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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
4A_205/2008/ech 
 
Arrêt du 19 août 2008 
Ire Cour de droit civil 
 
Composition 
MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Kolly et Kiss. 
Greffière: Mme Godat Zimmermann. 
 
Parties 
A.________, 
Association des Amis du Journal de Genève et Gazette de Lausanne, 
recourants, représentés par Me Nicolas Jeandin, 
 
contre 
 
Société Anonyme du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne, en liquidation, 
intimée, représentée par Me Daniel Tunik. 
 
Objet 
société anonyme; action en annulation d'une décision de l'assemblée générale; réduction du capital-actions, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 14 mars 2008. 
 
Faits: 
 
A. 
A.a A.________ et l'Association des Amis du Journal de Genève et Gazette de Lausanne (ci-après: l'Association) sont actionnaires de la Société Anonyme du Journal de Genève et de la Gazette de Lausanne (ci-après: SAJGGL), qui éditait le quotidien éponyme. 
 
Le 15 octobre 1997, l'assemblée générale de la SAJGGL a décidé de suspendre la parution du journal et de prendre une participation de 47 % au capital-actions de la SA Le Temps, chargée de publier le quotidien du même nom. La principale activité de la SAJGGL a consisté dès lors à gérer cette participation. Plusieurs actionnaires minoritaires, dont A.________, ont tenté en vain de s'opposer à la cessation de parution du «Journal de Genève et Gazette de Lausanne». 
A.b Une assemblée générale ordinaire de la SAJGGL s'est tenue le 22 juin 2001. Elle a été suivie d'une assemblée générale extraordinaire au cours de laquelle les actionnaires ont approuvé une convention signée le 31 mai 2001 entre la SAJGGL et trois actionnaires majoritaires, à savoir E.________ SA, C.________ et D.________; cet accord portait sur la vente, pour un prix de 11 millions de francs, de la participation de la SAJGGL dans la SA Le Temps, sur la cession du prêt de la SAJGGL à la SA Le Temps d'un montant de 6'294'877 fr. plus intérêts ainsi que sur la cession de l'ensemble des droits détenus par la SAJGGL sur les dénominations «Journal de Genève» et «Gazette de Lausanne». Lors de la même assemblée générale, il a été décidé de dissoudre la SAJGGL. 
 
A.________, l'Association et plusieurs autres actionnaires minoritaires ont ouvert action en annulation des décisions prises lors des assemblées générales ordinaire et extraordinaire du 22 juin 2001. Par jugement du 8 décembre 2005, le Tribunal de première instance du canton de Genève a annulé uniquement la décision de décharge des administrateurs prise lors de l'assemblée générale ordinaire et débouté les demandeurs de toutes leurs autres conclusions. Ce jugement a été confirmé sur appel par la Cour de justice du canton de Genève en date du 13 octobre 2006. Par arrêts du 19 avril 2007, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit public (cause 4P.309/2006) et le recours en réforme (cause 4C.419/2006) que A.________ et ses consorts avaient déposés contre l'arrêt cantonal. Le 18 octobre 2007, A.________ a adressé une requête à la Cour européenne des droits de l'homme en rapport avec les deux arrêts susmentionnés. Il n'en demeure pas moins que la décision de dissoudre la SAJGGL est désormais définitive; la mention «en liquidation» est adjointe à la raison sociale de la société. 
 
La SAJGGL n'a pratiquement plus exercé d'activité commerciale depuis les assemblées générales du 22 juin 2001. 
A.c Une assemblée générale de la SAJGGL a été convoquée pour le 6 juillet 2004. A cette occasion, F.________, liquidateur, a indiqué que le poste «débiteurs» apparaissant à l'actif du bilan à hauteur de 6'845'469 fr.94 représentait le solde du prix de vente stipulé dans la convention du 31 mai 2001, seul un des trois actionnaires repreneurs ayant payé sa dette intégralement; le solde, portant intérêt, était garanti par deux billets à ordre immédiatement négociables. Selon les explications du liquidateur, le conseil d'administration a jugé inadéquat de faire porter auxdits actionnaires «la charge de l'immobilisation de la totalité de leur engagement financier pris dans la perspective d'une liquidation de la société, alors que celle-ci était reportée en raison d'éléments qu'ils ne maîtrisaient pas», c'est-à-dire les procédures judiciaires engagées notamment contre la ratification de la convention du 31 mai 2001 et la décision de dissolution de la société. 
 
Par ailleurs, lors de cette assemblée générale, un actionnaire, qui n'était lié ni au liquidateur ni aux actionnaires repreneurs, a proposé qu'une diminution du capital soit envisagée. 
A.d Lors de l'assemblée générale de la SAJGGL du 23 juin 2005, il a été proposé de réduire le capital-actions de la société de 13'950'000 fr. à 4'068'750 fr. au moyen d'un remboursement de 8 fr.50 par action; la valeur de l'action passerait ainsi de 12 fr. à 3 fr.50, le nombre d'actions restant inchangé. L'opération entraînait un versement en espèces aux actionnaires de 3'693'937 fr. et une compensation partielle de la dette des actionnaires repreneurs à concurrence de 6'187'312 fr. Aux dires du liquidateur, la réduction du capital-actions se justifiait par le fait que la SAJGGL, qui n'exerçait plus aucune activité commerciale, était surcapitalisée, ce qui occasionnait des frais inutiles importants, notamment en matière d'impôts et de frais de gestion des actifs. 
 
Selon le rapport spécial de révision établi par PriceWaterhouseCoopers, les créances étaient entièrement couvertes, même après la réduction du capital-actions. 
La réduction du capital-actions a été acceptée, devant notaire, par 985'543 voix contre 2'034. 
A.e Le 28 octobre 2005, A.________ a intenté contre la SAJGGL une action tendant à la révocation pour justes motifs de F.________ de sa fonction de liquidateur de la société. Contrairement aux instances cantonales, le Tribunal fédéral, statuant le 23 octobre 2006 sur un recours en réforme de A.________, a fait droit à la demande et révoqué F.________ de sa fonction de liquidateur (ATF 132 III 758). Mettant en parallèle la décision du liquidateur de n'exécuter que partiellement la convention de vente du 31 mai 2001 et sa proposition de réduire le capital avec remboursement des apports, la cour de céans a observé que cette solution s'avérait particulièrement favorable aux actionnaires repreneurs, qui voyaient leur dette éteinte par compensation et étaient ainsi définitivement libérés de l'obligation de verser le solde du prix de vente. Par ailleurs, la réduction du capital-actions pouvait se comprendre comme un moyen détourné de liquider en fait la société, alors que la décision de dissolution, contestée par certains actionnaires, faisait l'objet de procédures encore pendantes à l'époque (cf. point Ab supra). Le Tribunal fédéral a jugé que ces hypothèses suffisaient à jeter un doute sur la compétence ou la volonté du liquidateur de mener régulièrement la liquidation (consid. 3.5.6). 
 
B. 
Le 24 août 2005, un groupe d'actionnaires minoritaires, comprenant A.________ et l'Association, a ouvert action contre la SAJGGL en annulation des décisions prises lors de l'assemblée générale du 23 juin 2005, dont la modification des statuts emportant réduction du capital-actions. 
 
Par jugement du 13 avril 2006, le Tribunal de première instance du canton de Genève a annulé la décision de l'assemblée générale donnant décharge au liquidateur et débouté les demandeurs de leurs conclusions pour le surplus. 
 
Statuant le 14 mars 2008 sur appel des demandeurs, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement de première instance. 
 
Il convient de rappeler qu'entre-temps, la dissolution de la SAJGGL était devenue définitive à la suite des arrêts du Tribunal fédéral du 19 avril 2007 (cf. point A.b supra). 
 
C. 
A.________ et l'Association interjettent un recours en matière civile. Ils demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal du 14 mars 2008, sauf en tant qu'il met à néant la décision donnant décharge au liquidateur, puis, statuant à nouveau, d'annuler la modification de l'article 5 des statuts de la SAJGGL décidée lors de l'assemblée générale du 23 juin 2005 et emportant réduction du capital-actions à concurrence de 9'881'250 fr. 
 
Par ordonnance du 4 juin 2008, le Président de la Ire Cour de droit civil a accordé au recours l'effet suspensif réclamé par les recourants. 
 
Dans sa réponse, la SAJGGL conclut à l'irrecevabilité du recours faute d'intérêt juridique au sens de l'art. 76 al. 1 let. b LTF et, subsidiairement, à son rejet. 
 
Considérant en droit: 
 
1. 
1.1 L'action en annulation d'une décision de l'assemblée générale, réduisant par exemple le capital-actions de la société anonyme, est de nature pécuniaire. La valeur déterminante est celle de l'intérêt de la société au maintien de la décision contestée, intérêt dont la valeur est en principe plus élevée que celle de l'intérêt personnel de l'actionnaire demandeur (ATF 133 III 368 consid. 1.3.2 et les arrêts cités). 
 
En l'espèce, la valeur litigieuse est manifestement supérieure à 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), dès lors que la seule réduction contestée du capital-actions atteint déjà 9'881'250 fr. Le recours est recevable ratione valoris. 
 
1.2 L'intimée fait valoir que les recourants ne disposent plus d'un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision de réduction du capital-actions. La dissolution de la société a été définitivement confirmée par le Tribunal fédéral et la société est aujourd'hui en phase de liquidation. L'intimée peine ainsi à comprendre en quoi la situation des recourants pourrait encore être touchée par le fait que le capital-actions soit réduit ou non. 
 
Aux termes de l'art. 76 al. 1 LTF, la qualité pour former un recours en matière civile appartient notamment à celui qui a pris part à la procédure devant l'autorité précédente (let. a) et qui a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (let. b). La mention expresse de l'intérêt juridique à l'art. 76 al. 1 let. b LTF n'a pas modifié fondamentalement les règles jurisprudentielles consacrées sous l'ancien droit de procédure fédéral. Ainsi, selon la jurisprudence, cette condition vise surtout les affaires de droit public qui sont susceptibles du recours en matière civile selon l'art. 72 al. 2 let. b LTF; dans les affaires civiles proprement dites, comme le cas présent, il suffit que le recourant ait pris part à l'instance précédente et qu'il ait succombé dans ses conclusions (ATF 133 III 421 consid. 1.1). Il s'ensuit que les recourants ont qualité pour recourir. 
 
1.3 Au surplus, dirigé contre un jugement final (art. 90 LTF) rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 LTF), le recours est recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. 
 
1.4 Le recours peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est donc limité ni par les arguments soulevés dans le recours ni par la motivation retenue par l'autorité précédente; il peut admettre un recours pour un autre motif que ceux qui ont été invoqués et il peut rejeter un recours en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité précédente. Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui. 
 
1.5 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). La partie recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées, faute de quoi il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui contenu dans la décision attaquée (cf. ATF 133 III 249 consid. 1.4.3; 130 III 136 consid. 1.4). Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). 
 
2. 
Les recourants limitent leur recours à la question de la réduction du capital-actions de la société intimée et à ses modalités. 
 
Invoquant une inégalité de traitement entre actionnaires inadmissible au regard des art. 706 al. 2 ch. 3 et 717 al. 2 CO, ils sont d'avis que ladite réduction, opérée partiellement par compensation entre les créances en remboursement d'une partie de la valeur des actions et les dettes de trois actionnaires majoritaires, revient à avantager ceux-ci outrageusement au détriment des actionnaires minoritaires. Ils invitent la cour de céans à examiner le procédé adopté dans son ensemble, à savoir l'exécution partiellement différée de la convention de vente du 31 mai 2001 au bénéfice de trois actionnaires majoritaires, qui ont obtenu les actifs vendus sans payer intégralement le prix convenu, puis la réduction du capital-actions qui, grâce à la compensation qui s'ensuit, dispense désormais lesdits actionnaires de tout apport de liquidités supplémentaires en faveur de la société. 
 
A titre subsidiaire, les recourants voient une machination relevant de l'abus de droit au sens de l'art. 2 al. 2 CC dans la diminution du capital-actions utilisée à des fins étrangères aux règles du droit de la société anonyme. A leur sens, le mécanisme instauré par la réduction du capital et la compensation entérine une situation de fait largement favorable à trois actionnaires majoritaires, à savoir le paiement différé du prix des actifs vendus selon la convention du 31 mai 2001. 
 
3. 
3.1 Chaque actionnaire peut attaquer en justice les décisions de l'assemblée générale qui violent la loi ou les statuts (art. 706 al. 1 CO). Sont notamment annulables les décisions qui entraînent pour les actionnaires une inégalité de traitement ou un préjudice non justifiés par le but de la société (art. 706 al. 2 ch. 3 CO). L'égalité de traitement des actionnaires est un principe fondamental du droit de la société anonyme, qui s'impose également au conseil d'administration et aux tiers s'occupant de la gestion (art. 717 al. 2 CO; cf. ATF 131 III 459 consid. 5.4.2 p. 464/465). En règle générale, il s'agit d'une égalité relative: un traitement différencié est possible selon la participation au capital (cf. par exemple, art. 660 al. 1 et 2 et art. 692 al. 1 CO; Meier-Hayoz/Forstmoser, Schweizerisches Gesellschaftsrecht, 10e éd., n. 144, p. 425; Michel Heinzmann, Die Herabsetzung des Aktienkapitals, thèse Fribourg 2004, p. 261; Claire Huguenin Jacobs, Das Gleichbehandlungsprinzip im Aktienrecht, p. 37). 
 
La réduction (constitutive) du capital-actions, avec remboursement des apports, comporte un risque d'inégalité de traitement entre actionnaires. En effet, comme les droits de l'actionnaire dépendent en général de sa quote-part au capital-actions, ils seront réduits si sa participation est diminuée plus que proportionnellement à la suite d'une réduction du capital. L'actionnaire peut ainsi déduire du principe de l'égalité de traitement un droit au maintien de sa quote-part au capital-actions et, partant, à une réduction proportionnée de sa participation au capital; une atteinte à ce droit nécessite une justification particulière (Heinzmann, op. cit., p. 262/263; Huguenin Jacobs, op. cit., p. 120-122 et p. 134 ss). Si la réduction du capital s'opère par diminution de la valeur nominale des actions, le principe de l'égalité de traitement des actionnaires commande que chaque action soit réduite et que la réduction s'effectue dans la même mesure pour toutes les actions (Heinzmann, op. cit., p. 264; Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, Schweizerisches Aktienrecht, n. 30, p. 780/781). 
 
3.2 En l'espèce, la réduction du capital décidée le 23 juin 2005 est constitutive. Elle doit se réaliser par une diminution linéaire de la valeur nominale de chaque action; ni le nombre total d'actions, ni leur répartition ne sont modifiés. Les droits relatifs des actionnaires ne sont pas touchés par cette opération. On ne voit donc pas en quoi la décision de réduire le capital-actions et les modalités choisies ne respecteraient pas, en elles-mêmes, le principe de l'égalité de traitement des actionnaires. Le grief fondé sur l'art. 706 al. 2 ch. 3 CO ne peut être que rejeté. 
 
En réalité, ce que les recourants reprochent à la réduction de capital décidée contre leur gré, c'est de permettre à des actionnaires majoritaires de régler leur dette contractuelle envers la société sans bourse délier et de ne servir qu'à ce but-là. La critique des recourants ne met pas tant en jeu le principe de l'égalité de traitement que l'art. 2 al. 2 CC; il convient dès lors d'examiner la décision incriminée sous cet angle-là. C'est le lieu de préciser que si le principe de l'égalité de traitement des actionnaires ne constitue pas une lex specialis par rapport à l'art. 2 CC, mais un cas d'application de cette disposition, il existe des situations qui peuvent se révéler abusives pour d'autres raisons. En d'autres termes, une décision de l'assemblée générale qui respecte le principe de l'égalité de traitement peut constituer néanmoins un abus de droit (cf. ATF 102 II 265 consid. 2 p. 268; Roland Ruedin, Le fondement du principe de l'égalité, in De la Constitution, Etudes en l'honneur de Jean-François Aubert, p. 545 et p. 550/551; Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, op. cit., n. 105 ss, p. 470). 
 
4. 
4.1 A teneur de l'art. 2 al. 2 CC, l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. L'existence d'un abus de droit se détermine selon les circonstances concrètes du cas (ATF 129 III 493 consid. 5.1 et les arrêts cités). L'emploi dans le texte légal du qualificatif «manifeste» démontre que l'abus de droit ne doit être admis qu'avec restriction. L'interdiction de l'abus de droit est valable pour tout l'ordre juridique, y compris pour l'exercice du pouvoir dans la société anonyme par les actionnaires majoritaires (Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, op. cit., n. 103, p. 470). Une décision prise par la majorité sera abusive au sens de l'art. 2 al. 2 CC si elle n'est pas justifiée par des motifs économiques raisonnables, si elle lèse manifestement les intérêts de la minorité et si elle favorise sans raison les intérêts particuliers de la majorité (ATF 95 II 157 consid. 9c p. 164). Le juge n'a pas à apprécier le caractère opportun de la décision au regard des intérêts de la société et de l'ensemble des actionnaires. En vertu du principe de la majorité qui gouverne les décisions de la société anonyme, l'actionnaire admet que la majorité présente à l'assemblée générale puisse faire passer ses intérêts avant ceux de la minorité. Le juge ne peut intervenir que si les actionnaires majoritaires ont manifestement abusé du pouvoir que l'art. 703 CO leur confère, eu égard aux intérêts contraires des actionnaires minoritaires (ATF 102 II 265 consid. 3 p. 269; 99 II 55 consid. 4b p. 62; sur toute la question, voir, plus récemment, consid. 3.4.1 non publié de l'ATF 131 III 38 et arrêt 4C.242/2001 du 5 mars 2003, consid. 5.1). 
 
4.2 En l'espèce, la raison avancée pour justifier la réduction du capital-actions est une capitalisation trop importante par rapport à l'activité déployée effectivement par la société. La surcapitalisation est un motif courant de réduction du capital social avec remboursement aux actionnaires (Peter Böckli, Schweizer Aktienrecht, 3e éd., n. 335, p. 253; Pascal Montavon, Droit suisse de la SA, 3e éd., p. 387; Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, op. cit., n. 21, p. 779/780). La décision de réduction du capital de la société intimée a été prise quatre ans après que l'assemblée générale avait approuvé la vente des actions de la SA Le Temps à trois actionnaires majoritaires et décidé la dissolution de la société. Certes, ces deux dernières décisions faisaient alors l'objet d'une action en annulation introduite notamment par le recourant A.________. Il n'en demeure pas moins qu'au moment où la réduction du capital-actions a été décidée, la société intimée n'exerçait pratiquement plus d'activité commerciale depuis plusieurs années. Une telle situation justifiait assurément, sur le plan économique, de réduire le capital social afin, notamment, de diminuer la charge fiscale. Il s'ensuit que la décision critiquée par les recourants était justifiée par des motifs économiques raisonnables. 
 
Au surplus, les recourants n'expliquent pas en quoi la réduction du capital-actions, en tant que telle, porterait atteinte aux intérêts des actionnaires minoritaires. Quant à l'avantage retiré par les actionnaires majoritaires parties à la convention du 31 mai 2001, il a déjà été constaté par la cour de céans, qui a relevé que, grâce à la compensation induite par la réduction du capital-actions, lesdits actionnaires étaient définitivement libérés de l'obligation de verser à l'intimée le solde du prix de vente (ATF 132 III 758 consid. 3.5.6 p. 767). Cependant, dès lors que la réduction du capital social est fondée sur des motifs économiques raisonnables et qu'elle ne lèse pas les intérêts des actionnaires minoritaires, cet avantage ne saurait faire apparaître la mesure incriminée comme un abus manifeste du pouvoir des actionnaires majoritaires. En conclusion, le moyen tiré de l'art. 2 al. 2 CC se révèle mal fondé. 
 
5. 
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté. 
 
L'art. 706a al. 3 CO prévoit qu'en cas de rejet de la demande, le juge répartit librement les frais entre la société et le demandeur. Il n'est pas nécessaire d'examiner si cette règle s'applique également en cas de recours au Tribunal fédéral (apparemment oui selon consid. 6 non publié de l'ATF 128 III 142 et consid. 7 in fine de l'arrêt 4C.278/1994 du 14 juin 1995; cf. toutefois, mutatis mutandis, consid. 4c de l'arrêt 4C.155/1998 du 15 octobre 1998). En effet, la disposition précitée n'oblige de toute manière pas le juge à s'écarter dans tous les cas du principe selon lequel les frais de la procédure sont mis à la charge de la partie déboutée (consid. 5 non publié de l'ATF 128 III 142, reproduit in SJ 2002 I p. 373 ss, p. 378). En l'espèce, les très faibles perspectives d'admission du recours (cf. Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, op. cit., n. 83, p. 259) commandent, en tout état de cause, de s'en tenir à la règle générale de répartition des frais et dépens découlant des art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF. Par conséquent, les recourants prendront à leur charge les frais judiciaires et verseront des dépens à l'intimée. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est rejeté. 
 
2. 
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis solidairement à la charge des recourants. 
 
3. 
Une indemnité de 6'000 fr., à payer à l'intimée à titre de dépens, est mise solidairement à la charge des recourants. 
 
4. 
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
Lausanne, le 19 août 2008 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
Le Président: La Greffière: 
 
Corboz Godat Zimmermann