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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
2D_41/2019  
 
 
Arrêt du 21 avril 2020  
 
IIe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Seiler, Président, 
Donzallaz et Beusch. 
Greffier: M. Tissot-Daguette. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Me Mohamed Mardam Bey, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Etat de Genève, représenté par la Centrale Commune d'Achats. 
 
Objet 
Marchés publics, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 30 juillet 2019 (ATA/1191/2019). 
 
 
Faits :  
 
A.   
Le 16 février 2016, par publication dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève et sur un site Internet dédié, la Centrale Commune d'Achats de l'Etat de Genève (ci-après: la centrale d'achats) a lancé un appel d'offres pour l'acquisition de mobilier administratif. Le marché était divisé en trois lots, le premier concernait du mobilier administratif à proprement parler (notamment des bureaux et des tables de conférence), le deuxième des armoires métalliques et le troisième des bureaux "assis-debout". Les articles d'un même lot devaient être issus de la même gamme et les meubles devaient être stratifiés ou mélaminés. Selon les exigences écologiques prévues dans le cahier des charges, les meubles précités devaient porter le label "  Forest Stewardship Council " (ci-après: FSC) recyclé ou 100%.  
La société A.________ SA, dont le siège se trouve dans le canton de Genève, a déposé une offre pour les trois lots le 22 mars 2016. Dix autres soumissionnaires en ont fait de même dans le délai prévu par l'appel d'offres. 
 
B.   
Par décision du 27 avril 2016, la centrale d'achats a écarté l'offre de la société A.________ SA, faute pour cette offre d'avoir répondu aux exigences impératives du cahier des charges. La société avait proposé un label FSC Mix pour les lots n° 1 et n° 3. Pour le lot n° 2, la largeur de l'armoire proposée ne respectait pas l'exigence requise. Seules deux offres ont finalement été retenues par la centrale d'achats, notamment celle de la société B.________ SA, dont le siège se trouve également à Genève. 
Le 9 mai 2016, la société A.________ SA a recouru contre la décision du 27 avril 2016 auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice), en concluant à la restitution de l'effet suspensif à son recours, à l'annulation de la décision précitée en tant que celle-ci l'excluait de la procédure d'adjudication des lots n° 1 et n° 3 et à sa réintégration dans la procédure d'adjudication. Elle a requis diverses mesures d'instruction. Dans une décision incidente du 5 juillet 2016, la Cour de justice a refusé de restituer l'effet suspensif au recours. Le 21 juillet 2016, la centrale d'achats a adjugé le marché pour les lots n° 1 et n° 2 à la société B.________ SA et n'a pas adjugé le marché pour le lot n° 3, faute d'offre conforme. La société A.________ SA a persisté dans ses conclusions le 9 août 2016. Le 15 décembre 2016, à la suite d'une audience d'instruction intervenue le 10 octobre 2016, la centrale d'achats a informé la Cour de justice que le contrat avait été signé avec l'adjudicataire. Par arrêt du 25 avril 2017, la Cour de justice a rejeté le recours de la société A.________ SA, retenant en particulier que cette société n'était pas fondée à se plaindre de la poursuite de la procédure d'adjudication et de l'attribution du marché à un concurrent en raison de son exclusion du marché en cause. La société A.________ SA a saisi le Tribunal fédéral le 6 juin 2017, qui, par arrêt du 14 mai 2018, a admis le recours (arrêt 2D_24/2017), jugeant que la Cour de justice avait commis un déni de justice formel, ainsi qu'une violation du droit d'être entendue de la société. 
La Cour de justice a procédé a diverses mesures d'instruction, récoltant notamment plusieurs certificats FSC, factures et bulletins de livraison auprès de la société B.________ SA. Elle a également procédé à l'audition des parties et de témoins, c'est-à-dire de la société intéressée et de la centrale d'achats, ainsi que de deux membres de la société adjudicataire. Par arrêt du 30 juillet 2019, elle a rejeté le recours. 
 
C.   
Agissant par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, la société A.________ SA demande en substance au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt de la Cour de justice du 30 juillet 2019, de constater le caractère illicite de l'adjudication du 21 juillet 2016 et de renvoyer la cause à l'autorité précédente pour décision sur la réparation du dommage. 
La Cour de justice persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. La centrale d'achats conclut au rejet du recours. Dans des observations postérieures, la société A.________ SA et la centrale d'achats ont encore confirmé leurs conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. La présente cause relève du droit public (art. 82 let. a LTF). Dans le domaine des marchés publics, un recours en matière de droit public n'est recevable, en vertu de l'art. 83 let. f LTF, qu'à la double condition que la valeur du mandat à attribuer soit supérieure ou égale aux seuils déterminants prévus à cet effet et que la décision attaquée soulève une question juridique de principe (ATF 141 II 113 consid. 1.2 p. 116 s. et les références). Il incombe à la partie recourante de démontrer la réalisation de ces deux conditions (cf. art. 42 al. 2 LTF; ATF 141 II 113 consid. 1.2 p. 117 et les références), qui sont cumulatives (ATF 144 II 184 consid. 1.2 p. 187). Dès lors que la recourante indique à juste titre que l'arrêt entrepris ne soulève pas de question juridique de principe, c'est à bon droit qu'elle a interjeté un recours constitutionnel subsidiaire (cf. arrêt 2D_21/2018 du 19 février 2019 consid. 1.2).  
 
1.2. La recourante, qui a pris part à la procédure devant l'autorité précédente (art. 115 let. a LTF), dispose de la qualité pour recourir, dans la mesure où elle a un intérêt juridique à l'annulation ou la modification de l'arrêt entrepris (art. 115 let. b LTF). Outre qu'elle conserve le droit d'obtenir un jugement en constatation du caractère illicite de l'adjudication qui ouvre la voie de l'action en dommages-intérêts, la recourante disposait d'une réelle chance au fond d'obtenir l'adjudication (cf. arrêt 2D_24/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.2). En effet, le soumissionnaire évincé qui discute la qualification ou le classement de ses devanciers a qualité pour recourir, lorsque, comme en l'espèce, il réclame un nouvel appel d'offres après invalidation de l'ensemble de la procédure, ce qui lui ouvre la possibilité de présenter éventuellement une nouvelle offre (ATF 141 II 14 consid. 4.6 p. 31 et les références; arrêt 2D_24/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.2.1).  
 
1.3. Pour le surplus, le recours est dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF par renvoi de l'art. 117 LTF). Il a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF par renvoi de l'art. 117 LTF) et dans les formes prescrites (art. 42 LTF). Il est par conséquent recevable.  
 
2.   
Dans un grief d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier lieu (ATF 132 V 387 consid. 5.1 p. 390), la recourante, citant l'art. 29 al. 2 Cst., se plaint d'une violation de son droit d'être entendue. Selon elle, les juges cantonaux, pour rendre l'arrêt entrepris, se sont fondés sur un document dont elle n'a pas eu connaissance et sur lequel elle n'a pas pu se déterminer. 
 
2.1. Garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 p. 226 et les références). Il permet notamment à une partie d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3 p. 222 s. et les références).  
 
2.2. En l'occurrence, la recourante soutient que, pour notamment démontrer le respect du label FSC par la société adjudicataire, l'autorité précédente s'est fondée sur un document édité sur Internet par l'association FSC. La recourante, qui affirme que ce document ne se trouvait pas au dossier de la cause et ainsi n'avoir jamais pu le consulter avant que l'arrêt entrepris soit rendu, estime que la Cour de justice a commis une violation de son droit d'être entendue.  
 
2.3. Comme l'a relevé elle-même l'autorité précédente, la cause porte en définitive sur le point de savoir si les meubles proposés par l'adjudicataire pour le lot n° 1 sont conformes au label FSC recyclé. La Cour de justice a constaté que la société B.________ SA avait produit des meubles qui n'étaient eux-mêmes pas certifiés, mais fabriqués à partir de panneaux en bois portant le label FSC 100% recyclé et figurant sur la facture de cette société, ainsi que sur le bulletin de livraison de la société les ayant produits, comme panneaux finis "  FSC Mix 99% Recycled Wood ". Selon les explications du producteur certifié FSC, reprises par l'autorité précédente, l'allégation "  FSC Mix 99% Recycled Wood " a été faite en raison de la mélamine apposée sur les panneaux finis, les panneaux bruts portant pour leur part l'allégation FSC 100% recyclé. Pour expliquer que cette appellation "  FSC Mix 99% Recycled Wood " était conforme au cahier des charges, l'autorité précédente s'est fondée sur les déclarations d'un représentant de la société adjudicataire, entendu lors d'une audience d'instruction, et sur un document produit par l'association FSC, qui figure sur le site Internet de cette dernière. Selon ce document, dont la teneur est reprise dans l'arrêt entrepris, "l'impression, l'application de peinture et les autres types de finitions ne sont pas en outre considérés comme des critères renseignant sur les caractéristiques du produit". Continuant de citer ledit document, la Cour de justice a encore relevé que "l'allégation "FSC Mix 99 % Recycled Wood" figurant sur les documents commerciaux précités ne suffit ainsi pas, à elle seule, pour retenir que [l'adjudicataire] aurait usurpé le label FSC, un transfert entre des intrants portant une allégation FSC mixte % et ceux portant une allégation FSC recyclé x % aboutissant à une allégation FSC autorisée pour les extrants".  
Il ne ressort pas de l'arrêt entrepris que le document de l'association FSC, qui se trouve sur le site Internet de celle-ci, ait été communiqué à la recourante par la Cour de justice. Cette autorité, dans ses déterminations au Tribunal fédéral n'a pas pris position sur ce point, se limitant à persister dans les considérants et le dispositif de son arrêt. 
 
2.4. En premier lieu, il convient de rappeler que les faits notoires, sont des faits qu'il n'est pas nécessaire d'alléguer ni de prouver et dont l'existence est certaine au point d'emporter la conviction du juge, qu'il s'agisse de faits connus de manière générale du public ou seulement du juge. Pour être notoire, un renseignement ne doit pas être constamment présent à l'esprit; il suffit qu'il puisse être contrôlé par des publications accessibles à chacun, à l'instar par exemple des indications figurant au registre du commerce accessibles sur Internet (ATF 143 IV 380 consid. 1.1.1 p. 383 et les références). Le Tribunal fédéral a néanmoins jugé qu'il y avait lieu de retenir, en ce qui concerne Internet, que seules les informations bénéficiant d'une empreinte officielle (par exemple l'Office fédéral de la statistique, les inscriptions au registre du commerce, les cours de change ou l'horaire de train des Chemins de fer fédéraux) pouvaient être considérées comme notoires, car facilement accessibles et provenant de sources non controversées (ATF 143 IV 380 consid. 1.2 p. 385).  
Sur le vu de la jurisprudence qui précède, force est de constater que le document sur lequel la Cour de justice s'est fondée pour motiver son arrêt, qui constitue un élément de fait, ne consiste en revanche pas en un fait notoire, dont la connaissance pouvait être attendue de la recourante. Or, il est patent que ce document, même s'il ne constituait pas l'unique fondement de la motivation de l'autorité précédente, a sans conteste influé sur le fond de la cause. Partant, le document de l'association FSC aurait dû être communiqué à la recourante et celle-ci aurait dû avoir la possibilité de se déterminer à son propos. En ne procédant pas de la sorte, l'autorité précédente a commis une violation du droit d'être entendu. Ce vice ne peut au demeurant pas être réparé devant le Tribunal fédéral (cf. ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 p. 226 et les références). Compte tenu de la nature formelle de cette garantie procédurale, sa violation entraîne l'annulation de l'arrêt attaqué sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (cf. consid. 2.1 ci-dessus). Il n'est donc pas nécessaire d'examiner les autres griefs de la recourante. 
 
3.   
Les considérants qui précèdent conduisent à l'admission du recours et à l'annulation de l'arrêt attaqué. La cause est renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision au sens des considérants. Les frais judiciaires sont mis à la charge de la République et canton de Genève, dont l'intérêt patrimonial est en cause (art. 66 al. 1 et 4 LTF). La République et canton de Genève doit en outre verser à la recourante une indemnité à titre de dépens (cf. art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est admis et l'arrêt rendu le 30 juillet 2019 par la Cour de justice est annulé. La cause est renvoyée à cette autorité pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'500 fr., sont mis à la charge de la République et canton de Genève. 
 
3.   
La République et canton de Genève versera la somme de 2'500 fr. à la recourante à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, à la Centrale Commune d'Achats et à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 21 avril 2020 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Seiler 
 
Le Greffier : Tissot-Daguette