Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_1102/2016  
   
   
 
 
 
Arrêt du 12 décembre 2017  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Denys, Président, Jacquemoud-Rossari et Oberholzer. 
Greffier : M. Thélin. 
 
Participants à la procédure 
X.________, 
représenté par Me Philippe Currat, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public du canton de Genève, 
intimé. 
 
Objet 
délit de chauffard 
 
recours contre l'arrêt rendu le 23 août 2016 Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève 
(P/9667/2014 AARP/336/2016). 
 
 
Faits :  
 
A.   
X.________ est un agent de la police genevoise avec grade d'appointé. Par jugement du 23 février 2016, le Tribunal de police du canton de Genève l'a déclaré coupable de la violation particulièrement grave des règles de la circulation routière dite « délit de chauffard », réprimée par l'art. 90 al. 3 de la loi fédérale sur la circulation routière (LCR). Le tribunal l'a condamné à la peine d'un an de privation de liberté, avec sursis durant un délai d'épreuve de trois ans. 
La Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice a statué le 23 août 2016 sur l'appel du prévenu. Elle a rejeté cet appel. 
En substance, les faits sont constatés comme suit : 
Le 29 janvier 2014, le prévenu était affecté à la police routière. Vers 15h20, il se trouvait en patrouille au volant d'un véhicule de service, accompagné d'un collègue, sur le quai Général-Guisan à Genève. La centrale d'engagement a alors annoncé aux patrouilles qu'un conducteur « roulait comme un dingue » sur le quai de Cologny, en direction de Vésenaz, et qu'il avait « failli créer un accident avec un automobiliste circulant dans le même sens ». Le prévenu a entrepris d'intervenir le plus rapidement possible pour intercepter le véhicule en cause. Il a enclenché les avertisseurs sonores et optiques prescrits pour les courses urgentes et il s'est engagé sur le quai Gustave-Ador; sur cette artère où la vitesse est limitée à 50 km/h, il a circulé à la vitesse de 132 km/h à la hauteur du parc des Eaux-Vives. 
 
B.   
Agissant par la voie du recours en matière pénale, X.________ requiert le Tribunal fédéral de l'acquitter, ou subsidiairement de l'exempter de toute peine, ou plus subsidiairement d'annuler l'arrêt de la Cour de justice et de renvoyer la cause à cette autorité pour nouvelle décision. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Les conditions de recevabilité du recours en matière pénale sont satisfaites, notamment à raison de la qualité pour recourir. 
 
2.   
L'art. 90 al. 3 LCR rend punissable d'une peine privative de liberté d'un au moins et de quatre ans au plus le conducteur qui, par une violation intentionnelle des règles fondamentales de la circulation, accepte de courir un grand risque d'accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort, que ce soit en commettant des excès de vitesse particulièrement importants, en effectuant des dépassements téméraires ou en participant à des courses de vitesse illicites avec des véhicules automobiles. 
Selon la jurisprudence, le conducteur qui commet un excès de vitesse typique du délit de chauffard est présumé agir intentionnellement et s'accommoder du risque d'accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort; seules des circonstances particulières peuvent induire le juge à exclure la réalisation de ces éléments subjectifs de l'infraction (ATF 142 IV 137 consid. 11.2 p. 151). 
 
3.   
A teneur de l'art. 100 ch. 4 LCR, le conducteur d'un véhicule de la police n'est pas punissable s'il a enfreint les règles de la circulation lors d'une course officielle urgente, en donnant les signaux d'avertissement nécessaires et en faisant preuve de la prudence imposée par les circonstances. 
Selon un amendement de cette disposition entré en vigueur le 1er août 2016, le conducteur est certes punissable mais la peine peut être atténuée s'il n'a pas fait preuve de la prudence imposée par les circonstances. La cause du recourant était alors pendante devant la Cour de justice. Parce que l'appel avait effet suspensif (art. 402 CPP) et qu'il conférait à la Cour un pouvoir d'examen complet en fait et droit (art. 398 al. 2 CPP), cette autorité devait éventuellement appliquer cette règle nouvelle en vertu de l'art. 2 al. 2 CP (ATF 117 IV 369 consid. 15 p. 386; arrêt 6B_447/2007 du 29 mars 2008, consid. 2, SJ 2008 I 349). 
 
 
4.   
Il est incontesté que le recourant a intentionnellement enfreint les règles de la circulation par un excès de vitesse particulièrement important, typique du délit de chauffard réprimé par l'art. 90 al. 3 LCR. Il est également constant que les signaux avertisseurs prescrits pour les courses urgentes des véhicules de la police étaient enclenchés. Le recourant soutient que toutes les conditions énoncées à l'art. 100 ch. 4 LCR étaient satisfaites et que pour ce motif déjà, il doit être acquitté de la prévention fondée sur l'art. 90 al. 3 LCR. A titre subsidiaire, il conteste avoir accepté de courir un grand risque d'accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort. Plus subsidiairement, il revendique l'exemption de peine prévue par l'art. 52 CP lorsque la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte sont peu importantes, ou, à défaut, l'atténuation de la peine prévue par l'art. 100 ch. 4 LCR dans sa nouvelle teneur. 
 
5.   
Selon la jurisprudence, les courses urgentes visées par l'art. 100 ch. 4 LCR sont celles nécessaires pour permettre à la police ou aux autres services concernés d'intervenir aussi rapidement que possible dans le but de sauver des vies humaines, d'écarter un danger pour la sécurité ou l'ordre public, de préserver des biens de valeur importante ou de poursuivre des fugitifs. L'urgence dépend de l'importance des biens juridiques menacés et du risque que leur lésion soit considérablement aggravée par un retard même léger dans l'intervention. Pour apprécier le degré de l'urgence, les conducteurs de véhicules et les chefs des services d'intervention peuvent et doivent évaluer la situation telle qu'elle se présente à eux au moment de leur action. Les conditions du trafic doivent se présenter de telle manière qu'à défaut de dérogation aux règles de circulation ou d'usage du droit spécial de priorité, l'intervention risque d'être considérablement retardée (arrêt 6B_1102/2015 du 20 juillet 2016, consid. 2.1, SJ 2017 I 277). 
Le Tribunal de police a semble-t-il admis que la course entreprise par le recourant le 29 janvier 2014 vers 15h20 était urgente aux termes de l'art. 100 ch. 4 LCR. Le Ministère public n'a pas abordé cette question juridique devant la Cour de justice; c'est pourquoi, selon l'arrêt attaqué, les juges d'appel se sont dispensés de l'examiner. La Cour a ainsi retenu l'urgence sans avoir discuté ni l'événement qui motivait l'alerte diffusée aux patrouilles par la centrale d'engagement, ni de quelle manière cet événement se présentait au recourant lorsque celui-ci a agi. 
 
6.   
La Cour juge en revanche que le recourant a conduit son véhicule de service sans faire preuve de la prudence imposée par les circonstances, et que ce comportement exclut l'immunité prévue par l'art. 100 ch. 4 LCR. Selon la Cour, même dans l'hypothèse où le recourant aurait agi parce qu'il croyait que l'intervention à accomplir devait mettre fin à une menace contre la vie ou l'intégrité corporelle, hypothèse que la Cour ne retient pas, cette perspective ne justifiait pas de créer une menace pareillement grave avec un excès de vitesse de l'ampleur constatée. La Cour juge encore que le comportement adopté était à tel point déraisonnable qu'il exclut non seulement l'immunité mais aussi la réduction de peine également prévue par l'art. 100 ch. 4 LCR dans sa nouvelle teneur. 
 
6.1. Dans des cas d'excès de vitesse très importants commis par des particuliers qui invoquaient pour leur défense l'état de nécessité (art. 17 CP), le Tribunal fédéral a jugé que même si le bien en péril est aussi précieux que la vie ou l'intégrité corporelle d'autrui, il est pratiquement exclu de justifier par un gain de quelques instants le risque d'accident mortel auquel les occupants du véhicule et les autres usagers de la route sont exposés en conséquence d'un excès de ce genre (arrêts 6B_7/2010 du 16 mars 2010, consid. 2; 6A.28/2003 du 11 juillet 2003, consid. 2.2). Les signaux d'avertissement sonores et optiques d'un véhicule de la police circulant à vitesse très élevée ne sont que peu aptes à réduire le risque d'un accident parce qu'en raison de l'approche rapide de ce véhicule, les tiers exposés au danger ne jouissent que d'un temps réduit pour percevoir ces signaux, y réagir et adapter leur propre comportement. Un excès de vitesse très important ne se justifie donc pas davantage en cas de course urgente selon l'art. 100 ch. 4 LCR que dans le cas d'un déplacement exécuté en état de nécessité avec un véhicule privé.  
Le Conseil fédéral s'est exprimé dans le même sens le 13 août 2014 en réponse à une intervention parlementaire qui portait précisément sur les courses urgentes visées par l'art. 100 ch. 4 LCR (question du Conseiller national Freysinger n° 14.1027; BO 2014 N 1872) : « Lorsque l'infraction relève du délit de chauffard au sens de l'art. 90 al. 3 et 4 LCR, par exemple lorsqu'un conducteur roule à 100 km/h au lieu des 50 km/h autorisés à l'intérieur des localités, des tiers sont dans la plupart des cas réellement mis en danger par ce grand excès de vitesse. Le caractère proportionné de telles courses pourrait dès lors difficilement être retenu. L'appréciation du cas incombe toujours au tribunal. » 
En l'espèce, le recourant fait inutilement valoir que les signaux lumineux situés à la hauteur du parc des Eaux-Vives présentaient le feu vert, que les conditions de visibilité étaient excellentes sur le quai Gustave-Ador, que la chaussée y était sèche et le trafic très faible, et qu'il était aidé par son collègue présent à son côté. En raison de la vitesse démesurée du véhicule, ces circonstances laissaient subsister un risque élevé d'accident mortel, inconciliable avec la prudence exigée par l'art. 100 ch. 4 LCR lors d'une course officielle urgente. Par ailleurs, rien n'autorise à supposer que le recourant ait pu ne pas percevoir ce risque d'accident mortel ou ne pas s'en accommoder. La Cour de justice retient donc à bon droit que le recourant a perpétré le délit de chauffard réprimé par l'art. 90 al. 3 LCR et qu'il ne jouit pas de l'immunité régie par l'art. 100 ch. 4 LCR
 
6.2. La clause d'atténuation de peine nouvellement introduite à l'art. 100 ch. 4 LCR a été proposée par le Conseil fédéral en marge d'un projet de révision de la législation sur les douanes; les conseils législatifs l'ont adoptée sans débat. Selon l'intention du Conseil fédéral, cette clause doit s'appliquer lorsque « pour des raisons particulières, le conducteur n'a pas fait preuve de la prudence imposée par les circonstances »; le gouvernement précisait que « la peine encourue ne pourra pas être atténuée si le conducteur n'a nullement fait preuve de la prudence imposée par les circonstances » (Message du 6 mars 2015 concernant la modification de la loi sur les douanes, FF 2015 2657 p. 2701). En l'espèce, il n'y a de toute évidence pas lieu à atténuation de la peine; sur ce point aussi, l'appréciation de la Cour de justice est conforme au droit fédéral. Enfin, le moyen que le recourant prétend tirer de l'art. 52 CP ne peut qu'être rejeté car les conditions d'application de cette disposition ne sont nullement réalisées.  
 
7.   
Le recours en matière pénale se révèle privé de fondement, ce qui conduit à son rejet. A titre de partie qui succombe, son auteur doit acquitter l'émolument à percevoir par le Tribunal fédéral. 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
Le recourant acquittera un émolument judiciaire de 3'000 francs. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 12 décembre 2017 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le président : Denys 
 
Le greffier : Thélin