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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1B_464/2022  
 
 
Arrêt du 10 novembre 2022  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Kneubühler, Président, Jametti et Merz. 
Greffière : Mme Kropf. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Killian Sudan, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
intimé. 
 
Objet 
Procédure pénale; refus de retrancher une pièce du dossier, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 9 août 2022 
(ACPR/539/2022 - P/12994/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Le 14 juin 2022, A.________, né en 1998, a été convoqué par la police afin d'être entendu ce même jour sur des accusations d'attouchements sexuels répétés sur sa nièce, née en 2011. Une interprète externe a traduit ses déclarations de l'espagnol au français. A.________ a reçu le formulaire lui exposant, en espagnol, ses droits et obligations en tant que prévenu. Il a également été avisé de la possibilité de se faire assister par un avocat, mais y a renoncé. Au cours de son audition, il a notamment déclaré que "tout ce que l'enfant vous a raconté, je vous dire que c'est la vérité". 
Le lendemain, le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après : le Ministère public) a ouvert une instruction contre A.________ pour actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 CP) et contrainte sexuelle (art. 189 CP); ce dernier se trouvant dans un cas de défense obligatoire, un avocat d'office lui a été désigné. Le prévenu a été entendu par le Ministère public en présence de ce défenseur. A.________ est revenu sur ses aveux, affirmant plusieurs fois n'avoir pas compris ce qui lui avait été demandé, que ce soit par la police ou par le Ministère public. Le prévenu a également précisé à deux reprises qu'il ne comprenait pas les questions en "français" et n'avait pas prêté attention à la présence de l'interprète. 
Le défenseur d'office de A.________ a requis, le 16 juin 2022, le retrait du dossier du procès-verbal d'audition du 14 juin 2022, au motif que la police aurait pu et dû se rendre compte que le prévenu se trouvait d'entrée de cause dans un cas de défense obligatoire; son client souffrait de difficultés d'audition, de compréhension ainsi que d'élocution et il portait un appareil auditif à l'oreille droite. Par ordonnance du 4 juillet 2022, le Ministère public a refusé de donner suite à cette requête; il a considéré que l'audition par la police s'était tenue avant qu'il ne soit lui-même saisi de l'enquête, de sorte que les conditions de l'art. 130 CPP ne s'appliquaient pas encore. 
 
B.  
Le 9 août 2022, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après : la Chambre pénale de recours) a rejeté le recours formé par A.________ contre cette décision. 
 
C.  
Par acte du 7 septembre 2022, A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, concluant à son annulation (ch. 2) et à la constatation de l'illicéité, ainsi que de l'inexploitabilité du procès-verbal de son audition du 14 juin 2022 effectuée par la police (ch. 3); il demande en conséquence : 
 
- qu'il soit ordonné au Ministère public d'écarter du dossier ce procès-verbal (ch. 4), toutes références qui y seraient faites (ch. 5), ainsi que toute réponse ou information qui y serait liée (ch. 6); 
- qu'il soit fait interdiction au Ministère public de faire référence à l'avenir d'une quelconque manière que ce soit à ce procès-verbal (ch. 7); et 
- que le mandat d'expertise psychiatrique octroyé au Dr B.________ soit révoqué et qu'un nouvel expert soit désigné (ch. 8). 
A titre subsidiaire, le recourant demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants (ch. 12). Le 23 septembre 2022, il a requis l'octroi de l'assistance judiciaire. 
Invitée à se déterminer, la cour cantonale a renoncé à formuler des observations. Quant au Ministère public, il a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Le 4 octobre 2022, le recourant a persisté dans ses conclusions. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 147 I 89 consid. 1 p. 91). 
 
1.1. S'agissant de la conclusion tendant à la révocation du mandat d'expertise psychiatrique et à la désignation d'un nouvel expert, le recourant ne prétend pas qu'elle aurait déjà été formulée devant l'instance précédente (cf. ad ch. 44 ss p. 16 du recours). Elle est donc nouvelle et, partant, irrecevable (cf. art. 99 al. 2 LTF).  
Il en découle également l'irrecevabilité des éléments invoqués à cet égard, soit notamment les pièces C et D, lesquelles sont en outre ultérieures à l'arrêt attaqué (cf. art. 99 al. 1 LTF). 
 
1.2. Faute d'être l'objet du litige, il n'y a pas non plus lieu de prendre en compte les arguments et pièces avancés pour démontrer le défaut de risques de fuite, de réitération et/ou de collusion, lesquels auraient notamment justifié le placement en détention provisoire du recourant (cf. ad ch. 48 ss p. 17 du recours); cette conclusion s'impose d'autant plus eu égard aux procès-verbaux postérieurs au prononcé entrepris (cf. pièces E et F).  
 
1.3. L'arrêt attaqué confirme le refus du Ministère public de retirer du dossier le procès-verbal de l'audition du 14 juin 2022 du recourant par la police. Ce prononcé relatif à l'exploitation d'un moyen de preuve ne met pas un terme à la procédure pénale ouverte contre le recourant et constitue donc une décision incidente. Le recours en matière pénale contre un tel prononcé n'est dès lors recevable qu'aux conditions de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, soit en présence d'un préjudice irréparable, l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'étant généralement pas applicable en matière pénale (ATF 144 IV 127 consid. 1.3 p. 130).  
 
1.3.1. En matière pénale, le préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF se rapporte à un dommage de nature juridique qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant. Le seul fait qu'un moyen de preuve dont la validité est contestée demeure au dossier ne constitue en principe pas un tel préjudice, dès lors qu'il est possible de renouveler ce grief jusqu'à la clôture définitive de la procédure. En particulier, la question de la légalité des moyens de preuve peut être soumise au juge du fond (art. 339 al. 2 let. d CPP), autorité dont il peut être attendu qu'elle soit en mesure de faire la distinction entre les moyens de preuve licites et ceux qui ne le seraient pas, puis de fonder son appréciation en conséquence. Les motifs retenus par le juge de première instance peuvent ensuite être contestés dans le cadre d'un appel (cf. art. 398 ss CPP) et, en dernier ressort, le prévenu peut remettre en cause ce jugement devant le Tribunal fédéral (art. 78 ss LTF; ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1 p. 130 s.).  
Cette règle comporte toutefois des exceptions. Tel est notamment le cas lorsque la loi prévoit expressément la restitution immédiate, respectivement la destruction immédiate, des preuves illicites (cf. par exemple les art. 248, 271 al. 3, 277 et 289 al. 6 CPP). Il en va de même quand, en vertu de la loi ou de circonstances spécifiques liées au cas d'espèce, le caractère illicite des moyens de preuve s'impose d'emblée. De telles circonstances ne peuvent être admises que dans la situation où l'intéressé fait valoir un intérêt juridiquement protégé particulièrement important à un constat immédiat du caractère inexploitable de la preuve (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1 p. 131). 
 
1.3.2. En l'espèce et au stade de la recevabilité, le recourant ne se prévaut clairement d'aucune disposition légale qui imposerait la destruction ou le retrait immédiat du procès-verbal litigieux. Quant aux circonstances d'espèce, elles ne permettent pas de considérer que le procès-verbal en cause serait manifestement inexploitable.  
A cet égard, le recourant se prévaut tout d'abord d'un intérêt juridiquement protégé à obtenir le retrait immédiat du procès-verbal litigieux en raison de sa détention provisoire, laquelle serait fondée sur ses déclarations devant la police. Vu la teneur de l'ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte du 17 juin 2022 ordonnant cette mesure, il apparaît cependant que le raisonnement de cette autorité ne repose pas uniquement sur le procès-verbal litigieux (cf. le rapport d'arrestation du 15 juin 2022, les déclarations de la victime, ainsi que celles de l'infirmière scolaire à qui la victime s'était confiée); au demeurant, ce tribunal n'a pas non plus ignoré les dénégations subséquentes du recourant et/ou ses handicaps (cf. p. 2 de son ordonnance). Il n'est ainsi de loin pas manifeste que le retrait du procès-verbal litigieux induirait nécessairement la libération du recourant. Cette conclusion s'impose d'autant plus que ce dernier lui-même reconnaît que des soupçons suffisant existaient préalablement à son audition par la police, soit dès les déclarations de la victime et de l'infirmière scolaire (cf. ad ch. 14 et 19 p. 10 recours). 
Le maintien au dossier du procès-verbal contenant des aveux sur lesquels le prévenu est revenu ne constitue pas non plus en soi un préjudice irréparable. Il appartient en effet au Juge du fond d'apprécier les différentes déclarations faites au cours d'une procédure, en particulier en les confrontant aux autres éléments figurant au dossier (cf. également l'art. 160 CPP qui impose aux autorités pénales de s'assurer de la crédibilité des déclarations du prévenu qui a avoué). 
Enfin, le CPP ne prévoit pas à ce jour de droit à une "défense obligatoire de la première heure" lors du premier interrogatoire dans le cadre de l'investigation policière (c'est-à-dire avant l'ouverture de l'instruction pénale); la défense obligatoire ne commence qu'après l'enquête préliminaire de la police (cf. art. 131 al. 2 CPP), même si celle-ci vise une infraction pour laquelle un défenseur obligatoire doit être en principe désigné (cf. arrêts 1B_159/2022 du 13 avril 2022 consid. 4.5.3; 6B_322/2021 du 2 mars 2022 consid. 1.3 et les arrêts cités; voir également en matière de droit à un avocat de la première heure en lien notamment avec l'art. 6 par. 3 let. c CEDH, les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme [ci-après : CourEDH] Beuze c. Belgique du 9 novembre 2018, requête n° 71409/10, § 119 à 150 et 154 ss; Zachar et Cierny c. Slovaquie du 21 juillet 2015, requêtes nos 29376/12 et 29384/12, spécialement § 68 ss; Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008, requête n° 36391/02, § 55 ss). A ce stade, on ne saurait donc d'emblée retenir que le procès-verbal litigieux serait manifestement inexploitable.  
A cela s'ajoute encore le fait que si le recourant semble souffrir de problèmes d'audition et d'élocution, il n'a toutefois pas en l'état apporté la démonstration d'une capacité cognitive réduite - au sens par exemple de l'art. 114 CPP (sur cette disposition, voir arrêt 6B_561/2021 du 24 août 2022 consid. 1.1.3 et les arrêts cités) - lors de son audition devant la police. Devant le Tribunal fédéral, il se limite en effet à renvoyer à ses propres déclarations (cf. par exemple ad ch. 3 p. 7 du recours) ou à celles tenues par ses proches (cf. notamment ad ch. 7 ss p. 8 du recours). Il ne fait en revanche référence à aucun document médical qui figurerait au dossier et qui viendrait étayer de telles limitations, expliquer les conséquences qui pourraient en résulter et/ou attester de leurs réalisations lors de l'audition du 14 juin 2022; les réponses détaillées apportées par le recourant aux questions des policiers semblent en l'état au demeurant démontrer le contraire. A ce stade, il n'est ainsi pas d'emblée manifeste que le recourant ne disposait pas des capacités physiques et psychiques lui permettant de prendre part à l'audition litigieuse, de comprendre ses droits au sens de l'art. 158 CPP (cf. également le formulaire reçu en espagnol), ainsi que la portée de sa renonciation à l'assistance d'un avocat de la permanence ou de choix. En tout état de cause, une appréciation sur ses capacités cognitives paraît prématurée puisqu'une expertise psychiatrique a été ordonnée; selon les conclusions de celle-ci, le recourant paraît à même de pouvoir, le cas échéant, réitérer ses griefs en lien avec cette problématique, que ce soit auprès du Ministère public et/ou ensuite devant le Juge du fond; le recourant le reconnaît d'ailleurs (cf. p. 21 du recours). 
Il découle des considérations précédentes que le maintien au dossier du procès-verbal litigieux ne cause à ce stade de la procédure aucun préjudice irréparable pour le recourant qu'aucune décision ultérieure ne serait à même de réparer. 
 
2.  
Il s'ensuit que le recours est irrecevable. 
Le recourant a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire (cf. art. 64 al. 1 LTF). Au vu notamment de la jurisprudence en matière d'administration des preuves, son recours était cependant d'emblée dénué de chances de succès et cette requête doit être rejetée. Le recourant, qui succombe, supporte dès lors les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF), lesquels seront fixés en tenant compte exceptionnellement de sa situation personnelle. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. 
 
2.  
La requête d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3.  
Les frais judiciaires, fixés à 500 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 10 novembre 2022 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Kropf