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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
4C.80/2006 /ggz 
 
Arrêt du 19 janvier 2007 
Ire Cour de droit civil 
 
Composition 
MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Kolly. 
Greffière: Mme Godat Zimmermann. 
 
Parties 
B.________ AG (anciennement A.________ AG), 
défenderesse et recourante, représentée par 
Mes Bernard Lachenal et Carole van de Sandt, 
 
contre 
 
C.________ Ltd, 
D.________ SA, 
demanderesses et intimées, représentées par 
Mes Philippe Neyroud et Olivier Wehrli, 
 
Objet 
décision partielle; conclusions du recours en réforme, 
 
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 20 janvier 2006. 
 
Faits : 
A. 
C.________ Ltd, dont le siège est à Londres, et D.________ SA, sise à Madrid, sont des sociétés contrôlées par F.________ Office, succursale de F.________ Authority. Cette dernière est une entité publique koweïtienne chargée, par l'entremise de ses bureaux de Londres, de réaliser et de gérer les investissements à l'étranger de l'Etat du Koweït. Dès 1986, F.________ Office a effectué des investissements en Espagne par le biais de D.________ SA et a acquis d'importantes participations dans des entreprises espagnoles. 
 
B.________ AG (anciennement A.________ AG) est une société de droit suisse dont le siège se trouve à Frauenfeld (TG). Elle avait une succursale à Genève. 
 
A.________ Corporation (actuellement E.________ Corporation) est une société holding qui détient les participations de plusieurs filiales, notamment de A.________ Company (actuellement E.________ Company); elle coordonne la politique générale du groupe et fournit à ses filiales divers services de conseil. Pour sa part, A.________ Company est l'une des plus importantes banques commerciales des Etats-Unis; elle était la principale filiale de A.________ Corporation. A.________ Company supervisait les activités en Suisse de B.________ AG. 
B. 
Par demande du 26 septembre 2000, C.________ Ltd et D.________ SA ont ouvert action contre B.________ AG et A.________ Corporation devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Elles concluaient à ce que les défenderesses soient condamnées, conjointement et solidairement, à leur payer différents montants totalisant 721'657'970 USD et 500'000'000 fr. Elles soutenaient que des détournements de fonds avaient été commis à leur préjudice entre 1988 et 1992, notamment par leurs propres administrateurs agissant de concert avec certains organes de B.________ AG et A.________ Corporation. 
 
En cours de procédure, les défenderesses ont formé une demande d'appel en cause de X.________, Y.________ et Z.________; les demanderesses ne s'y sont pas opposées. 
Dans son mémoire de réponse, B.________ AG a conclu au déboutement des demanderesses de toutes leurs conclusions. Pour sa part, A.________ Corporation a contesté sa légitimation passive, exposant qu'elle était simplement une société holding sans activité. Elle a relevé que B.________ AG était supervisée par A.________ Company, ce que les demanderesses savaient parfaitement. 
 
C.________ Ltd et D.________ SA ont alors conclu à la rectification de A.________ Corporation en A.________ Company. Par jugement du 29 août 2003, le Tribunal de première instance a ordonné la rectification. La Cour de justice du canton de Genève a confirmé ce jugement par arrêt du 18 juin 2004. 
 
A.________ Corporation et A.________ Company ont interjeté un recours de droit public, qui a été admis par arrêt du 17 novembre 2004 (ATF 131 I 57). En résumé, le Tribunal fédéral a jugé que le droit cantonal relatif à la rectification d'une désignation incorrecte des parties avait été appliqué arbitrairement, dès lors qu'il s'agissait en réalité d'une substitution de partie. 
 
A la suite du renvoi de la cause, la Cour de justice a invité les parties à prendre des conclusions. Dans ce cadre, B.________ AG a invoqué la nullité de l'assignation à raison de la non-individualisation des conclusions, soutenant que les demanderesses, par des conclusions communes, réclamaient à tort la réparation d'un dommage prétendument subi en commun, comme si elles étaient titulaires d'une seule créance en dommages-intérêts. 
 
Statuant le 20 janvier 2006, la cour cantonale a annulé le jugement du 29 août 2003, puis elle a constaté que A.________ Company n'était pas partie à la procédure, débouté les demanderesses de leurs conclusions en tant qu'elles concernaient A.________ Corporation et renvoyé la cause au Tribunal de première instance pour instruction et nouvelle décision sur le fond. Considérant, à la suite du Tribunal fédéral, qu'un risque de confusion s'opposait à la rectification des parties, la Cour de justice en déduit que A.________ Company n'a jamais été partie à la procédure. Elle relève par ailleurs que les demanderesses admettent s'être trompées en assignant A.________ Corporation. Enfin, elle expose que les conclusions de B.________ AG en constatation de la nullité de l'assignation sont irrecevables, au motif qu'elles ont été soulevées tardivement. 
C. 
B.________ interjette un recours en réforme. Elle demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal en tant qu'il renvoie la cause au premier juge pour instruction, puis de constater que les demanderesses n'ont pas qualité de créancières communes ni de créancières solidaires, qu'elles ne peuvent faire valoir chacune leurs prétendues créances qu'en qualité de créancières individuelles, qu'elles n'ont pas la légitimation active et, en conséquence, de débouter les demanderesses de toutes leurs conclusions. 
 
Contre le même arrêt, B.________ AG a également déposé un recours de droit public (cause 4P.56/2006) et une demande de révision cantonale. Par arrêt du 15 septembre 2006, la Cour de justice a partiellement admis cette demande et complété le dispositif de l'arrêt du 20 janvier 2006 par la mention expresse que l'incident de la nullité de l'assignation soulevé par B.________ AG était irrecevable; pour le surplus, la cour cantonale a rejeté la demande de révision. 
 
B.________ AG a interjeté un recours de droit public contre l'arrêt du 15 septembre 2006 (cause 4P.284/2006). 
 
Dans leur réponse au recours en réforme, les demanderesses concluent, principalement, à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
L'acte dont est recours a été rendu avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007, de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF). Par conséquent, la procédure reste soumise à l'ancienne loi fédérale d'organisation judiciaire (OJ; art. 132 al. 1 LTF). 
2. 
Aux termes de l'art. 57 al. 5 OJ, il est sursis en règle générale à l'arrêt sur le recours en réforme jusqu'à droit connu sur le recours de droit public. La jurisprudence déroge toutefois à cet ordre de priorité dans des situations particulières, qui justifient l'examen préalable du recours en réforme. Il en va notamment ainsi lorsque la décision sur le recours de droit public ne peut avoir aucune incidence sur le sort du recours en réforme (ATF 123 III 213 consid. 1 p. 215; 122 I 81 consid. 1 p. 82/83; 120 Ia 377 consid. 1 p. 379), ce qui sera notamment le cas lorsque le recours en réforme apparaît irrecevable (ATF 117 II 630 consid. 1a p. 631). Cette dernière hypothèse étant réalisée en l'espèce, il se justifie de traiter le recours en réforme avant le recours de droit public. 
3. 
3.1 En règle générale, le recours en réforme n'est recevable que contre une décision finale (art. 48 al. 1 OJ). Pour qu'une décision soit qualifiée de finale, il faut, d'une part, qu'elle mette un terme à la procédure entre les parties et, d'autre part, que l'autorité cantonale ait statué sur le fond de la prétention ou s'y soit refusée pour un motif qui empêche définitivement que la même prétention soit exercée à nouveau entre les mêmes parties. Hormis le cas des décisions quant à la compétence (art. 49 al. 1 OJ), le recours en réforme n'est ouvert qu'exceptionnellement contre des décisions préjudicielles ou incidentes, aux conditions posées à l'art. 50 al. 1 OJ: une décision finale doit pouvoir ainsi être provoquée immédiatement et, en outre, la durée et les frais de la procédure probatoire doivent apparaître si considérables qu'il convient de les éviter en autorisant le recours immédiat. En procédure de réforme, le jugement partiel, qui n'est pas une décision finale au sens de l'art. 48 OJ, se distingue des décisions préjudicielles ou incidentes. La décision partielle est celle qui statue sur une partie quantitativement limitée de la prétention litigieuse ou sur l'une des prétentions en cause - en cas de cumul objectif ou subjectif d'actions ou lorsqu'une demande reconventionnelle a été formée (ATF 132 III 785 consid. 2 p. 789/790 et les arrêts cités). 
 
Le recours immédiat contre un jugement partiel est soumis à un régime particulier, dicté par des motifs d'économie de procédure. Ainsi, un jugement partiel peut être attaqué immédiatement lorsqu'il tranche au fond le sort d'une prétention qui aurait pu faire à elle seule l'objet d'un procès distinct et dont le jugement est préjudiciel à celui des autres conclusions encore litigieuses. En cas de cumul subjectif d'actions, le Tribunal fédéral a admis la recevabilité du recours en réforme immédiat lorsque l'étendue de la procédure probatoire dépend dans une mesure importante du point de savoir si tous les consorts ou seuls certains d'entre eux peuvent être recherchés (ATF 131 III 667 consid. 1.3 p. 669/670 et les arrêts cités). 
3.2 En l'espèce, après l'annulation de l'arrêt du 18 juin 2004 par la cour de céans, la Cour de justice devait à nouveau juger si A.________ Corporation pouvait être rectifiée en A.________ Company. Elle a répondu par la négative à cette question. En conséquence, dans le dispositif de l'arrêt attaqué, elle a constaté que A.________ Company n'était pas partie à la procédure, débouté les demanderesses de leurs conclusions en tant qu'elles concernaient A.________ Corporation et renvoyé la cause au premier juge pour instruction et décision sur le fond. En constatant la mise hors de cause d'une personne juridique et en rejetant l'action dirigée contre un consort sans mettre fin à l'action ouverte contre un autre consort, la cour cantonale a rendu un jugement partiel (cf. ATF 131 III 667 consid. 1.3 p. 669 et les arrêts cités). Le recours en réforme contre une telle décision n'est ouvert qu'à certaines conditions qui ne sont pas remplies en l'espèce. En effet, il n'existe aucun motif relevant de l'économie de procédure qui justifierait d'entrer en matière sur le recours immédiat de la défenderesse encore impliquée dans le procès. La question de savoir si tous les consorts ou seuls certains d'entre eux peuvent être recherchés ne se pose pas, dès lors que la recourante critique exclusivement le renvoi de la cause au juge de première instance. Sous cet angle-là, l'arrêt attaqué est une décision incidente. Or, la juridiction de réforme n'est manifestement pas en mesure de rendre immédiatement une décision finale sur la prétention exercée contre la recourante (cf. ATF 131 III 667 consid. 1.4 p. 670/671). 
 
Le recours se révèle dès lors irrecevable. 
4. 
Le recours est également irrecevable pour une autre raison. 
4.1 Dans le cadre d'un recours en réforme, des conclusions nouvelles sont exclues (art. 55 al. 1 let. b OJ). Le recourant ne peut que reprendre celles qui étaient pendantes devant la dernière instance cantonale ou les réduire. Il ne peut ni les augmenter, ni en ajouter de nouvelles; l'objet des conclusions devant le Tribunal fédéral et devant l'instance cantonale précédente doit en outre être identique (cf. ATF 104 II 44 consid. 1 p. 46). Cette restriction découle de la fonction du recours en réforme, qui est de permettre le contrôle de la décision prise par la dernière instance cantonale (Poudret, COJ II, n. 1.4.3 ad art. 55). 
 
En outre, comme le recours tend à la réforme et non à la cassation, le recourant qui utilise cette voie de droit ne peut se borner à demander l'annulation de la décision attaquée, mais il doit également prendre des conclusions sur le fond du litige (ATF 130 III 136 consid. 1.2), sous peine de voir son recours déclaré irrecevable (Poudret, op. cit., n. 1.4.1.4 ad art. 55). Il n'est fait exception à cette règle que lorsque le Tribunal fédéral, en cas d'admission du moyen soulevé dans le recours, ne serait de toute manière pas à même de statuer au fond, mais devrait renvoyer la cause à l'instance précédente pour complément d'instruction et nouvelle décision (cf. ATF 130 III 136 consid. 1.2 in fine; 125 III 412 consid. 1b p. 414; 111 II 384 consid. 1 p. 386). En revanche, une telle exception ne saurait être admise lorsque le moyen soulevé dans le recours en réforme devrait faire l'objet de conclusions nouvelles; admettre, dans ce cas, des conclusions tendant au renvoi rendrait inopérante l'interdiction de conclusions nouvelles, car cela obligerait le Tribunal fédéral à se prononcer sur des questions qui n'avaient pas été soumises à l'autorité cantonale. 
4.2 Après le renvoi de la cause par l'arrêt du Tribunal fédéral du 17 novembre 2004, la Cour de justice était à nouveau saisie du recours de A.________ Corporation et A.________ Company contre la modification de la désignation de A.________ Corporation en A.________ Company; cette procédure portait sur la licéité d'un changement de la désignation de l'une des parties défenderesses. Invitée à prendre des conclusions, la recourante, par mémoire du 1er juin 2005, a conclu à ce que la nullité de la demande soit constatée, respectivement à ce que la demande soit déclarée irrecevable, au motif que les règles formelles prévues à l'art. 7 LPC/GE n'avaient pas été respectées. Elle s'est ainsi limitée à conclure à la nullité, respectivement à l'irrecevabilité de la demande pour des motifs de droit de procédure cantonal. Elle n'a pas pris de conclusions sur le fond de la cause, dont la Cour de justice n'était d'ailleurs pas saisie en l'état. 
 
Dans son recours en réforme, la recourante conclut à l'annulation de l'arrêt du 20 janvier 2006, à ce que soient faites diverses constatations sur la cause au fond, dont le défaut de légitimation active, et finalement à ce que les intimées soient déboutées de toutes leurs conclusions. Dans une motivation quelque peu alambiquée, elle invoque les règles de droit fédéral relatives à la solidarité des créanciers. Par conséquent, la recourante prend des conclusions au fond, basées sur le droit fédéral. Ces conclusions sont nouvelles et, partant, irrecevables. 
 
Au demeurant, la conclusion visant à l'annulation de l'arrêt attaqué serait également irrecevable si elle se rapportait à la question de droit cantonal soulevée par la recourante devant la Cour de justice. En effet, l'application du droit cantonal par l'autorité cantonale ne peut pas faire l'objet d'un recours en réforme (art. 43 OJ). Au demeurant, il est à noter qu'en l'espèce, la Cour de justice n'est même pas entrée en matière sur cette question, pour cause de tardiveté. 
5. 
Vu le sort réservé au recours, les frais judiciaires seront mis à la charge de la recourante (art. 156 al. 1 OJ), laquelle versera en outre des dépens aux intimées (art. 159 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est irrecevable. 
2. 
Un émolument judiciaire de 30'000 fr. est mis à la charge de la recourante. 
3. 
La recourante versera aux intimées, créancières solidaires, une indemnité de 35'000 fr. à titre de dépens. 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
Lausanne, le 19 janvier 2007 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
Le Président: La Greffière: