une ordonnance pénale qui n'est pas encore en force au principe de la publicité. En effet, la communication à un tiers d'une "proposition de jugement" (cf. ATF 149 IV 9 consid. 7.1) condamnant le prévenu est de nature à engendrer l'impression prématurée que celui-ci est coupable.
Si la communication d'une "proposition de jugement" qui n'a pas été acceptée à des tiers n'apparaît pas dénuée d'utilité au regard du but de bon fonctionnement du système judiciaire poursuivi par le principe de la publicité, cet intérêt public peut toutefois être satisfait par un accès aux ordonnances pénales uniquement lorsqu'elles sont en force ou par le prononcé public du jugement en cas de mise en accusation. Ce décalage temporel permet de surcroît de garantir la fiabilité des informations communiquées par les autorités pénales, en ce sens que les tiers, en particulier les médias, peuvent ainsi être certains que le document auquel ils ont accès constitue bien une décision finale. À l'inverse, l'atteinte engendrée au principe de la présomption d'innocence par la communication à des tiers d'une "proposition de jugement" est difficilement réparable, voire irréparable.
Au vu de ce qui précède, la solution la plus adéquate pour conjuguer les objectifs contradictoires résultant à la fois du principe de la publicité et du principe de la présomption d'innocence paraît être de ne permettre la consultation par des tiers d'ordonnances pénales qu'une fois celles-ci en force.
2.4.6. La Chambre pénale de recours fonde principalement son argumentation sur une analogie entre l'ordonnance pénale à laquelle il a été fait opposition et le jugement pénal de première instance soumis à appel. Cette analyse est partagée par le Ministère public. Un tel raisonnement n'emporte toutefois pas la conviction.
D'une part, comme le souligne avec raison la recourante, l'assimilation par la loi des ordonnances pénales aux jugements entrés en force est limitée aux ordonnances pénales contre lesquelles aucune opposition n'a été valablement formée, comme cela ressort expressément de la lettre de l'art. 354 al. 3 CPP. Une ordonnance pénale frappée d'opposition n'acquiert pas la qualité de jugement (ATF 142 IV 11 consid. 1.2.2), raison pour laquelle elle n'interrompt en particulier pas la prescription de l'action pénale (ATF 147 IV 274 consid. 1.3; 142 IV 11 consid. 1.2.2).
D'autre part, un jugement pénal de première instance est rendu à l'issue de débats contradictoires et d'une instruction en principe complète (cf. art. 349 CPP et 389 CPP
a contrario), alors que, contrairement à ce que semble penser SIMMLER (MONIKA SIMMLER, op. cit., p. 219 s.), l'ordonnance pénale contre laquelle une opposition a été formée ne marque pas l'issue de la procédure préliminaire. L'art. 355 al. 1 CPP prévoit en effet expressément qu'en cas d'opposition, le ministère public procède à l'administration des preuves nécessaires. En outre, une ordonnance pénale est rendue par une autorité de poursuite pénale, et non par un juge (cf. ATF 130 IV 90 consid. 3.2; 124 I 76 consid. 2; voir également ATF 133 IV 278 consid. 2.2.1; MARC THOMMEN, Der Staatsanwalt als Richter, 2025, pp. 33-35 et 81).
2.4.7. En conclusion, l'art. 69 al. 2 CPP, interprété à la lumière de l'art. 30 al. 3 Cst. et de l'art. 6 par. 1 CEDH, doit être compris en ce sens qu'il vise uniquement les ordonnances pénales entrées en force. Les ordonnances pénales qui ne sont pas en force, parce qu'une opposition peut encore y être formée ou y a été formée, sont soumises aux règles applicables à la consultation du dossier pénal et notamment à l'art. 101 CPP.
2.4.8. Dans ses déterminations du 25 juillet 2025, le Ministère public soulève la question de l'opposition tardive et des difficultés pratiques qu'une limitation du droit de consulter les ordonnances pénales engendrerait à cet égard.
Ces considérations pratiques sont importantes, en particulier au vu du rôle déterminant joué par les ordonnances pénales dans la mise en oeuvre du droit pénal suisse par les autorités pénales. Cela étant, les difficultés évoquées par le Ministère public ne sont pas rédhibitoires. En effet, il faut retenir que, sous réserve d'éléments concrets laissant penser que tel n'est pas le cas, le ministère public peut considérer qu'une ordonnance pénale est en force lorsqu'aucune opposition ne lui est parvenue au quatorzième jour qui suit le jour où son ordonnance pénale a été effectivement notifiée à toutes les parties disposant de la possibilité d'y faire opposition, ou au premier jour ouvrable qui suit. Il existe en effet une présomption de fait selon laquelle un courrier remis à la Poste suisse dans les horaires d'ouverture des bureaux postaux parvient à son destinataire au plus tard dans les délais de distribution prévus par celle-ci (en ce sens ATF 143 IV 228 consid. 4.7). En cas de dépôt à 23h59 le dernier jour du délai d'opposition de dix jours (cf. art. 354 CPP), une opposition devrait donc parvenir au ministère public au maximum trois jours plus tard. Si cette solution n'exclut pas que, dans de rares cas, une opposition puisse parvenir postérieurement au ministère public, par exemple parce qu'elle a été adressée à la mauvaise autorité ou que le délai pour former opposition a été restitué, un certain schématisme en matière de délais est indispensable à la sécurité du droit, comme le fait pertinemment valoir le Ministère public. En tout état de cause, la consultation d'une ordonnance pénale doit être refusée jusqu'à droit connu lorsque la question de l'existence d'une opposition valable est litigieuse.
2.5. Dans son arrêt du 28 juillet 2023, la Chambre pénale de recours a considéré que l'ordonnance pénale du 9 juin 2023 condamnant la recourante du chef de faux dans les titres pouvait être librement consultée par des tiers en conformité avec la Directive A.7 du procureur général genevois, sous réserve de démonstration d'un intérêt privé prépondérant au secret. Ce faisant, elle a appliqué l'art. 69 al. 2 CPP au lieu de l'art. 101 al. 3 CPP et considéré à tort qu'il revenait à la recourante de démontrer son intérêt au secret et non au tiers de démontrer son intérêt prépondérant à l'information. Le grief de violation de l'art. 69 al. 2 CPP se révèle ainsi fondé.
3.
En conclusion, le recours doit être admis dans la mesure où il est recevable (cf. consid. 1.4
supra) et l'arrêt entrepris réformé en ce sens qu'il est enjoint au Ministère public de ne pas donner accès aux tiers à toute ordonnance pénale non entrée en force rendue à l'endroit de A.________ dans la procédure P/427/2023, sauf sur la base d'une décision exécutoire rendue sur requête spécifique. La cause sera renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision sur les frais et indemnités de la procédure cantonale (cf. art. 67 et 68 al. 5 LTF ).
Il ne sera pas perçu de frais judiciaires pour la procédure fédérale (cf. art. 66 al. 1 et 4 LTF ). La recourante, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un mandataire professionnel, a droit à une indemnité de dépens (cf. art. 68 al. 1 LTF), laquelle sera mise à la charge du canton de Genève.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable. L'arrêt ACPR/595/2023 du 28 juillet 2023 de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève est réformé en ce sens qu'il est enjoint au Ministère public de ne pas donner accès aux tiers à toute ordonnance pénale non entrée en force rendue à l'endroit de A.________ dans la procédure P/427/2023, sauf sur la base d'une décision exécutoire rendue sur requête spécifique.
2.
La cause est renvoyée à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève pour nouvelle décision sur les frais et indemnités de la procédure cantonale.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Une indemnité de dépens, fixée à 2'500 fr., est allouée à la recourante, à la charge de la République et canton de Genève.
5.
Le présent arrêt est communiqué à la recourante, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 18 septembre 2025
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
Le Greffier : Hösli