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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_391/2022  
 
 
Arrêt du 17 février 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Chaix, Müller, Merz et Kölz. 
Greffier : M. Kurz. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représenté par Me Pierre Ventura, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens. 
 
Objet 
Procédure pénale; refus de retranchement d'un moyen de preuve, extension des mesures de surveillance en cas de découvertes fortuites, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton 
de Vaud, Chambre des recours pénale, du 2 juin 2022 
(403 - PE20.018158-DDM). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Dans le cadre d'une instruction pénale dirigée contre B.________ pour appropriation illégitime, brigandage qualifié, dommages à la propriété, faux dans les certificats, violations de la LArm et de la LStup, le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud (ci-après: le Tmc) a autorisé, les 28 février et 14 mai 2020, la surveillance active du raccordement téléphonique utilisé par le prévenu. La surveillance a fait apparaître que A.________ pourrait être impliqué dans le trafic de stupéfiants reproché au prévenu. Le Ministère public cantonal Strada a décidé, le 21 octobre 2020, d'ouvrir une procédure pénale contre A.________ (PE20.018158-DDM). Celui-ci a été entendu le 2 février 2021 et a été confronté aux résultats des écoutes téléphoniques opérées sur le raccordement de B.________. 
 
B.  
Le 26 octobre 2021, puis les 15 janvier, 21 février et 9 mars 2022, le défenseur d'office de A.________ a demandé le retranchement du dossier de l'ensemble des écoutes téléphoniques ainsi que du procès-verbal d'audition du 2 février 2021. Les écoutes avaient été opérées dans le cadre de la procédure dirigée contre B.________, et aucune autorisation n'avait été donnée quant à leur utilisation au détriment de A.________. 
Par requête du 3 mars 2022, le Ministère public a demandé au Tmc l'autorisation d'exploiter les résultats des écoutes téléphoniques à l'encontre de A.________, à titre de découvertes fortuites. Le Tmc a donné son autorisation par ordonnance du 4 mars 2022, considérant que les conditions d'une surveillance active étaient réalisées. 
Par ordonnance du 16 mars 2022, le Ministère public a rejeté la requête de retranchement de pièces du dossier. 
Par arrêt du 2 juin 2022, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a partiellement admis le recours formé par A.________. Les données obtenues lors des écoutes téléphoniques avaient été exploitées lors de l'audition de l'intéressé le 2 février 2021. Le Ministère public avait tardé à agir puisqu'il n'avait obtenu l'autorisation d'exploitation que le 4 mars 2022, soit plus d'une année plus tard. Les passages du procès-verbal d'audition du 2 février 2021 relatifs à ces écoutes (questions D11 à D21) devaient dès lors être retranchés et conservés à part, puis détruits à l'issue de la procédure. En revanche, les écoutes téléphoniques pouvaient rester au dossier et demeuraient exploitables pour toutes les activités postérieures à l'obtention de l'autorisation. Rien n'empêchait le Ministère public ou la police de réauditionner le recourant sur ces écoutes. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt cantonal en ce sens que l'ensemble des écoutes téléphoniques ainsi que l'entier du procès-verbal d'audition du 2 février 2021 ne sont pas exploitables et doivent être retranchés du dossier PE20.018158-DDM. Subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à la Chambre des recours pénale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
La Chambre des recours pénale renonce à se déterminer et se réfère à son arrêt. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Dans ses dernières déterminations, le recourant persiste dans ses conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
L'arrêt attaqué confirme le maintien au dossier de l'ensemble des écoutes téléphoniques ainsi que du procès-verbal d'audition du recourant du 2 février 2021, sous réserve du caviardage des questions D11 à D21. Il a été rendu au cours d'une procédure pénale par une autorité statuant en tant que dernière instance cantonale (art. 80 LTF). Il est donc susceptible de faire l'objet d'un recours en matière pénale au Tribunal fédéral (art. 78 ss LTF). 
Le recourant, prévenu mis en cause par les découvertes fortuites, entend faire constater le caractère inexploitable de celles-ci et obtenir leur destruction ainsi que celle de l'entier du procès-verbal d'audition. Il dispose ainsi d'un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de l'arrêt attaqué et la qualité pour recourir doit lui être reconnue (cf. art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF). 
Selon la jurisprudence, la décision attaquée est susceptible de causer au recourant un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 141 IV 284 consid. 2.3; 140 IV 40 consid. 1.1; arrêts 1B_51/2022 du 12 octobre 2022 consid. 1; 1B_133/2020 du 7 septembre 2020 consid. 1.2; 1B_191/2018 du 16 octobre 2018 consid. 1.1). 
Le recours a pour le surplus été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et les conclusions qui y sont prises sont recevables (art. 107 al. 2 LTF). Partant, il y a lieu d'entrer en matière. 
 
2.  
Le recourant se plaint incidemment d'une constatation manifestement inexacte des faits. Le Tribunal fédéral est toutefois lié par les faits retenus par l'arrêt entrepris (art. 105 al. 1 LTF), sous les réserves découlant des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, soit pour l'essentiel de l'arbitraire (art. 9 Cst.; sur cette notion, cf. ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2; 143 IV 241 consid. 2.3.1). Selon l'art. 106 al. 2 LTF, un tel grief doit être expressément soulevé; le recourant doit exposer de manière claire et détaillée les faits retenus qui sont contestés et en quoi il y aurait arbitraire (ATF 143 IV 500 consid. 1.1); les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2; 146 IV 114 consid. 2.1). 
En l'occurrence, le recourant n'indique pas quel fait aurait été constaté de manière inexacte; son argumentation est entièrement fondée sur la violation des prescriptions relatives à l'utilisation des découvertes fortuites, et ne porte pas sur des questions de fait. Le grief est dès lors irrecevable. 
 
3.  
Le recourant se plaint d'une violation des art. 141 al. 1 et 278 al. 3 CPP. Il relève que les découvertes fortuites ne peuvent être exploitées avant l'obtention de l'autorisation par le Tmc. En l'occurrence, les écoutes téléphoniques ont été exploitées à plusieurs reprises lors de l'ouverture de l'instruction contre le recourant (21 octobre 2020), lors de son audition par la police (2 février 2021), lors de la désignation de son avocat d'office (11 mars 2021) et lors de l'envoi des citations à comparaître pour une audition (18 février 2022). La découverte fortuite était reconnaissable dès le 21 octobre 2020, et l'autorisation n'a été requise et obtenue du Tmc qu'une année et demi plus tard. Pour le recourant, dans la mesure où son audition comme prévenu était entièrement basée sur les écoutes téléphoniques, c'est tout le procès-verbal d'audition qui devait être retranché du dossier. Par ailleurs, les écoutes elles-mêmes seraient absolument inexploitables au sens de l'art. 277 al. 2 CPP
Pour le Ministère public, le délai fixé à l'art. 274 al. 1 CPP est un délai d'ordre dont la violation n'implique pas l'inexploitabilité des preuves. Les écoutes téléphoniques seraient donc encore exploitables pour tous les actes d'enquête postérieurs à l'autorisation du Tmc. 
 
3.1. Aux termes de l'art. 278 al. 1 CPP, si, lors d'une surveillance, d'autres infractions que celles qui ont fait l'objet de l'ordre de surveillance sont découvertes, les informations recueillies peuvent être utilisées à l'encontre du prévenu lorsqu'une surveillance aurait pu être ordonnée aux fins de la poursuite de ces actes. L'alinéa 3 de cette disposition précise que, dans les cas visés aux alinéas précédents, le ministère public ordonne immédiatement la surveillance et engage la procédure d'autorisation. Les documents et enregistrements qui ne peuvent être utilisés au titre de découvertes fortuites doivent être conservés séparément et détruits immédiatement après la clôture de la procédure (art. 278 al. 4 CPP).  
 
3.2. Par renvoi de l'art. 278 al. 3 CPP, la procédure d'autorisation est réglée à l'art. 274 CPP. Cette disposition impose au ministère public de transmettre au Tmc, dans les 24 heures à compter du moment où la surveillance a été ordonnée, certains documents déterminants pour l'autorisation de la surveillance (art. 274 al. 1 CPP), l'autorité précitée étant tenue de statuer dans les cinq jours à compter du moment où la surveillance a été ordonnée (art. 274 al. 2 CPP). Dans la mesure où le délai de l'art. 274 al. 1 CPP est applicable en cas de découverte fortuite, il y a lieu de rappeler qu'il s'agit uniquement d'une prescription d'ordre dont la violation n'entraîne en principe pas l'inexploitabilité des moyens de preuve (arrêts 1B_638/2020 du 4 juin 2021 consid. 4; 1B_92/2019 du 2 mai 2019 consid. 2.4; 1B_136/2016 du 25 juillet 2016 consid. 3.1; 1B_274/2015 du 10 novembre 2015 consid. 3.2 publié in SJ 2016 I 474). Il en va de même du délai de cinq jours imparti au Tmc pour statuer (cf. art. 274 al. 2 CPP; arrêt 1B_59/2014 du 28 juillet 2014 consid. 4.9; HANSJAKOB/PAJAROLA, in Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung, [StPO], 3e éd. 2020, no 53 ad art. 274 CPP; SCHMID/JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung, Praxis-kommentar, 3e éd. 2018, no 7 ad art. 274 CPP; THOMAS HANSJAKOB, Überwachungsrecht der Schweiz, Kommentar zu Art. 269 ff. StPO und zum BÜPF, 2018, no 975; JEANNERET/KUHN, sont cependant d'un avis contraire [Précis de procédure pénale, 2e éd. 2018, p. 404 n. 14097], et SYLVAIN MÉTILLE, qui semble aller dans le même sens [in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, no 28 ad art. 274 CPP]).  
 
3.3. Dans un arrêt 1B_92/2019 du 2 mai 2019 (consid. 2.5), le Tribunal fédéral a admis que l'autorisation du Tmc soit donnée dans les deux mois suivant l'utilisation de la découverte fortuite au cours d'une audition durant laquelle le prévenu avait refusé de déposer (dans ce sens également HANSJAKOB/PAJAROLA, op. cit., no 95 ad art. 278 CPP; voir également SYLVAIN MÉTILLE, op. cit., no 23 ad art. 278 al. 3 CPP, cet auteur considérant un tel délai de deux mois comme "particulièrement généreux"; quant à Marc Jean-Richard-dit-Bressel, il précise que la demande d'autorisation devrait intervenir dans les 24 heures suivant les premières mesures visant à éclaircir la découverte fortuite [MARC JEAN-RICHARD-DIT-BRESSEL, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, 2e éd. 2014, no 27 ad art. 278 CPP]). En revanche, l'absence de toute procédure tendant à obtenir l'autorisation d'utilisation de ces découvertes permettrait, le cas échéant, l'application des art. 277, 278 al. 4 et/ou 141 al. 4 CPP (ATF 141 IV 459 consid. 3.1; arrêt 1B_136/2016 du 25 juillet 2016 consid. 3.1).  
Plus récemment (arrêt 1B_107/2022 du 3 janvier 2023), le Tribunal fédéral a considéré qu'une requête d'autorisation formée par le Ministère public cinq mois après l'exploitation (sous la forme de l'ouverture d'une procédure, puis d'une audition) de la découverte fortuite était tardive. Le Tribunal fédéral a constaté l'inexploitabilité des découvertes fortuites à l'encontre de la personne concernée. 
 
3.4. En l'occurrence, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre le recourant le 21 octobre 2020, sur la base des écoutes téléphoniques du raccordement de B.________. Il a entendu le recourant le 2 février 2021 et l'a confronté au résultat de ces écoutes. Il n'a pourtant requis l'exploitation des découvertes fortuites que le 3 mars 2022, après de multiples interventions de l'avocat du recourant. Le délai légal, même apprécié avec une certaine souplesse, est ainsi très largement dépassé. C'est dès lors à juste titre que la cour cantonale en déduit que l'exploitation des écoutes téléphoniques avant l'autorisation du Tmc était contraire au droit fédéral.  
En revanche, c'est à tort que la Chambre pénale de recours a limité à certaines questions (D11 à D21) l'annulation du procès-verbal d'interrogatoire du 2 février 2021. En effet, il n'est pas contesté que les charges contre le recourant provenaient exclusivement des écoutes découvertes fortuitement. Dans un tel cas, c'est l'ensemble de l'audition du recourant qui doit être considéré comme un acte d'exploitation de la preuve en question (cf. arrêt 1B_107/2022 précité consid. 3.3). Le procès-verbal entier doit donc être écarté du dossier de la procédure concernant le recourant, en application de l'art. 277 al. 2 et 278 al. 4 CPP. 
 
3.5. S'agissant des écoutes téléphoniques elles-mêmes, elles ne peuvent, contrairement également à ce que retient l'arrêt attaqué, être maintenues au dossier du recourant. En effet, le Ministère public a formellement ouvert la procédure contre le recourant le 21 octobre 2020 déjà, sur la base du résultat de ces écoutes dont, manifestement, l'autorité d'instruction a pris entièrement connaissance. Compte tenu du délai écoulé, l'autorisation requise le 3 mars 2022 seulement n'aurait pas dû être accordée par le Tmc. A fortiori, on ne saurait envisager qu'une nouvelle demande d'exploitation de ces preuves puisse être encore déposée dans un délai compatible avec les exigences de l'art. 278 al. 3 CPP. Le recours doit également être admis sur ce point.  
 
4.  
Le recours doit par conséquent être admis et l'arrêt attaqué est réformé en ce sens que le recours cantonal est admis; l'ordonnance du 16 mars 2022 est réformée en ce sens que le procès-verbal d'audition et les écoutes téléphoniques ne sont pas exploitables à l'encontre du recourant et doivent être conservés séparément du dossier du recourant, puis détruits à la clôture de la procédure. 
Le recourant obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat et a droit à des dépens, à la charge de l'Etat de Vaud (art. 68 al. 1 LTF). Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Il appartiendra enfin à la cour cantonale de statuer à nouveau sur la question des frais et dépens de la procédure cantonale (art. 68 al. 5 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est réformé en ce sens que le recours cantonal est admis; l'ordonnance du 16 mars 2022 est réformée en ce sens que le procès-verbal d'audition du 2 février 2021 et les écoutes téléphoniques ne sont pas exploitables à l'encontre du recourant et doivent être conservés séparément du dossier PE20.018158-DDM, puis détruits à la clôture de la procédure. La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale. 
 
2.  
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée au recourant, à la charge du canton de Vaud. 
 
3.  
Il n'est pas perçu de frais judiciaires. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public central du canton de Vaud et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale. 
 
 
Lausanne, le 17 février 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
Le Greffier : Kurz