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Chapeau

148 IV 234


22. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause A. contre Ministère public de la République et canton de Genève et B. (recours en matière pénale)
6B_894/2021 du 28 mars 2022

Regeste

Art. 3 et 8 CEDH; art. 36 Convention d'Istanbul; art. 189 et 190 CP; élément constitutif de la contrainte; principe de la légalité; principe du consentement ("oui, c'est oui") et principe du refus ("non, c'est non").
Même si la jurisprudence ne pose pas des exigences très élevées en la matière, la contrainte reste l'un des éléments constitutifs des infractions de contrainte sexuelle et de viol (consid. 3.3 et 3.4).
Le point de savoir si les art. 189 et 190 CP, tels que formulés actuellement, répondent aux exigences de la Convention d'Istanbul peut demeurer indécis, dite convention ne créant pas de droits subjectifs pour la personne qui l'invoque (consid. 3.1 et 3.7.1).
Exposé des principes déduits des art. 3 et 8 CEDH par la CourEDH en matière d'infraction contre l'intégrité sexuelle et analyse de la jurisprudence conventionnelle. On ne peut déduire de celle-ci que la solution du consentement ("oui, c'est oui") s'imposerait aux Hautes Parties contractantes en application des dispositions précitées, dans la mesure où la CourEDH n'a pas eu à se pencher sur un cas dans lequel seule l'absence d'expression du consentement serait en jeu face à une législation qui ne prévoirait pas la solution du consentement (consid. 3.2 et 3.7.2). Quoi qu'il en soit, le principe de la légalité oblige la prise en compte de l'élément constitutif de la contrainte toujours prévu aux art. 189 et 190 CP, la suppression de cet élément relevant de la compétence du législateur (consid. 3.5 et 3.8).

Faits à partir de page 235

BGE 148 IV 234 S. 235

A. Par jugement du 2 septembre 2020, le Tribunal correctionnel de la République et canton de Genève a acquitté B. d'injure et l'a condamné pour contrainte sexuelle et viol à une peine privative de liberté de 3 ans, sous déduction de la détention avant jugement, avec sursis partiel, la peine ferme étant d'un an. Il a prononcé l'expulsion de B., l'a condamné à payer à A. les montants de 10'000 fr. en
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réparation de son tort moral et de 20'362 fr. 20 en couverture des honoraires de son avocate et a mis 4/5e des frais de procédure à sa charge.

B. Statuant sur l'appel formé par B. contre le jugement précité, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise l'a admis par arrêt du 31 mai 2021. Elle a ainsi acquitté B. des chefs de contrainte sexuelle, de viol et d'injure, rejeté les conclusions civiles de A., levé les mesures de substitution ordonnées par le tribunal des mesures de contrainte, statué sur les objets séquestrés, fixé l'indemnité due au défenseur d'office de B. et laissé les frais de l'ensemble de la procédure à la charge de l'Etat.
En résumé, il en ressort les éléments suivants.
Dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 2017, après s'être rencontrés dans un bar alternatif non officiel, sis rue U., à Genève, où ils ont consommé quelques bières, discuté, dansé et flirté, B. et A. se sont rendus au domicile de celui-là pour fumer une cigarette. Une fois dans l'appartement, B. et A. ont pratiqué un acte d'ordre sexuel, soit une fellation, et ont entretenu un rapport sexuel.
Le 1er décembre 2017, A. s'est présentée à la police et a déposé plainte pénale contre B. notamment pour contrainte sexuelle et viol.

C. A. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 31 mai 2021. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, principalement, à la condamnation de B. pour contrainte sexuelle et viol, à l'allocation, à la charge de B., d'une indemnité en réparation du tort moral de 10'000 fr. avec intérêts à 5 % dès le 1er décembre 2017 et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour fixation de la peine. Subsidiairement, elle conclut à la condamnation de B. pour contrainte sexuelle et viol et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour fixation de l'indemnité en réparation du tort moral et de la peine.

Considérants

Extrait des considérants:

3. Invoquant les art. 3 et 8 CEDH, 36 de la Convention d'Istanbul, 189 et 190 CP, la recourante conteste l'acquittement de l'intimé. La recourante fait ainsi grief à la cour cantonale de ne pas avoir interprété les art. 189 et 190 CP à la lumière de la jurisprudence de la CourEDH et de celle de la convention précitée.

3.1 Aux termes de l'art. 36 par. 1 de la Convention du Conseil de l'Europe du 11 mai 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence
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à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d'Istanbul; RS 0.311.35), les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale, lorsqu'ils sont commis intentionnellement, la pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, à caractère sexuel, du corps d'autrui avec toute partie du corps ou avec un objet (let. a); les autres actes à caractère sexuel non consentis sur autrui (let. b) et le fait de contraindre autrui à se livrer à des actes à caractère sexuel non consentis avec un tiers (let. c). Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes (art. 36 par. 2 Convention d'Istanbul).

3.2 Aux termes de l'art. 3 CEDH, nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Quant à l'art. 8 CEDH, il protège le droit au respect de la vie privée et familiale.
La CourEDH a déduit des art. 3 et 8 CEDH l'obligation positive pour les Etats d'adopter des dispositions pénales incriminant et punissant de manière effective tout acte sexuel non consensuel, y compris lorsque la victime n'a pas opposé de résistance physique, et de mettre concrètement ces dispositions en oeuvre par l'accomplissement d'enquêtes et de poursuites effectives (arrêts de la CourEDH J.L. contre Italie du 27 mai 2021, § 117; M.C. contre Bulgarie du 4 décembre 2003, § 153 et 166). Elle rappelle en outre que l'obligation positive qui incombe à l'Etat en vertu de l'art. 8 CEDH de protéger l'intégrité physique de l'individu appelle, dans des cas aussi graves que le viol, des dispositions pénales efficaces et peut s'étendre par conséquent aux questions touchant à l'effectivité de l'enquête pénale menée aux fins de la mise en oeuvre de ces dispositions (J.L. contre Italie précité, § 118 et la référence citée).

3.3 Conformément à l'art. 189 CP, se rend coupable de contrainte sexuelle celui qui, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d'ordre psychique ou en la mettant hors d'état de résister, l'aura contrainte à subir un acte analogue à l'acte sexuel ou un autre acte d'ordre sexuel. Celui qui, dans les mêmes circonstances, contraint une personne de sexe féminin à subir l'acte sexuel se rend coupable de viol au sens de l'art. 190 CP.
L'art. 189 CP, de même que l'art. 190 CP, tendent à protéger la libre détermination en matière sexuelle (ATF 131 IV 167 consid. 3 p. 169;
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ATF 122 IV 97 consid. 2b p. 100), en réprimant l'usage de la contrainte aux fins d'amener une personne à faire ou à subir, sans son consentement, un acte d'ordre sexuel (art. 189 CP) ou une personne de sexe féminin à subir l'acte sexuel (art. 190 CP), par lequel on entend l'union naturelle des parties génitales d'un homme et d'une femme (arrêts 6B_367/2021 du 14 décembre 2021 consid. 2.2.1; 6B_1271/2020 du 20 août 2021 consid. 1.1.2 et les références citées). Pour qu'il y ait contrainte en matière sexuelle, il faut que la victime ne soit pas consentante, que l'auteur le sache ou accepte cette éventualité et qu'il passe outre en profitant de la situation ou en utilisant un moyen efficace (ATF 122 IV 97 consid. 2b p. 100; arrêts 6B_802/2021 du 10 février 2022 consid. 1.2; 6B_488/2021 du 22 décembre 2021 consid. 5.4.1; 6B_367/2021 précité consid. 2.2.1). L'art. 189 CP ne protège des atteintes à la libre détermination en matière sexuelle que pour autant que l'auteur surmonte ou déjoue la résistance que l'on pouvait raisonnablement attendre de la victime (ATF 133 IV 49 consid. 4 p. 52 et l'arrêt cité; arrêts 6B_802/2021 précité consid. 1.2; 6B_488/2021 précité consid. 5.4.1; 6B_367/202 précité consid. 2.2.1).
Le viol et la contrainte sexuelle supposent ainsi l'emploi d'un moyen de contrainte. Il s'agit notamment de l'usage de la violence. La violence désigne l'emploi volontaire de la force physique sur la personne de la victime dans le but de la faire céder (ATF 122 IV 97 consid. 2b p. 100; arrêts 6B_367/2021 précité consid. 2.2.1; 6B_995/2020 du 5 mai 2021 consid. 2.1). Il n'est pas nécessaire que la victime soit mise hors d'état de résister ou que l'auteur la maltraite physiquement. Une certaine intensité est néanmoins requise. La violence suppose non pas n'importe quel emploi de la force physique, mais une application de cette force plus intense que ne l'exige l'accomplissement de l'acte dans les circonstances ordinaires de la vie. Selon le degré de résistance de la victime ou encore en raison de la surprise ou de l'effroi qu'elle ressent, un effort simplement inhabituel de l'auteur peut la contraindre à se soumettre contre son gré (ATF 87 IV 66 consid. 1 p. 68; arrêts 6B_367/2021 précité consid. 2.1; 6B_995/2020 précité consid. 2.1). Selon les circonstances, un déploiement de force relativement faible peut suffire. Ainsi, peut déjà suffire le fait de maintenir la victime avec la force de son corps, de la renverser à terre, de lui arracher ses habits ou de lui tordre un bras derrière le dos (arrêts 6B_367/2021 précité consid. 2.2.1; 6B_995/2020 précité consid. 2.1; 6B_326/2019 du 14 mai 2019 consid. 3.2.1).
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En introduisant par ailleurs la notion de "pressions psychiques", le législateur a voulu viser les cas où la victime se trouve dans une situation sans espoir, sans pour autant que l'auteur ait recouru à la force physique ou à la violence. Les pressions d'ordre psychique concernent les cas où l'auteur provoque chez la victime des effets d'ordre psychique, tels que la surprise, la frayeur ou le sentiment d'une situation sans espoir, propres à la faire céder (ATF 128 IV 106 consid. 3a/bb p. 111; ATF 122 IV 97 consid. 2b p. 100; arrêts 6B_488/2021 précité consid. 5.4.2; 6B_367/2021 précité consid. 2.2.1). En cas de pressions d'ordre psychique, il n'est pas nécessaire que la victime ait été mise hors d'état de résister (ATF 124 IV 154 consid. 3b p. 158 s.; arrêts 6B_367/2021 précité consid. 2.2.1; 6B_59/2021 du 12 novembre 2021 consid. 2.2). La pression psychique générée par l'auteur et son effet sur la victime doivent néanmoins atteindre une intensité particulière (ATF 131 IV 167 consid. 3.1 p. 170 s. et les références citées; 6B_488/2021 précité consid. 5.4.2; 6B_367/2021 précité consid. 2.2.1). Pour déterminer si l'on se trouve en présence d'une contrainte sexuelle, il faut procéder à une appréciation globale des circonstances concrètes déterminantes (ATF 131 IV 107 consid. 2.2 p. 109; 6B_488/2021 précité consid. 5.4.2; 6B_367/2021 précité consid. 2.2.1).

3.4 Sur le plan subjectif, la contrainte sexuelle et le viol sont des infractions intentionnelles. L'auteur doit savoir que la victime n'est pas consentante ou en accepter l'éventualité (arrêts 6B_367/2021 du 14 décembre 2021 consid. 2.2.2; 6B_643/2021 du 21 septembre 2021 consid. 3.3.5; 6B_995/2020 du 5 mai 2021 consid. 2.1). Déterminer ce qu'une personne a su, voulu, envisagé ou accepté relève du contenu de la pensée, à savoir de faits "internes" qui, en tant que tels, lient le Tribunal fédéral (cf. art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'ils aient été retenus de manière arbitraire (ATF 142 IV 137 consid. 12 p. 152; ATF 141 IV 369 consid. 6.3 p. 375). L'élément subjectif se déduit d'une analyse des circonstances permettant de tirer, sur la base des éléments extérieurs, des déductions sur les dispositions intérieures de l'auteur. S'agissant de la contrainte en matière sexuelle, l'élément subjectif est réalisé lorsque la victime donne des signes évidents et déchiffrables de son opposition, reconnaissables pour l'auteur, tels des pleurs, des demandes d'être laissée tranquille, le fait de se débattre, de refuser des tentatives d'amadouement ou d'essayer de fuir (arrêts 6B_367/2021 précité consid. 2.2.2; 6B_1285/2018 du 11 février 2019 consid. 2.2; 6B_502/2017 du 16 avril 2018 consid. 2.1).
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3.5 Une peine ou une mesure ne peut être prononcée qu'en raison d'un acte expressément réprimé par la loi (art. 1 CP). Le principe de la légalité (nulla poena sine lege) est aussi ancré expressément à l'art. 7 CEDH. Il se déduit également des art. 5 al. 1, 9 et 164 al. 1 let. c Cst. (ATF 147 II 274 consid. 2.1.1 p. 289; ATF 145 IV 470 consid. 4.5 p. 478 et les références citées). Le principe est violé lorsque quelqu'un est poursuivi pénalement en raison d'un comportement qui n'est pas visé par la loi; lorsque l'application du droit pénal à un acte déterminé procède d'une interprétation de la norme pénale excédant ce qui est admissible au regard des principes généraux du droit pénal; ou si quelqu'un est poursuivi en application d'une norme pénale qui n'a pas de fondement juridique (ATF 147 II 274 consid. 2.1.1 p. 289; ATF 145 IV 470 consid. 4.5 p. 478; ATF 144 I 242 consid. 3.1.2 p. 251). Le principe s'applique à l'ensemble du droit pénal. Il n'exclut pas une interprétation extensive de la loi à la charge du prévenu (ATF 147 II 274 consid. 2.1.1 p. 289; ATF 145 IV 470 consid. 4.5 p. 479; ATF 138 IV 13 consid. 4.1 p. 20). La loi doit être formulée de manière telle qu'elle permette au citoyen de s'y conformer et de prévoir les conséquences d'un comportement déterminé avec un certain degré de certitude dépendant des circonstances (ATF 147 II 274 consid. 2.1.1 p. 289; ATF 145 IV 470 consid. 4.5 p. 479; ATF 144 I 242 consid. 3.1.2 p. 251). L'exigence de précision de la base légale ne doit cependant pas être comprise d'une manière absolue. Le législateur ne peut pas renoncer à utiliser des définitions générales ou plus ou moins vagues, dont l'interprétation et l'application sont laissées à la pratique. Le degré de précision requis ne peut pas être déterminé de manière abstraite. Il dépend, entre autres, de la multiplicité des situations à régler, de la complexité ou de la prévisibilité de la décision à prendre dans le cas particulier, du destinataire de la norme, ou de la gravité de l'atteinte aux droits constitutionnels. Il dépend aussi de l'appréciation que l'on peut faire, objectivement, lorsque se présente un cas concret d'application (ATF 147 II 274 consid. 2.1.1 p. 289; ATF 145 IV 470 consid. 4.5 p. 479 et les références citées; ATF 139 I 72 consid. 8.2.1 p. 86; ATF 138 IV 13 consid. 4.1 p. 20).

3.6 La cour cantonale a retenu que l'intimé n'avait pas réduit ou anéanti la capacité de résister de la recourante en lui administrant du GHB à son insu, hypothèse qui n'était du reste pas visée par l'acte d'accusation. Celle-ci s'était ainsi rendue de sa propre volonté à son domicile. Sur place, elle avait spontanément décidé de rester, après avoir envisagé de quitter les lieux, où elle n'avait jamais été
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enfermée sans possibilité de sortir. Elle n'avait opposé aucune résistance aux avances de l'intimé, ni n'avait même manifesté de façon intelligible un refus, que ce soit alors qu'ils se déshabillaient et gagnaient le lit, lors de la fellation et juste avant ou durant l'acte sexuel, sa seule réaction négative ayant eu trait à la douleur provoquée par les morsures (dans sa version) ou suçons (dans celle de l'intimé, qui avait été privilégiée). Il se pouvait que la cause de cette passivité résidât dans un état de terreur qui avait envahi la jeune femme, assorti d'un mécanisme de dissociation. Néanmoins, l'intimé n'avait aucune raison d'en être conscient, n'ayant objectivement rien fait pour susciter ledit état. Certes, comme développé par le Ministère public et la recourante, celle-ci était, à tout moment, parfaitement légitimée à refuser ou interrompre les actes. Pour autant, il résultait des faits qu'elle ne l'avait pas fait; elle avait même, par moments, donné des signaux d'assentiment (elle avait fait "comme si c'était cool", avait demandé à l'intimé de mettre un préservatif, avait répondu par l'affirmative lorsqu'il lui avait demandé si elle aimait "ça"). En prolongement, l'argument plaidé par la recourante, selon lequel il était "clair" qu'il n'y avait pas de consentement mais que l'intimé n'avait pas voulu l'entendre, devait être écarté. Dans ces circonstances, ni l'élément constitutif objectif de la contrainte, ni celui, subjectif, de l'intention n'étaient réalisés de sorte que l'intimé devait être acquitté.

3.7 En substance, se référant à l'art. 36 de la Convention d'Istanbul et à la jurisprudence de la CourEDH (plus particulièrement à l'arrêt M.C. contre Bulgarie précité), la recourante soutient que cette convention serait fondée sur le principe de l'absence de l'expression du consentement ("oui, c'est oui") pour définir les infractions d'agressions sexuelles et non sur celui d'un refus exprimé par la victime ("non, c'est non"). Cette solution permettrait de sanctionner adéquatement l'acte de nature sexuelle commis en profitant d'un état de sidération de la victime. En application de l'art. 36 de la Convention d'Istanbul, les autorités judiciaires ne pourraient pas acquitter l'auteur d'actes de nature sexuelle si la victime n'a pas exprimé son consentement. Il en irait de même en application de la jurisprudence de la CourEDH. Dans le cas d'espèce, la cour cantonale aurait donc violé les conventions internationales en acquittant l'intimé. En effet, la recourante n'aurait à aucun moment exprimé son consentement; en raison de l'état de sidération dans lequel elle se serait trouvée, elle en aurait par ailleurs été incapable. Elle serait ainsi restée passive pendant toute la durée des actes sexuels. Quant à l'intimé, il ne se
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serait à aucun moment arrêté ou posé la question de savoir si la recourante consentait aux actes qu'il entreprenait. Son comportement démontrerait qu'il aurait sciemment choisi de ne pas prêter attention au comportement passif de la recourante et en aurait, au contraire, tiré profit pour assouvir ses propres désirs. Il n'aurait pas pu ignorer l'absence de consentement de la recourante et aurait ainsi agi intentionnellement. Au regard des principes dégagés des conventions internationales et de la jurisprudence y relative, l'intimé aurait adopté un comportement qui devrait être considéré comme une infraction pénale d'agression sexuelle. Les art. 189 et 190 CP devraient être interprétés de manière conforme aux dites conventions si bien que l'intimé devrait être condamné pour contrainte sexuelle et viol.

3.7.1 S'agissant de la Convention d'Istanbul, il convient tout d'abord de relever que, selon le Message, l'art. 36 couvre certes toutes les formes de violence sexuelle auxquelles une personne est soumise intentionnellement sans son consentement. Les Parties disposent toutefois d'une certaine latitude puisqu'elles sont libres de décider de la formulation exacte de la législation et des facteurs considérés comme exclusifs d'un consentement libre (Message du 2 décembre 2016 concernant l'approbation de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique [convention d'Istanbul], FF 2017 163, spéc. 216 et la référence au Rapport explicatif de la convention). Toujours selon le Message, les comportements visés sont punis par le titre 5 CP (infractions contre l'intégrité sexuelle), notamment en tant que contrainte sexuelle (art. 189 CP) et viol (art. 190 CP) si bien que le droit suisse satisfait aux exigences de l'art. 36 de la Convention d'Istanbul. Le droit pénal suisse en matière sexuelle fait actuellement l'objet d'un projet de révision. En l'état, le projet proposé par la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats prévoit, concernant les art. 189 et 190 CP, en résumé, que les actes d'ordre sexuel que leur auteur commet sur une personne ou qu'il lui fait commettre en ignorant intentionnellement (ou par dol éventuel) la volonté contraire exprimée verbalement ou non verbalement par la victime, et ce sans user de la contrainte ("non, c'est non"), feront leur entrée dans le code pénal. Par ailleurs, la définition du viol sera étendue, puisque, premièrement, l'élément de la contrainte sera abandonné dans l'infraction de base et que, deuxièmement, la victime pourra aussi être de sexe masculin (Harmonisation des peines et adaptation du droit pénal accessoire au nouveau droit des sanctions, Projet 3:
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loi fédérale portant révision du droit pénal en matière sexuelle, Rapport du 17 février 2022 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats [ci-après: Rapport de la CAJ-CE], p. 2). Dans ce cadre, la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats souligne que les nouveaux art. 189 al. 1 et 190 al. 1 CP assurent une meilleure protection pénale contre l'atteinte sexuelle et le viol et correspondent mieux à l'esprit de la Convention d'Istanbul (Rapport de la CAJ-CE, op. cit., 3.6.1.6 p. 37).
Savoir si le droit suisse tel que formulé actuellement répond aux exigences de la Convention d'Istanbul fait l'objet de discussions (cf. Loi fédérale portant révision du droit pénal en matière sexuelle, Rapport du 8 août 2021 de l'Office fédéral de la justice sur les résultats de la consultation, p. 14, spéc. n. 57). Cette question peut toutefois demeurer indécise en l'espèce. En effet, l'art. 36 de la Convention d'Istanbul oblige les Etats parties mais ne crée pas de droits subjectifs (cf. arrêts 1B_259/2021 du 19 août 2021 consid. 2.3; 6B_1015/ 2019 du 4 décembre 2019 consid. 5.5.7; KÄLIN/KÜNZLI, Universeller Menschenrechtsschutz, 4e éd. 2019, n. 11.67). Dès lors, la recourante ne peut requérir la condamnation de l'intimé en se fondant directement sur l'art. 36 de la Convention d'Istanbul.

3.7.2 Quant à la jurisprudence de la CourEDH, elle a certes déduit des art. 3 et 8 CEDH l'obligation positive pour les Etats d'adopter des dispositions pénales incriminant et punissant de manière effective tout acte sexuel non consensuel, y compris lorsque la victime n'a pas opposé de résistance physique (cf. supra consid. 3.2 et la jurisprudence citée). Toutefois, elle reconnaît également qu'en ce qui concerne les moyens de garantir une protection adéquate contre le viol, les Etats jouissent incontestablement d'une large marge d'appréciation. Ils doivent notamment prendre en considération les sensibilités d'ordre culturel, les particularités locales et les habitudes liées à la tradition. Les dispositions de la Convention définissent toutefois les limites de la marge d'appréciation des autorités nationales. La Convention étant avant tout un mécanisme de protection des droits humains, la CourEDH, lorsqu'elle l'interprète, doit tenir compte de l'évolution de la situation dans les Etats contractants et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre. La CourEDH relève que, traditionnellement, le droit et la pratique internes d'un certain nombre de pays exigeaient la preuve de l'emploi de la force physique et celle de la résistance physique
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dans les cas de viol. Depuis quelques décennies, on observe cependant en Europe et dans d'autres parties du monde une tendance nette et constante à l'abandon des définitions formalistes et des interprétations étroites de la loi en la matière. On constate que l'exigence selon laquelle la victime doit résister physiquement n'a plus cours dans la législation des pays européens (arrêt M.C. contre Bulgarie précité, § 154 à 157). Dans cet arrêt, la CourEDH avait à examiner la conformité du droit bulgare à la CEDH. A cet égard, le droit pénal bulgare (art. 152 § 1) définit le viol comme "une relation sexuelle avec une femme 1. incapable de se défendre, lorsqu'elle n'y a pas consenti; 2. contrainte par la force ou la menace; 3. mise hors d'état de se défendre du fait de l'agresseur" (ibid., § 74). Plus avant dans son arrêt, la CourEDH observe que l'article 152 § 1 du code pénal bulgare ne pose nullement l'exigence d'une résistance physique de la part de la victime et donne du viol une définition qui ne s'écarte pas sensiblement des formulations figurant dans la législation des autres Etats membres. Encore une fois, de nombreux systèmes juridiques définissent toujours le viol à partir des moyens que l'agresseur utilise pour obtenir la soumission de la victime. Ce qui est déterminant, cependant, c'est le sens attribué à des termes comme "force" ou "menaces" ou d'autres figurant dans les définitions légales. Par exemple, dans certains ordres juridiques, la "force" est considérée comme étant établie dans les cas de viol du fait même que l'agresseur ait accompli un acte sexuel sans le consentement de la victime ou parce qu'il s'est emparé du corps de celle-ci et l'a manipulé de manière à accomplir un tel acte sans le consentement de l'intéressée. Malgré les différences entre les définitions légales, les juridictions d'un certain nombre de pays interprètent aujourd'hui la loi de manière à englober tout acte sexuel non consensuel (ibid., § 170-171). La CourEDH ne tranche toutefois pas le point de savoir si, tel que formulé, le droit bulgare répond aux exigences de la CEDH. En effet, la CourEDH constate qu'elle n'a pas à se prononcer sur la pratique des autorités bulgares dans les affaires de viol de manière générale (ibid, § 174) et elle n'examine que le point de savoir si la requérante, dans le cas d'espèce, a bénéficié d'une enquête effective (pour conclure par la négative: cf. ibid., § 178 et 182-185). Dans un arrêt postérieur, également rendu dans une affaire bulgare, la CourEDH constate toutefois que le droit bulgare érige le viol en infraction pénale pour en conclure qu'il ne fait pas de doute que les dispositions du droit pénal bulgare prohibent les faits
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dénoncés par la requérante dans le cas d'espèce. Ainsi, la CourEDH constate qu'elle ne saurait reprocher aux autorités bulgares une quelconque omission de mettre en place un cadre législatif de protection dans l'affaire examinée (arrêt M.N. contre Bulgarie du 27 novembre 2012, § 42). Elle procède au même constat s'agissant notamment du droit turc (cf. arrêt G.U. contre Turquie du 18 octobre 2016, § 67) et du droit italien (arrêt J.L. contre Italie du 27 mai 2021, spéc. § 121). A cet égard, l'art. 609bis du code pénal italien prévoit que "le fait de contraindre, par la violence, par la menace ou par abus d'autorité, une personne à se livrer à des actes à caractère sexuel est passible d'une peine d'emprisonnement de cinq à dix ans" (ibid., § 52). La CourEDH constate ainsi que le droit italien sanctionne pénalement le viol, qu'il soit commis au moyen de la violence, de la menace, d'un abus d'autorité, d'une exploitation de l'état d'infériorité de la victime ou de la ruse. En outre, le code pénal prévoit l'infraction autonome, plus sévèrement réprimée, de violences sexuelles en réunion. La CourEDH ne saurait donc reprocher à l'Etat italien l'absence d'un cadre législatif de protection des droits des victimes de violences sexuelles (ibid., § 121). Dans deux autres affaires, la CourEDH constate que le viol est une infraction pénale en droit croate (arrêt D.J. contre Croatie du 24 juillet 2012, § 46 et 87) et que le droit roumain ne pose nullement l'exigence d'une résistance physique de la part de la victime et donne du viol une définition qui ne s'écarte pas sensiblement des formulations figurant dans la législation des autres Etats membres (arrêt M.G.C. contre Roumanie du 15 mars 2016, § 30 et 63); elle se concentre toutefois, dans ces deux affaires, sur l'aspect de l'absence d'enquête effective.
Il ressort ainsi de la jurisprudence de la CourEDH, qu'elle examine uniquement si, dans le cas qui lui est soumis, les faits dénoncés par les requérants sont couverts par le cadre législatif de protection des droits des victimes de violences sexuelles - et non si ce cadre, de manière générale, est suffisant dans le pays concerné - et si la victime présumée a pu bénéficier d'une protection effective de ses droits. En outre, bien que la CourEDH déduise des art. 3 et 8 CEDH une obligation pour les Etats de punir tout acte sexuel non consensuel, y compris lorsque la victime n'a pas opposé de résistance physique, elle ne constate pas de violation de ces articles concernant les droits bulgare, turc, italien, croate ou roumain, qui, tels que formulés, ne sont pas fondés sur le principe du consentement ("oui, c'est oui") et dont on souligne que la formulation ne s'écarte pas sensiblement de
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ce que prévoit le droit suisse. En outre, la CourEDH n'a pas eu à se pencher sur un cas dans lequel seule l'absence d'expression du consentement serait en jeu face à une législation qui ne prévoirait pas la solution du consentement ("oui, c'est oui"). Ainsi, contrairement à ce qu'affirme la recourante, on ignore quelle serait la solution retenue par le CourEDH dans une telle configuration. Cette question peut toutefois souffrir de demeurer indécise dans la présente cause pour les motifs exposés ci-dessous.

3.8 La recourante soutient, en substance, qu'afin de se conformer aux exigences de la Convention d'Istanbul et de la jurisprudence de la CourEDH, il conviendrait d'interpréter les art. 189 et 190 CP comme rendant punissable tout acte d'ordre sexuel non consensuel (soit la solution du consentement: "oui, c'est oui"). Toutefois, conformément au texte légal et à la jurisprudence, pour qu'il y ait contrainte en matière sexuelle, il faut que la victime ne soit pas consentante, que l'auteur le sache ou accepte cette éventualité et qu'il passe outre en profitant de la situation ou en utilisant un moyen efficace (cf. supra consid. 3.3 et la jurisprudence citée). Même si la jurisprudence ne pose pas des exigences très élevées en la matière (cf. supra consid. 3.3, 3e et 4e paragraphes et la jurisprudence citée, en particulier l'arrêt 6B_367/2021 du 14 décembre 2021 sur l'opposition par manifestation verbale dans un certain contexte), la contrainte reste l'un des éléments constitutifs des infractions précitées. L'interprétation suggérée par la recourante fait fi de cet élément constitutif et procède donc d'une interprétation de la norme pénale excédant ce qui est admissible au regard des principes généraux du droit pénal (cf. supra consid 3.5). Par ailleurs, une telle interprétation implique un changement de paradigme tel que l'intimé n'aurait absolument pas pu prévoir que son comportement serait punissable. Ainsi, l'interprétation suggérée par la recourante viole le principe de la légalité. Au demeurant, la suppression de l'élément constitutif de la contrainte relève de la compétence du législateur. C'est d'ailleurs bien ce point qui est au coeur du projet de révision des art. 189 et 190 CP (cf. supra consid. 3.7.1 et les références citées), étant souligné que, de lege ferenda, c'est la solution du refus ("non, c'est non") qui, en l'état, a été privilégiée par la Commission des affaires juridiques, la solution du consentement ("oui, c'est oui") ayant été écartée (cf. Rapport de la CAJ-CE, op. cit., 3.6.1.5 p. 27 s.).
Pour le surplus, la recourante conteste l'acquittement de l'intimé non sur la base des faits retenus, dont elle n'a pas démontré l'arbitraire,
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mais sur ceux qu'elle invoque librement. Ce faisant, elle n'articule aucun grief recevable tiré de l'application erronée du droit matériel.
Les griefs de la recourante doivent par conséquent être rejetés, dans la mesure où ils sont recevables, et c'est à bon droit que la cour cantonale a acquitté l'intimé des infractions de contrainte sexuelle et viol, en l'absence des éléments constitutifs de la contrainte et de l'intention.

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résumé partiel: allemand français italien

Considérants 3

références

ATF: 147 II 274, 145 IV 470, 122 IV 97, 131 IV 167 suite...

Article: art. 189 et 190 CP, Art. 3 et 8 CEDH, art. 189 CP, art. 3 CEDH suite...