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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_525/2022  
 
 
Arrêt du 16 janvier 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix et Merz. 
Greffière : Mme Tornay Schaller. 
 
Participants à la procédure 
Commune d'Avusy, route du Creux-du-Loup 42, 1285 Athenaz (Avusy), représentée par Mes Romain Jordan et Stéphane Grodecki, avocats, 
recourante, 
 
contre  
 
A.________ SA, représentée par Me Jean-Jacques Martin, avocat, 
intimée, 
 
Département du territoire du canton de Genève, case postale 3880, 1211 Genève 3. 
 
Objet 
Exploitation d'une gravière; ordre de cessation d'activité et de remise en état des lieux; demande de retrait de l'effet suspensif, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton 
de Genève, Chambre administrative, du 23 août 2022 (A/3773/2021-AMENAG ATA/832/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
En 1983 et 1986, A.________ SA a reçu l'autorisation d'exploiter des gravières (avec des échéances de remblayage et de remise en culture en 1994) sur les parcelles n os 85, 86 et 87 du registre foncier de la commune genevoise d'Avusy, sises en zone agricole. L'autorisation de prolongation de cette exploitation délivrée le 15 janvier 1996 à A.________ SA a été annulée par décision du 3 septembre 1996 de la Commission cantonale de recours en matière de constructions. Cette décision a été confirmée le 5 août 1997 par le Tribunal administratif du canton de Genève, dont l'arrêt est devenu définitif après que le recours formé à son encontre auprès du Tribunal fédéral a été rejeté le 13 février 1998 (cause 1A.242/1997). La poursuite de l'exploitation de A.________ SA sur les parcelles précitées a depuis lors été tolérée.  
Par décision du 4 juin 2015, le département cantonal compétent a refusé de donner suite à une demande de la commune d'Avusy tendant à ce qu'il soit constaté que les activités de A.________ SA sur les trois parcelles précitées étaient illégales et visant à ce que leur suspension immédiate soit prononcée et qu'obligation soit faite à cette société d'évacuer ses installations et de remettre lesdites parcelles en état. Par jugement du 26 mai 2016, le Tribunal administratif de première instance du canton de Genève (ci-après: le TAPI) a admis le recours que la commune d'Avusy a interjeté contre cette décision et a renvoyé le dossier à l'administration compétente pour nouvelle décision. Sur recours de A.________ SA et du département cantonal compétent, la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a annulé ce jugement, par arrêt du 26 juin 2018. La commune d'Avusy a déposé contre cet arrêt un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, dont l'instruction a été suspendue (cause 1C_423/2018). 
Lors de la votation populaire du 29 novembre 2020, les citoyens genevois ont refusé la loi n° 11976 qui approuvait la création d'une zone industrielle et artisanale exclusivement affectée à des activités de recyclage de matériaux minéraux sur les parcelles n os 85, 86 et 87 et qui rejetait, dans la mesure de leur recevabilité, les oppositions formées à cette loi.  
Par décision du 1 er octobre 2021, le Département du territoire du canton de Genève (ci-après: le Département) a ordonné la remise en état du site ainsi que la cessation des activités de A.________ SA selon un planning allant du 31 décembre 2021 au 31 décembre 2026. Il a notamment ordonné l'interdiction de reprise de nouveaux déchets au 31 décembre 2021 et la fin du traitement des matériaux bruts présents sur site au 31 décembre 2022.  
A.________ SA a recouru auprès du TAPI contre cette décision. Par décision du 25 janvier 2022, celui-ci a admis la demande d'intervention de la commune d'Avusy. Celle-ci a sollicité le retrait de l'effet suspensif au recours. Par décision du 7 juin 2022, le TAPI a rejeté la demande de retrait de l'effet suspensif au recours. Il a considéré en substance que, compte tenu du projet de relocalisation en cours et déjà bien avancé, de l'intérêt public et privé à la poursuite de l'activité de A.________ SA d'ici à son déplacement sur le nouveau site et de l'absence de préjudices imminents et irrémédiables pour la commune et ses habitants, l'intérêt au maintien de la situation actuelle devait primer sur celui de la commune à voir la décision du 1 er octobre 2021 immédiatement exécutée et ce jusqu'à ce qu'il ait statué sur le bien-fondé du recours.  
Par arrêt du 23 août 2022, la Cour de justice a déclaré irrecevable le recours interjeté par la commune d'Avusy contre la décision du 7 juin 2022. Elle a considéré en substance que la décision d'octroi de l'effet suspensif ne causait pas de préjudice irréparable et que l'admission du recours ne mettrait pas fin au litige, au sens de l'art. 57 let. c de la loi cantonale sur la procédure administrative genevoise (LPA/GE; RSG E 5 10). 
 
B.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la commune d'Avusy demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 23 août 2022 et de le réformer en ce sens que le recours de la commune d'Avusy du 20 juin 2022 est recevable et que l'effet suspensif au recours déposé par A.________ SA contre l'ordre de remise en état du 1 er octobre 2021 est retiré.  
La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le Département s'en rapporte à justice. A.________ SA conclut à l'irrecevabilité du recours. La recourante a répliqué par courrier du 21 novembre 2022. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont soumis. 
 
1.1. Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine de l'aménagement du territoire (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions mentionnées à l'art. 83 LTF n'étant réalisée.  
 
1.2. Le recours est dirigé contre un arrêt qui déclare irrecevable un recours déposé contre un refus de retrait de l'effet suspensif. L'arrêt attaqué ne met par conséquent pas fin à la procédure administrative et revêt un caractère incident. Le recours au Tribunal fédéral n'est donc en principe recevable qu'en présence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Cela étant, lorsque le recours est formé contre une décision d'irrecevabilité - notamment en raison d'un défaut d'un intérêt juridiquement protégé -, cette situation équivaut, sous l'angle de la recevabilité, à un déni de justice formel. Le recours sur cette question particulière est donc ouvert indépendamment d'un préjudice irréparable (cf. ATF 143 I 344 consid. 1.2).  
Les juges cantonaux ayant refusé d'entrer en matière sur son recours, seule la question de la recevabilité du recours cantonal peut donc être portée devant le Tribunal fédéral qui n'a, à ce stade, pas à examiner le fond de la contestation (ATF 137 II 313 consid. 1.3). En cas d'admission du recours, la cause devrait être renvoyée à l'instance précédente pour qu'elle entre en matière sur le recours et statue au fond. Le grief portant sur le fond, à savoir sur l'application de l'art. 66 LPA/GE (effet suspensif), est ainsi irrecevable. 
 
2.  
La recourante se plaint d'abord d'une violation des art. 112 LTF et 29 Cst. 
 
2.1. Le droit d'être entendu tel que garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le justiciable puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et exercer son droit de recours à bon escient. Cette exigence est également exprimée à l'art. 112 al. 1 let. b LTF. Pour y répondre, le juge doit mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 148 III 30 consid. 3.1 et les arrêts cités).  
Toutefois, dans le cadre d'une procédure concernant des mesures provisoires ayant un caractère d'urgence, l'art. 29 al. 2 Cst. n'a pas la même portée que s'agissant de la procédure au fond. Ainsi, les décisions judiciaires concernant l'effet suspensif doivent par nature être rendues rapidement et sans de longues investigations complémen-taires. L'autorité qui statue peut donc, sauf circonstances spécifiques, se dispenser d'entendre de manière détaillée les intéressés ou de procéder à un second échange d'écritures. Tant la jurisprudence du Tribunal fédéral que celle de la Cour européenne des droits de l'homme reconnaissent que, si elles ont une portée étendue s'agissant des procédures au fond, les garanties découlant du droit d'être entendu peuvent connaître quelques aménagements dans le cas d'une procédure concernant des mesures provisoires, compte tenu du caractère d'urgence de celles-ci (ATF 132 I 42 consid. 3.3.2). Le droit d'être entendu du recourant est donc, en principe, déjà garanti par le dépôt de sa demande d'effet suspensif (ATF 139 I 189 consid. 3.3 et les références) voire du recours y relatif. 
 
2.2. En l'espèce, la recourante reproche à la cour cantonale de n'avoir établi aucun fait par rapport aux dommages allégués par la commune; en particulier, aucun élément en lien avec les conséquences de l'absence de respect du calendrier fixé pour le démantèlement n'est examiné.  
Partant, la recourante perd de vue que dans le cadre d'un recours contre une décision de refus de retrait de l'effet suspensif, c'est elle qui doit exposer concrètement en quoi la décision lui cause un préjudice irréparable, en vertu de l'art. 57 let. c LPA/GE. Elle est aussi tenue de collaborer à la constatation des faits dans une procédure qu'elle a introduite elle-même (art. 22 LPA/GE). La commune recourante s'est cependant contentée de mentionner du bruit et de la poussière liés au trafic, sans apporter d'éléments concrets relatifs à ces nuisances, alors qu'il lui incombait de démontrer de manière concrète en quoi l'effet suspensif du recours créait un préjudice irréparable pour elle-même ou pour ses habitants. 
Les griefs de violation des art. 112 LTF et 29 al. 2 Cst. doivent donc être rejetés dans la faible mesure de leur recevabilité. 
 
3.  
La recourante fait ensuite valoir une application arbitraire de l'art. 57 let. c LPA/GE. 
 
3.1. Appelé à revoir l'application d'une norme cantonale sous l'angle de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable ou en contradiction manifeste avec la situation effective, ou encore si elle a été adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. Il peut notamment s'avérer arbitraire d'interpréter une notion juridique de manière contraire à une jurisprudence et une doctrine constantes et bien établies. En revanche, si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution - éventuellement plus judicieuse - paraît possible. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 148 I 145 consid. 6.1 et les arrêts cités).  
 
3.2. Aux termes de l'art. 57 let. c LPA/GE, les décisions incidentes sont susceptibles d'un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.  
Selon le considérant 2a de l'arrêt attaqué, l'art. 57 let. c LPA/GE doit être interprété à la lumière des principes développés par le Tribunal fédéral en lien avec l'art. 93 al. 1 let. a LTF. La recourante ne démontre pas que cette interprétation du droit cantonal par la Cour de justice serait arbitraire (cf. arrêt 1D_10/2011 du 14 septembre 2011 consid. 2.2). Savoir si un préjudice irréparable existe s'apprécie donc par rapport aux effets de la décision incidente sur la cause principale, respectivement la procédure principale (ATF 141 III 80 consid. 1.2). 
Le préjudice, au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, doit être de nature juridique; il ne peut s'agir d'un préjudice de fait ou d'un préjudice purement économique, comme l'allongement ou le renchérissement de la procédure (ATF 137 V 314 consid. 2.2.1; 136 IV 92 consid. 4; 135 II 30 consid. 1.3.4). Le préjudice doit être irréparable, c'est-à-dire qu'il ne doit pas pouvoir être supprimé par une décision finale ultérieure qui serait favorable à la partie recourante (ATF 137 V 314 consid. 2.2.1; 134 III 188 consid. 2.1). Il appartient en outre à celle-ci d'expliquer en quoi la décision entreprise est de nature à lui causer un préjudice irréparable, sauf si ce point découle manifestement de la décision attaquée ou de la nature de la cause (ATF 138 III 46 consid. 1.2; 137 III 324 consid. 1.1). 
 
3.3. En l'occurrence, il y a lieu d'examiner si l'une des deux conditions de l'art. 57 let. c LPA/GE est remplie. S'agissant de la seconde hypothèse, la cour cantonale a considéré que l'admission du recours ne mettrait pas fin au litige, lequel porte, selon les conclusions prises par A.________ SA principalement sur l'obligation de l'Etat de mettre à sa disposition une parcelle de remplacement conforme à son activité de recyclage et d'une taille équivalente, aucune mesure de remise en état ne pouvant être exigée dans l'intervalle et subsidiairement sur l'obtention d'un délai de dix ans. La commune recourante ne soutient pas que cette interprétation serait arbitraire.  
S'agissant du préjudice irréparable, l'instance précédente a estimé qu'un retrait de l'effet suspensif au recours aurait pour effet, en l'état, que les échéances du calendrier prévu par le Département, notamment les premières, doivent être respectées, soit l'interdiction de reprise de nouveaux déchets (échéance au 31 décembre 2021) et, prochainement, la fin du traitement des matériaux bruts présents sur le site (échéance au 31 décembre 2022). Elle a relevé que si, certes, la poursuite des activités de A.________ SA entraînait des nuisances, sous forme de trafic, de bruit et de poussières notamment, la commune ne démontrait toutefois pas le caractère irréparable de l'éventuel dommage par rapport à la situation qui prévaudrait en cas de retrait de l'effet suspensif. En effet, lorsque l'arrêt attaqué a été rendu, le 23 août 2022, l'activité de A.________ SA n'aurait pas encore dû cesser selon la décision du 1 er octobre 2021. La cour cantonale a ajouté que si la procédure au fond devait aboutir au rejet du recours, le calendrier litigieux serait confirmé, ce que la société ne pouvait ignorer.  
La commune recourante soutient au contraire que le fait que l'effet suspensif du recours suspende les délais fixés dans la décision du 1 er octobre 2021 et permette la continuation de l'activité de A.________ SA au delà du 31 décembre 2021 et du 31 décembre 2022 représente à lui seul un préjudice irréparable car la décision finale, à supposer qu'elle confirme la décision du 1 er octobre 2021, ne pourra plus être appliquée. A suivre cette argumentation, il faudrait considérer que lorsqu'une autorité administrative prend une décision fixant à un administré des délais pour exécuter une obligation, tout recours contre cette décision ne pourrait avoir d'effet suspensif car un tel effet a pour conséquence d'annuler, par le temps de la procédure, le délai en question. Or l'octroi de l'effet suspensif à la décision du 1 er octobre 2021 ne compromet pas l'exécution de l'ordre de cessation d'activité de A.________ SA mais la diffère (si cette décision devait être confirmée). Or selon la jurisprudence, l'allongement de la durée de la procédure n'est pas constitutive d'un dommage irréparable (ATF 144 III 475 consid. 1.2).  
Par conséquent, la commune recourante ne parvient pas à démontrer que la cour cantonale - dans le cadre du large pouvoir d'appréciation qui caractérise les mesures provisionnelles - aurait retenu arbitrairement l'absence de préjudice irréparable. 
 
4.  
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si la commune dispose de la qualité pour recourir. 
Le présent arrêt est rendu sans frais, la commune agissant dans le cadre de ses attributions officielles (art. 66 al. 4 LTF). Elle versera en revanche des dépens à l'intimée, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 68 al. 2 et 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité. 
 
2.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
3.  
Une indemnité de 2'000 fr. est allouée à l'intimée, à titre de dépens, à la charge de la commune d'Avusy. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires de la recourante et de l'intimée, au Département du territoire, à la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève, à l'Office fédéral du développement territorial et au Tribunal administratif de première instance du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 16 janvier 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Tornay Schaller