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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
5P.290/2006 /fzc 
 
Arrêt du 12 octobre 2006 
IIe Cour civile 
 
Composition 
M. et Mmes les Juges Raselli, Président, Escher et Hohl. 
Greffière: Mme Mairot. 
 
Parties 
X.________ SA, 
recourante, représentée par Me Grégoire Rey, avocat, 
 
contre 
 
Y.________ SA, 
intimée, représentée par Me Michel Ducrot, avocat, 
Cour de cassation civile du Tribunal cantonal du canton du Valais, Palais de Justice, 1950 Sion 2. 
 
Objet 
art. 9 Cst. (mainlevée d'opposition), 
 
recours de droit public contre le jugement de la Cour de cassation civile du Tribunal cantonal du canton du Valais du 31 mai 2006. 
 
Faits: 
A. 
La société X.________ SA, entreprise de menuiserie, se fournit en bois auprès de Y.________ SA. Elle en a reçu plusieurs livraisons entre le 11 novembre 2004 et le 14 septembre 2005. Les bons de livraison ont été signés par ses employés. Y.________ SA lui a adressé ultérieurement les factures correspondantes, qui sont restées impayées. 
B. 
Le 10 novembre 2005, sur réquisition de Y.________ SA, l'Office des poursuites de l'Entremont a notifié à X.________ SA un commandement de payer la somme de 211'110 fr. 90 avec intérêts à 6% dès le 20 octobre 2005. Celle-ci y a fait opposition. 
Par décision du 13 décembre 2005, la juge suppléante du district de l'Entremont a accordé la mainlevée provisoire au commandement de payer à concurrence de 206'029 fr. 85 avec intérêts à 5% dès le 15 avril 2005. Elle a considéré que les bulletins de livraison signés, comportant l'indication des articles livrés, rapprochés des factures - qui font référence auxdits bulletins - et des conditions annuelles 2004 et 2005 constituaient des titres de mainlevée provisoire; seules une facture qui ne se référait à aucun bulletin de livraison et les factures qui se rapportaient à des bulletins de livraison non signés ne valaient pas titre de mainlevée. La poursuivie n'avait en outre pas justifié de sa libération et n'avait ni rendu vraisemblables d'éventuels défauts de la marchandise livrée, ni contesté les factures, ses courriers des 23 septembre 2004 et 20 juillet 2005 n'étant pas adressés à Y.________ SA. 
Statuant le 31 mai 2006 sur le pourvoi en nullité de X.________ SA, la Cour de cassation civile du Tribunal cantonal du canton du Valais l'a rejeté dans la mesure où il était recevable. 
C. 
Contre cet arrêt, X.________ SA forme un recours de droit public au Tribunal fédéral, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à la juridiction précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
L'intimée propose le rejet du recours. 
 
 
L'autorité cantonale n'a pas formulé d'observations et s'est référée aux considérants de son jugement. 
D. 
Par ordonnance du 20 juillet 2006, le président de la cour de céans a refusé d'attribuer l'effet suspensif au recours. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
1.1 Interjeté en temps utile contre une décision qui prononce, en dernière instance cantonale, la mainlevée provisoire de l'opposition (art. 82 LP; ATF 120 Ia 256 consid. 1a p. 257; 111 III 8 consid. 1 p. 9; 98 Ia 527 consid. 1 p. 532; 93 II 436 consid. 2 p. 437/438 et les références), le présent recours est recevable au regard des art. 84 al. 2, 86 al. 1, 87 (a contrario) et 89 al. 1 OJ. Il l'est aussi sous l'angle de l'art. 84 al. 1 let. a OJ, dès lors que la recourante invoque l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.). Cette dernière, dont l'opposition a été levée, est par ailleurs personnellement touchée par la décision attaquée et a ainsi qualité pour recourir (art. 88 OJ). 
1.2 En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit contenir, sous peine d'irrecevabilité (cf. ATF 123 II 552 consid. 4d p. 558), un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques qui auraient été violés, précisant en quoi consiste cette violation. Dans un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs expressément soulevés, et exposés de façon claire et détaillée (ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31, 258 consid. 1.3 p. 261), ce qui suppose une désignation précise des passages du jugement visés et des pièces du dossier sur lesquelles repose la critique (ATF 130 Ia 258 consid. 1.3 p. 261/262; 125 I 71 consid. 1c p. 76). Le principe jura novit curia est inapplicable (ATF 125 I 71 consid. 1c p. 76). Le justiciable qui exerce un recours de droit public pour arbitraire ne peut dès lors se borner à critiquer la décision attaquée comme il le ferait en procédure d'appel, où l'autorité de recours jouit d'une libre cognition; il ne peut, en particulier, se contenter d'opposer son opinion à celle de l'autorité cantonale, mais il doit démontrer, par une argumentation précise, que cette décision repose sur une application de la loi ou une appréciation des preuves manifestement insoutenables (ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 262; 129 I 113 consid. 2.1 p. 120, 185 consid. 1.6 p. 189; 128 I 295 consid. 7a p. 312; 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités). 
 
Lorsque la décision incriminée se fonde sur plusieurs motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires, toutes suffisantes, chacune doit, sous peine d'irrecevabilité, être attaquée avec le moyen de droit approprié (ATF 132 I 13 consid. 3 p. 16/17; 121 IV 94 consid. 1b p. 95; 119 Ia 13 consid. 2 p. 16; 115 II 300 consid. 2a p. 302; 111 II 397 consid. 2b, 398 consid. 2b p. 399). 
2. 
La recourante reproche d'abord à la cour cantonale d'avoir admis que A.________, qui n'est ni organe de la société poursuivante, ni avocate, était habilitée à déposer la requête de mainlevée et à comparaître à l'audience du 13 décembre 2005. Elle y voit une violation des art. 32 al. 2 et 3 CPC/VS ainsi que de l'art. 2 al. 1 et 2 de la loi sur la profession d'avocat valaisanne due à une confusion, constitutive d'une application arbitraire des art. 32 ss CO, entre le droit privé de la représentation (art. 32 ss CO) et le droit public de la représentation en justice. Elle se plaint également de ce que l'autorité cantonale n'a pas consacré un mot à son grief de violation du monopole des avocats. 
2.1 Selon le jugement attaqué, A.________, en sa qualité de membre du service du contentieux de la créancière, bénéficiait d'une procuration interne l'habilitant à agir en cas de problème avec un débiteur. Si, par extraordinaire, elle avait agi sans pouvoirs, on devrait admettre que ses actes avaient été ratifiés par l'intimée (art. 38 al. 1 CO), dans la mesure où elle était accompagnée, lors de la séance de mainlevée du 13 décembre 2005, par un fondé de pouvoirs inscrit au registre du commerce. Pour le reste, en procédure sommaire de mainlevée, les parties n'ont pas l'obligation d'agir avec l'assistance d'un mandataire professionnel. 
2.2 La cour cantonale s'est ainsi fondée sur une double motivation. Or, la recourante ne peut s'appuyer sur aucune constatation de fait du jugement attaqué lorsqu'elle affirme que B.________, qui a accompagné A.________ à l'audience du 13 décembre 2005, n'aurait "la qualité d'organe qu'en présence du Président C.________" (ATF 127 I 145 consid. 5c/aa p. 160; 124 I 208 consid. 4b p. 212; 119 II 6 consid. 4a p. 7; 118 III 37 consid. 2a p. 38/39). Elle n'a pas non plus formé de grief, respectant les exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, pour se plaindre d'une constatation arbitrairement fausse ou lacunaire des faits à cet égard (ATF 118 Ia 20 consid. 5a p. 26). En effet, elle se borne à invoquer, sous le titre "Rappel des faits", que B.________ serait titulaire de la signature collective à deux et à produire un extrait de registre du commerce, mais sans indiquer, avec la précision nécessaire, avoir déjà soulevé ce fait et produit ladite pièce en instance cantonale. Nouvelles, ses allégations ne peuvent donc être prises en compte. Il s'ensuit que l'argumentation subsidiaire de la cour cantonale, à savoir la ratification de la requête de mainlevée par la comparution, en audience, du fondé de pouvoirs de l'intimée, demeure intacte. Partant, le grief est irrecevable dans son ensemble. 
3. 
La recourante se plaint ensuite d'arbitraire dans l'application de l'art. 82 LP. Elle soutient en bref que les signatures figurant sur les bons de livraison ne font qu'attester de la réception de la marchandise et ne valent pas reconnaissance inconditionnelle de payer une somme d'argent. En outre, elle n'aurait jamais reçu les conditions annuelles de prix qu'elle avait pourtant réclamées, de sorte que sa dette n'était pas déterminable. Le seul rapprochement des bons de livraison et des factures correspondantes - au demeurant contestées - ne saurait donc constituer un titre de mainlevée. Enfin, certains bulletins de livraison signés ne mentionnaient pas de prix unitaires, et ce pour un montant de 67'550 fr. 
3.1 
3.1.1 L'autorité cantonale a exposé que son pouvoir d'examen sur ce point se limitait à l'arbitraire. Dans un tel cas, le Tribunal fédéral vérifie librement la manière dont elle a fait usage de sa cognition limitée, c'est-à-dire si elle a, à tort, admis ou nié l'arbitraire (cf. ATF 125 I 492 consid. 1a/cc p. 494; 116 III 70 consid. 2b p. 71/72; 112 Ia 350 consid. 1 p. 351; 111 Ia 353 consid. 1b p. 355 et les références). 
3.1.2 En vertu de l'art. 82 al. 1 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire. Constitue une reconnaissance de dette, au sens de cette disposition, l'acte signé par le poursuivi - ou son représentant (cf. ATF 112 III 88) - duquel il ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée ou aisément déterminable et échue. Elle peut découler du rapprochement de plusieurs pièces, pour autant que les éléments nécessaires en résultent (ATF 132 III 480 consid. 4.1 p. 481 et les arrêts cités). Selon la jurisprudence cantonale et la doctrine, le montant de la créance peut ainsi figurer sur l'acte signé ou sur une pièce auquel il se rapporte (Panchaud/Caprez, La mainlevée d'opposition, 2e éd., Zurich 1980, § 15; Daniel Staehelin, Commentaire bâlois, n. 25 ad art. 82 LP et la jurisprudence citée par ces auteurs). 
3.2 La cour cantonale a considéré, en résumé, qu'une reconnaissance de dette pouvait résulter du rapprochement de plusieurs pièces, par exemple d'un bulletin de livraison des produits vendus - même signé par un employé - et de la facture y relative dont le prix n'avait pas été contesté. En l'espèce, les bulletins de livraison avaient été signés par des employés de la débitrice. Puisque celle-ci soutenait que ces signatures prouvaient qu'elle avait bien réceptionné le matériel livré, elle reconnaissait implicitement que ses employés avaient le pouvoir de la représenter pour ce faire; partant, il n'était pas insoutenable de retenir que les bulletins avaient été signés par elle. Il n'était pas non plus arbitraire de juger que le rapprochement des bons de livraison signés et des factures correspondantes suffisait pour admettre une reconnaissance de dette. A cet égard, il importait peu que la débitrice, comme elle le soutenait, n'eût pas été en possession des conditions annuelles, ni que les bons de livraison ne se référassent pas à des prix unitaires découlant de ces conditions: la seule utilité de celles-ci aurait été de permettre à la débitrice de connaître les prix en question pour contester au besoin les factures; or, il n'était pas établi qu'elle l'eût fait. 
3.3 Comme exposé plus haut (cf. consid. 3.1.2), une reconnaissance de dette peut aussi résulter d'un ensemble de pièces. L'exemple classique est celui de la reconnaissance du prix par la signature du contrat de vente et une confirmation incontestable - en principe par signature - de la réception de la marchandise. En l'occurrence, seule cette confirmation a eu lieu, tandis que le montant de la créance n'a jamais été reconnu par signature. D'après le jugement attaqué, la débitrice n'était même pas en possession des conditions annuelles et des prix unitaires en découlant; au demeurant, si tel avait été le cas, la créancière ne pourrait en tirer argument que si la débitrice avait signé ces pièces. Par ailleurs, des factures ne valent pas reconnaissances de dette (Panchaud/Caprez, op. cit., § 3 ch. 3), et ce même si elles n'ont pas été contestées (cf. ATF 132 III 480 consid. 4.3 p. 482, concernant des extraits de compte qui n'ont donné lieu à aucune objection dans les délais). De fait, la mainlevée a été prononcée uniquement sur la base de documents produits de manière unilatérale par la créancière, à savoir des factures et des listes de prix que la débitrice n'avait jamais reconnues, ce qui est manifestement contraire à l'art. 82 LP et, notamment, à l'ATF 132 III 480 précité. L'autorité cantonale a par conséquent nié à tort l'arbitraire (sur cette notion: ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211; 131 I 57 consid. 2 p. 61, 217 consid. 2.1 p. 219). 
4. 
Vu ce qui précède, le recours, fondé, doit ainsi être admis, dans la mesure où il est recevable, et le jugement attaqué annulé. L'intimée supportera dès lors les frais judiciaires (art. 156 al. 1 OJ) et versera en outre des dépens à la recourante (art. 159 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable et le jugement attaqué est annulé. 
2. 
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de l'intimée. 
3. 
L'intimée versera à la recourante une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens. 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour de cassation civile du Tribunal cantonal du canton du Valais. 
Lausanne, le 12 octobre 2006 
Au nom de la IIe Cour civile 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: La greffière: