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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_393/2022  
 
 
Arrêt du 31 mars 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix, Haag, Müller et Merz. 
Greffière : Mme Tornay Schaller. 
 
Participants à la procédure 
1. Parti Les VERT.E.S Fribourg, 
2. Parti socialiste fribourgeois, 
3. Maxime Rotzetter, 
4. Jérémie Stöckli, 
5. Thomas Gremaud, 
tous représentés par Mes Arnaud Nussbaumer et Fabio Burgener, avocats, 
recourants, 
 
contre  
 
Grand Conseil de l'Etat de Fribourg, 
place de l'Hôtel-de-Ville 2, 1701 Fribourg. 
 
Objet 
Initiative constitutionnelle "Pour la gratuité des transports publics", 
 
recours contre le décret du Grand Conseil de l'Etat de Fribourg du 20 mai 2022 (ROF 2022_056). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par acte publié dans la Feuille officielle du canton de Fribourg du 5 février 2021, la Chancellerie d'Etat du canton de Fribourg a constaté l'aboutissement de l'initiative populaire cantonale intitulée "Pour la gratuité des transports publics". Cette initiative constitutionnelle rédigée vise à introduire un alinéa 4 à l'art. 78 de la constitution du canton de Fribourg du 16 mai 2004 (Cst./FR; RS 131.219), dont la teneur est la suivante: 
Art. 78 al. 4 (nouveau) Gratuité des transports publics 
4Afin de favoriser l'utilisation des transports publics, l'Etat garantit des transports publics gratuits, de qualité et respectueux de l'environnement. Les prestations offertes par les transports publics sont adaptées à l'évolution de la fréquentation. La mesure est financée par l'impôt général.  
 
B.  
Dans son Message du 17 août 2021 au Grand Conseil du canton de Fribourg, le Conseil d'Etat du canton de Fribourg a considéré que l'initiative litigieuse était contraire au droit supérieur (violation de l'art. 81a al. 2 Cst.). Il a conclu à la nullité de l'initiative. 
Par décret du 20 mai 2022, le Grand Conseil a constaté la nullité de l'initiative précitée. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, le parti politique Les Vert.e.s Fribourg et le Parti socialiste fribourgeois ainsi que Maxime Rotzetter, Jérémie Stöckli et Thomas Gremaud demandent principalement au Tribunal fédéral d'annuler le décret du 20 mai 2022 et de constater la validité de l'initiative susmentionnée. Ils concluent subsidiairement au renvoi de la cause au Grand Conseil pour nouvelle décision. 
Invité à se déterminer, le Grand Conseil conclut au rejet du recours. Il explique s'être fondé sur l'avis de droit du Prof. Felix Uhlmann et de Jasmina Bukovac ainsi que sur celui du Prof. em. Peter Hänni. Les recourants ont renoncé à répliquer, par courrier du 28 octobre 2022. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Selon l'art. 82 let. c LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours qui concernent le droit de vote des citoyens ainsi que les élections et votations populaires. 
 
1.1. Cette disposition permet de recourir contre l'ensemble des actes affectant les droits politiques (cf. Message concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 2001 4118). Le recours en matière de droits politiques permet en particulier au citoyen de se plaindre de ce qu'une initiative populaire a été indûment soustraite au scrutin populaire, parce qu'elle a été déclarée totalement ou partiellement invalide par l'autorité cantonale chargée de cet examen (ATF 128 I 190 consid. 1.1; cf. ATF 134 I 172 consid. 1). Selon l'art. 43 Cst./FR, le Grand Conseil invalide entièrement ou partiellement les initiatives populaires si elles violent le droit supérieur, ne respectent pas l'unité de la forme ou de la matière ou sont inexécutables. Cela ouvre à ce stade la voie du recours pour violation des droits politiques.  
 
1.2. La qualité pour recourir dans le domaine des droits politiques appartient à toute personne disposant du droit de vote dans l'affaire en cause (art. 89 al. 3 LTF), même si elle n'a aucun intérêt juridique personnel à l'annulation de l'acte attaqué (ATF 138 I 171 consid. 1.3). La qualité pour agir des recourants, citoyens fribourgeois et membres du comité d'initiative, est ainsi indiscutable. Elle peut aussi être reconnue au parti Les Vert.e.s Fribourg et au Parti socialiste fribourgeois, en tant que partis politiques à l'origine de l'initiative litigieuse (ATF 134 I 172 consid. 1.3.1).  
 
1.3. Les autres conditions de recevabilité sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.  
 
2.  
Les recourants reprochent au Grand Conseil fribourgeois d'avoir invalidé l'initiative litigieuse en considérant à tort qu'elle n'était pas conforme au droit supérieur. 
 
2.1. D'une manière générale, une initiative populaire cantonale, quelle que soit sa formulation, doit respecter les conditions matérielles qui lui sont imposées. Elle ne doit, en particulier, rien contenir de contraire au droit supérieur, qu'il soit cantonal, intercantonal, fédéral ou international (art. 43 Cst./FR). En vertu du principe de la force dérogatoire du droit fédéral ancré à l'art. 49 al. 1 Cst., les cantons ne sont pas autorisés à légiférer dans les matières exhaustivement réglementées par le droit fédéral. Dans les autres domaines, ils peuvent édicter des règles de droit, pour autant qu'elles ne violent ni le sens ni l'esprit du droit fédéral et qu'elles n'en compromettent pas la réalisation (ATF 143 I 129 consid. 2.1 et les arrêts cités).  
 
2.2. Pour examiner la validité matérielle d'une initiative, la première règle d'interprétation est de prendre pour point de départ le texte de l'initiative, qu'il faut interpréter selon sa lettre et non pas selon la volonté des initiants. Une éventuelle motivation de l'initiative et les prises de position de ses auteurs peuvent être prises en considération. Bien que l'interprétation repose en principe sur le libellé, une référence à la motivation de l'initiative n'est pas exclue si elle est indispensable à sa compréhension. La volonté des auteurs doit être prise en compte, à tout le moins, dans la mesure où elle délimite le cadre de l'interprétation de leur texte et du sens que les signataires ont pu raisonnablement lui attribuer (ATF 147 I 183 consid. 6.2; 143 I 129 consid. 2.2 et les arrêts cités).  
Lorsque, à l'aide des méthodes reconnues, le texte d'une initiative se prête à une interprétation la faisant apparaître comme conforme au droit supérieur, elle doit être déclarée valable et être soumise au peuple. L'interprétation conforme doit ainsi permettre d'éviter autant que possible les déclarations d'invalidité. Tel est le sens de l'adage "in dubio pro populo", selon lequel un texte n'ayant pas un sens univoque doit être interprété de manière à favoriser l'expression du vote populaire. Cela découle également du principe de la proportionnalité (art. 34 et 36 al. 2 et 3 Cst.), selon lequel une intervention étatique doit porter l'atteinte la plus restreinte possible aux droits des citoyens. Les décisions d'invalidation doivent autant que possible être limitées, en retenant la solution la plus favorable aux initiants (cf. ATF 147 I 183 consid. 6.2; 143 I 129 consid. 2.2). 
Cela étant, la marge d'appréciation de l'autorité de contrôle est évidemment plus grande lorsqu'elle examine une initiative non formulée que lorsqu'elle se trouve en présence d'une initiative rédigée de toutes pièces, sous la forme d'un acte normatif. Cependant lorsque, de par son but même ou les moyens mis en oeuvre, le projet contenu dans une telle initiative ne pourrait être reconnu conforme au droit supérieur que moyennant l'adjonction de réserves ou de conditions qui en modifient profondément la nature, une telle interprétation entre en conflit avec le respect, fondamental, de la volonté des signataires de l'initiative et du peuple appelé à s'exprimer; la volonté de ce dernier ne doit pas être faussée par la présentation d'un projet qui, comme tel, ne serait pas constitutionnellement réalisable (ATF 143 I 129 consid. 2.2 et les arrêts cités). 
 
3.  
En l'espèce, la question soumise au Tribunal fédéral est celle de savoir si l'initiative litigieuse est conforme au droit supérieur. Plus précisément, il s'agit d'examiner si l'art. 81a al. 2 Cst. interdit d'introduire dans le canton de Fribourg la gratuité des transports publics, telle qu'elle est prévue dans l'initiative cantonale. Pour répondre à cette question, il faut procéder à une interprétation de la disposition constitutionnelle fédérale. 
 
3.1. A teneur de l'art. 81a al. 1 Cst., la Confédération et les cantons veillent à ce qu'une offre suffisante de transports publics par rail, route, voie navigable et installations à câbles soit proposée dans toutes les régions du pays. Ce faisant, ils tiennent compte de manière appropriée du fret ferroviaire. L'alinéa 2 prévoit que les prix payés par les usagers des transports publics couvrent une part appropriée des coûts. Cette disposition constitutionnelle a été acceptée le 9 février 2014 par le peuple (62% de oui) et par tous les cantons et demi-cantons sauf un (FF 2014 3957). Elle était le fruit de l'arrêté fédéral portant règlement du financement et de l'aménagement de l'infrastructure ferroviaire (FF 2013 4191) et a été adoptée, au Conseil national, par 116 voix contre 33 (5 abstentions) et, au Conseil des Etats, par 37 voix contre 0 (explications du Conseil fédéral relatives à la votation du 9 février 2014, p. 4).  
Selon la jurisprudence et la doctrine, l'interprétation d'une norme constitutionnelle suit en règle générale les principes développés en matière d'interprétation de la loi (ATF 143 I 272 consid. 2.2.3; 128 I 327 consid. 2.2; Jean-François Aubert, Traité de droit constitutionnel suisse, vol. I, 1967, n° 291; Malinverni/Hottelier/Hertig Randall/Flückiger, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 4 e éd. 2021, n° 1506; Giovanni Biaggini, Verfassungsauslegung, in: Diggelmann/Hertig Randall/Schindler, Verfassungsrecht der Schweiz/Droit constitutionnel suisse, vol. I, 2020, p. 235 ss n° 4; Häfelin/Haller/Keller/Thurnherr, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 10 e éd. 2020, n° 75). Des particularités propres aux normes de niveau constitutionnel doivent cependant être prises en compte: il en va en particulier du caractère largement abstrait de telles normes qui fixent souvent des principes et ne comportent qu'une faible densité normative. Dans ce contexte, tant que le constituant n'a pas accordé à certaines normes un caractère prépondérant par rapport à d'autres, il faut - pour les interpréter les unes avec les autres - partir du principe qu'elles sont toutes de rang égal (ATF 139 I 16 consid. 4.2.1). L'interprétation doit tendre à une concordance de l'ensemble des normes constitutionnelles, ce que le Tribunal fédéral a qualifié d'interprétation "harmonisante" ("harmonisierende Auslegung": ATF 145 IV 364 consid. 3.3; Biaggini, op. cit., n° 31; Malinverni/ Hottelier/ Hertig Randall/Flückiger, op. cit., n° 1520). Dès lors, le simple fait qu'une disposition constitutionnelle soit plus récente qu'une autre n'implique pas nécessairement qu'elle prévale sur des normes plus anciennes; une interprétation qui reposerait sur un examen isolé et ponctuel de la disposition en cause n'a pas lieu d'être (ATF 139 I 16 consid. 4.2.1 et 4.2.2).  
Sous réserve de ce qui précède, la constitution s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique; ATF 144 V 313 consid. 6.1; 142 IV 389 consid. 4.3.1). 
 
3.2. Il convient en l'occurrence de procéder à une interprétation littérale, historique, téléologique et systématique de la norme constitutionnelle.  
 
3.2.1. Selon une interprétation littérale de l'art. 81a al. 2 Cst., cette disposition exige qu'une part appropriée des coûts des transports publics soit couverte par les prix payés par les usagers. Cette part appropriée ne peut pas être nulle. En ce sens, l'art. 78 al. 4 Cst./FR projeté qui prévoit la gratuité des transports publics pour tous n'est pas conforme à l'art. 81a al. 2 Cst.  
Les recourants ne contestent d'ailleurs pas qu'une telle interprétation conduit à la non-conformité au droit supérieur de l'initiative en question. 
 
3.2.2. Une interprétation historique de l'art. 81a al. 2 Cst. comprend l'examen du Message du Conseil fédéral ayant proposé son adoption. Il en ressort que "l'al. 2 rend compte de la conclusion selon laquelle la mobilité ne doit pas être trop bon marché, sans quoi la demande augmente de manière effrénée et induit des coûts d'investissement et des coûts subséquents de plus en plus élevés, qui pourraient finir par étouffer le système. La participation des utilisateurs du système est donc appelée à jouer un rôle croissant. Pour éviter un transfert inverse du rail à la route et ne pas compromettre les effets souhaités et obtenus jusqu'ici - c.-à-d. le transfert route-rail des voyageurs -, il faut renoncer à reporter la totalité des coûts sur les utilisateurs. C'est pourquoi on a préféré la formulation «les prix payés par les usagers des transports publics couvrent une part appropriée des coûts», qui indique que cette part doit augmenter, mais pas dans une mesure qui compromettrait les effets positifs" (Message du Conseil fédéral du 18 janvier 2012 relatif à l'initiative populaire "Pour les transports publics" et sur le contre-projet direct [Arrêté fédéral portant règlement du financement et de l'aménagement de l'infrastructure ferroviaire, FAIF], FF 2012 1371, 1473).  
Selon le Message, l'art. 81a al. 2 Cst. poursuit donc deux objectifs contradictoires: d'une part, les transports publics ne doivent pas être trop bon marché (pour éviter une demande trop importante qui pourrait "étouffer le système"); d'autre part, ils ne doivent pas être trop chers pour continuer à favoriser le transfert route-rail des voyageurs. Ces préoccupations du constituant ont déjà été mentionnées par le Tribunal fédéral, sans toutefois en tirer des conclusions dans un cas particulier (arrêt 2C_754/2016 du 25 mars 2020 consid. 9.2). Selon la doctrine, qu'il convient de suivre sur ce point, la formulation "les prix payés par les usagers des transports publics couvrent une part appropriée des coûts" vise à parvenir à un équilibre (DIEBOLD/LUDIN/BEYELER, in Commentaire romand, Constitution fédérale, 2021, n° 8 ad art. 81a Cst.). La recherche d'un tel équilibre exclut que cette "part appropriée" soit nulle. 
Par conséquent, l'interprétation historique de l'art. 81a al. 2 Cst. ne conduit pas non plus à une conformité de l'initiative litigieuse avec la norme constitutionnelle fédérale. 
 
3.2.3. Les recourants avancent encore que, selon une interprétation historique, systématique et téléologique, l'art. 81a al. 2 Cst., ne s'appliquerait que pour le transport par rail et ne concernerait pas le transport par bus. Or c'est ce dernier moyen de transport qui est principalement concerné par l'initiative litigieuse.  
L'art. 81a al. 2 Cst. a été inscrit dans la Constitution en lien avec le financement et l'aménagement de l'infrastructure ferroviaire (FAIF). Il tire son origine du contre-projet direct présenté par le Conseil fédéral le 20 juin 2013 en réponse à l'initiative populaire "Pour les transports publics", retirée à la suite de l'adoption du contre-projet. Il ne contient toutefois aucune indication qu'il serait limité dans son application au seul rail. Le Message mentionne, à plusieurs reprises, les prestations de transports publics sur route, de sorte que l'on ne peut pas en déduire que, à l'art. 81a al. 2 Cst., le législateur n'entendait par "transports publics" que - et uniquement - les transports ferroviaires. 
S'ajoute à cela que l'art. 81a Cst. - intitulé "Transports publics" - énumère à son al. 1 les transports publics envisagés, à savoir "par rail, route, voie navigable et installations à câbles", sans les limiter au seul transport ferroviaire. Quant à l'art. 81a al. 2 Cst., il vise indistinctement "les usagers des transports publics". Dans ce contexte, le fait - relevé par les recourants - que les Explications du Conseil fédéral en vue de la votation populaire du 9 février 2014 ont porté essentiellement sur le réseau ferroviaire importe peu. Le texte de l'art. 81a Cst. - qui figurait aussi dans ce Message explicatif - était en effet suffisamment clair pour éviter toute ambigüité. Pour les mêmes motifs, les recourants ne peuvent rien tirer des trois articles de presse de juin 2013 qui informent du retrait de l'initiative "Pour les transports publics" en mentionnant principalement le rail. De plus, la participation financière de la Confédération au trafic régional des voyageurs porte aussi sur l'offre de transport public de manière générale, sans opérer de distinction entre le rail et la route (voir art. 2 al. 2 let. c et 30 de la loi fédérale du 20 mars 2009 sur le transport des voyageurs [LTV; RS 745.1]. De même, les art. 19 et 20 LTV prévoient que le voyageur doit être muni d'un titre de transport valable, ce qui exclut une gratuité totale des transports publics. 
Les recourants soulignent encore que les débats parlementaires au sujet de l'initiative "Pour les transports publics" et du FAIF auraient essentiellement porté sur le financement de l'infrastructure ferroviaire et que la participation des usagers aux coûts aurait "exclusivement" porté sur le rail. Ils perdent cependant de vue que les parlementaires ont aussi débattu des moyens de transports devant être compris dans la notion de "transports publics" prévue à l'art. 81a Cst. et qu'il n'a jamais été question qu'ils se limitent au rail (BO 2012 CE 998 à 999; BO 2013 CN 795 à 804). Au Conseil national, l'art. 81a al. 2 Cst. a aussi fait l'objet d'une discussion (BO 2013 CN 766). La participation des usagers aux coûts n'a ainsi pas été limitée au seul chemin de fer. 
Par conséquent, des points de vue historique, systématique et téléologique, on ne peut limiter l'application de l'art. 81a al. 2 Cst. au seul transport par rail: cette disposition s'applique à l'ensemble des transports publics tels qu'énumérés à l'al. 1 de la disposition constitutionnelle. Les recourants proposent certes d'interpréter leur initiative dans le sens d'une application uniquement ciblée sur le transport non ferroviaire. Une telle interprétation - pour les motifs qui viennent d'être énoncés - ne conduirait cependant pas non plus à rendre l'initiative litigieuse conforme à l'art. 81a al. 2 Cst. 
 
3.3. A suivre les recourants, l'invalidité de l'initiative irait aussi à l'encontre de l'intérêt public. A ce titre, ils invoquent la protection de l'environnement, le principe constitutionnel de la durabilité (art. 73 Cst.) et la limitation des conséquences du dérèglement climatique. Ils proposent une interprétation de l'initiative conforme à l'art. 1 [recte: art. 2 ch. 1 let. a] de l'Accord de Paris (Accord sur le climat) conclu le 12 décembre 2015 et entré en vigueur pour la Suisse le 5 novembre 2017 (RS 0.814.012).  
 
3.3.1. Le principe constitutionnel du développement durable ancré à l'art. 73 Cst. a déjà été intégré dans la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 132 II 305 consid. 4.3 [en lien avec les mesures à prendre pour éviter la propagation d'une épizootie]; 136 II 263 consid. 8 [en lien avec les mesures à prendre pour lutter contre le bruit d'un aéroport]; 138 II 331 consid. 5.2 [en lien avec une installation de recyclage de déchets de démolition]). Plus récemment, dans le domaine de l'implantation d'installations de production d'énergie renouvelable, le Tribunal fédéral a souligné l'importance des mandats constitutionnels visant à maintenir la biodiversité (art. 78 al. 4 Cst.) et à assurer un développement durable (art. 73 Cst.) (ATF 148 II 36 consid. 13.3 et 13.6). De même, l'Accord de Paris sur le climat a été inclus dans cette réflexion. Il a ainsi été rappelé que l'intérêt à la production d'énergie renouvelable s'inscrit dans la perspective du respect des engagements internationaux de la Suisse en matière de lutte contre le réchauffement climatique, en particulier l'objectif de zéro émission de gaz à effet de serre d'ici 2050 (ATF 148 II 36 consid. 13.2).  
On peut donc se poser la question de savoir si, dans le cadre d'une interprétation harmonisante de l'art. 81a Cst., il ne conviendrait pas de tenir aussi compte de ces principes. Comme la jurisprudence l'a rappelé (cf. consid. 3.2), une interprétation isolée d'une disposition constitutionnelle - pour elle-même - n'a pas lieu d'être; de même, le simple fait qu'une norme constitutionnelle est plus récente qu'une autre n'est pas déterminant; enfin, ces normes doivent a priori être considérées comme étant de rang égal. 
 
3.3.2. En l'espèce, le principe de développement durable n'a pas la densité normative que revêt l'art. 81a al. 2 Cst. Selon la jurisprudence, le concept - au contenu et aux contours encore flous - revêt pour l'heure un caractère essentiellement programmatique et n'a pas valeur d'un droit constitutionnel qui pourrait être directement invoqué comme tel devant un tribunal: son indétermination et sa complexité nécessitent une concrétisation dans la législation (ATF 132 II 305 consid. 4.3; pour une analyse critique sur l'absence de justiciabilité de l'art. 73 Cst.: RAPHAËL MAHAIM, in Commentaire romand, Constitution fédérale, 2021, n° 21 ss ad art. 73 Cst.). Or, dans le domaine particulier de la gratuité des transports publics, les recourants ne prétendent pas que le législateur fédéral aurait pris des dispositions allant dans le sens d'une gratuité s'inscrivant dans la perspective du principe de durabilité. La doctrine évoque certes la nécessité d'interpréter les normes constitutionnelles de manière à ce que celles-ci trouvent application à des problématiques nouvelles, par le biais d'une interprétation "contemporaine" ("zeitgemässe Auslegung": Häfelin/Haller/Keller/Thurnherr, op. cit., n° 77; Malinverni/Hottelier/Hertig Randall/Flückiger, op. cit., n° 1528). En ce sens, on ne peut exclure que, dans une approche globale de la Constitution et pour assurer une meilleure concordance entre certaines dispositions constitutionnelles, une portée accrue soit accordée à l'avenir à l'art. 73 Cst. Il n'y a cependant pas lieu d'approfondir cette question puisque, en l'état du droit, l'interdiction de la gratuité des transports publics n'entre pas nécessairement en conflit avec l'art. 73 Cst.  
Les recourants ne démontrent en particulier pas en quoi le fait de demander à certains utilisateurs des transports publics de participer de manière appropriée aux coûts serait contraire au développement durable. Il convient de rappeler à ce propos que le principe déduit de l'art. 73 Cst. engage aussi les autorités à tenir compte des implications non seulement sociales et écologiques de certaines politiques, mais aussi de leurs conséquences économiques (cf. ATF 132 II 305 consid. 4.3). Or, comme le relève pertinemment l'avis de droit du 4 février 2022 commandé par l'Office fédéral des transports (voir infra consid. 4), les transports publics utilisent aussi des ressources (limitées), de sorte qu'une augmentation illimitée des transports publics ne va pas entièrement dans le sens du développement durable (n° 34). En d'autres termes, il n'apparaît pas que le report des usagers sur des infrastructures consommant de l'énergie au détriment d'une mobilité douce réalise complètement le but de développement durable. 
 
3.3.3. Les recourants ne peuvent rien tirer non plus de l'art. 2 ch. 1 let. a de l'Accord de Paris. Il s'agit là encore d'une disposition de nature programmatique qui nécessite une concrétisation légale. Une telle concrétisation était prévue dans la révision de la loi fédérale du 23 mars 2011 sur la réduction des émissions de CO2 (loi sur le CO2; RS 641.71), adoptée par le Parlement le 25 septembre 2020, mais rejetée en votation populaire le 13 juin 2021 (FF 2021 2135). Le projet de loi fédérale relative aux objectifs en matière de protection du climat (LCl) vise l'abaissement des émissions de gaz à effet de serre de la Suisse à zéro net d'ici 2050: elle consacrerait ainsi, pour la première fois dans une loi fédérale, l'objectif de zéro net avec un horizon défini (FF 2022 1536 ch. 2.2.1). En l'état, l'avenir de ce projet de loi est suspendu à l'issue de la votation populaire rendue nécessaire par l'aboutissement du referendum lancé contre elle (FF 2023 242).  
Comme pour le grief déduit de l'art. 73 Cst., les recourants ne démontrent pas en quoi la gratuité des transports publics serait plus favorable pour contenir le réchauffement climatique et atteindre la neutralité climatique d'ici à 2050 que la participation des usagers aux coûts. Les autres considérations émises à ce propos s'appliquent ici de la même manière (consid. 3.3.2). 
 
3.4. Les recourants prétendent enfin que l'invalidation de l'initiative serait discutable du point de vue de la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons (art. 3 Cst.) : ils soutiennent que l'art. 87 Cst. n'attribue pas de compétence à la Confédération en matière de bus et de trolleybus. Le mandat constitutionnel en vue de l'institution du système du transport public ancré à l'art. 81a Cst. est octroyé à la Confédération sans modifier la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons en matière de transports publics (cf. ATF 143 I 109 consid. 5.1; DIEBOLD/LUDIN/BEYELER, in Commentaire romand, Constitution fédérale, 2021, n° 7 ad art. 81a Cst.).  
La répartition des compétences est complétée par une obligation des collectivités de veiller à l'existence d'une offre suffisante (prévue à l'art. 81a al. 1 Cst.) et par une obligation de faire participer les utilisateurs aux coûts (ancrée à l'art. 81a al. 2 Cst.). Il n'y a ainsi pas de conflit entre la répartition verticale des compétences entre Confédération et cantons s'agissant du moyen de transport et les obligations liées aux transports publics ancrées à l'art. 81a Cst. (cf. DIEBOLD/LUDIN/BEYELER, in Commentaire romand, Constitution fédérale, 2021, n° 5 ad art. 81a Cst.). Dans la perspective d'une interprétation concordante des dispositions constitutionnelles, l'art. 81a Cst. ne porte pas atteinte à la répartition des compétences entre Confédération et cantons. Le grief de violation de l'art. 3 Cst. doit donc être rejeté. 
 
3.5. Au vu de ce qui précède, l'initiative litigieuse n'est pas conforme au droit supérieur.  
 
4.  
La doctrine partage l'analyse qui précède. Selon elle, il est peu plausible que des initiatives cantonales prévoyant la gratuité des transports publics sur le territoire cantonal soient conformes à la Constitution (DIEBOLD/LUDIN/BEYELER, in Commentaire romand, Constitution fédérale, 2021, n° 26 ad art. 81a Cst.; GIOVANNI BIAGGINI, BV Kommentar, 2 e éd. 2017, n° 8 ad art. 81a Cst.; MARKUS KERN, in Basler Kommentar, Bundesverfassung, 2015, n° 15 ad art. 81a Cst.; MARLÈNE COLLETTE, La gratuité des transports publics: entre obstacles juridiques et enjeux de mobilité urbaine, in Newsletter Institut du Fédéralisme Fribourg IFF 3/2021, p. 4). Ces auteurs relèvent en revanche qu'une gratuité partielle et l'instauration de tarifs réduits ou solidaires sont conformes à l'art. 81a al. 2 Cst. Il en va de même d'une gratuité temporaire, par exemple à cause du smog (DIEBOLD/LUDIN/BEYELER, op. cit., n° 26). Dans la mesure où l'initiative litigieuse ne propose pas un tel système, il n'y a pas lieu d'approfondir cette question.  
Les avis de droit sur lesquels se sont fondés les autorités parviennent aux mêmes résultats. Dans son avis de droit du 25 mars 2021 (rédigé à la demande de la Direction de l'aménagement, de l'environnement et des constructions du canton de Fribourg), le Prof. em. Peter Hänni est arrivé à la conclusion que l'initiative ne pouvait être comprise comme ne s'appliquant pas au transport par rail et que ni son texte ni ses objectifs n'étaient conformes à l'art. 81a al. 2 Cst. Dans son avis de droit du 4 février 2022 (rédigé sur demande de l'Office fédéral des transports), le Prof. Felix Uhlmann et Jasmina Bukovac ont aussi estimé que la gratuité des transports publics n'était pas conforme à l'art. 81a al. 2 Cst. 
 
5.  
Il s'ensuit que la nullité de l'initiative "Pour la gratuité des transports publics", constatée par le Grand Conseil, est conforme au droit constitutionnel fédéral. Le recours est donc rejeté. 
Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants qui succombent. Il n'est pas alloué de dépens au Grand Conseil (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 francs, sont mis à la charge des recourants. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des recourants et au Grand Conseil de l'Etat de Fribourg. 
 
 
Lausanne, le 31 mars 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Tornay Schaller