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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
4A_516/2020  
 
 
Arrêt du 8 avril 2021  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Kiss, juge présidant, Niquille et May Canellas. 
Greffière: Monti. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
3. C.________, 
4. D.________, 
tous quatre représentés par Me Elliott Geisinger et Me Anne-Carole Cremades, 
recourants, 
 
contre  
 
République Arabe Syrienne, 
représentée par Me Christopher Koch, 
intimée. 
 
Objet 
arbitrage international; ordre public; interdiction de statuerextra petita, 
 
recours en matière civile contre la sentence finale rendue le 31 août 2020 par un Tribunal arbitral sis à Genève. 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. La République Arabe Syrienne et la République de Turquie sont liées par un traité bilatéral d'investissement (TBI) entré en vigueur le 3 janvier 2006, intitulé  "Agreement between the Republic of Turkey and the Syrian Arab Republic concerning the Reciprocal Promotion and Protection of Investments".  
Ce TBI contient une clause générale de la nation la plus favorisée libellée en ces termes: 
 
"Article III (...) 
(...)  
2. Each Party shall accord to these investments, once established, treatment no less favourable than that accorded in similar situations to investments of its investors or to investments of investors of any third country, whichever is the most favourable. 
L'article IV traite de l'indemnisation en cas d'expropriation (ch. 1). Il offre en outre aux investisseurs subissant une perte sur le territoire de l'Etat hôte en raison d'une guerre ou d'un événement similaire la garantie qu'ils bénéficieront du même traitement que celui accordé à la nation la plus favorisée, s'agissant des mesures adoptées en lien avec de telles pertes (ch. 3) : 
Article IV (...) 
1. Investments shall not be expropriated, nationalized or subject, directly or indirectly, to measures of similar effects except for a public purpose, in a non-discriminatory manner, upon payment of prompt, adequate and effective compensation (...). 
(...) 
3. Investors of either Party whose investments suffer losses in the territory of the other Party owing to war, insurrection, civil disturbance or other similar events shall be accorded by such other Party treatment no less favourable than that accorded to its own investors or to investors of any third country, whichever is the most favourable treatment, as regards any measures it adopts in relation to such losses." 
L'article VII est consacré au mode de règlement des différends entre un des Etats contractants et les investisseurs de l'autre Etat contractant. L'investisseur peut entre autres soumettre le litige à la Cour d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale. 
La République Arabe Syrienne est par ailleurs liée à la République Italienne par un TBI intitulé  "Agreement between the Government of the Italian Republic and the Government of the Syrian Arab Republic on the Promotion and Protection of Investments", dont l'entrée en vigueur (13 novembre 2003) est antérieure à celle du TBI Syrie-Turquie. Cette convention prévoit une "indemnité adéquate" pour les pertes ou dommages subis par les investisseurs sur le territoire de l'Etat hôte en raison d'une guerre ou d'un événement similaire:  
 
"Article 4 
Should investors of either Contracting Parties incur losses or damages on their investments in the territory of the other Contracting Party due to war, other forms of armed conflict, a state of emergency, civil strife or other similar events, the Contracting Party in which the investment has been effected shall offer adequate compensation in respect of such losses or damages. Irrespective of whether such losses or damages have been caused by governmental forces or other subjects, compensation payments shall be freely transferable as provided for in article 8 of this Agreement." 
 
A.b. A.________ et ses deux fils B.________ et C.________ ont la nationalité turque. Ils sont actionnaires d'une société anonyme de droit turc intitulée D.________, active dans le domaine de la construction et dans la production de ciment.  
Au milieu des années 2000, les trois prénommés et leur société anonyme (ci-après: les investisseurs turcs) ont décidé d'investir dans le secteur du ciment en République Arabe Syrienne. A cette fin, ils ont constitué deux sociétés de droit syrien qu'ils ont sises dans les régions de M.________ et P.________, au nord-est du pays. Ils détiennent 91% des actions de la société M.________ et 87% des actions de la société dénommée P.________. 
La société M.________ a établi dans la région de M.________ une usine de ciment qui a été opérationnelle en avril 2009. Elle a entrepris des démarches pour construire une autre fabrique. Quant à la société P.________, elle a implanté une usine de même type en mars 2010 dans la zone libre de P.________. 
En 2011, la Syrie est devenue le théâtre de conflits armés. Au printemps 2011, les investisseurs ont décidé par prudence de rapatrier en Turquie les cadres supérieurs des deux sociétés, de suspendre les activités commerciales des usines et d'interrompre la construction de la seconde fabrique de M.________. 
En avril 2012, un conflit intense a gagné les régions de M.________ et de P.________. Peu après, les forces armées de la République Arabe Syrienne se sont retirées. La République a perdu le contrôle de ces régions dans lesquelles elle ne pouvait plus assurer la sécurité des personnes et des biens. Des organisations kurdes se sont emparées de ces zones. Les investisseurs ont perdu l'usage et le contrôle des usines auxquelles il est devenu impossible d'accéder. Celles-ci ont été exploitées par les forces kurdes ou à leur profit (peut-être par intermittence et dans une certaine mesure seulement). 
 
B.   
Le 5 avril 2016, les quatre investisseurs turcs ont saisi la Chambre de Commerce Internationale (CCI) d'une requête d'arbitrage. Ils s'appuyaient sur l'article VII du TBI Syrie-Turquie. 
Sous l'égide de cette institution, un tribunal composé de trois arbitres s'est constitué. Son siège a été fixé à Genève en Suisse, tandis que l'anglais était désigné comme langue de l'arbitrage. 
La procédure a été soumise aux règles impératives du chapitre 12 de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP; RS 291), au Règlement d'arbitrage CCI dans sa teneur de 2012 et à toutes autres règles auxquelles les parties pourraient consentir, ou que le tribunal pourrait désigner conformément à l'art. 19 dudit Règlement. 
Sur le fond, il a été convenu que la cause serait régie au premier chef par le TBI Syrie-Turquie, le cas échéant par le droit international général et par le droit syrien. 
Les investisseurs turcs ont conclu au paiement de dommages-intérêts non inférieurs à 88'381'126,75 dollars étasuniens (ci-après: dollars ou USD) calculés selon la méthode du cash flow actualisé (  "discounted cash flow method"), alternativement au paiement de dommages-intérêts non inférieurs à 54'690'066,96 USD correspondant à leurs coûts "irrécupérables" ("  sunk costs"). Ils ont réclamé l'octroi d'intérêts antérieurs et postérieurs à la sentence.  
L'Etat défendeur a excipé de l'incompétence du tribunal, subsidiairement du défaut de légitimation active des demandeurs. Plus subsidiairement, il a conclu au rejet de la demande au motif qu'elle s'appuyait sur des faits non prouvés et un calcul erroné. 
Le Tribunal arbitral a clôturé la procédure le 26 juin 2019 et rendu sa sentence finale le 31 août 2020. 
Selon le point iv) du dispositif de cette décision, il a condamné l'Etat défendeur à verser aux investisseurs turcs la somme de 4'565'469'288,64 livres syriennes (Syrian Pounds, SYP), plus un intérêt annuel de 10% composé sur une base annuelle, courant dès la date de la sentence jusqu'au complet paiement. Il a conféré aux demandeurs la faculté d'exiger le paiement de cette somme en dollars, au taux de change officiel pratiqué par la Banque centrale syrienne le jour du paiement. Après paiement définitif et complet, l'Etat défendeur pourra exiger des demandeurs qu'ils lui transfèrent la totalité de leurs actions dans les sociétés M.________ et P.________. 
Les premiers considérants de cette sentence sont consacrés au rejet d'une série de griefs concernant l'entrée en vigueur du TBI Syrie-Turquie, sa suspension, la légitimation active des investisseurs turcs pour dénoncer des dommages causés aux avoirs de leurs sociétés syriennes, l'applicabilité du TBI à des investissements situés dans une zone libre, et enfin, l'interprétation de l'article VII ch. 1 et 2 du TBI relatif au mode de règlement des différends. 
Sur le fond, les demandeurs turcs exigeaient de bénéficier du même traitement que les investisseurs italiens et d'obtenir une "indemnité adéquate" (  "adequate compensation") pour la perte de leurs investissements, conformément à l'article 4 du TBI Syrie-Italie.  
La majorité des arbitres a suivi ce raisonnement en s'appuyant sur la clause générale de la nation la plus favorisée prévue à l'article III ch. 2 du TBI Syrie-Turquie. Les deux traités envisageaient le même type de situation, soit des pertes dues à une guerre ou à un autre événement similaire, et l'article 4 du TBI Syrie-Italie offrait une protection plus large que l'article IV ch. 3 du TBI Syrie-Turquie. 
L'art. 4 TBI Syrie-Italie prévoyait une indemnisation quel que fût l'auteur du dommage, i.e. sans exiger que l'acte fût imputable à l'Etat hôte, et sans égard à son caractère licite ou illicite. Il suffisait d'établir un lien de causalité direct entre le dommage et la guerre (ou un événement similaire). L'Etat hôte ne répondait pas pour fait internationalement illicite; il assumait une responsabilité purement économique pour un dommage qu'il n'avait pas nécessairement causé, survenu dans des circonstances extraordinaires. Néanmoins, la notion d'"indemnité adéquate" correspondait à l'indemnisation due selon le droit de la responsabilité étatique, en ce sens qu'elle couvrait tout dommage susceptible d'évaluation financière, y compris le manque à gagner (art. 36 ch. 2 du Projet d'articles CDI sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite [cf. consid. 4.3.1  infra]). La réparation devait effacer toutes les conséquences de l'acte dommageable, autant que pouvait le faire une indemnité financière. Elle devait aussi intégrer la valeur temporelle de l'argent (  "time-value of money") entre l'acte dommageable et le paiement effectif de l'indemnité. L'intérêt faisait partie de la notion de compensation, aussi bien sous l'angle de l'article 4 du TBI Syrie-Italie que selon le droit international général.  
En l'occurrence, l'investissement des demandeurs turcs avait pris la forme de participations dans des sociétés syriennes (91% dans la société M.________ et 87% dans la société P.________). L'existence juridique de ces entités n'était pas remise en cause, pas plus que le statut juridique des actionnaires. Toutefois, ces personnes morales détenaient des actifs (usines, machines, contrats, savoir-faire, clientèle, goodwill) dont elles avaient perdu la jouissance et le contrôle. Sans ceux-ci, elles ne pouvaient plus accomplir les affaires qui constituaient leur but. Les actionnaires se trouvaient pratiquement privés des attributs essentiels de leurs droits, qui incluaient une composante économique. Ils avaient été contraints d'abandonner l'usage, le contrôle et la jouissance de leurs investissements à cause du conflit armé. La date de cette privation remontait au 1er avril 2012, lorsque l'Etat syrien s'était retiré et avait perdu le contrôle des régions dans lesquelles se trouvaient les usines des deux sociétés. Dès ce moment (mais pas avant), la poursuite d'activités commerciales était devenue impossible pour des raisons de sécurité. Cette privation était durable, même si l'on ne pouvait exclure que la situation se normalise un jour et que les actifs soient encore opérationnels à ce moment-là. 
L'Etat défendeur n'avait à ce jour offert aucune compensation aux investisseurs turcs; il avait donc enfreint l'article III ch. 2 du TBI Syrie-Turquie en lien avec l'article 4 du TBI Syrie-Italie. Il était vain d'examiner si les demandeurs pouvaient aussi fonder leur prétention sur la clause d'expropriation prévue à l'article IV ch. 1 du TBI Syrie-Turquie: l'application de cette disposition conduirait en effet à la même mesure d'indemnisation, puisque le préjudice subi était identique (soit la privation permanente d'investissements). 
Il convenait de chiffrer la valeur des participations dont les demandeurs avaient été privés. Ceux-ci proposaient la méthode du  cash flow actualisé; basée sur une évaluation de 2009, celle-ci était inadaptée aux circonstances concrètes. Il était plus adéquat de prendre en compte la valeur du capital investi, équivalant à la valeur comptable nette de leurs deux sociétés syriennes (soit la différence entre les actifs et les passifs). En 2011, l'actif net comptable de la société M.________ s'élevait à SYP 2'031'212'637,40. Comme les investisseurs détenaient cette société à 91%, la valeur de leurs parts était de  SYP 1'848'403'500. Quant à la société P.________, l'actif net en 2011 était de SYP 224'983'655. Les investisseurs avaient 87% des parts de cette entité, parts dont la valeur équivalait ainsi à  SYP 195'735'779.  
Pour la perte de leurs actions dans les deux sociétés syriennes, les demandeurs avaient droit à une compensation de  SYP 2'044'139'279 (SYP 1'848'403'500 + SYP 195'735'779)  au 1 er  avril 2012. Les demandeurs et leur expert avaient émis des prétentions en dollars sans fournir la moindre explication. Or, leurs chiffres reflétaient en grande partie des valeurs en livres syriennes (qu'ils avaient converties en dollars au taux de change prévalant en 2010) : les investissements étaient localisés en Syrie; les états financiers des deux sociétés étaient libellés en livres syriennes; leurs revenus tirés de la vente de ciment étaient réalisés exclusivement sur le marché syrien. Aussi les pertes ou dommages subis par les investisseurs, et partant la compensation à laquelle ils pouvaient prétendre, devaient-ils être exprimés en livres syriennes.  
Les demandeurs avaient droit à un intérêt dès le 1er avril 2012 jusqu'au paiement effectif de l'indemnité. Le taux d'intérêt et le mode de calcul devaient être fixés de façon à assurer la réparation intégrale (art. 38 ch. 1 du Projet d'articles CDI sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite). En l'occurrence, l'indemnité, exprimée en livres syriennes, se rapportait à des investissements localisés en Syrie, dans le contexte de l'économie syrienne, et devait être payée par la République Arabe Syrienne. Dans ces circonstances, l'intérêt devait correspondre à la valeur qu'un dépôt important dans une banque syrienne aurait rapporté pendant la période topique. Un tel intérêt reflétait l'inflation, les autres facteurs économiques et les risques dans l'économie syrienne. L'unique élément au dossier était une note de la Banque centrale syrienne fixant à 10% le taux d'intérêt pour un dépôt d'une année en livres syriennes. Il fallait retenir ce taux et admettre que le renouvellement du dépôt générait des intérêts composés, ce qui était usuel pour des taux commerciaux. On aboutissait à des intérêts composés de SYP 2'521'330'009,64 pour la période du 1er avril 2012 au 31 août 2020 (date de la sentence). En définitive, les demandeurs avaient droit à une compensation adéquate de  SYP 4'565'469'288,64 (capital de SYP 2'044'139'279 + intérêts de SYP 2'521'330'009,64). Cette somme due au 31 août 2020 portait intérêt composé à 10% l'an jusqu'au complet paiement.  
L'Etat défendeur admettait que les demandeurs puissent exiger un paiement en dollars, correspondant à la somme due en livres syriennes au jour du paiement. Aussi le dispositif de la sentence réservait-il cette faculté. 
Enfin, les demandeurs étaient dédommagés pour la perte de leurs investissements qui était supposée permanente, mais ne l'était pas nécessairement dans les faits. Pour éviter une surindemnisation, il fallait concéder à l'Etat défendeur le droit d'exiger la cession des actions après complet paiement de cette compensation. 
 
C.   
Les quatre investisseurs turcs ont interjeté un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral suisse. Ils ont conclu à l'annulation du point iv) du dispositif de la sentence arbitrale, subsidiairement à l'annulation totale de celle-ci. 
Le Tribunal arbitral et l'Etat intimé ont été invités à déposer une éventuelle réponse. 
Celui-ci n'a pas réagi, tandis que celui-là s'est contenté de renvoyer à des paragraphes précis de sa sentence. 
Saisie d'une missive du 21 janvier 2021 rédigée par l'avocat de l'Etat intimé, la Juge instructrice a constaté qu'elle ne pouvait s'analyser comme une demande de restitution de délai sur laquelle il y aurait lieu de statuer. Elle a précisé que la procédure suivrait son cours normalement (ordonnance du 26 janvier 2021; cf. au surplus consid. 3 infra).  
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
D'après l'art. 54 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral doit rédiger son arrêt dans une des quatre langues officielles, en règle générale celle de la décision attaquée. Lorsque celle-ci est rendue dans une autre langue (ici l'anglais), l'autorité de céans a pour pratique d'adopter la langue officielle utilisée dans le recours, qui est en l'occurrence le français (ATF 142 III 521 consid. 1; arrêt 4A_54/2019 du 11 avril 2019 consid. 1). 
 
2.  
 
2.1. Dans le domaine de l'arbitrage international, le recours en matière civile est recevable aux conditions des art. 190 à 192 LDIP (art. 77 al. 1 let. a LTF).  
La sentence arbitrale ne peut être attaquée que pour les motifs énoncés exhaustivement à l'art. 190 al. 2 LDIP. L'examen matériel de celle-ci porte uniquement sur sa compatibilité avec l'ordre public (art. 190 al. 2 let. e LDIP; ATF 121 III 331 consid. 3a; arrêt 4A_304/2013 du 3 mars 2014 consid. 2.2). 
L'admission du recours conduit à annuler la sentence et non à la réformer, sous réserve de cas ayant trait à la compétence du tribunal arbitral (cf. art. 77 al. 2 LTF restreignant la portée de l'art. 107 al. 2 LTF; ATF 136 III 605 consid. 3.3.4; arrêt 4A_476/2020 du 5 janvier 2021 consid. 2.2). 
Qu'il s'agisse de l'objet du recours, des moyens soulevés, des conclusions prises par les recourants ou du délai de recours (sur le  dies a quo, cf. arrêt 4A_40/2018 du 26 septembre 2018 consid. 2), aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème.  
 
2.2. L'autorité de céans n'examine que les griefs qui ont été invoqués et motivés par le recourant (art. 77 al. 3 LTF). Celui-ci doit satisfaire aux mêmes exigences de motivation strictes que celles prévalant pour le grief de violation des droits constitutionnels (cf. art. 106 al. 2 LTF; arrêt précité 4A_476/2020 consid. 2.3; arrêt 4A_600/2020 du 27 janvier 2021 consid. 5.1).  
 
2.3. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits retenus dans la sentence attaquée (cf. art. 105 al. 1 LTF). Il est également lié par les constatations sur le déroulement de la procédure, qu'elles portent sur les faits allégués, les conclusions des parties, les explications juridiques données par ces dernières ou encore les déclarations faites en cours de procès (arrêt 4A_346/2020 du 6 janvier 2021 consid. 5.2; arrêt précité 4A_476/2020 consid. 2.4).  
 
3.   
L'Etat intimé n'a pas déposé de réponse. Dans sa missive du 21 janvier 2021, il a affirmé ignorer les motifs du recours. 
Un avis de réception du recours a pourtant été envoyé à sa Mission permanente auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, adresse qui avait été suggérée par les recourants. Des copies du recours et de ses annexes ont ensuite été notifiées à cette même entité, assorties d'une ordonnance fixant un délai au 9 novembre 2020 pour déposer une réponse. Le pli a été réceptionné par la Mission le 16 octobre 2020, selon l'avis de traçage émis par la Poste. 
Ultérieurement, un double du courrier dans lequel le Tribunal arbitral disait renoncer à se déterminer a été communiqué à la Mission permanente de l'Etat intimé, accompagné d'un avis du 12 novembre 2020 indiquant que celui-ci "n'a[vait] pas pris de position". 
L'intéressé a alors réagi le 21 janvier 2021, expliquant en substance que sa Mission permanente lui avait transmis ce dernier pli, lequel lui avait révélé l'existence du recours dont il ignorait toujours le contenu; il se déterminerait "au cas où le Tribunal fédéral lui fixerait un délai selon les règles de la Restitution". Il s'en est suivi l'ordonnance du 26 janvier 2021 (cf.  supra let. C  in fine), excluant de traiter cette missive comme une demande de restitution de délai. Cette décision constate que l'Etat intimé n'a pas déposé de réponse dans le délai fixé, nonobstant l'ordonnance qui lui avait été "valablement notifiée" à l'adresse de sa Mission permanente auprès de l'ONU à Genève.  
L'intéressé n'a pas réagi à cette ordonnance. Il n'a donc pas remis en question la validité de la notification effectuée auprès de l'entité précitée. Au demeurant, il avait contesté dans l'arbitrage que ses deux Missions permanentes à New-York et Genève fussent habilitées à recevoir une requête d'arbitrage, invoquant de prétendues directives internes. Le Tribunal arbitral avait rétorqué qu'en suivant une telle prémisse, les Missions auraient dû refuser la notification ou la retourner au Secrétariat de la CCI, faute de quoi elles créaient une apparence de régularité de la notification. Force est d'admettre que l'intéressé n'a pris aucune mesure pour parer à un tel reproche. Dans son courrier de janvier 2021, il n'a pas non plus critiqué la notification du pli qu'il admettait avoir reçu via sa Mission. 
En bref, l'Etat intimé s'est vu offrir le droit de s'exprimer et n'y a pas donné suite. 
C'est le lieu de passer à l'examen des deux griefs qui ont trait d'une part à l'ordre public, d'autre part à l'interdiction de statuer extra petita.  
 
4.  
 
4.1. Les recourants fondent leur premier motif de recours sur l'art. 190 al. 2 let. e LDIP: la sentence serait incompatible avec l'ordre public matériel. Le Tribunal arbitral leur aurait octroyé à tort des dommages-intérêts en livres syriennes plutôt qu'en dollars, leur faisant ainsi supporter indûment la dévaluation "vertigineus[e]" subie par la monnaie syrienne depuis les faits ayant engendré la responsabilité de l'Etat syrien. Ils n'obtiendraient finalement qu'une indemnité "dérisoire" équivalant à 4,6% seulement de la perte subie en avril 2012, telle qu'elle a été chiffrée par les arbitres. Cette forme d'expropriation sans indemnité adéquate contreviendrait à l'ordre public. En droit international prévaudrait l'exigence d'une indemnisation basée sur la valeur marchande du bien exproprié. La jurisprudence voudrait que le créancier n'ait pas à supporter la dépréciation de la monnaie entre le moment de l'expropriation et celui du prononcé de la sentence, ou celui du paiement effectif de l'indemnisation.  
Avant de traiter ce grief, quelques précisions théoriques s'imposent (consid. 4.2 et 4.3  infra).  
 
4.2.  
 
4.2.1. Une sentence contrevient à l'ordre public matériel lorsqu'elle viole des principes fondamentaux du droit de fond, au point de ne plus être conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants. Au nombre de ces principes figurent notamment la fidélité contractuelle (  pacta sunt servanda), le respect des règles de la bonne foi, l'interdiction de l'abus de droit, la prohibition des mesures discriminatoires ou spoliatrices et la protection des personnes civilement incapables (ATF 144 III 120 consid. 5.1 p. 130; 138 III 322 consid. 4.1; 132 III 389 consid. 2.1 et 2.2.1; arrêts 4P.208/2004 du 14 décembre 2004 consid. 6.1; 4P.200/2001 du 1er mars 2002 consid. 2a).  
L'ordre public est une notion plus restrictive que celle de l'arbitraire; une erreur manifeste dans l'établissement des faits ou dans l'application du droit ne justifie pas à elle seule l'annulation d'une sentence arbitrale (ATF 144 III 120 consid. 5.1 p. 130; 117 II 604 consid. 3 p. 606; arrêt 4A_430/2020 du 10 février 2021 consid. 7.1). Une telle sanction présuppose de surcroît que le résultat de la sentence soit incompatible avec l'ordre public, et non pas seulement ses motifs (ATF 144 III 120 consid. 5.1  in fine p. 130; 117 II 604 consid. 3 p. 606). Toutes ces restrictions grèvent sérieusement les chances de succès d'un tel moyen de recours (arrêt précité 4A_430/2020 consid. 7.1; cf. ATF 132 III 389 consid. 2.1 p. 392).  
 
4.2.2. Le tribunal arbitral enfreint le principe de la fidélité contractuelle (au sens restrictif que lui donne la jurisprudence afférente à l'art. 190 al. 2 let. e LDIP) uniquement lorsqu'il refuse d'appliquer une clause contractuelle tout en admettant qu'elle lie les parties ou, à l'inverse, s'il leur impose le respect d'une clause dont il considère qu'elle ne les lie pas. Autrement dit, les arbitres doivent avoir appliqué ou refusé d'appliquer une disposition contractuelle en contradiction avec le résultat de leur interprétation relative à l'existence ou au contenu de l'acte juridique litigieux. En revanche, le processus d'interprétation lui-même et les conséquences juridiques qui en sont logiquement tirées ne sont pas régis par ledit principe. En définitive, la quasi-totalité du contentieux dérivé de la violation du contrat sort du champ de protection du principe  pacta sunt servanda (cf. par ex. arrêts 4A_660/2020 du 15 février 2021 consid. 3.2.2; 4A_404/2017 du 26 juillet 2018 consid. 4.1).  
 
4.2.3. Sont considérées comme des mesures spoliatrices contraires à l'ordre public les confiscations, expropriations ou nationalisations effectuées sans indemnisation (arrêts 4P.12/2000 du 14 juin 2000 consid. 5a/aa; 4P.280/2005 du 9 janvier 2006 consid. 2.2.2; cf. aussi ATF 138 III 322 consid. 4.1; 116 II 634 consid. 4 p. 636).  
Il ne saurait être question d'une expropriation contraire à l'ordre public lorsqu'un investisseur s'est vu allouer une compensation de 2,3 millions de marks allemands par une sentence arbitrale (rendue en 1995) sur la base d'un traité bilatéral d'investissement. Les principes du droit international ne confèrent d'ailleurs pas un droit absolu à une pleine indemnisation (arrêt précité 4P.200/2001 let. B et consid. 2c). Pour le surplus, la cour de céans n'a pas à sanctionner, au titre de l'ordre public, une interprétation erronée, voire arbitraire d'une clause d'un TBI; elle ne peut être conduite à examiner si l'indemnité prévue par le TBI inclut ou non le manque à gagner (arrêt précité 4P.200/2001 consid. 2c  in fine; arrêt 4A_157/2017 du 14 décembre 2017 consid. 3.3.4).  
 
4.2.4. Les recourants se prévalent des principes développés par la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH) au sujet de la garantie de la propriété ancrée à l'article 1 du Ier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH).  
Selon cette jurisprudence, la privation de propriété pour cause d'utilité publique doit entraîner le versement d'une indemnité qui soit "raisonnablement en rapport avec la valeur du bien". Le Ier Protocole ne garantit pas une compensation intégrale en tous les cas; des objectifs légitimes "d'utilité publique", tels qu'en poursuivent des mesures de réforme économique ou de justice sociale, peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande. Il n'en demeure pas moins que dans de nombreux cas d'expropriation licite (comme l'expropriation isolée d'un terrain en vue de la construction d'une route ou à d'autres fins "d'utilité publique"), seule une indemnisation intégrale se trouvera dans un rapport "raisonnable" avec la valeur du bien. Des circonstances exceptionnelles pourront justifier l'absence totale d'indemnisation. Se rapproche d'un tel cas de figure l'indemnité présentant une "extrême disproportion" avec la valeur du bien exproprié (sur ces questions, cf. par ex. affaire Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, requête 9006/80, Série A n° 102, n. 121-122; affaire Azas c. Grèce, 19 septembre 2002, requête 50824/99, n. 45; affaire Scordino c. Italie (n° 1), 29 mars 2006, requête 36813/97, n. 93-98; affaire Vistins et Perepjolkins c. Lettonie, 25 octobre 2012, requête 71243/01, n. 110, 112 et 119). 
La CourEDH a retenu une violation de l'article 1 du Ier Protocole à l'encontre de l'Etat turc, qui avait payé l'indemnité d'expropriation 17 mois après la décision judiciaire, majorée d'un taux d'intérêt de 30% l'an alors que l'inflation dans le pays atteignait 70% l'an. Un tel décalage entre la valeur de la créance lors de sa détermination par l'autorité judiciaire et sa valeur lors du paiement effectif constituait un préjudice distinct s'ajoutant à l'expropriation (affaire Akkus c. Turquie, 9 juillet 1997, requête 19263/92, n. 29-31). 
 
4.3.  
 
4.3.1. Les traités d'investissement contiennent typiquement une clause sur l'expropriation qui règle habituellement avec précision la question de l'indemnisation. Tel est plus rarement le cas pour le dommage découlant de la violation d'autres obligations contractuelles (RIPINSKY/WILLIAMS, Damages in International Investment Law, 2008, p. 22, 25 et 89). A défaut de convention sur ce point, les tribunaux arbitraux appliquent le principe de la réparation intégrale du préjudice. Cette règle coutumière qui gouverne la responsabilité étatique a été énoncée par la Cour permanente de justice internationale (CPJI) dans une affaire d'expropriation illicite (cf. RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 34 s., 89 s. et 105 s.) : elle vise, autant que possible, à effacer toutes les conséquences de l'acte dommageable et à rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé sans ce manquement (affaire relative à l'usine de Chorzow, 13 septembre 1928, série A, n° 17, p. 47). Elle est également ancrée à l'art. 31 du Projet d'articles sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite, élaboré en 2001 par la Commission du droit international (CDI) des Nations Unies (sur l'autorité de ces articles et leur applicabilité en cas de dommages subis par des privés, cf. RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 28 ss). Si la réparation intégrale est un objectif, ce précepte ne dit pas comment mesurer le dommage; cette solution offre la flexibilité nécessaire pour s'adapter à la diversité des situations factuelles (RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 21 et 90). Lorsque la violation d'une obligation conventionnelle produit les mêmes effets qu'une expropriation (perte totale de l'investissement), les tribunaux arbitraux sont logiquement enclins à adopter le même étalon qu'en matière d'expropriation, soit la valeur marchande de l'investissement perdu (RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 92).  
 
4.3.2. Il n'y a pas de règles internationales bien arrêtées concernant la monnaie d'indemnisation, si ce n'est que les tribunaux optent habituellement pour une monnaie librement convertible, pratique qui est souvent renforcée par une clause dans les TBI. Certains traités désignent une monnaie spécifique, par exemple celle du pays dont l'investisseur a la nationalité, ou celle dans laquelle l'investissement a été effectué. L'Etat hôte, lorsqu'il est économiquement moins stable et exposé à la dépréciation monétaire, insistera pour que la sentence soit rendue dans sa monnaie, tandis que l'investisseur demandeur cherchera au contraire à éviter les pertes occasionnées par une telle dépréciation. Le plus souvent, les tribunaux choisissent la monnaie de la nationalité du demandeur (RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 393 s. et 401).  
Les tribunaux internationaux considèrent généralement que l'investisseur n'a pas à supporter la dépréciation de la monnaie de l'Etat hôte entre la date de la perte subie et celle de la sentence arbitrale (RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 395). Un précédent connu est à l'origine de ce précepte, soit l'affaire relative à la concession des phares de l'Empire ottoman (Grèce, France, sentence des 24/27 juillet 1956, in Recueil des sentences arbitrales, vol. XII p. 155 ss). La société concessionnaire française avait été dépossédée par une "voie de fait [de l'Etat grec] contraire au contrat de concession". Le tribunal arbitral s'est refusé à évaluer le préjudice subi de ce chef en francs français ou en drachmes grecques du temps de la dépossession, au motif que la dévaluation présentée par ces deux monnaies depuis 1929 amènerait à annihiler la créance de la concessionnaire (en drachmes), ou à la réduire au dixième de son montant (en francs français). Or, la partie lésée avait le droit de recevoir l'équivalent du préjudice subi à raison d'un acte illégal, sans devoir supporter la dévaluation intervenue depuis l'acte préjudiciable (affaire précitée, réclamation n° 27, p. 247 s.). 
Diverses méthodes permettent de parer au problème de dépréciation d'une monnaie (RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 397 ss et 401 et les références citées; NICHOLSON/DYSON, Taxation and Currency Issues in Damages Awards, p. 8, accessible sur le site Internet www.globalarbitrationreview.com [ou dans l'ouvrage The Guide to Damages in International Arbitration]). En présence d'une inflation "normale", l'application d'un taux d'intérêt basé sur le marché peut suffire à compenser le phénomène (RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 397). D'autres mesures s'imposent dans les cas plus graves. Une solution fréquente consiste à évaluer la perte dans la monnaie qui s'est dépréciée (classiquement celle de l'Etat hôte), puis à convertir le montant dans la monnaie d'indemnisation (typiquement celle de l'investisseur), en appliquant le taux de change en vigueur  le jour de l'acte dommageable; une telle opération présuppose la stabilité de cette monnaie-ci (RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 397-399; NICHOLSON/DYSON, op. cit., p. 8; cf. affaire  Siemens A.G. v. The Argentine Republic, sentence du 6 février 2007, ICSID Case No. ARB/02/8, n. 361). Lorsque la monnaie du demandeur comme celle de l'État hôte accusent de fortes inflations, il peut se justifier de recourir à une monnaie tierce suffisamment stable, voire à l'étalon-or. Ainsi, dans l'affaire des phares de l'Empire ottoman, le tribunal arbitral s'est d'abord attelé à déterminer dans leur "monnaie d'origine" les bénéfices annuels que la société concessionnaire avait réalisés avant d'être privée de sa concession en 1929, et partant le préjudice occasionné par cet "acte d'autorité unilatéral de l'Etat concédant". Il a ensuite traduit ces chiffres en dollars (monnaie tierce restée relativement stable) au cours moyen de l'année topique, puis a converti la somme ainsi obtenue en francs français (monnaie de la partie demanderesse) au taux de change en vigueur le jour de la sentence arbitrale (affaire précitée, p. 246-248 et 250; RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 399 s.).  
C'est le lieu de passer à l'examen du grief. 
 
4.4. Les recourants voudraient faire appliquer les principes régissant l'indemnisation de l'expropriation; ils s'appuient sur l'analyse du Tribunal arbitral selon laquelle l'art. IV ch. 1 du TBI Syrie-Turquie, consacré à cette forme de spoliation, conduirait à la même mesure d'indemnisation (  the same measure of compensation) que l'art. 4 du TBI Syrie-Italie. De leur point de vue, l'ordre public imposerait d'allouer une indemnité équivalente à la valeur marchande de l'investissement définitivement perdu, conformément à la pratique de la CourEDH.  
L'autorité de céans a déjà précisé que les principes sous-tendant les dispositions de la CEDH peuvent être pris en compte pour concrétiser la notion d'ordre public (arrêt 4A_248/2019 du 25 août 2020 consid. 9.2; cf. ATF 142 III 360 consid. 4.1.2 p. 362). Ceci dit, la violation de cette Convention - ou d'un de ses Protocoles additionnels - ne constitue pas en tant que telle un motif de recours, faute de figurer dans la liste exhaustive de l'art. 190 al. 2 LDIP (cf. par ex. arrêts 4A_114/2018 du 14 août 2018 consid. 2.2; 4A_178/2014 du 11 juin 2014 consid. 2.4). Il peut arriver qu'une telle violation constitue simultanément une atteinte à l'ordre public au sens de l'art. 190 al. 2 LDIP (les recourants citent l'exemple de l'interdiction du travail forcé [arrêt 4A_370/2007 du 21 février 2008 consid. 5.3.2]), mais tel n'est pas nécessairement le cas. 
Selon la jurisprudence constante de la cour de céans, une mesure spoliatrice  sans indemnisation heurte l'ordre public. Sans doute ne faut-il pas prendre cette expression à la lettre - ce que la CourEDH se garde de faire (cf. affaire précitée Vistins et Perepjolkins, n. 119). Cependant, le caractère restrictif d'une telle formulation et la notion d'ordre public au sens de l'art. 190 LDIP requièrent que l'indemnisation apparaisse à ce point disproportionnée avec la valeur du bien perdu qu'elle heurte les principes les plus essentiels de l'ordre juridique. Qui plus est, la CourEDH accorde de l'importance aux circonstances d'espèce et souligne qu'il n'existe pas un droit absolu à une indemnisation complète. Les recourants se méprennent donc lorsqu'ils insinuent que la réserve de l'ordre public garantirait l'octroi d'une indemnité en rapport raisonnable avec la valeur marchande du bien exproprié. Qui plus est, le fait que les recourants soient définitivement privés de leur investissement ne signifie pas nécessairement qu'il faille appliquer les principes en matière d'expropriation (cf. au surplus consid. 4.6  infra).  
L'ordre public au sens de l'art. 190 LDIP ne doit pas davantage être confondu avec le droit coutumier international ou les principes généraux du droit international (sur cette notion, cf. par ex. DAILLIER/PELLET, Droit international public, 7e éd. 2002, p. 352 s. n. 227, qui mentionnent la réparation intégrale du préjudice). 
Le recours de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP n'a pas pour but d'assurer l'application correcte - ou même non arbitraire - d'un traité d'investissement, du droit coutumier international, des principes généraux du droit international ou des garanties conférées par la CEDH (et ses Protocoles additionnels). La cour de céans doit se contenter de passer la sentence au crible de l'ordre public matériel. En l'occurrence, cet ordre n'est pas déjà nécessairement enfreint parce que l'investisseur turc n'obtient pas la réparation intégrale de son dommage, parce qu'il se voit allouer une indemnité ne couvrant pas complètement le préjudice subi - ou ne se trouvant pas dans une proportion raisonnable avec la valeur des investissements perdus. Encore faut-il qu'en tenant compte de toutes les circonstances concrètes, l'indemnité apparaisse hors de toute proportion avec la valeur de l'investissement perdu, qu'il y ait entre les deux une extrême disproportion au point de heurter de manière choquante les principes les plus essentiels de l'ordre juridique. Or, comme cela sera démontré ci-dessous, un tel cas de figure n'est pas réalisé. 
 
4.5. Les arbitres ont daté la perte des investissements du 1er avril 2012 et ont mesuré celle-ci selon la méthode de la valeur comptable nette. Il n'y a pas à revoir ces points qui ne sont pas la cible de griefs dûment motivés. Tout au plus relèvera-t-on que les recourants, au détour d'une citation jurisprudentielle, pointent le § 22 des Commentaires de la CDI relatifs à l'art. 36 de son Projet d'articles sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite. Il en ressort que pour indemniser la valeur en capital du bien exproprié ou détruit, il faut normalement recourir au critère de la juste valeur marchande (  fair market value). Il appert cependant qu'au § 24 de ces mêmes Commentaires, la CDI mentionne également la méthode de la valeur comptable nette dont elle précise qu'elle sert à estimer la valeur d'une entreprise; telle est bien celle que les arbitres ont appliquée.  
Le coeur du litige porte sur un autre aspect, soit la dépréciation de la livre syrienne. Les recourants mesurent cette dépréciation à l'aune du dollar et considèrent que le Tribunal arbitral auraient dû adopter cette monnaie-ci. 
Le dollar est la monnaie de référence par définition et se caractérise par sa relative stabilité; il peut théoriquement servir d'étalon pour mesurer l'évolution d'une monnaie sujette à une forte inflation. Selon les arbitres, la perte des investissements subie le  1 er  avril 2012s'élevait à 2'044'139'279 livres syriennes. A cette date-là, 1 livre syrienne (SYP) équivalait à quelque  0,0174 dollar selon le taux du marché moyen donné par différents sites Internet consacrés au secteur financier (cf. www.xe.com [graphiques/charts 10Years]; www.fxtop.com [historical converter]; www.mataf.net [convertisseur de monnaie/historique des prix]; www1.ooanda.com [convertisseur de devises]; sur le caractère notoire du taux de change, cf. par ex. ATF 143 IV 380 consid. 1.1.2 p. 383). Les recourants eux-mêmes se réfèrent à ce taux et à deux de ces sites Internet.  
Au jour de la sentence (  31 août 2020), 1 livre syrienne ne représentait plus que quelque  0,00196 dollar, selon les différents convertisseurs précités (sous réserve de www1.ooanda.com, qui retient cette valeur en date du 2 septembre 2020 et indique un taux supérieur [0,00465] le 31.8.2020). Les recourants invoquent ici le taux officiel pratiqué par la Banque centrale syrienne, sans explication, alors qu'ils ont utilisé le taux du marché pour le premier terme de comparaison. Si l'on s'en tient logiquement à ce taux-ci (0,00196), on constate qu'il ne représentait plus, au 31 août 2020, qu'environ 11,3% du taux ayant cours le 1er avril 2012 (0,00196/0,0174).  
2'044'139'279 SYP équivalaient ainsi à USD 35'568'023 le  1 er  avril 2012(2'044'139'279 SYP x 0,0174), et seulement à USD 4'006'513 le  31 août 2020(2'044'139'279 SYP x 0,00196) - soit quelque 11,3% du premier montant exprimé en dollars.  
La sentence alloue une indemnité assortie d'intérêts composés (4'565'469'289 SYP). Convertie au taux de change en vigueur le 31 août 2020, cette somme équivaut à USD 8'948'320 (4'565'469'289 SYP x 0,00196), ou à 25,2% de l'indemnité exprimée dans cette même monnaie le 1er avril 2012 (USD 35'568'023). 
Ces comparatifs avec le dollar montrent que l'application d'un taux d'intérêt de 10% conjugué au système des intérêts composés ne compense de loin pas l'inflation très forte subie par la monnaie syrienne. 
Si l'on suit la ligne des recourants, la sentence aurait dû leur allouer une indemnité en dollars. La perte subie le 1er avril 2012, une fois traduite en dollars, équivaut à USD 35'568'023. Ce montant devrait porter intérêt, dans la mesure où les créanciers n'ont pas été dédommagés à la date précitée. Le pourcentage de 10% retenu par les arbitres ne saurait s'appliquer, puisqu'il tenait compte des spécificités de la monnaie syrienne et de l'inflation. La doctrine suggère de s'appuyer sur le taux d'intérêt réel, net d'inflation (cf. RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 397 in fine), correspondant au rendement des placements pour une année dans un pays donné. En l'occurrence, la monnaie suggérée par les recourants est celle des Etats-Unis (pour le taux d'intérêt réel de ce pays, cf. par ex. le site Internet de la Banque mondiale [www.banquemondiale.org]). Une fois majorée du taux d'intérêt réel selon la méthode des intérêts composés qui est conforme à la pratique internationale (RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 384-387), l'indemnité de USD 35'568'023 équivaudrait finalement au montant suivant le 31 août 2020 (date de la sentence) :  
Année       Capital (USD)       Taux d'intérêt       Intérêts 
              réel (%)              annuels (USD) 
2012 (9 mois/12)       35'568'023       1,31       349'456 
2013       35'917'479       1,47       527'987 
2014       36'445'466       1,37       499'303 
2015       36'944'769       2,20       812'785 
2016       37'757'554       2,45       925'060 
2017       38'682'614       2,17       839'413 
2018       39'522'027       2,41       952'481 
2019       40'474'508       3,28       1'327'564 
2020  (8 mois/12)        41'802'072        *2,50       696'701  
Total: USD       42'498'773 
(*non connu à ce jour, moyenne des cinq précédentes années) 
On rappelle que l'indemnité allouée par les arbitres est de SYP 4'565'469'289, soit USD 8'948'320. Les recourants ont ainsi 21,1% de l'indemnité qu'ils auraient touchée (USD 42'498'773) si l'on recourait à la méthode qui vient d'être exposée à titre illustratif. On ne saurait toutefois s'arrêter à ce stade du raisonnement. 
 
4.6. L'indemnité allouée aux recourants apparaît très basse par rapport à l'estimation de la perte subie en avril 2012; cet état de choses est imputable à l'importante dépréciation subie par la livre syrienne. Toutefois, pour déterminer si la sentence heurte l'ordre public dans son résultat, il faut prendre en considération toutes les circonstances d'espèce.  
Tout d'abord, les juges/arbitres internationaux disposent d'un vaste pouvoir d'appréciation dans la fixation des dommages-intérêts contractuels, et de méthodes diverses pour compenser la dépréciation monétaire. 
Par ailleurs, les investisseurs ont omis de justifier leur choix du dollar devant les arbitres. Ils ne se sont pas attelés à démontrer que l'application des solutions classiques - la monnaie de l'Etat hôte ou leur propre monnaie - leur serait préjudiciable au point de justifier une mesure plus importante que l'application d'un taux d'intérêt élevé. 
Il faut également avoir égard au fait que les recourants turcs ont fait le choix d'investir en Syrie, pays dans lequel ils ont fondé en 2006 et 2007 des sociétés appelées à exercer leurs activités sur le marché interne et à tirer leurs revenus du commerce de ciment au niveau interne. Ce faisant, ils ont accepté d'assumer des risques importants inhérents au pays d'investissement, en particulier sur le plan économique. A titre illustratif, on relève qu'une des sociétés (P.________) a enregistré des pertes lorsqu'elle était normalement opérationnelle; ses coûts de production étaient plus élevés que prévus et l'implantation de son usine dans une zone libre générait des problèmes. 
A cela s'ajoute que l'Etat hôte n'assume pas une responsabilité pour fait illicite, mais une responsabilité purement économique dans une situation exceptionnelle de conflits armés, sans que le comportement des personnes à l'origine de la perte infligée aux investisseurs lui ait été imputé. Le tribunal arbitral a en effet jugé qu'il pouvait renoncer à examiner cette question, sans susciter le moindre grief des recourants. Il s'agit donc d'une responsabilité objective particulière pour des agissements survenus sur le territoire étatique, laquelle ne doit pas nécessairement entraîner une obligation de réparer aussi étendue que lorsque l'Etat répond d'un fait illicite ou d'une violation contractuelle commise par l'un de ses agents. 
Pèse également d'un poids certain la situation notoirement très difficile de ce pays, fortement affaibli par des conflits qui s'étendent sur une décennie, avec toutes les incertitudes qui grèvent son avenir. L'impact d'une condamnation pécuniaire très élevée sur les dépenses publiques, et partant sur la population, peut en effet justifier de renoncer à une réparation intégrale (cf. RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 356). 
En bref, le refus de convertir dans une monnaie stable - le dollar - la perte déterminée en livres syriennes conduit à faire supporter aux investisseurs l'inflation spectaculaire subie par cette monnaie, et ce jusqu'au jour du paiement. Toutefois, l'appréciation globale de la situation, en particulier le risque pris par les investisseurs - qui ont investi en Syrie et retiré des revenus libellés en livres syriennes -, conjugué au type spécial de responsabilité assumée par l'Etat hôte, ainsi que l'extrême difficulté de sa situation dans le contexte d'un conflit décennal qui perdure, permet en fin de compte d'affirmer que la compensation allouée ne heurte pas de façon choquante les principes les plus essentiels de l'ordre juridique. 
Le Tribunal arbitral a certes précisé que l'"indemnité adéquate" de l'art. 4 TBI Syrie-Italie donnait droit à une réparation intégrale du dommage. Une telle indemnité doit être adéquate au regard de la situation donnée, de sorte que des circonstances particulières peuvent conduire à s'écarter du principe - le raisonnement n'étant pas différent en matière d'expropriation. En présence d'une clause sur les conflits armés, il semble logique de rencontrer des exceptions à la réparation intégrale. Si le Tribunal arbitral n'a finalement pas alloué une réparation intégrale compensant également l'inflation de la monnaie, cela ne signifie pas qu'il se soit mis en contradiction avec l'interprétation qu'il avait faite de l'art. 4 TBI Syrie-Italie. Les recourants ne se plaignent d'ailleurs pas d'une violation du principe  pacta sunt servanda, ce qui clôt la discussion.  
Enfin, les recourants ont affirmé que les TBI imposent d'allouer l'indemnité dans une monnaie librement convertible. La sentence ne constate rien de tel, et les recourants n'ont de toute façon pas plaidé qu'il y aurait de ce point de vue une contravention à l'ordre public. Ils ont au demeurant la faculté de réclamer le paiement en dollars - ce qui ne résout pas, il est vrai, le problème de l'inflation. 
En définitive, la sentence ne contrevient pas, dans son résultat, à l'ordre public matériel. Il s'ensuit le rejet du moyen tiré de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP. 
 
5.  
 
5.1. Dans leur second grief, les recourants reprochent au Tribunal arbitral d'avoir statué extra petitaen leur allouant une somme en livres syriennes - convertible en dollars au taux de change de la Banque centrale syrienne le jour du paiement -, tandis qu'eux-mêmes avaient libellé leurs conclusions pécuniaires en dollars.  
 
5.2. On relèvera d'emblée l'absence de critique quant au fait que la sentence astreint les recourants à céder leurs participations dans les deux sociétés syriennes si l'Etat intimé en fait la demande après avoir payé l'indemnité prévue. La cour de céans est ainsi dispensée de traiter ce point (art. 77 al. 3 LTF).  
 
5.3. L'art. 190 al. 2 let. c LDIP permet d'attaquer une sentence "lorsque le tribunal arbitral a statué au-delà des demandes dont il était saisi". Sont ici visées les décisions qui allouent plus (  ultra petita) ou autre chose ( extra petita) que ce qui était demandé (ATF 116 II 639 consid. 3a p. 642; arrêt précité 4A_430/2020 consid. 6.1; arrêt 4P.260/2000 du 2 mars 2001 consid. 5a). L'autonomie privée inhérente au droit des obligations a pour corollaire procédural que les parties disposent librement de l'objet du litige (maxime de disposition; cf. ATF 141 III 596 consid. 1.4.5 p. 605; arrêt 4A_329/2020 du 10 février 2021 consid. 4.2). L'art. 190 al. 2 let. c LDIP protège ce principe dans un domaine fortement empreint d'autonomie privée (cf. arrêt 4P.143/2001 du 18 septembre 2001 consid. 3c/bb; CESARE JERMINI, Die Anfechtung der Schiedssprüche im internationalen Privatrecht, n. 413; WOLFGANG WIEGAND,  Iura novit curia vs. ne ultra petita [...], in Rechtsetzung und Rechtsdurchsetzung, Festschrift für Franz Kellerhals zum 65. Geburtstag, 2005, p. 133-134 et p. 143).  
Ce motif d'annulation existait déjà sous le régime antérieur à la LDIP, soit le Concordat intercantonal sur l'arbitrage (CIA). Celui-ci réservait les dispositions légales autorisant le tribunal arbitral à statuer  ultra vel  extra petita (art. 31 al. 4 et art. 36 let. e CIA), qu'elles se trouvent dans la loi procédurale désignée par les parties ou dans le droit matériel - la doctrine citant l'exemple des art. 205 al. 2 et 527 al. 3 CO (LALIVE/POUDRET/REYMOND, Le droit de l'arbitrage interne et international en Suisse, 1989, p. 174 n° 5 ad art. 31 CIA et p. 425 n° 5c ad art. 190 LDIP). Il importe peu que l'art. 190 LDIP omette de spécifier une telle réserve: elle doit en effet être tenue pour implicite (LALIVE/POUDRET/REYMOND, op. cit., p. 425-426 n° 5c ad art. 190 LDIP). Du moment que les art. 182 al. 1 et 187 al. 1 LDIP permettent aux parties de choisir le droit procédural comme le droit matériel et que l'un ou l'autre autorise l'arbitre à statuer  ultra vel extra petita partium, une telle habilitation doit logiquement déployer ses effets (JERMINI, op. cit., n. 425 s.). Qui plus est, l'art. 190 al. 2 LDIP porte l'influence de l'article V chiffre 1 de la Convention de New-York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (RS 0.277.12), disposition qui garantit à sa lettre c) le principe  ne eat judex ultra petita partium (CHRISTIAN OETIKER, in Zürcher Kommentar, vol. II, 3e éd. 2018, n° 16 ad art. 190 LDIP). Or, les commentateurs de cette Convention prescrivent de rechercher dans la  lex arbitriet dans le droit matériel si les arbitres étaient habilités à sortir du champ défini par les conclusions des parties (REINMAR WOLFF, New York Convention [...], 2e éd. 2019, n. 245 et 247 s.).  
 
5.4. Dans l'application de l'art. 190 al. 2 let. c LDIP, les contours du précepte  ne eat judex ultra vel extra petita partium sont fréquemment tracés à l'aide de la jurisprudence relative au droit suisse.  
Selon la pratique concernant l'art. 84 al. 2 CO, le débiteur d'une dette exprimée en monnaie étrangère et payable en Suisse peut se libérer soit dans la monnaie convenue, soit en monnaie suisse. Le juge doit prononcer la condamnation dans la monnaie convenue. Quant à savoir s'il peut ordonner le paiement dans la monnaie étrangère due alors que le demandeur a libellé ses conclusions en francs suisses, il s'agit d'une question de procédure dont la réponse appartenait jadis au législateur cantonal (ATF 134 III 151 consid. 2.2 p. 154 et consid. 2.4  in fine p. 156). Désormais, la maxime de disposition est ancrée à l'art. 58 CPC et s'oppose à ce que le juge émette une condamnation pécuniaire dans une monnaie autre que celle définie par les conclusions du demandeur. Un tel procédé reviendrait à octroyer un  aliud (arrêts 4A_391/2015 du 1er octobre 2015 consid. 3; 4A_3/2016 du 26 avril 2017 consid. 4.1; 4A_341/2016 du 10 février 2017 consid. 2.2; 4A_265/2017 du 13 février 2018 consid. 5; 4A_200/2019 du 17 juin 2019 consid. 4 et 5; cf. aussi 4A_555/2014 du 12 mars 2015 consid. 4). Lorsqu'il est saisi d'une action libellée dans une monnaie erronée, le juge n'a d'autre issue que de la rejeter (cf. arrêt précité 4A_200/2019 consid. 5). Le demandeur peut en principe intenter une nouvelle action en prenant des conclusions dans la "bonne" monnaie, mais cette solution peut se révéler coûteuse en temps et en argent (OLLIVIER/GEISSBÜHLER, La monnaie des conclusions dans les litiges bancaires, in PJA 2017 p. 1450;  les mêmes auteurs, Swiss courts dismiss foreign currency claims if the currency of the prayers for relief is wrongly denominated, p. 1, accessible sur le site Internet de l'  International Bar Association, www.ibanet.org). La doctrine fait observer qu'il peut être ardu de déterminer la "monnaie effectivement due" dans des affaires bancaires impliquant des produits financiers sophistiqués; elle préconise un assouplissement de la maxime de disposition (OLLIVIER/GEISSBÜHLER, op. cit., in PJA 2017 p. 1452).  
L'autorité de céans a autrefois été saisie d'un recours contre une sentence du Tribunal Arbitral du Sport (TAS), prononçant une condamnation pécuniaire dans une monnaie autre que celle adoptée dans les conclusions du demandeur et dans la décision de la première instance sportive. La cour de céans a constaté que ce tribunal n'avait pas statué  ultra petitaet, faute de grief (art. 77 al. 3 LTF), s'est abstenue d'examiner s'il était autorisé à modifier la monnaie (arrêt 4A_684/2014 du 2 juillet 2015 consid. 3.2.2, cité sans commentaires par OETIKER, op. cit., n° 75 ad art. 190 LDIP et par STEFANIE PFISTERER, in Basler Kommentar, 4e éd. 2021, n° 65 ad art. 190 LDIP).  
 
5.5. Dans le cas concret, les demandeurs/recourants ont formulé leurs prétentions en dollars, exigeant au moins USD 88'381'127 selon la méthode du cash flow actualisé, ou au moins USD 54'690'067 selon la méthode des coûts "irrécupérables". Ils ont requis des intérêts antérieurs et postérieurs à la sentence. Le Tribunal arbitral leur a alloué une indemnité en livres syriennes (SYP 4'565'469'289) avec un intérêt de 10% composé sur une base annuelle, tout en leur permettant de demander le paiement en dollars moyennant l'application du taux de change de la Banque centrale syrienne le jour du paiement.  
Techniquement parlant, il faut concéder qu'il s'agit d'un  aliud. Faut-il pour autant admettre le grief de violation du principe de disposition (  ne eat judex extra petita partium)et annuler en conséquence la sentence arbitrale? Ce serait méconnaître les singularités de la situation.  
Les questions monétaires sont inévitables dans les litiges internationaux relatifs à des traités d'investissement et/ou des demandes de réparation, mais il manque, semble-t-il, des règles bien définies quant à la monnaie d'indemnisation (lorsque le traité est muet sur ce point). La tendance veut que le créancier ne supporte pas la dépréciation de la monnaie à compter de la violation contractuelle ou du fait illicite; cet élément peut dicter au demandeur le choix d'une certaine monnaie. Le juge ou l'arbitre dispose toutefois de latitude à cet égard lorsqu'il doit allouer une indemnité "adéquate" (cf. consid. 4.3  supra; RIPINSKY/WILLIAMS, op. cit., p. 393 ss). Faut-il, dans un tel contexte, lui reconnaître la faculté de s'écarter de la monnaie des conclusions? La question peut légitimement se poser, à défaut de préceptes stricts régissant la monnaie d'indemnisation. La maxime de disposition ne doit du reste pas nécessairement s'appliquer en droit international commercial avec la même rigueur que dans une cause régie par le droit suisse - domaine dans lequel il n'est au demeurant pas totalement incongru d'envisager quelques assouplissements dans les cas de figure spéciaux évoqués par la doctrine (cf. consid. 5.4  supra).  
Quoi qu'il en soit, cette question souffre de rester indécise. Les recourants se heurtent en effet à un autre écueil: l'"intérêt digne de protection" à l'annulation de la sentence (art. 76 al. 1 let. b LTF). L'admission du recours doit leur procurer une utilité pratique en leur évitant de subir le préjudice économique, idéal, matériel ou autre que la décision attaquée leur occasionnerait. L'intérêt doit exister non seulement lors du dépôt du recours, mais aussi lorsque l'arrêt est rendu (ATF 143 III 578 consid. 3.2.2.2 p. 587). 
En l'occurrence, les recourants voudraient faire annuler la sentence au motif que le Tribunal arbitral aurait statué extra petita. Cela signifie que la cause devrait lui être renvoyée pour qu'il rejette la demande libellée en dollars. En effet, la formation arbitrale a jugé que l'indemnisation devait se faire en livres syriennes, et le grief matériel dirigé contre ce pan de la sentence s'est révélé infondé (consid. 4.6  supra). Les recourants pourraient en principe introduire une nouvelle demande formulée dans une monnaie autre que le dollar. Cependant, rien n'indique qu'une telle solution leur serait plus favorable que celle consacrée par la sentence attaquée, aussi insatisfaisante soit-elle pour les intéressés.  
Il faut tout d'abord tenir compte des coûts importants générés par la procédure, qui risqueraient de se répercuter sur les recourants si leur demande était rejetée. Selon la sentence, les frais d'arbitrage ont atteint 744'700 euros (EUR). Les demandeurs/recourants ont engagé quelque EUR 897'000 pour faire valoir leurs droits et la partie adverse EUR 770'000 pour se défendre. 
A cela s'ajoutent les incertitudes concernant la situation de l'Etat intimé, enlisé dans des conflits armés depuis une décennie. Les recourants eux-mêmes concèdent qu'il n'est pas possible de tabler sur une réévaluation de la livre syrienne au niveau d'avril 2012 pour les prochains mois. En réalité, cette réserve doit être émise pour une période plus longue, et sur un spectre plus large: c'est bel et bien la situation globale du pays qui ne semble pas près de s'améliorer, et non pas seulement sa monnaie, laquelle n'a cessé de se déprécier depuis le début des conflits en 2011, pour ensuite stagner dès l'été 2017. Compte tenu de ces éléments, l'intérêt à formuler une nouvelle demande en livres syriennes n'est pas démontré. 
Peut-être les recourants espèrent-ils mieux attirer l'attention, et mieux être entendus sur le phénomène de dépréciation monétaire dans la nouvelle procédure, dont on conçoit mal qu'elle puisse être autre qu'arbitrale. Point n'est besoin de rappeler à cet égard que les possibilités de contrôle matériel d'une sentence arbitrale sont réduites à la portion congrue. 
Outre la monnaie de l'Etat hôte (choix du Tribunal arbitral, qui ne contrevient pas à l'ordre public), entre typiquement en considération celle de l'investisseur demandeur. Il n'est pas certain que les nouveaux arbitres suivraient les recourants s'ils optaient pour cette dernière, ni que cette solution serait plus favorable, eu égard à l'inflation notoire de cette monnaie et aux coûts de la première procédure. Les recourants n'ont rien affirmé ni démontré s'agissant de cette option, ce qui coupe court à toute discussion. 
La nouvelle formation pourrait certes pratiquer la méthode utilisée dans l'affaire des phares ottomans et recourir au dollar - ou à un autre étalon - comme monnaie intermédiaire tout en prononçant sa sentence dans une autre monnaie. Toutefois, dans ce précédent, la monnaie de la société demanderesse avait perdu 90% de sa valeur et celle de l'Etat hôte plus encore, puis toutes deux avaient retrouvé leur stabilité au moment de la reddition de la sentence. Tel n'est pas le cas de la livre syrienne, et les recourants n'ont rien articulé concernant leur monnaie. 
Subsiste de toute façon un problème de fond. La précarité et les difficultés de l'Etat défendeur semblent devoir perdurer. Elles pourraient ainsi peser de tout leur poids dans une nouvelle procédure, tout comme le type spécial de responsabilité assumée. La possibilité d'imputer à l'Etat le comportement des forces kurdes paraît en effet aléatoire. Considérer, dans ces circonstances, que les nouveaux arbitres mettront à la charge de l'État hôte le coût de la dépréciation monétaire est une conjecture parmi d'autres. 
A la lumière d'une situation très particulière, la cour de céans ne discerne aucun intérêt digne de protection à faire admettre le grief et annuler la sentence attaquée. Le moyen se révèle irrecevable. 
 
6.   
En définitive, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Ses auteurs supporteront les frais judiciaires, à parts égales et solidairement (art. 66 al. 1 et 5 LTF). Ils n'auront pas à indemniser la partie adverse puisque celle-ci n'a pas procédé, bien qu'elle y ait été invitée (consid. 3 supra).  
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.   
Les frais judiciaires, fixés à 170'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal arbitral sis à Genève. 
 
 
Lausanne, le 8 avril 2021 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant : Kiss 
 
La Greffière : Monti