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[AZA 0/2] 
2P.59/2001 
 
IIe COUR DE DROIT PUBLIC 
*********************************************** 
 
11 septembre 2001 
 
Composition de la Cour: MM. les Juges Wurzburger, Président, 
Hungerbühler et Müller. Greffière: Mme Rochat. 
 
___________ 
 
Statuant sur le recours de droit public 
formé par 
A.________, représentée par Me Bruno Charrière, avocat à Bulle, 
 
contre 
l'arrêt rendu le 18 janvier 2001 par le Tribunal administratif du canton de Fribourg (IIIe Cour administrative), dans la cause qui oppose la recourante au Service social régional de la Gruyère, représenté par Me Jacques Bonfils, avocat à Bulle; 
 
(art. 12 et 9 Cst. : aide sociale) 
 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent 
les faits suivants: 
 
A.- A la suite d'un accident au début du mois de janvier 1996, A.________, née en 1948, n'a plus été en mesure de tenir le bar qu'elle exploitait à X.________ et l'a remis au mois de décembre 1996. Partant, elle a déposé, le 15 octobre 1996, une demande de prestations pour reclassement professionnel visant à entreprendre une formation de naturopathe, d'une durée d'environ trois ans, au Centre de Naturopathie et Techniques de Santé à Vevey. 
 
Dans sa prédécision du 1er octobre 1997, l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Fribourg a refusé de faire bénéficier A.________ des mesures de formation professionnelle requises, pour le motif que l'intéressée était à même d'exercer d'autres activités mieux adaptées à son état de santé. Il lui a donc accordé une aide au placement avec un éventuel stage de mise au courant pour les activités de téléphoniste, réceptionniste ou vendeuse dans une station-service. Après avoir confirmé sa position à deux reprises, ledit office a rendu une décision formelle le 27 juillet 1999, par laquelle il refusait d'accorder à l'intéressée des prestations pour une formation de naturopathe, jugée peu indiquée en raison des efforts physiques qu'impliquait cette activité et des garanties salariales insuffisantes de cette profession. Il a donc proposé à la requérante un stage de mise au courant et/ou un cours d'informatique, de même qu'une aide au placement. Cette décision est devenue définitive et exécutoire après l'arrêt rendu le 21 décembre 2000 par la Cour des assurances sociales du Tribunal administratif du canton de Fribourg. 
 
B.- Au cours de l'été 1997, A.________ a sollicité une aide financière auprès de sa commune de domicile et a obtenu du Service social régional de la Gruyère (ci-après: le Service social) une aide temporaire du 1er juillet au 30 septembre 1997. Par décision du 1er octobre 1997, confirmée le 12 novembre 1997, le Service social a cependant refusé de prolonger cette aide. Il a considéré en bref que la requérante avait commencé une formation de naturopathe, le 1er octobre 1997, sans être certaine que l'assurance-invalidité la prendrait en charge au titre de reconversion professionnelle et que le coût de cette formation (environ 38'550 fr.) était trop élevé. Il reprochait également à l'intéressée le coût excessif de son logement (1'500 fr. par mois) pour une personne seule. 
 
Par arrêt du 18 janvier 2001, le Tribunal administratif du canton de Fribourg a rejeté le recours de A.________ contre la décision du Service social. Il a retenu en substance que le principe de subsidiarité de l'aide sociale s'opposait à la prise en charge des frais de formation professionnelle lorsque, comme en l'espèce, la requérante était en mesure de travailler pour subvenir à ses besoins et que sa nouvelle orientation, sans rapport avec les activités qu'elle avait exercées auparavant, correspondait à son choix personnel. 
 
C.- Agissant par la voie du recours de droit public pour violation des art. 12, 9 et 29 al. 2 Cst. , A.________ conclut, avec suite de dépens, à l'annulation de l'arrêt du Tribunal administratif du 18 janvier 2001. 
 
Le Tribunal administratif conclut au rejet du recours. 
De son côté, le Service social, représenté par un mandataire professionnel, conclut principalement à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet. 
 
Considérant en droit : 
 
1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 126 I 81 consid. 1 p. 83, 257 I consid. 1a p. 258; 125 I 253 consid. 1a p. 254, 412 consid. 1a p. 414). 
 
 
Dirigé contre l'arrêt du Tribunal administratif du 18 janvier 2001, le recours ne peut porter que sur l'objet du litige, soit sur le refus de prolonger l'aide sociale accordée à la recourante à titre temporaire pour trois mois. Il est donc irrecevable en tant qu'il critique la façon de procéder de l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Fribourg, en particulier la lenteur avec laquelle cet office a traité sa demande de reclassement professionnel et les motifs qu'il a avancés pour refuser de prendre en charge sa formation de naturopathe. 
 
Dans cette mesure, il n'y a pas lieu non plus de tenir compte des arguments contenus dans la réponse du Service social intimé qui ont trait à cette procédure. 
 
Sous cette réserve, le Tribunal fédéral peut entrer en matière sur le recours qui remplit les autres conditions de recevabilité des art. 84 ss OJ
 
2.- a) Invoquant une violation des art. 12 Cst. , 3, 4 et 5 de la loi cantonale sur l'aide sociale du 14 novembre 1991 (en abrégé: LASoc), la recourante soutient essentiellement qu'elle avait droit à l'aide sociale, car elle ne s'était pas trouvée volontairement en situation d'indigence, dès lors que le reclassement professionnel sollicité lui avait été conseillé par l'Office de l'assurance-invalidité lui-même. 
 
b) L'art. 12 Cst. , entré en vigueur le 1er janvier 2000, dispose que "quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine". Auparavant, la jurisprudence et la doctrine considéraient le droit à des conditions minimales d'existence comme un droit constitutionnel non écrit qui obligeait les cantons et les communes à assister les personnes se trouvant dans le besoin (voir ATF 121 I 367 consid. 2b p. 371/372 et les références citées). L'art. 12 Cst. pose maintenant le principe du droit à des conditions minimales d'existence pour toute personne qui n'est pas en mesure de subvenir à ses besoins et fonde une prétention justiciable à des prestations positives de la part de l'Etat (ATF 122 II 193 consid. 2/dd p. 198; Andreas Auer/Giorgio Malinverni/Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. II: Les droits fondamentaux, p. 685 et 689). Le contenu du droit à des conditions minimales d'existence est défini par le législateur, auquel il incombe d'adopter des règles en matière de sécurité sociale. 
 
Dans le canton de Fribourg, la loi sur l'aide sociale, en sa teneur au 26 novembre 1998 (LASoc), a pour but de favoriser l'autonomie et l'intégration de la personne dans le besoin (art. 2), c'est-à-dire de la personne qui "éprouve des difficultés sociales" ou qui "ne peut subvenir à son entretien d'une manière suffisante ou à temps, par ses propres moyens" (art. 3). Telle qu'elle est définie à l'art. 4 LASoc, l'aide sociale peut comprendre la prévention, l'aide personnelle, l'aide matérielle ou la mesure d'insertion sociale; elle n'intervient toutefois qu'à titre subsidiaire (art. 5 LASoc). 
 
Complétée par le règlement d'exécution de la loi sur l'aide sociale du 30 novembre 1999 (RELASoc), la réglementation fribourgeoise va dans le sens des directives de la Conférence suisse des institutions d'action sociale (CSIAS) qui tendent à assurer aux bénéficiaires non seulement le minimum vital, soit la couverture des besoins fondamentaux englobant toutes les dépenses courantes nécessaires à l'entretien d'un ménage, mais aussi le minimum social visant à leur donner la possibilité de participer à la vie active et sociale, en favorisant la responsabilité de soi et l'effort personnel (voir normes CSIAS 11/98 A.1-1 et A.6-3). Il va de soi que l'aide sociale reste subsidiaire par rapport aux autres sources de revenus provenant de l'effort personnel consenti par la personne dans le besoin (utilisation de son revenu et de sa fortune disponibles), des prétentions de droit public ou privé (assurances sociales, contributions d'entretien, demandes de dommages et intérêts ou bourses), ainsi que des prestations volontaires de tiers (normes CSIAS 11/98 A.4-1 et A.4-2). Le principe de la subsidiarité a toujours existé; il implique que l'aide sociale représente le seul moyen d'éliminer une situation d'indigence dont le bénéficiaire n'est pas responsable (Félix Wolffers, Fondements du droit de l'aide sociale, Berne 1995, p. 141). En ce qui concerne la seconde formation et le recyclage professionnel, des contributions d'aide sociale ne peuvent être versées que si la formation initiale ne permet pas de réaliser un revenu assurant l'existence et s'il est probable qu'une seconde formation ou un recyclage professionnel augmentent les chances de placement de la personne concernée. Les préférences personnelles ne représentent pas une raison suffisante pour soutenir ces mesures (normes CSIAS 11/98 H.6-1). 
 
c) En l'espèce, le Service social intimé a accordé, le 24 juillet 1997, une aide sociale provisoire à la recourante pour trois mois, soit du 1er juillet au 30 septembre 1997. Il a donc réagi immédiatement à la demande de l'intéressée qui n'avait sollicité des prestations auprès de sa commune qu'au cours de l'été 1997, soit bien après le dépôt de sa demande de reclassement professionnel auprès de l'assurance-invalidité, le 15 octobre 1996, et la remise de son bar au mois de décembre 1996. Ce faisant, il a agi conformément au but de l'aide sociale, qui doit être accordée de suite pour satisfaire les besoins vitaux, sans égard aux causes de la situation d'indigence (ATF 121 I 367 consid. 3d p. 377 et les références citées); cela implique notamment que l'aide sociale avance les prestations de l'assurance-chômage ou de l'assurance-invalidité lorsque la durée de la procédure du droit des assurances sociales engendre une situation d'indigence (Wolffers, op. cit. p. 140 et 142). Dans le cas de la recourante, le Service social devait encore, avant de prendre une décision définitive, s'enquérir plus précisément de sa situation personnelle, car il ressortait d'une note interne du 24 juin 1997 que si l'assurance-invalidité semblait, dans un premier temps, disposée à payer l'école de naturopathes de Vevey pendant deux ans et demi, le loyer mensuel de 1'500 fr. 
de l'intéressée pour la location d'un chalet posait un problème. 
Cette façon de procéder est conforme à la loi et l'on ne saurait reprocher au Service social intimé d'avoir poursuivi ses investigations avant de continuer à verser des prestations d'aide sociale à la recourante. Il a ainsi pu constater que la recourante avait commencé son école au mois de septembre sans attendre la décision de l'assurance-invalidité et qu'elle n'avait pas l'intention de déménager pendant sa formation; il est apparu en outre que la recourante vivait dans une certaine mesure de l'aide d'un tiers et que l'assurance-invalidité n'était plus disposée à lui accorder un reclassement professionnel, jugé inutile au vu de ses capacités de gains professionnels; enfin, le coût de cette formation a été jugé trop élevé, tant pour l'écolage que dans sa durée. 
 
Au vu de tous ces éléments, en particulier du fait qu'il s'agissait d'assurer les moyens d'existence de l'intéressée pendant une seconde formation, le Service social pouvait, sans violer les dispositions constitutionnelles et légales, refuser de poursuivre le versement de ses prestations; ce refus est au demeurant conforme aux directives de la Conférence suisse des institutions d'action sociale. Il est en effet constant qu'indépendamment des suggestions que lui aurait faites l'Office d'assurance-invalidité et des tergiversations dudit office au sujet de son reclassement professionnel, la recourante avait de toute façon décidé de s'inscrire à l'école de naturopathes de Vevey, car elle n'avait nullement l'intention de reprendre son ancienne formation de téléphoniste des PTT ou de se reconvertir dans une activité dite légère, telle que réceptionniste ou vendeuse gérante dans une station-service. 
 
d) En tant qu'il confirme la décision du Service social, l'arrêt attaqué n'est donc contraire ni à l'art. 12 Cst. , ni aux dispositions de la loi cantonale sur l'aide sociale. 
Cet arrêt ne saurait davantage être qualifié d'arbitraire pour avoir appliqué le principe de la subsidiarité de l'aide sociale, en retenant que la recourante avait choisi d'effectuer une formation professionnelle répondant mieux à ses aspirations. 
 
3.- a) La recourante reproche aussi au Tribunal administratif d'avoir violé son droit d'être entendue, tel qu'il découle du droit cantonal et de l'art. 29 al. 2 Cst. , en refusant d'entendre les témoins requis et de demander la production du préavis de la commune d'Y. ________. Elle prétend que ses réquisitions devaient permettre de confirmer que les collaborateurs de l'Office de l'assurance-invalidité l'avaient amenée à choisir sa formation de naturopathe, formation qu'ils avaient au demeurant déjà financée pour d'autres assurés. 
b) Selon la jurisprudence, le droit de faire administrer les preuves pertinentes n'empêche pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves proposées, elle a la certitude qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 122 II 464 consid. 4a p. 469; 119 Ib 492 consid. 5b p. 505/506). 
 
Pour autant qu'ils concernent le présent litige (voir supra consid. 1), les moyens de preuves requis n'étaient pas pertinents pour la solution du recours devant le Tribunal administratif au sens de la jurisprudence précitée, dès lors qu'il s'agissait moins de savoir si la recourante s'était ou non mise elle-même dans une situation d'indigence, que de déterminer si l'aide sociale était bien l'unique solution pour son projet de formation. 
 
Dans la mesure où il est recevable, le grief de violation du droit d'être entendu n'est donc pas fondé. 
 
4.- Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
Il y a lieu ainsi de mettre les frais judiciaires à la charge de la recourante, en tenant compte de sa situation financière (art. 153, 153a et 156 al. 1 OJ). En revanche, il ne se justifie pas d'accorder des dépens au Service social intimé qui aurait pu en principe procéder lui-même, sans l'aide d'un mandataire professionnel (art. 159 al. 2 OJ), et a en outre conclu principalement à l'irrecevabilité du recours faute d'intérêt juridique au sens de l'art. 88 OJ
 
Par ces motifs, 
 
le Tribunal fédéral : 
 
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable. 
 
2. Met à la charge de la recourante un émolument judiciaire de 1'000 fr. 
 
3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et au Tribunal administratif du canton deFribourg. 
 
______________ 
Lausanne, le 11 septembre 2001 ROC/dxc 
 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE: 
Le Président, 
 
La Greffière,