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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_312/2022  
 
 
Arrêt du 13 septembre 2022  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Kiss, juge présidant, Niquille et Rüedi. 
Greffier: M. O. Carruzzo. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Daria Solenik, avocate, 
recourante, 
 
contre  
 
World Athletics, 
représentée par Me Nicolas Zbinden, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
arbitrage international en matière de sport, 
 
recours en matière civile contre la sentence rendue le 
13 juin 2022 par le Tribunal Arbitral du Sport 
(CAS 2021/A/8012). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________ (ci-après: l'athlète), ancienne athlète russe de niveau international née en 1981, est une spécialiste des disciplines du 400 mètres et du 400 mètres haies. Elle a notamment remporté plusieurs médailles lors des Jeux Olympiques de Londres 2012 et des Championnats du monde d'athlétisme 2011 à Daegu. Elle a mis un terme à sa carrière sportive en février 2017.  
World Athletics (anciennement: International Association of Athletics Federations), association ayant son siège à Monaco, est l'instance dirigeante de l'athlétisme au niveau mondial. 
 
A.b. A la suite de la diffusion sur une chaîne de télévision allemande d'un documentaire concernant l'existence alléguée d'un programme de dopage étendu, secret et institutionnel au sein de la Fédération russe d'athlétisme, l'Agence Mondiale Antidopage (AMA) a nommé, en date du 16 décembre 2014, une commission indépendante de trois membres pour enquêter sur cette allégation. Dans son rapport du 9 novembre 2015, la commission indépendante a notamment identifié des manquements systémiques imputables aux autorités russes ayant eu pour effet d'entraver la lutte antidopage.  
Le 19 mai 2016, l'AMA a chargé le Professeur Richard H. McLaren de mener une enquête indépendante sur l'existence alléguée d'un plan de dopage sophistiqué mis en place en Russie. Dans un premier rapport daté du 18 juillet 2016, le Prof. McLaren est arrivé à la conclusion qu'un programme visant à dissimuler des cas de dopage et à manipuler des résultats d'analyses antidopage avait été mis en oeuvre sur le territoire russe. Le second rapport du Prof. McLaren, daté du 9 décembre 2016, a identifié une série d'athlètes russes susceptibles d'avoir été impliqués dans le cadre dudit programme ou d'en avoir bénéficié. Selon le Prof. McLaren, le Laboratoire de Moscou opérait, pour la protection des athlètes russes dopés, dans le cadre d'un système dicté par l'État, désigné sous l'appellation de Méthodologie de Dissimulation Positive ( Disappearing Positive Methodology). Un système d'échange d'échantillons unique, consistant en la mise à disposition des athlètes russes d'une banque d'urine leur permettant d'y stocker par avance des échantillons d'urine propre, fournis par eux, qui seraient échangés le jour du contrôle venu avec les échantillons contenant des substances interdites, avait été mis en place. Selon le Prof. McLaren, des programmes, intitulés " Washout Testing ", avaient été mis en oeuvre avant certains événements sportifs majeurs tels les Jeux Olympiques de Londres 2012 ou les Championnats du monde d'athlétisme de Moscou 2013 pour déterminer si un athlète participant à un programme de dopage était susceptible d'être contrôlé positif, ce qui impliquait de prélever des échantillons, à intervalles réguliers, afin de surveiller l'évolution des quantités de substances interdites dans l'organisme de l'athlète concerné, de manière à ce que celui-ci ne fasse pas l'objet d'un contrôle positif en compétition. Le Laboratoire de Moscou a donc élaboré des documents, désignés sous le nom de " Moscow Washout Schedules ", pour assurer le suivi des athlètes soumis à de tels programmes.  
Le 2 décembre 2017, une Commission d'enquête nommée par le Comité International Olympique (CIO), présidée par l'ancien président de la Confédération suisse, Samuel Schmid, a rendu un rapport qui confirmait, en substance, l'existence et l'étendue du programme de dopage en Russie. 
Le 5 décembre 2017, le CIO a suspendu le Comité Olympique Russe avec effet immédiat. 
 
A.c. Le 31 mai 2019, l'Unité d'intégrité de l'athlétisme (UIA) a reproché à l'athlète de s'être dopée, ce que cette dernière a contesté. Les accusations portées à l'encontre de l'athlète reposaient sur les deux rapports établis par le Prof. McLaren et, en particulier, sur le fait que quatre échantillons de l'intéressée prélevés entre le 30 juin et le 25 juillet 2013, censés contenir diverses substances interdites, apparaissaient dans les " Moscow Washout Schedules ".  
 
A.d. Statuant le 7 avril 2021 en qualité d'autorité de première instance, un arbitre unique désigné par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) a reconnu que l'athlète avait enfreint la réglementation antidopage, a prononcé sa suspension pour quatre ans à compter de la décision et ordonné la disqualification de tous les résultats obtenus par l'intéressée entre le 30 juin 2013 et le début de la période de suspension, sanction impliquant notamment le retrait de l'ensemble des médailles, points et prix gagnés par l'athlète.  
 
B.  
Le 21 mai 2021, l'athlète a contesté cette décision auprès de la Chambre arbitrale d'appel du TAS. 
Après avoir tenu une audience le 16 novembre 2021, la Formation désignée par le TAS, composée de trois arbitres, a rendu sa sentence finale le 13 juin 2022. Admettant très partiellement l'appel, elle a confirmé la suspension de quatre ans pour violation des règles antidopage infligée à l'athlète, mais a limité la disqualification des résultats obtenus par celle-ci à la période comprise entre le 30 juin 2013 et le 31 décembre 2015. 
En bref, la Formation a retenu, sur la base de l'ensemble des preuves disponibles, que l'athlète avait utilisé pas moins de six substances interdites durant la période comprise entre le 30 juin et le 25 juillet 2013 (sentence, n. 153). Elle a souligné que la période de suspension pour une première infraction de ce genre était en principe de deux ans selon l'art. 40.2 des Règles antidopage de l'IAAF (édition 2013; ci-après: les Règles antidopage). Cependant, lorsqu'il existait des circonstances aggravantes au sens de l'art. 40.6 des Règles antidopage, la période de suspension applicable pouvait atteindre un maximum de quatre ans, à moins que l'athlète concernée ne puisse prouver au degré de preuve requis qu'elle n'avait pas violé sciemment la règle antidopage. L'infraction commise par un athlète dans le cadre d'un plan ou d'un programme de dopage, réalisé seul ou dans le cadre d'un système visant à violer les règles antidopage, ou encore l'emploi de plusieurs substances interdites constituaient notamment de telles circonstances aggravantes. En l'occurrence, la Formation a retenu, à l'instar de l'autorité de première instance, que l'athlète concernée avait utilisé pas moins de six substances interdites en l'espace d'un mois dans le cadre d'un programme de dopage organisé. En participant à ce système de dopage, l'athlète avait également adopté une conduite entravant la détection d'une violation des règles antidopage. Sur la base de l'ensemble de ces circonstances, la Formation a jugé que la suspension maximale de quatre ans infligée à l'athlète était proportionnée (sentence, n. 158 s.). 
Se référant ensuite à l'art. 40.8 des Règles antidopage, la Formation a observé que tous les autres résultats obtenus en compétition par l'athlète à compter de la date de la collecte de l'échantillon positif (en compétition ou hors compétition) ou de la perpétration d'une autre violation des règles antidopage survenue avant le début de la période de suspension provisoire ou d'inéligibilité devaient en principe être annulés, raison pour laquelle l'autorité de première instance avait ordonné la disqualification de tous les résultats obtenus par l'intéressée entre la date du premier échantillon mentionné dans les " Moscow Washout Schedules " (30 juin 2013) et le prononcé de la décision (7 avril 2021). Après avoir souligné que le but principal d'une telle mesure n'était pas de sanctionner l'athlète mais d'assurer l'équité des compétitions en évitant que certains compétiteurs ne profitent d'avantages indus liés à l'utilisation de produits dopants, elle a relevé qu'il existait des circonstances exceptionnelles (événements survenus longtemps avant le début de la procédure arbitrale, absence de preuve d'autres infractions aux règles antidopage et notification de la violation des règles antidopage en mai 2019 seulement alors que le second rapport du Prof. McLaren avait été publié en décembre 2016) justifiant de restreindre la durée de la période d'annulation des résultats au 31 décembre 2015 (sentence, n. 166-173). 
 
C.  
Le 13 juillet 2022, l'athlète (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile, assorti d'une demande d'assistance judiciaire, aux fins d'obtenir l'annulation de la sentence précitée. 
World Athletics (ci-après: l'intimée) et le TAS n'ont pas été invités à répondre au recours. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
D'après l'art. 54 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une langue officielle, en règle générale dans la langue de la décision attaquée. Lorsque cette décision a été rendue dans une autre langue (ici l'anglais), le Tribunal fédéral utilise la langue officielle choisie par les parties. Devant le TAS, celles-ci se sont servies de l'anglais, tandis que, dans le mémoire qu'elle a adressé au Tribunal fédéral, la recourante a employé le français respectant ainsi l'art. 42 al. 1 LTF en liaison avec l'art. 70 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.; RS 101; ATF 142 III 521 consid. 1). Conformément à sa pratique, le Tribunal fédéral rendra, par conséquent, son arrêt en français. 
 
2.  
Le recours en matière civile est recevable contre les sentences touchant l'arbitrage international aux conditions fixées par les art. 190 à 192 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP; RS 291), conformément à l'art. 77 al. 1 let. a LTF
Le siège du TAS se trouve à Lausanne. Aucune des parties n'avait son domicile respectivement son siège en Suisse au moment déterminant. Les dispositions du chapitre 12 de la LDIP sont donc applicables (art. 176 al. 1 LDIP). 
Qu'il s'agisse de l'objet du recours, de la qualité pour recourir, du délai de recours ou encore des conclusions prises par la recourante, aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème en l'espèce. Demeure réservé l'examen de la recevabilité du grief soulevé par la recourante. 
 
3.  
Dans un unique moyen fondé sur l'art. 190 al. 2 let. d LDIP, l'intéressée dénonce une violation de son droit d'être entendue. Elle reproche à la Formation d'avoir omis de prendre en considération l'argumentation qu'elle avait développée dans son mémoire d'appel au sujet de la fixation de la durée de la suspension pour violation des règles antidopage en présence de circonstances aggravantes. A cet égard, elle avait souligné que d'autres formations du TAS avaient prononcé une suspension d'une durée inférieure à quatre ans à l'encontre d'autres athlètes mentionnés dans les " Moscow Washout Schedules " dans des circonstances similaires à la présente cause. Or, à son avis, la Formation aurait totalement omis de tenir compte de cet élément et d'indiquer les raisons pour lesquelles elle jugeait nécessaire de la suspendre durant quatre ans. 
 
3.1. La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par les art. 182 al. 3 et 190 al. 2 let. d LDIP, un devoir minimum pour le tribunal arbitral d'examiner et de traiter les problèmes pertinents. Ce devoir est violé lorsque, par inadvertance ou malentendu, le tribunal arbitral ne prend pas en considération des allégués, arguments, preuves et offres de preuve présentés par l'une des parties et importants pour la sentence à rendre. Il incombe à la partie soi-disant lésée de démontrer, dans son recours dirigé contre la sentence, en quoi une inadvertance des arbitres l'a empêchée de se faire entendre sur un point important. C'est à elle d'établir, d'une part, que le tribunal arbitral n'a pas examiné certains des éléments de fait, de preuve ou de droit qu'elle avait régulièrement avancés à l'appui de ses conclusions et, d'autre part, que ces éléments étaient de nature à influer sur le sort du litige (ATF 142 III 360 consid. 4.1.1 et 4.1.3; arrêt 4A_478/2017 du 2 mai 2018 consid. 3.2.1). Si la sentence passe totalement sous silence des éléments apparemment importants pour la solution du litige, c'est aux arbitres ou à la partie intimée qu'il appartiendra de justifier cette omission dans leurs observations sur le recours (ATF 133 III 235 consid. 5.2; arrêts 4A_618/2020 du 2 juin 2021 consid. 4.2; 4A_478/2017, précité, consid. 3.2.1). Cependant, les arbitres n'ont pas l'obligation de discuter tous les arguments invoqués par les parties, de sorte qu'il ne peut leur être reproché, au titre de la violation du droit d'être entendu en procédure contradictoire, de n'avoir pas réfuté, même implicitement, un moyen objectivement dénué de toute pertinence (ATF 133 III 235 consid. 5.2; arrêt 4A_692/2016 du 20 avril 2017 consid. 5.2).  
C'est le lieu de rappeler que le grief tiré de la violation du droit d'être entendu ne doit pas servir, pour la partie qui se plaint de vices affectant la motivation de la sentence, à provoquer par ce biais un examen de l'application du droit de fond (ATF 142 III 360 consid. 4.1.2). 
 
3.2. Selon l'art. 76 al. 1 let. b LTF, la partie recourante doit avoir un intérêt digne de protection à l'annulation de la décision attaquée. L'intérêt digne de protection consiste dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait à son auteur, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (ATF 137 II 40 consid. 2.3). L'intérêt doit être actuel, c'est-à-dire qu'il doit exister non seulement au moment du dépôt du recours, mais encore au moment où l'arrêt est rendu (ATF 137 I 296 consid. 4.2; 137 II 40 consid. 2.1).  
 
3.3. On peut d'emblée s'interroger sur l'intérêt actuel de la recourante à l'annulation de la sentence attaquée et sur l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait à l'intéressée. A la lecture du mémoire de recours, force est d'observer que cette dernière ne conteste ni le principe même de sa suspension pour violation des règles antidopage ni la disqualification de ses résultats obtenus jusqu'au 31 décembre 2015 mais uniquement la durée de sa suspension. Or, la recourante, née en 1981, a mis un terme à sa carrière sportive en février 2017. Dans son mémoire de recours, elle ne fournit au demeurant pas d'explications visant à démontrer l'existence d'un intérêt digne de protection à l'admission de son recours.  
Quoi qu'il en soit, le grief en question, à le supposer recevable, devrait de toute manière être rejeté. Il saute en effet aux yeux que la recourante, sous le couvert d'une prétendue violation de son droit d'être entendue, s'en prend exclusivement à la motivation du TAS et tente d'obtenir un examen matériel de la sentence par l'autorité de recours, ce qui n'est pas admissible. Au demeurant, la lecture de la sentence entreprise permet de constater que les arbitres ont bel et bien pris en considération l'argumentation subsidiaire développée par la recourante, puisque ceux-ci y ont fait allusion (sentence, n. 89). La Formation a également exposé les raisons pour lesquelles il lui semblait qu'une suspension de quatre ans représentait une sanction proportionnée (sentence, n. 159). Force est ainsi d'admettre que le TAS a rejeté, à tout le moins de manière implicite, les éléments avancés par l'intéressée au soutien de sa thèse, laquelle ne saurait au demeurant obtenir une motivation détaillée sur chaque détail du raisonnement tenu par les arbitres. En tout état de cause, il sied de souligner que les arbitres n'étaient en l'occurrence pas tenus de prononcer des sanctions d'une durée identique à celles infligées à d'autres athlètes russes impliqués dans le même programme de dopage, car une formation arbitrale du TAS n'est en principe pas liée par la solution retenue dans une affaire tranchée précédemment ni obligée d'indiquer les raisons pour lesquelles elle entend s'en écarter (arrêt 4A_10/2022 du 17 mai 2022 consid. 4.3.2). 
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. 
 
4.  
Invoquant l'art. 64 al. 1 LTF, la recourante a sollicité sa mise au bénéfice de l'assistance judiciaire. En vertu de cette disposition, une partie ne peut être dispensée de payer les frais judiciaires que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et, en plus, si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l'échec. Comme le recours était voué à l'échec, l'une des deux conditions cumulatives à la réalisation desquelles la disposition citée subordonne l'octroi de l'assistance judiciaire n'est pas remplie en l'espèce. Ladite requête doit ainsi être rejetée. 
La recourante, qui succombe, prendra donc à sa charge les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée n'ayant pas été invitée à se déterminer, il n'y a pas lieu de lui allouer des dépens. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., so nt mis à la charge de la recourante. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal Arbitral du Sport (TAS). 
 
 
Lausanne, le 13 septembre 2022 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Juge présidant : Kiss 
 
Le Greffier : O. Carruzzo