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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_513/2022  
 
 
Arrêt du 6 décembre 2022  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux Jametti, Juge présidant, Haag et Merz. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représentée par Me Anne-Laure Simonet, avocate, 
recourante, 
 
contre  
 
Ministère public de l'Etat de Fribourg, case postale 1638, 1701 Fribourg. 
 
Objet 
Procédure pénale; refus d'assistance judiciaire, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal 
de l'Etat de Fribourg, Chambre pénale, 
du 24 août 2022 (502 2022 183 + 184). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 18 février 2022, A.________ a déposé plainte pénale pour voies de fait, contrainte sexuelle et viol dont elle disait avoir été victime le 16 février précédent. Le Ministère public de l'Etat de Fribourg a ouvert une instruction le 3 mars 2022 à raison de ces faits. Le 7 avril 2022, A.________ s'est constituée partie plaignante et a demandé l'assistance judiciaire au 6 avril 2022 ainsi que la désignation de Me Anne-Laure Simonet comme conseil juridique gratuit. Entendue par la police le 24 mai 2022 en présence de son avocate, A.________ a reconnu que ses accusations étaient mensongères. Me Simonet a demandé sa nomination d'office dans la procédure qui serait ouverte contre A.________ pour induction de la justice en erreur et dénonciation calomnieuse. 
Par ordonnance du 19 juillet 2022, le Ministère public a refusé l'assistance judiciaire pour la première procédure. La partie plaignante avait admis avoir proféré de fausses accusations; la procédure pénale devait être classée et l'action civile était dénuée de chances de succès. 
 
B.  
Par arrêt du 24 août 2022, la Chambre pénale du Tribunal cantonal fribourgeois a rejeté le recours formé par A.________. Au moment où avait été formée sa demande d'assistance judiciaire, les chances de succès de l'action civile étaient totalement inexistantes puisqu'elle était consciente du caractère mensonger de ses accusations. Le fait que la mandataire l'ignorait était sans pertinence et il n'appartenait pas à l'Etat de financer une procédure introduite sur la base de fausses accusations. L'assistance judiciaire a été refusée pour la procédure de recours et 300 fr. de frais ont été mis à la charge de la recourante. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt cantonal en ce sens que l'assistance judiciaire lui est accordée, Me Simonet étant désignée comme mandataire gratuit dès le 6 avril 2022 et sa liste de frais étant arrêtée à 1'598.55 fr. Elle conclut également à l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours cantonale et à l'allocation d'une indemnité de 756 fr. Elle demande enfin l'assistance judiciaire pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
La Chambre pénale n'a pas formulé d'observations. Le Ministère public se réfère à son ordonnance et conclut au rejet du recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Conformément à l'art. 78 LTF, une décision relative à la défense d'office dans une cause pénale peut faire l'objet d'un recours en matière pénale. La recourante, partie plaignante qui s'est vu refuser l'assistance judiciaire, a qualité pour recourir (art. 81 al. 1 LTF). Le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 80 LTF). Il est en outre recevable au regard de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 140 IV 202 consid. 2.2; 133 IV 335 consid. 4) et les conclusions présentées sont admissibles au regard de l'art. 107 al. 2 LTF. Partant, il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.  
Invoquant les art. 29 al. 3 Cst., 136 al. 1 CPP et 9 Cst., la recourante estime que les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire, soit les chances de succès de l'action civile, doivent être appréciées à la date du dépôt de la requête et non, comme l'a fait le Ministère public, à l'issue de l'instruction. En l'occurrence, l'assistance judiciaire demandée le 7 avril 2022 devait être accordée dès lors qu'une instruction avait déjà été ouverte le 3 mars 2022. La recourante estime que le Ministère public ne pouvait pas - selon une pratique qui serait généralement répandue dans le canton de Fribourg - attendre le rapport de police pour juger du bien-fondé de l'action civile, car cela équivaudrait à un retrait rétroactif de l'assistance judiciaire, contraire au principe de la bonne foi. La recourante relève encore que son avocate a été appelée par la police à participer à l'audition du 24 mai 2022; la bonne foi commandait que l'octroi de l'assistance judiciaire et la couverture de ses honoraires soient ainsi garantis. Un avocat ne pourrait pas remplir ses obligations découlant de l'art. 12 LLCA s'il devait systématiquement attendre la décision d'octroi de l'assistance judiciaire avant d'intervenir. 
 
2.1. A teneur de l'art. 29 al. 3 Cst., toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l'assistance gratuite d'un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert. L'art. 136 CPP concrétise les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire pour la partie plaignante dans un procès pénal. Selon l'art. 136 al. 1 CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante indigente pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles si l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec. L'assistance judiciaire comprend l'exonération d'avances de frais et de sûretés (art. 136 al. 2 let. a CPP), l'exonération des frais de procédure (art. 136 al. 2 let. b CPP) et/ou la désignation d'un conseil juridique gratuit, lorsque la défense des intérêts de la partie plaignante l'exige (art. 136 al. 2 let. c CPP). Cette norme reprend ainsi les trois conditions cumulatives découlant de l'art. 29 al. 3 Cst., à savoir l'indigence, les chances de succès et le besoin d'être assisté.  
Une procédure est dépourvue de chances de succès lorsque les perspectives de l'emporter sont notablement plus faibles que les risques de perdre, de sorte qu'une personne raisonnable renoncerait à s'y engager. Une personne indigente ne doit pas se lancer, parce qu'elle plaide aux frais de la collectivité, dans des démarches vaines qu'une personne raisonnable n'entreprendrait pas si, disposant de moyens suffisants, elle devait les financer de ses propres deniers (ATF 142 III 138 consid. 5.1; 140 V 521 consid. 9.1). Les chances de succès doivent être examinées par l'autorité compétente au moment du dépôt de la demande d'assistance judiciaire, la jurisprudence considérant le droit à l'assistance judiciaire comme une condition d'accès à la justice (ATF 128 I 236 consid. 2.5.3; 122 I 5 consid. 4a et les références citées; HARARI/CORMINBOEUF HARARI, Commentaire romand CPP, 2 ème éd. 2019, n° 32 ad art. 136; BERNARD CORBOZ, Le droit constitutionnel à l'assistance judiciaire, SJ 2003 II p. 67, 82).  
 
2.2. En l'occurrence, la partie plaignante savait, lorsqu'elle a requis l'assistance judiciaire, que ses accusations étaient sans fondement. Tout plaideur avisé et disposant de ressources suffisantes renoncerait, dans un tel cas, à une action judiciaire, de sorte que c'est à juste titre que les instances précédentes ont considéré que les chances de succès d'une action civile étaient insuffisantes. L'assistance judiciaire aurait certes pu être accordée à la recourante si la décision en avait été prise en début de procédure, soit à un moment où les accusations de la recourante ne pouvaient a priori être considérées comme mensongères. Toutefois, rien n'aurait empêché l'autorité de révoquer sa décision avec effet ex tunc, dès lors qu'il est apparu par la suite que les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire n'étaient pas réalisées et que celle-ci avait été accordée sur la base de fausses déclarations ou de faits intentionnellement dissimulés par la partie plaignante, faisant ainsi apparaître qu'au jour de l'octroi de l'assistance judiciaire, ses conditions n'étaient manifestement pas remplies (HARARI/ CORMINBOEUF HARARI, op. cit., n° 6 ad art. 137; VIKTOR LIEBER, in: Donatsch/Lieber/Summers/ Wohlers, Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung, 3 ème éd. 2020, n° 7 ad art. 134, qui évoque le cas d'une irrégularité matérielle ou formelle manifeste). Dans de telles circonstances, une révocation ne serait pas contraire au principe de la bonne foi.  
Dès lors, s'il est à déplorer que le Ministère public ait pris plusieurs mois pour statuer sur la demande d'assistance judiciaire, cela ne change rien à l'issue de la cause. La décision attaquée a certes pour conséquence que l'avocate de la recourante ne sera pas rémunérée par l'Etat pour son activité. L'assistance judiciaire n'est toutefois pas un droit reconnu à l'avocat, mais à la partie qu'il défend et à qui il appartient d'assumer les conséquences d'un refus; la mandataire devra donc se retourner contre la recourante. 
Le grief doit par conséquent être rejeté. 
 
3.  
La recourante conclut à l'admission de sa demande d'assistance judiciaire formée pour la procédure de recours cantonale. Elle n'élève toutefois aucun grief à ce propos (art. 42 al. 2 LTF et 106 al. 2 LTF s'agissant de griefs d'ordre constitutionnel). Au demeurant, compte tenu des considérations qui précèdent, la cour cantonale pouvait à juste titre retenir que le recours cantonal ne présentait pas non plus de chances de succès suffisantes. 
 
4.  
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Faute de chances de succès (art. 64 al. 1 LTF), l'assistance judiciaire ne peut être accordée à la recourante pour la procédure devant le Tribunal fédéral et les frais judiciaires doivent être mis à sa charge (art. 66 al. 1 LTF). Compte tenu de sa situation financière, les frais seront réduits. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.  
Les frais judiciaires, réduits à 500 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire de la recourante, au Ministère public de l'Etat de Fribourg et au Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, Chambre pénale. 
 
 
Lausanne, le 6 décembre 2022 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant : Jametti 
 
Le Greffier : Kurz