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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
6B_415/2018  
 
 
Arrêt du 20 septembre 2018  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
M. et Mmes les Juges fédéraux Denys, Président, Jacquemoud-Rossari et Jametti. 
Greffier : M. Tinguely. 
 
Participants à la procédure 
X.________, 
représenté par Me Gérald Page, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
1. Ministère public de la République et canton de Genève, 
2. A.________, 
représenté par Me Daniel F. Schütz, avocat, 
intimés. 
 
Objet 
Tentative de contrainte; exemption de la peine, absence d'intérêt à punir, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision, du 22 février 2018 (P/12337/2015 AARP/56/2018). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Par jugement du 6 septembre 2017, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a condamné X.________ pour contrainte à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à 150 fr. le jour, avec sursis pendant 3 ans. 
 
B.   
Par arrêt du 22 février 2018, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève a partiellement admis l'appel formé contre le jugement du 6 septembre 2017. Elle l'a réformé en ce sens que X.________ était condamné pour tentative de contrainte à une peine pécuniaire de 45 jours-amende à 150 fr. le jour, avec sursis pendant 2 ans. 
En substance, la cour cantonale a retenu les faits suivants. 
 
B.a. La société B.________ SA est une entreprise de location de voitures dont le siège est à C.________ et dont X.________ est l'un des administrateurs disposant de la signature individuelle. A.________ était, pour sa part, jusqu'au 31 janvier 2015 l'un des employés de la société.  
Le 11 mars 2015, A.________ a mis son ancien employeur en demeure de se déterminer sur ses prétentions en paiement d'un montant de 82'276 fr. correspondant à la rémunération d'heures supplémentaires et à une indemnité pour licenciement abusif. Par courrier du 21 avril 2015, adressé par télécopie au conseil de A.________, le conseil de B.________ SA, sur instructions de X.________, a opposé une fin de non-recevoir aux prétentions de son employé, ajoutant ce qui suit : 
Cela étant, ma mandante vient d'être rendue attentive à la manière (grossière), dont votre client utilisait le garage de B.________ SA et ses véhicules. Je vous suggère la consultation de [ndr. : suit une référence YouTube]. 
 
Ma mandante est prête à en rester là si vous confirmez, d'ici à 48 heures, que votre client renonce à toutes autres prétentions. 
 
A défaut, elle agira par toutes voies de droit, au civil comme au pénal, et à l'encontre de tous les protagonistes impliqués, sans autre avis ou mise en demeure préalable.   
 
B.________ SA faisait alors allusion au fait que A.________ avait, au cours de son emploi, accepté qu'un soir, aux environs de 22 heures, des jeunes habitants de son quartier tournent un clip musical dans le garage de son employeur, où étaient stationnés les véhicules de luxe de l'entreprise. 
 
B.b. Le 24 juin 2015, B.________ SA, sous la signature de X.________, a déposé une plainte pénale pour violation de domicile et vol d'usage. Outre A.________, elle visait également D.________, E.________ et F.________, qui avaient été reconnus comme apparaissant dans le clip musical.  
La plainte a fait l'objet d'une ordonnance de non-entrée en matière rendue par le Ministère public de la République et canton de Genève, qui a retenu, en ce qui concernait A.________, que l'infraction de violation de domicile n'était pas réalisée tandis que celle de vol d'usage l'était, mais que sa culpabilité et les conséquences de ses actes avaient été manifestement peu importantes au sens de l'art. 52 CP. B.________ SA a vainement contesté l'ordonnance de non-entrée en matière à la Chambre pénale des recours, puis au Tribunal fédéral (cf. arrêt 6B_940/2016 du 6 juillet 2017). 
 
B.c. Le 16 novembre 2015, A.________ a déposé plainte contre X.________ du chef de tentative de contrainte.  
 
C.   
Contre cet arrêt, X.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Il conclut, avec suite de frais et dépens, principalement à son acquittement. Subsidiairement, il conclut à une exemption de peine et, plus subsidiairement, à une réduction de la peine et de la durée de la mise à l'épreuve. 
Le ministère public ainsi que A.________ se sont déterminés sur le recours en concluant à son rejet, tandis que la Chambre pénale d'appel et de révision a indiqué qu'elle n'avait pas d'observations à formuler. X.________ a pour sa part présenté des observations complémentaires. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Le recourant débute son mémoire par un rappel des faits retenus par la cour cantonale auxquels il entend ajouter des " compléments ". Il ne cherche toutefois pas à démontrer, dans cette première partie, que les faits auraient été établis de manière arbitraire (art. 106 al. 2 LTF; ATF 142 III 364 consid. 2.4 p. 368). Une telle démarche, appellatoire, est irrecevable dans le recours en matière pénale (ATF 142 III 364 consid. 2.4 p. 368 et les références citées).  
 
1.2. Dans ses déterminations au Tribunal fédéral, l'intimé conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt entrepris et à la condamnation du recourant pour contrainte. Cependant, dès lors que la Loi sur le Tribunal fédéral ne connaît pas l'institution du recours joint, l'intimé n'est pas autorisé à proposer, au stade des déterminations (art. 102 al. 1 LTF), de modifications de la décision attaquée de plus grande ampleur ou différentes de celles réclamées par la partie recourante (ATF 136 II 508 consid. 1.3 p. 512; BERNARD CORBOZ, in Commentaire de la LTF, 2014, n° 29 et 33 ad art. 102 LTF). Les conclusions prises par l'intimé sont en conséquence irrecevables.  
 
2.   
Le recourant invoque une violation de l'art. 181 CP
 
2.1.  
 
2.1.1. Se rend coupable de contrainte selon l'art. 181 CP celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte.  
 
2.1.2. Alors que la violence consiste dans l'emploi d'une force physique d'une certaine intensité à l'encontre de la victime (ATF 101 IV 42 consid. 3a), la menace est un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l'auteur, sans toutefois qu'il soit nécessaire que cette dépendance soit effective (ATF 117 IV 445 consid. 2b; 106 IV 125 consid. 2a) ni que l'auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace (ATF 105 IV 120 consid. 2a). La loi exige un dommage sérieux, c'est-à-dire que la perspective de l'inconvénient présenté comme dépendant de la volonté de l'auteur soit propre à entraver le destinataire dans sa liberté de décision ou d'action (ATF 120 IV 17 consid. 2a/aa p. 19). La question doit être tranchée en fonction de critères objectifs, en se plaçant du point de vue d'une personne de sensibilité moyenne (ATF 122 IV 322 consid. 1a p. 325; 120 IV 17 consid. 2a/aa p. 19).  
 
Il peut également y avoir contrainte lorsque l'auteur entrave sa victime " de quelque autre manière " dans sa liberté d'action. Cette formule générale doit être interprétée de manière restrictive. N'importe quelle pression de peu d'importance ne suffit pas. Il faut que le moyen de contrainte utilisé soit, comme pour la violence ou la menace d'un dommage sérieux, propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l'entraver d'une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d'action. Il s'agit donc de moyens de contrainte qui, par leur intensité et leur effet, sont analogues à ceux qui sont cités expressément par la loi (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 p. 440 s.; ATF 137 IV 326 consid. 3.3.1 p. 328). 
 
2.1.3. Selon la jurisprudence, la contrainte n'est contraire au droit que si elle est illicite (ATF 120 IV 17 consid. 2a p. 19 et les arrêts cités), soit parce que le moyen utilisé ou le but poursuivi est illicite, soit parce que le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu'un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux moeurs (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 p. 440; ATF 137 IV 326 consid. 3.3.1 p. 328; 120 IV 17 consid. 2a/bb p. 20). Ainsi, menacer d'une plainte pénale pour une infraction que rien ne permet sérieusement de soupçonner est un moyen en soi inadmissible (ATF 120 IV 17 consid. 2a/bb p. 20 s.). En revanche, réclamer le paiement d'une créance ou menacer de déposer une plainte pénale (lorsque l'on est victime d'une infraction) constituent en principe des actes licites; ils ne le sont plus lorsque le moyen utilisé n'est pas dans un rapport raisonnable avec le but visé et constitue un moyen de pression abusif, notamment lorsque l'objet de la plainte pénale est sans rapport avec la prestation demandée ou si la menace doit permettre d'obtenir un avantage indu (arrêt 6B_124/2017 du 27 octobre 2017 consid. 2.1; ATF 120 IV 17 consid. 2a/bb p. 20 et les arrêts cités; au sujet de la contrainte susceptible d'être réalisée par un commandement de payer, cf. arrêts 6B_1188/2017 du 5 juin 2018 consid. 3.1; 6B_153/2017 du 28 novembre 2017 consid. 3.1).  
 
2.1.4. Sur le plan subjectif, il faut que l'auteur ait agi intentionnellement, c'est-à-dire qu'il ait voulu contraindre la victime à adopter le comportement visé en étant conscient de l'illicéité de son comportement; le dol éventuel suffit (ATF 120 IV 17 consid. 2c p. 22).  
 
2.1.5. Lorsque la victime ne se laisse pas intimider et n'adopte pas le comportement voulu par l'auteur, ce dernier est punissable de tentative de contrainte (art. 22 al. 1 CP; ATF 129 IV 262 consid. 2.7 p. 270; ATF 106 IV 125 consid. 2b p. 12).  
 
2.2. La cour cantonale a estimé que le recourant avait menacé l'intimé d'un dommage sérieux, en l'occurrence le dépôt d'une plainte pénale à son encontre ainsi que contre des connaissances, afin d'obtenir de lui un avantage indu consistant en la renonciation à faire valoir contre son ancien employeur les prétentions découlant du droit du travail que celui-ci articulait.  
 
2.3. On recherche en vain dans l'arrêt attaqué toute explication quant à l'élément subjectif de l'infraction. Il n'est toutefois pas nécessaire d'examiner cette question plus avant, dès lors que, comme il sera exposé ci-dessous, le caractère illicite de la contrainte fait défaut.  
 
2.4. Il ressort de l'arrêt entrepris que le recourant avait des raisons légitimes de tenir l'intimé pour responsable du tournage non autorisé d'un clip musical dans les locaux de l'entreprise et de l'utilisation, à cette occasion, de véhicules de luxe appartenant à la société. Le recourant avait pu en effet relever l'existence de cette vidéo, celle-ci ayant été diffusée en libre accès sur internet, et avait pu constater que des connaissances de l'intimé y apparaissaient (cf. arrêt entrepris, p. 5). Il n'était ainsi pas exclu que la plainte envisagée aboutisse à une condamnation pénale de l'intimé, ni que la société puisse faire valoir des prétentions civiles dans le cadre de cette procédure pénale. Dans ce contexte, l'évocation de la possibilité du dépôt d'une plainte pénale traduit une démarche licite. Peu importe à cet égard que le ministère public ait estimé par la suite qu'il ne se justifiait pas d'entrer en matière sur la plainte au motif que les conséquences des actes de l'intimé étaient finalement peu importantes et qu'elles justifiaient, au regard de l'art. 52 CP, une renonciation à le poursuivre.  
Il n'apparaît pas qu'en tentant, dans le cadre de pourparlers, d'éviter à sa société les tracas d'une procédure judiciaire, le recourant a pour autant cherché à obtenir un avantage indu. En effet, le courrier litigieux a été adressé par l'avocat de B.________ SA à celui de l'intimé après que le second avait invité le premier à se déterminer sur les prétentions de l'intimé tendant au paiement de 1710 heures supplémentaires et d'une indemnité pour licenciement abusif (cf. arrêt entrepris, p. 2). L'évocation d'une possible plainte pénale intervenait ainsi dans un contexte de négociations extrajudiciaires, lors desquelles habituellement les parties à un litige exposent leurs prétentions et tentent de dissuader l'autre à faire valoir les siennes, au besoin en subordonnant l'introduction ou la poursuite d'une action judiciaire au renoncement de l'autre partie. Les protagonistes étant représentés par des mandataires professionnels, ils étaient en mesure d'évaluer les risques inhérents aux démarches judiciaires évoquées par chacun d'eux. Ils ne pouvaient notamment pas ignorer qu'il demeurait loisible à l'intimé de faire valoir les prétentions découlant de son contrat de travail même si une procédure pénale devait par la suite être introduite à son encontre. 
On ne saurait retenir que l'objet de la plainte annoncée dans le courrier litigieux était sans rapport avec les prétentions de l'intimé. L'infraction reprochée à l'intimé avait en effet été commise sur son lieu de travail et aurait donc éventuellement pu justifier son licenciement pour justes motifs. 
Il s'ensuit qu'en l'espèce, la menace de déposer une plainte pénale contenue dans le courrier du 21 avril 2015 ne constitue pas un moyen de pression abusif et reste dans un rapport raisonnable avec le but visé, de sorte qu'elle n'apparaît pas non plus illicite sous cet angle. 
Il est enfin sans pertinence que la plainte envisagée visait non seulement l'intimé mais également les connaissances de ce dernier qui apparaissaient dans le clip musical. Le principe d'indivisibilité de la plainte (art. 32 CP) avait en effet pour conséquence que tous les participants à l'infraction dénoncée devaient être poursuivis (cf. ATF 143 IV 104 consid. 5.1 p. 111 s.). Quant au bref délai de 48 heures imparti à l'intimé, le recourant l'a expliqué par sa volonté de préserver le court délai dont la société disposait pour un éventuel licenciement pour justes motifs (cf. ATF 130 III 28 consid. 4.4 p. 34; cf. arrêt entrepris, p. 5). Le fait qu'elle y ait finalement renoncé ne saurait exclure que cette option avait été envisagée au moment de la rédaction du courrier litigieux. 
 
2.5. Le bien-fondé du grief conduit à l'admission du recours. L'arrêt attaqué doit être annulé et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Ce qui précède rend sans objet les autres griefs soulevés par le recourant.  
 
3.   
Le recourant qui obtient gain de cause ne supportera pas de frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et pourra prétendre à une indemnité de dépens à la charge, pour moitié chacun, du canton de Genève et de l'intimé (art. 68 al. 1 et 2 LTF). Une partie des frais judiciaires est mise à la charge de l'intimé, qui succombe, le canton de Genève n'ayant pas à en supporter (art. 66 al. 1 et 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision. 
 
2.   
Une partie des frais judiciaires, arrêtée à 1000 fr., est mise à la charge de l'intimé. 
 
3.   
Une indemnité de 3000 fr., à verser au recourant à titre de dépens, est mise pour moitié à la charge du canton de Genève et pour moitié à la charge de l'intimé. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision. 
 
 
Lausanne, le 20 septembre 2018 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Denys 
 
Le Greffier : Tinguely