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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_762/2022  
 
 
Arrêt du 11 janvier 2023  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux 
Denys, Juge présidant, Koch et Hurni. 
Greffière : Mme Paris. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Olivier Ferraz, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public central du canton de Vaud, 
avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD, 
intimé. 
 
Objet 
Ordonnance de classement (diffamation); 
frais de la procédure, indemnité, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud, du 14 avril 2022 
(n° 279 PE21.017875-AEN). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A la suite d'une plainte pénale déposée par la société B.________ SA, représentée par C.________, une procédure pénale a été ouverte contre A.________. Il lui était reproché d'avoir publié, au mois de juin 2021, sur le site Internet Google de l'entreprise, le commentaire suivant: « Surtout ne commandez pas!!! il va probablement faire faillite prochainement car il ne paye pas ses SOUS-TRAITANTS et ses clients sont très mécontents (voir les autres commentaires autres que ceux de ses proches) ». 
Par ordonnance du 30 mars 2022, le Ministère public de l'arrondissement du Nord vaudois a ordonné le classement de la procédure pénale dirigée contre A.________ pour diffamation. Considérant que le comportement civilement répréhensible du prénommé était à l'origine de l'ouverture de la procédure pénale, il a mis les frais de procédure pour un montant de 375 fr. à sa charge, le solde suivant le sort de la cause, et ne lui a pas alloué d'indemnité. 
 
B.  
Par arrêt du 14 avril 2022, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours formé par A.________ contre l'ordonnance de classement du 30 mars 2022. 
 
C.  
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal et conclut, avec suite de frais et dépens, principalement à sa réforme en ce sens que les frais de procédure sont mis exclusivement à la charge de l'État et qu'une indemnité de 1'000 fr. lui est octroyée tant pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits en première instance, qu'en instance cantonale. Subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision, dans le sens des considérants. 
 
D.  
Invités à se déterminer, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois et le ministère public y ont renoncé en se référant aux considérants de l'arrêt attaqué. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière pénale déposé au Tribunal fédéral a trait à la mise des frais de la procédure pénale à la charge du recourant et à son droit à des indemnités ensuite du classement de la procédure. En ce sens, le recours est recevable (cf. arrêts 6B_1291/2021 du 13 septembre 2022 consid. 1; 6B_1090/2020 du 1er avril 2021 consid. 1; 6B_1462/2020 du 4 février 2021 consid. 1). 
 
2.  
Le recourant dénonce une violation des art. 426 et 429 CPP. Il reproche à la cour cantonale d'avoir mis les frais à sa charge et de ne pas lui avoir octroyé d'indemnité en se contentant d'affirmer péremptoirement que son comportement était civilement répréhensible, sans justification, ni base légale. Il fait valoir qu'on ne saurait lui imputer un comportement illicite et fautif qui aurait justifié l'ouverture de la procédure pénale ouverte à son encontre puisque, faisant usage de son droit constitutionnel à la liberté d'opinion et d'information, il se serait contenté de formuler un avis objectif, lequel, au vu des circonstances du cas d'espèce, n'aurait nullement porté atteinte à la personnalité de la société B.________ SA. 
 
2.1.  
 
2.1.1. Conformément à l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile sa conduite.  
La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. A cet égard, seul entre en ligne de compte un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés. Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement (ATF 144 IV 202 consid. 2.2). Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation; la mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (ATF 144 IV 202 consid. 2.2; arrêts 6B_511/2021 du 18 novembre 2021 consid. 1; 6B_457/2021 du 22 octobre 2021 consid. 6.1). 
 
2.1.2. Selon l'art. 429 al. 1 CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (let. a) et à une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté (let. c). L'autorité pénale peut réduire ou refuser l'indemnité lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci (art. 430 al. 1 let. a CPP). L'art. 430 al. 1 let. a CPP est le pendant de l'art. 426 al. 2 CPP en matière de frais. La question de l'indemnisation (art. 429 à 434 CPP) doit être traitée après celle des frais (arrêts 6B_380/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.4.2; 6B_15/2021 du 12 novembre 2021 consid. 4.1.2; 6B_1090/2020 du 1er avril 2021 consid. 2.1.2). Dans cette mesure, la décision sur les frais préjuge de la question de l'indemnisation (ATF 147 IV 47 consid. 4.1; 144 IV 207 consid. 1.8.2 p. 211; 137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357). En d'autres termes, si le prévenu supporte les frais en application de l'art. 426 al. 1 ou 2 CPP, une indemnité est en règle générale exclue, alors que le prévenu y a, en principe, droit si l'État supporte les frais de la procédure pénale (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2 p. 211; 137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357).  
 
2.2. La cour cantonale a retenu qu'en publiant le commentaire en cause sur le site Internet Google de l'entreprise B.________ SA, le recourant avait créé l'apparence qu'une infraction avait été ou pourrait être commise par la société. Elle a considéré qu'en tant que gérant d'une entreprise de construction générale, le recourant aurait dû se rendre compte que ses allégations étaient susceptibles de conduire l'entreprise critiquée publiquement à déposer plainte et risquaient ainsi de provoquer l'ouverture d'une enquête pénale. Il ne pouvait ignorer que ses propos étaient propres à causer un dommage à la collectivité que constitueraient les frais liés à l'instruction de son cas; son comportement permettait ainsi au ministère public de mettre les frais à sa charge et de ne lui allouer aucune indemnité.  
 
2.3. En l'espèce, la cour cantonale n'a mentionné aucune norme de comportement résultant de l'ordre juridique suisse que le recourant aurait violée. Elle a considéré que le recourant avait eu un comportement fautif en se fondant sur la jurisprudence posée notamment à l'arrêt 6B_434/2008 du 29 octobre 2008 consid. 2, non publié dans l'ATF 135 IV 43 (cf. aussi arrêts 6B_668/2009 du 5 mars 2010 et 1B_475/2012 du 10 juin 2013 consid. 2.1). Selon cette jurisprudence, il y a en substance comportement fautif lorsque le prévenu aurait dû se rendre compte, sur le vu des circonstances et de sa situation personnelle, que son attitude risquait de provoquer l'ouverture d'une enquête pénale; le droit civil non écrit interdit en effet de créer un état de fait propre à causer un dommage à autrui, sans prendre les mesures nécessaires afin d'en éviter la survenance. En outre, le droit de procédure pénale interdit implicitement de créer sans nécessité l'apparence qu'une infraction a été ou pourrait être commise, car un tel comportement est susceptible de provoquer l'intervention des autorités répressives et l'ouverture d'une procédure pénale et, partant, de causer à la collectivité le dommage que constituent les frais liés à une instruction pénale ouverte inutilement. Or, comme le Tribunal fédéral a eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises (cf. arrêts 6B_1011/2018 du 11 décembre 2018 consid. 1.2; 6B_301/2017 du 20 février 2018 consid. 1.2.2; 6B_803/2016 du 20 juillet 2017 consid. 3.3.3; 6B_893/2016 du 13 janvier 2017 consid. 3.2), cette jurisprudence doit être interprétée de manière restrictive. En effet, tout prévenu qui fait l'objet d'une enquête pénale doit normalement, dans un État de droit, avoir eu un comportement impliquant des soupçons se portant sur lui. Ainsi, il est admis qu'un comportement immoral ou contraire au principe de la bonne foi au sens de l'art. 2 CC ne saurait suffire pour justifier l'intervention des autorités répressives et, partant, entraîner l'imputation des frais au prévenu acquitté. Une violation claire d'une norme de comportement n'est en l'espèce nullement établie, de sorte que la cour cantonale ne pouvait mettre les frais à la charge du recourant, respectivement refuser de lui allouer une indemnité pour ses frais de défense.  
 
 
3.  
Le recours doit ainsi être admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Le recourant, qui obtient gain de cause, ne supporte pas de frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et peut prétendre à une indemnité de dépens à la charge du canton de Vaud (art. 68 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
Le canton de Vaud versera une indemnité de 3'000 fr. au recourant à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 11 janvier 2023 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Denys 
 
La Greffière : Paris