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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
{T 0/2} 
 
4A_162/2015  
   
   
 
 
 
Arrêt du 9 septembre 2015  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales Kiss, présidente, Klett et Hohl. 
Greffier : M. Ramelet. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représentée par Me Philippe Conod, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________, représenté par Me Julien Fivaz, 
intimé. 
 
Objet 
responsabilité du bailleur en cas de défaut de la chose louée, 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour d'appel civile, du 27 novembre 2014. 
 
 
Faits :  
 
A.   
 
A.a. Par contrat du 26 septembre 2003, A.________ (bailleresse) a remis à bail à B.________ (locataire) dès le 1er octobre 2003, moyennant un loyer mensuel de 650 fr., un studio situé au premier étage d'un immeuble, à Rolle. Le bail, conclu pour une durée initiale d'un an, se renouvelait d'année en année, sauf résiliation signifiée quatre mois avant l'échéance.  
Le 6 mai 2009, la gérance de l'immeuble a adressé au locataire une notification de hausse de loyer pour le 1er octobre 2009. Par courrier du 19 juillet 2009, ce dernier a exprimé son mécontentement, invoquant notamment la mauvaise isolation des radiateurs électriques. 
En novembre 2009, B.________ s'est plaint auprès de la gérance de son décompte d'électricité, qu'il estimait excessif; la gérance l'a renvoyé au fournisseur d'énergie, tout en proposant au locataire un rendez-vous dans le studio, auquel il n'a pas donné suite. 
Le 11 mars 2010, l'immeuble dans lequel était situé le studio du prénommé a été ravagé par un incendie. Selon un rapport de police, la zone du départ du feu était située au niveau du radiateur électrique de la paroi nord du studio. 
Au moment du sinistre, le locataire était absent et n'a pu sauver aucun de ses meubles et effets personnels. Il a également perdu de nombreux tableaux (une centaine), reçus en dépôt, qui avaient été réalisés par des artistes africains; le locataire servait en effet d'intermédiaire, à titre bénévole, pour des amis artistes en organisant des expositions de leurs oeuvres. Il n'avait pas conclu d'assurance pour protéger ces tableaux contre l'incendie. 
Le 19 mars 2010, la gérance a résilié le bail du studio en invoquant l'impossibilité d'exécution non fautive des obligations de la bailleresse (art. 119 CO). Le locataire a contesté le congé auprès de la gérance. 
 
A.b. Dans le cadre d'une procédure d'expertise hors procès ordonnée par le Juge de paix du district de Nyon, l'experte C.________, exploitante d'un cabinet d'expertise d'art à Lausanne, a établi un rapport le 1er juin 2011. A partir de la liste des oeuvres qui lui a été remise par le locataire, elle a estimé que le " dédommagement " total se montait à 109'462 fr.50, des frais de restauration des tableaux étant inutiles à considérer l'importance des dégâts. Les dépens de l'expertise hors procès, mis à la charge du locataire, se sont élevés à 5'720 fr.  
Après l'échec de la conciliation et l'obtention d'une autorisation de procéder, le locataire a ouvert action contre la bailleresse devant le Tribunal des baux du canton de Vaud par demande du 9 juin 2011. Invoquant tant l'art. 259e CO que l'art. 58 CO, il a conclu à ce que celle-ci lui doive paiement de 250'000 fr. au titre de réparation du dommage subi à la suite de l'incendie du 11 mars 2010. 
La défenderesse s'est opposée à la demande. 
Une expertise judiciaire a été confiée à D.________, physicien SIA-USIC, pour déterminer l'incidence du radiateur électrique sur le déclenchement de l'incendie. Dans ses rapports des 4 juillet et 27 novembre 2012, l'expert a déclaré qu'il y a eu soit une auto-inflammation. sans que l'on puisse en donner la cause, soit un court-circuit, sans que des traces n'aient été relevées. A propos de la consommation d'électricité dont s'était plaint le locataire, l'expert a exposé que le thermostat du radiateur était probablement défectueux, ayant provoqué des enclenchements beaucoup plus prolongés que nécessaire. 
L'experte hors procès C.________ a été entendue en qualité de témoin successivement par la Présidente du Tribunal des baux lors d'une audience d'instruction qui s'est tenue le 28 mai 2013 et par le Tribunal des baux lors de l'audience de plaidoiries finales du 10 décembre 2013. 
Par jugement du 17 février 2014, le Tribunal des baux a entièrement débouté le demandeur. Il a retenu que le préjudice était impossible à chiffrer, l'experte hors procès n'ayant pas pu expliquer les critères sur lesquels elle avait fondé son estimation, et que le locataire, simple dépositaire des oeuvres entreposées dans le studio, n'avait pas prouvé avoir personnellement subi un préjudice en relation avec l'incendie. 
 
B.   
Saisie d'un appel du demandeur, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal vaudois, par arrêt du 27 novembre 2014, l'a admis; cette juridiction a ainsi annulé le jugement attaqué et renvoyé la cause au Tribunal des baux pour nouveau jugement dans le sens des considérants. 
La cour cantonale a retenu, contrairement à l'avis des premiers juges, que dès l'instant où le demandeur n'a plus été en mesure de restituer les tableaux mis en dépôt chez lui, il est devenu débiteur de ses créanciers déposants du fait de la violation du contrat de dépôt, de sorte que son passif a augmenté. La bailleresse n'ayant pas établi que les créanciers auraient renoncé définitivement à leurs créances, le demandeur a donc effectivement subi un préjudice. 
A propos du calcul du dommage, la Cour d'appel a considéré que les premiers juges ayant éprouvé des doutes sur la valeur probante de l'expertise de C.________, il leur incombait de les dissiper en requérant une nouvelle expertise ou un complément d'expertise, voire en procédant à une évaluation du dommage en application de l'art. 42 al. 2 CO. La cause doit conséquemment être retournée au Tribunal des baux pour la prise d'autres mesures d'instruction et, cas échéant, pour l'examen des autres conditions de responsabilité invoquées concurremment par le demandeur, savoir la responsabilité contractuelle du bailleur en cas de défaut de la chose louée (art. 259e CO) et celle délictuelle du propriétaire d'ouvrage (art. 58 CO). 
 
C.   
A.________ exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal, dont elle requiert principalement la réforme en ce sens qu'il est prononcé que le jugement de première instance rejetant l'action du demandeur est confirmé. A titre subsidiaire, la recourante requiert l'annulation de l'arrêt cantonal, la cause étant renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
L'intimé propose que le recours soit déclaré irrecevable, subsidiairement qu'il soit rejeté. Il requiert l'octroi de l'assistance judiciaire. 
La recourante a répliqué et l'intimé a dupliqué. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
 
1.1. Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui sont déposés devant lui (ATF 141 II 113 consid. 1 p. 116: 140 I 252 consid. 1 p. 254).  
 
1.2. Le recours en matière civile au Tribunal fédéral n'est recevable que contre les décisions finales (art. 90 LTF), contre les décisions partielles (art. 91 LTF) et, sous réserve des cas visés par l'art. 92 LTF, contre les décisions incidentes (art. 93 al. 1 LTF) si celles-ci peuvent causer un préjudice irréparable (let. a) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b). Cette réglementation est fondée sur des motifs d'économie de procédure, le Tribunal fédéral ne devant en principe s'occuper d'une affaire qu'une seule fois, lorsqu'il est certain que la partie recourante subit effectivement un dommage définitif (ATF 134 III 188 consid. 2.2).  
Il est indubitable que l'arrêt de renvoi rendu par la cour cantonale est une décision incidente, qui ne porte ni sur la compétence ni sur une demande de récusation (cf. art. 92 LTF), et qui tombe ainsi sous le coup de l'art. 93 LTF. Le recours immédiat suppose donc la réalisation soit de la condition de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, soit des conditions cumulatives posées à l'art. 93 al. 1 let. b LTF
 
2.   
La recourante se prévaut tout d'abord de l'art. 93 al. 1 let. b LTF. Elle affirme que le Tribunal fédéral, s'il parvenait à une solution inverse de la Cour d'appel, constaterait l'absence de préjudice de l'intimé, ainsi que le défaut de réalisation des autres conditions de sa responsabilité, ce qui mettrait fin au procès. Une procédure longue et onéreuse pourrait être évitée, car chiffrer le dommage exigerait d'ordonner une expertise judiciaire complexe sur l'estimation d'une centaine de tableaux réalisés par des artistes africains, oeuvres qui ne sont pas référencées sur le marché de l'art. 
 
2.1. La première des deux conditions cumulatives mentionnées à l'art. 93 al. 1 let. b LTF est réalisée en l'espèce. En effet, si le Tribunal fédéral devait juger, contrairement à la cour cantonale, que l'intimé n'a pas subi de dommage dont la bailleresse devrait répondre, il pourrait rendre immédiatement une décision finale en rejetant la demande.  
 
2.2. Quant à la seconde condition instaurée par la norme précitée, il appartient à la partie recourante d'établir qu'une décision immédiate permettrait d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse, sauf si ce point découle manifestement de la décision attaquée ou de la nature de la cause; le recourant doit en particulier indiquer de manière détaillée quelles questions de fait sont encore litigieuses, quelles preuves - déjà offertes ou requises - devraient encore être administrées et en quoi celles-ci entraîneraient une procédure probatoire longue et coûteuse. Tout complément d'instruction entraîne nécessairement des frais et un prolongement de la procédure, de sorte qu'une telle mesure ne suffit pas en soi pour ouvrir le recours immédiat. La procédure probatoire, par sa durée et son coût, doit s'écarter notablement des procès habituels. Si l'administration des preuves doit se limiter à l'audition des parties, à la production de pièces et à l'interrogatoire de quelques témoins, un recours immédiat n'est pas justifié. Il en va différemment s'il faut envisager une expertise complexe, plusieurs expertises, l'audition de très nombreux témoins ou l'envoi de commissions rogatoires dans des pays lointains (arrêts 4A_288/2015 du 9 juin 2015 consid. 2.2; 4A_464/2012 du 11 septembre 2012 consid. 2.2).  
En l'espèce, il n'apparaît pas que le calcul du dommage subi par le locataire nécessite une instruction lourde. L'évaluation des tableaux détruits ou endommagés exigera certes une expertise judiciaire, qui devra déterminer la cote des différents artistes (pour ceux qui en avaient une), la qualité de leurs oeuvres et l'état du marché de l'art. On ne voit pas que la réalisation d'une telle expertise soit particulièrement complexe. Qu'il y ait une centaine de tableaux à évaluer ne rend pas l'expertise particulièrement compliquée, dès l'instant où il ressort de l'expertise hors procès que la plupart des artistes n'avaient pas de référence sur le marché de l'art (cf. p. 7 de l'arrêt cantonal). 
Il suit de là que la seconde condition de l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'est pas satisfaite. 
 
3.   
La recourante invoque également l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Elle déclare que l'arrêt de renvoi lui cause un préjudice irréparable, car elle devra supporter les frais d'avocat de toute la phase d'instruction et verser les frais et dépens auxquels cette décision incidente l'a condamnée. 
 
3.1. D'après l'art. 93 al. 1 let. a LTF, le recours n'est recevable que si la décision entreprise peut causer un préjudice irréparable.  
Cela suppose que la partie recourante soit exposée à un préjudice de nature juridique, qui ne puisse pas être ultérieurement réparé ou entièrement réparé par une décision finale qui lui serait favorable; un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue. En particulier, si la question qui a fait l'objet de la décision incidente de première instance peut être soulevée à l'appui d'un recours contre la décision finale (art. 93 al. 3 LTF), il n'y a pas de préjudice irréparable. Cette réglementation est aussi fondée sur des motifs d'économie de procédure. Il incombe au recourant de démontrer l'existence d'un tel préjudice lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident (ATF 141 III 80 consid. 1.2 et les arrêts cités). 
 
3.2. L'instruction qu'il appartiendra aux premiers juges de mener sur les conditions de la responsabilité - contractuelle et délictuelle - de la bailleresse aura certes, comme l'affirme la recourante, l'effet de renchérir la procédure. Il s'agit pourtant là d'un inconvénient de pur fait qui découle tout naturellement de la continuation de l'instance (ATF 137 III 380 consid. 1.2.1 p. 382).  
Il est en outre de jurisprudence que le prononcé accessoire sur les frais et dépens contenu dans une décision incidente n'est pas de nature à causer un préjudice juridique irréparable (ATF 138 III 46 consid. 1.2 p. 47 in fine et l'arrêt cité). 
La condition du préjudice irréparable de l'art. 93 al. 1 let. a LTF n'est pas réalisée. 
 
4.   
En définitive, l'arrêt attaqué ne peut pas faire l'objet d'un recours immédiat au Tribunal fédéral. 
Il suit de là que le recours doit être déclaré irrecevable aux frais de son auteur (art. 66 al. 1 LTF). La recourante devra également verser une indemnité de dépens à l'intimé (art. 68 al. 1 et 2 LTF). La requête d'assistance judiciaire de celui-ci n'a ainsi plus d'objet. 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est irrecevable. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.   
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens. 
 
4.   
La requête d'assistance judiciaire de l'intimé est sans objet. 
 
5.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour d'appel civile. 
 
 
Lausanne, le 9 septembre 2015 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Kiss 
 
Le Greffier : Ramelet