Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
{T 0/2} 
 
8C_153/2016  
   
   
 
   
   
 
 
 
Arrêt du 13 décembre 2016  
 
Ire Cour de droit social  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Maillard, Président, 
Frésard et Wirthlin. 
Greffière : Mme Castella. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Jean-Marie Allimann, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, 
Fluhmattstrasse 1, 6004 Lucerne, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-accidents (réduction des prestations; participation à une rixe), 
 
recours contre le jugement de la Cour des assurances du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura du 22 janvier 2016. 
 
 
Faits :  
 
A.   
A la suite d'une altercation survenue en février 2015 devant la discothèque "B.________" à C.________, A.________ a été blessé par plusieurs coups de feu tirés par D.________. Il a été transporté à l'Hôpital I.________, où il a été opéré. Les médecins ont posé le diagnostic de blessures par balles au niveau de l'abdomen, de lésion du foie, de multiples lésions intestinales, ainsi que d'une lésion au niveau du mésentère. Par la suite, le patient a été transféré à l'Hôpital J.________, où il a subi d'autres interventions chirurgicales. Il a ensuite séjourné au Centre de réadaptation et de médecine physique de l'Hôpital I.________ jusqu'au 22 avril 2015. Une action pénale a été ouverte contre D.________ pour tentative de meurtre, éventuellement mise en danger de la vie d'autrui. 
La Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA) auprès de laquelle A.________ était obligatoirement assuré, a pris en charge le cas. Par décision du 19 mai 2015, confirmée sur opposition le 22 juillet 2015, elle a cependant réduit ses prestations en espèces de 50 %, au motif qu'avant la fusillade l'assuré avait activement participé à une altercation verbale suivie d'échanges de coups avec son agresseur. 
 
B.   
Par jugement du 22 janvier 2016, la Cour des assurances du Tribunal cantonal de la République et Canton du Jura a rejeté le recours formé contre cette décision par A.________. 
 
C.   
A.________ forme un recours en matière de droit public dans lequel il conclut principalement à l'annulation de l'arrêt cantonal, au versement par la CNA de prestations non réduites, et subsidiairement au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouveau jugement au sens des considérants. Il demande en outre à bénéficier de l'assistance judiciaire. 
La CNA conclut au rejet du recours, tout comme comme la juridiction cantonale, dans la mesure où il est recevable. Quant à l'Office fédéral de la santé publique, il ne s'est pas déterminé. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Le recours est dirigé contre un arrêt final (cf. art. 90 LTF), rendu dans une cause de droit public ne tombant pas sous le coup de l'une des exceptions prévues à l'art. 83 LTF, par une autorité supérieure de dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF). La voie du recours en matière de droit public est, partant, ouverte. 
 
2.   
Édicté par le Conseil fédéral en vertu de la délégation de compétence de l'art. 39 LAA, l'art. 49 al. 2 OLAA [RS 832.02] dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d'accident non professionnel survenu notamment en cas de participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l'assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu'il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu'il venait en aide à une personne sans défense (let. a), ou encore lors de dangers auxquels l'assuré s'expose en provoquant gravement autrui (let. b). Il y a lieu de rappeler que la notion de participation à une rixe ou à une bagarre est plus large que celle de l'art. 133 CP. Pour admettre l'existence d'une telle participation, il suffit que l'assuré entre dans la zone de danger, notamment en participant à une dispute. Peu importe qu'il ait effectivement pris part activement aux faits ou qu'il ait ou non commis une faute: il faut au moins qu'il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger. En outre, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l'attitude de l'assuré - qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre - n'apparaît pas comme une cause essentielle de l'accident ou si la provocation n'est pas de nature, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à entraîner la réaction de violence, l'assureur-accidents n'est pas autorisé à réduire ses prestations d'assurance. Il convient de déterminer rétrospectivement, en partant du résultat qui s'est produit, si et dans quelle mesure l'attitude de l'assuré apparaît comme une cause essentielle de l'accident (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2 p. 320; arrêt 8C_445/2013 du 27 mars 2014 consid. 3.1). 
 
3.  
 
3.1. Sur la base des données des caméras de surveillance de la discothèque "B.________", verbalisées dans le rapport de police du 30 mars 2015, ainsi que des divers témoignages recueillis au cours de l'enquête pénale, la juridiction cantonale a retenu que, vers quatre heures du matin, l'assuré et D.________ avaient eu une altercation verbale à l'intérieur de la discothèque au sujet de l'amie de ce dernier, E.________, également présente sur les lieux. Les deux hommes étaient ensuite sortis de la discothèque, accompagnés de F.________, agent de sécurité de l'établissement. Ils avaient continué à se disputer, avant d'en venir aux mains. D.________ avait poussé son adversaire et lui avait asséné un coup de poing. Le recourant l'avait à son tour bousculé. Finalement, les deux protagonistes avaient été séparés par des témoins de la scène. Le recourant avait alors été ramené et retenu à l'intérieur de la discothèque, cependant que D.________ était resté dehors. Depuis la discothèque, le recourant avait téléphoné à un ami, G.________, pour qu'il vienne le chercher. Il avait été convenu que ce dernier l'attendrait avec son véhicule près d'une porte à l'arrière de l'établissement. A l'arrivée de G.________, le recourant était sorti avec F.________, qui devait l'accompagner jusqu'à la voiture. Sur le chemin, D.________, accompagné d'un autre homme, était venu vers eux, muni d'un bâton. Le recourant était alors allé à leur rencontre. Les trois hommes s'étaient rejoints au milieu de la route. F.________ et G.________ s'étaient également approchés. Le recourant et D.________ étaient excités. A un certain moment, celui-ci était allé vers sa voiture "pour chercher la fille". Il était revenu et avait frappé le recourant avec son bâton. Celui-ci avait tenté de se protéger. D.________ avait alors chargé un pistolet et fait feu à plusieurs reprises.  
Sur la base de ces constatations, la juridiction cantonale a considéré que l'assuré aurait dû se rendre compte du danger auquel il s'exposait en reprenant une dispute au cours de laquelle il avait déjà reçu un coup de poing de la part de D.________. En allant au devant de celui-ci et en acceptant la confrontation, il avait pris le risque que la situation dégénère à nouveau. Aussi bien était-ce à juste titre que la CNA avait réduit ses prestations en application de l'art. 49 al. 2 let. a OLAA
 
3.2. Le recourant ne critique pas le déroulement des faits tel qu'il est exposé par la juridiction cantonale. Il soutient toutefois que ses relations avec D.________ avaient été jusqu'alors cordiales. La situation s'étant quelque peu envenimée, il avait souhaité dissiper le malentendu qui s'était produit avec le prénommé. Il avait cependant vite remarqué qu'il n'arriverait pas à arranger la situation, raison pour laquelle il avait téléphoné à G.________ pour lui demander de venir le chercher à l'arrière de la discothèque. Il n'avait pas souhaité être confronté à nouveau à D.________. Toutefois et contre toute attente, alors que les personnes présentes cette nuit-là pensaient que l'altercation dans sa première phase était terminée, D.________ l'avait attendu sur le parking. Le recourant prétend donc que lorsqu'il a aperçu D.________ venir à sa rencontre et qu'il a accepté de parler avec celui-ci, c'est parce qu'il souhaitait une nouvelle fois tenter de dissiper un malentendu sans grande importance, qui aurait dû se solder par une poignée de mains et non par des coups de feu. Le recourant insiste également sur le fait que plus de trente minutes s'étaient écoulées entre la première et la deuxième phase de l'altercation. Il pouvait s'attendre à ce que D.________ se fût calmé durant ce laps de temps. En conclusion, soutient le recourant, rien dans l'attitude de ce dernier n'était objectivement propre à provoquer l'acte d'extrême violence commis contre lui.  
 
3.3. Cette argumentation ne peut pas être suivie.  
Après une première altercation, qui avait nécessité l'interposition de tiers pour séparer les deux protagonistes et la mise à l'écart du recourant à l'intérieur de la discothèque, celui-ci pouvait s'attendre à ce que la situation dégénère à nouveau en voyant D.________ qui l'avait attendu et qui s'avançait dans sa direction. Tout portait à croire que le recourant craignait une nouvelle bagarre. Ainsi le fait que D.________ était resté trente minutes environ sur le parking devait donner à penser qu'il n'entendait pas en rester là. La circonstance que le recourant avait auparavant jugé utile d'appeler un ami pour venir le chercher près d'une porte à l'arrière de la discothèque témoigne des craintes qu'il éprouvait sur les intentions de D.________. Or, une fois arrivé près de la voiture de G.________, au lieu de chercher à éviter la confrontation, il est allé à la rencontre de D.________, se plaçant ainsi dans la zone de danger exclue de la couverture d'assurance. 
Sans doute, l'assuré ne devait-il pas s'attendre à ce que D.________ tire plusieurs coups de feu dans sa direction. Mais cela ne suffit pas pour admettre une interruption du lien de causalité adéquate entre l'attitude du recourant et l'atteinte dont il était victime. Il y a une interruption du rapport de causalité adéquate si une autre cause, qu'il s'agisse d'une force naturelle ou du comportement d'une autre personne, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre; l'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener et notamment le comportement en discussion (ATF 134 V 340 consid. 6.2 p. 349; 133 V 14 consid. 10.2 p. 23; 130 III 182 consid. 5.4 p. 188). Par exemple, le Tribunal fédéral a jugé que lorsqu'un membre d'une famille (en l'espèce, la fille) entre dans la chambre d'un autre (en l'occurrence, le père) en insistant pour avoir une discussion orageuse, on ne pouvait s'attendre, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience en générale de la vie, à ce que l'autre réagisse en tirant sur lui avec un revolver. Dans un tel cas, le lien de causalité adéquate entre le comportement reproché à la victime et le résultat survenu a été nié (arrêt 8C_363/2010 du 29 mars 2011 et, concernant la même affaire, au plan civil, arrêt 4A_66/2010 du 27 mai 2010). Or, dans le cas présent, il n'y a pas d'éléments comparables à ceux de ces deux arrêts. D.________ s'était déjà montré violent lors de la première altercation et la cause de celle-ci n'était pas anodine. Elle ne pouvait qu'exacerber les tensions. Le recourant avait en effet insulté E.________ en la traitant notamment de "kudra", ce qui signifierait "la chienne" en albanais (procès verbal d'audition de H.________ du 23 février 2015). Lorsqu'il est venu à la rencontre du recourant, D.________, qui avait attendu trente minutes à l'extérieur et qui était accompagné d'un autre homme ("un costaud" selon ce même témoin) était visiblement résolu à en découdre. Dans un tel contexte le recourant ne pouvait pas totalement exclure que D.________ se serve d'une arme dangereuse - quelle qu'elle fût - qui soit propre à entraîner des lésions allant de par leur gravité au-delà de celles qui résultent de simples voies de fait. 
 
3.4. La cour cantonale n'a donc pas violé le droit fédéral en confirmant la réduction opérée par la CNA. On ajoutera que l'art. 49 al. 2 OLAA ne laisse pas de place à une réduction inférieure à 50 %.  
 
4.   
Vu ce qui précède, le recours se révèle mal fondé. 
Le recourant a demandé à bénéficier de l'assistance judiciaire. Dès lors qu'il est dans le besoin et que ses conclusions ne paraissaient pas d'emblée vouées à l'échec, il convient de faire droit à sa requête. Son attention est attirée sur le fait qu'il devra rembourser la Caisse du Tribunal fédéral s'il devient ultérieurement en mesure de le faire (art. 64 al. 4 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est rejeté. 
 
2.   
L'assistance judiciaire est accordée et M e Jean-Marie Allimann est désigné comme avocat d'office du recourant.  
 
3.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge du recourant. Ils sont provisoirement supportés par la Caisse du Tribunal fédéral. 
 
4.   
Une indemnité de 2'800 fr. est allouée à l'avocat du recourant à titre d'honoraires à payer par la Caisse du Tribunal fédéral. 
 
5.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour des assurances du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 13 décembre 2016 
 
Au nom de la Ire Cour de droit social 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Maillard 
 
La Greffière : Castella