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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
9C_408/2019  
 
 
Arrêt du 4 juin 2020  
 
IIe Cour de droit social  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, Stadelmann et Moser-Szeless. 
Greffier : M. Bleicker. 
 
Participants à la procédure 
Office fédéral des assurances sociales, Effingerstrasse 20, 3003 Berne, 
recourant, 
 
contre  
 
A.________ Sàrl, 
représentée par Me Raphaël Quinodoz, avocat, 
intimée, 
 
Caisse de compensation de la fédération romande de métiers du bâtiment, AVS Meroba n°111, avenue Eugène-Pittard 24, 1206 Genève, 
 
B.________SA, 
représenté par Fédération des entreprises romandes. 
 
Objet 
Prévoyance professionnelle (obligation de cotiser), 
 
recours contre le jugement de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 8 mai 2019 (A/1265/2017 ATAS/396/2019). 
 
 
Faits :  
 
A.   
C.________ et D.________ sont respectivement associé gérant président et associé gérant de la société A.________ Sàrl, qui a pour but la réalisation de réseaux tous fluides. La société est affiliée pour la prévoyance professionnelle à la Fondation de prévoyance de la métallurgie du Bâtiment (FPMB). Elle doit s'acquitter des cotisations en matière d'assurance-vieillesse (AVS), d'assurance-invalidité (AI), de prévoyance professionnelle (LPP), d'allocations pour perte de gain (APG), d'assurance-chômage (AC) et d'allocations familiales (AF) auprès de la Caisse de compensation de la fédération romande de métiers du bâtiment (ci-après: la caisse de compensation). 
Le 24 mars 2017, la caisse de compensation a réclamé à la société le paiement de la somme de 24'005 fr. 45, correspondant aux cotisations sociales (dont 10'134 fr. 70 de cotisations afférentes à la prévoyance professionnelle), aux frais de gestion et aux intérêts sur les salaires complémentaires non annoncés de C.________ (de 55'028 fr.)et de D.________ (de 37'105 fr.) pour l'année 2013. 
Le même jour, la caisse de compensation a également demandé à la société le paiement d'un montant de 8240 fr. 15 (brut), correspondant aux cotisations sociales, aux frais de gestion et aux intérêts sur le salaire non annoncé (de 15'847 fr. 86) de E.________. 
 
B.   
La société A.________ Sàrl a déféré ces décisions à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, concluant notamment à l'annulation de la part des cotisations afférentes à la prévoyance professionnelle. La Cour de justice a appelé en cause la société B.________ SA, au motif qu'il était envisageable que E.________ ait pu y exercer une activité dépendante, et tenu des audiences de comparution personnelle des parties les 6 juin 2018 et 27 mars 2019. Par jugement du 8 mai 2019, considérant que le recours constituait une demande, la Cour de justice l'a partiellement admise. Elle a dit que la caisse de compensation avait demandé à juste titre à A.________ Sàrl le versement de 8240 fr. 15 au titre de cotisations sociales, liées à l'intégration de E.________ dans le personnel de la société pour un travail du 1er au 31 décembre 2013 (chiffre 3 du dispositif). Elle a dit que la caisse de compensation avait demandé à tort à A.________ Sàrl le versement de la somme de 24'005 fr. 45 au titre de cotisations sociales sur salaires complémentaires en 2013, pour C.________ et D.________ (chiffre 4 du dispositif). 
 
C.   
L'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) forme un recours en matière de droit public contre ce jugement. Il conclut à la réforme du chiffre 4 du dispositif en ce sens que la demande de A.________ Sàrl est rejetée et que c'est à raison que la caisse de compensation lui a demandé la somme de 24'005 fr. 45 au titre de cotisations sociales sur salaires complémentaires en 2013, pour C.________ et D.________. Subsidiairement, il conclut à ce que la demande formulée par A.________ Sàrl soit admise, en ce sens que c'est à tort que la caisse de compensation lui a demandé la somme de 10'134 fr. 70 au titre de cotisations LPP sur salaires complémentaires en 2013, pour C.________ et D.________. 
La Cour de justice conclut au rejet du recours et à la confirmation de son jugement, précisant que le dispositif doit être interprété au sens des considérants et qu'il ne peut, en conséquence, concerner que les cotisations afférentes à la prévoyance professionnelle. 
La caisse de compensation conclut à l'admission du recours, tandis que la société A.________ Sàrl conclut au rejet de celui-ci. 
La société B.________ SA renonce à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 144 II 184 consid. 1 p. 186). 
 
1.1. L'OFAS a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral contre le prononcé d'une autorité cantonale de dernière instance dans le domaine de la prévoyance professionnelle (art. 89 al. 2 let. a LTF, en corrélation avec l'art. 60e  bis OPP 2 [RS 831.441.1]).  
 
1.2. L'OFAS peut recourir devant le Tribunal fédéral au sens de l'art. 89 al. 2 let. a LTF indépendamment des conditions de légitimation de l'art. 89 al. 1 LTF, notamment sans avoir participé à la procédure cantonale précédente (art. 89 al. 1 let. a LTF). L'art. 89 al. 2 let. a LTF habilite en particulier les autorités fédérales, dans les limites de leur domaine de compétences et dans le respect de l'objet de la contestation, à déposer des conclusions nouvelles (cf. ATF 136 II 359 consid. 1.2 p. 362; arrêt 1C_482/2017 du 26 février 2018 consid. 1.2). L'argumentation de l'intimée quant à l'irrecevabilité des conclusions de l'OFAS - dussent-elles être considérées comme nouvelles - est mal fondée.  
 
2.   
Le recours en matière de droit public peut être formé notamment pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), que le Tribunal fédéral applique d'office (art. 106 al. 1 LTF), n'étant limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral fonde son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF) sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). 
 
3.  
 
3.1. Compte tenu des conclusions et motifs du recours, le litige porte sur l'obligation de A.________ Sàrl de verser à la caisse de compensation des cotisations afférentes à la prévoyance professionnelle. Il concerne en particulier la qualification des sommes perçues par C.________ et D.________ (respectivement de 55'028 fr. et de 37'105 fr.), en tant que revenu résultant d'une activité salariée au sens du droit de la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité. Les critères juridiques de l'AVS sont déterminants pour décider de la qualité de "salarié" (art. 2 al. 1 et art. 7 LPP) ou de "personnes de condition indépendante" (art. 3 et 4 al. 1 LPP) au sens de la LPP, sans toutefois que le statut de cotisant dans l'AVS soit formellement obligatoire (ATF 129 V 237 consid. 3 p. 240 et les références; arrêt 9C_109/2016 du 29 juin 2016 consid. 2.2 et les références). Le jugement entrepris expose de manière complète les dispositions légales (art. 5 al. 2 et 9 al. 1 LAVS) et les principes jurisprudentiels en matière de détermination du caractère dépendant ou indépendant d'une activité (ATF 144 V 111 consid. 4.2 p. 112; 140 V 241 consid. 4.2 p. 245 et les références). Il suffit d'y renvoyer.  
 
3.2. On ajoutera que selon les art. 7 al. 2, 2 ème phrase, LPP et 3 OPP 2, l'institution de prévoyance peut, dans son règlement, s'écarter du salaire déterminant dans l'AVS. Le règlement de prévoyance de la FPMB, dans sa version en vigueur à partir du 2 février 2012, prévoit ce qui suit:  
Article 24 - Salaire effectif (cotisant) 
1. Pour les salariés, le salaire effectif (cotisant) sert de base au calcul des cotisations. Il est égal au salaire AVS. 
2. La Fondation peut ne pas prendre en considération dans le salaire effectif des éléments de salaire de nature particulière ou occasionnelle. 
3. Le salaire effectif (cotisant) est le salaire déterminant pour le calcul du montant des bonifications d'épargne selon l'article 29. 
 
4.  
 
4.1. La juridiction cantonale a constaté que C.________ et D.________ étaient associés gérants de la société A.________ Sàrl. D.________ devait être considéré comme un salarié de la société, dès lors qu'il touchait régulièrement un salaire de celle-ci et qu'il n'avait pas un rôle concret de dirigeant. S'agissant de C.________, il avait agi concrètement dans la société en qualité d'indépendant, dès lors qu'il la dirigeait effectivement, était libre de son organisation et ne touchait pas de salaire de celle-ci. Il n'était dès lors pas assujetti à la caisse de compensation en tant que salarié.  
S'agissant de l'outillage apporté en nature à la société, la juridiction cantonale a retenu que les sommes reçues par les associés gérants n'étaient peut-être pas une contrepartie correcte des apports, ce qui pouvait représenter un dommage pour la société susceptible de faire l'objet d'une action civile en responsabilité. Les sommes perçues en contrepartie de l'outillage ne pouvaient cependant pas être qualifiées de salaire, car il n'apparaissait pas qu'elles avaient été versées en rétribution d'un travail. D.________ avait en effet touché un salaire de A.________ Sàrl tandis que C.________ avait perçu un revenu versé par la société F.________ (entreprise individuelle dont C.________ était le titulaire et qui a été radiée du registre commerce en mars 2016 par suite de cessation de l'exploitation). Il n'était ainsi pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les sommes perçues par les associés gérants étaient du salaire déguisé. La caisse de compensation ne pouvait par conséquent pas prélever des cotisations sociales sur les montants versés par la société A.________ Sàrl à C.________ et D.________ en contrepartie de l'outillage (certes surévalué) apporté en 2013. 
 
4.2. Invoquant une violation de l'art. 5 LAVS, en lien avec l'art. 7 al. 2 LPP, l'OFAS reproche tout d'abord à la juridiction cantonale d'avoir retenu que C.________ exerçait une activité indépendante pour le compte de la société A.________ Sàrl. Compte tenu des droits et obligations incombant aux associés gérants d'une société à responsabilité limitée (art. 804 ss CO), il soutient qu'il s'agit d'un fait notoire que l'activité exercée par ces derniers pour le compte de la société est salariée. Les directives de l'OFAS sur le salaire déterminant dans l'AVS, AI et APG (DSD) seraient très claires à ce sujet puisqu'elles prévoient que "les rétributions versées à un assuré en sa qualité d'organe d'une personne morale font partie du salaire déterminant" (ch. 2049 DSD, dans sa version en vigueur en 2019). C.________ avait en outre reconnu qu'il consacrait en moyenne 70 à 85 % de ses 48 heures de travail par semaine à la société, voire davantage. L'OFAS affirme qu'il entretenait donc une collaboration régulière avec la société, ce qui démontrerait son lien de dépendance.  
Dans la mesure où les apports en nature avaient été surévalués et n'avaient aucune valeur à l'actif de l'entreprise, l'OFAS soutient ensuite que la caisse de compensation était en droit de prélever des cotisations sociales sur les prélèvements opérés par C.________ et D.________ en 2013 et au début de l'année 2014. 
 
4.3. La caisse de compensation souscrit à l'argumentation du recours, ajoutant que l'opacité comptable de la société A.________ Sàrl l'avait contrainte à retenir l'existence d'une distribution dissimulée de bénéfice.  
 
4.4. Dans sa réponse, l'intimée soutient que l'associé gérant d'une société à responsabilité limitée qui participe à l'exploitation de la société doit être assimilé, sous l'angle de la réalité économique, à une personne de condition indépendante. Tel serait notamment le cas lorsque l'activité n'est pas rémunératrice ou lorsque l'associé gérant possède l'intégralité du capital social.  
 
5.   
Les constatations de la juridiction cantonale ne sont en l'espèce pas suffisamment complètes pour permettre au Tribunal fédéral de se prononcer de manière circonstanciée sur le point de savoir si les montants litigieux perçus par C.________ et D.________ trouvent un fondement suffisant dans des rapports de travail, comme le prétendent l'OFAS et la caisse de compensation. 
 
5.1. A titre préliminaire, la constatation des premiers juges selon laquelle C.________ ne percevait pas de salaire de la société A.________ Sàrl est pour le moins contradictoire. Dans la partie "En Fait" du jugement entrepris, les premiers juges ont retenu que l'associé gérant président avait déclaré qu'à l'époque, il facturait son activité pour la société A.________ Sàrl par le biais de "la société F.________". Or la société F.________ était une entreprise individuelle dépourvue de personnalité juridique, si bien qu'elle se confond avec la personne physique qui en est la titulaire, à savoir C.________. Pour la détermination du caractère dépendant ou indépendant d'un revenu soumis à cotisations, il importe dès lors peu que la rétribution soit versée directement à C.________ par la société A.________ Sàrl ou par l'intermédiaire de l'entreprise individuelle; seul est déterminant le fait que le montant perçu soit économiquement lié à un rapport de travail (cf. ATF 137 V 321 consid. 2 p. 325; ch. 1016 DSD). Dans la mesure où C.________ avait déclaré en instance cantonale qu'il touchait "environ CHF 5'000.- par mois pour [s]on activité à A.________ Sàrl" (jugement entrepris, p. 18), les premiers juges ont arbitrairement omis d'instruire l'origine, les motifs et les modalités de cette rétribution en lien avec une activité dépendante. Au regard des faits établis dans le jugement entrepris, on ignore si, comme l'affirme l'OFAS, cette rétribution a été consentie à C.________ en vertu de sa qualité d'organe dirigeant d'une personne morale, tels des tantièmes, des indemnités fixes ou des jetons de présence (art. 7 let. h RAVS; ATF 145 V 50 consid. 3.2 p. 52; 141 V 634 consid. 2.2 p. 636 et les références). Faute pour la juridiction cantonale d'avoir suffisamment instruit ce point, on ne saurait dès lors suivre la prémisse du raisonnement des premiers juges selon laquelle C.________, contrairement à D.________, ne percevait pas de salaire de la société A.________ Sàrl.  
 
5.2. Contrairement à ce qu'a retenu la juridiction cantonale, on ne peut ensuite pas déduire du simple fait que C.________ et D.________ percevaient déjà un salaire (respectivement de A.________ Sàrl et de la société F.________; jugement entrepris, p. 28) que les prélèvements opérés par ces derniers sur les comptes de la société A.________ Sàrl en contrepartie d'apports en nature ne pouvaient pas être réintégrés dans la masse salariale de la société et soumis à des cotisations sociales. Les premiers juges devaient préalablement rechercher les motifs pour lesquels les associés gérants avaient procédé à de tels apports en nature - qui ne servaient pas selon les faits établis par la juridiction cantonale à couvrir des dépenses justifiées par l'usage commercial - et s'ils n'entendaient pas de cette manière éluder les prescriptions sur le prélèvement de cotisations sociales sur un salaire. Il ne suffit en particulier pas de mentionner que la société A.________ Sàrl disposerait, le cas échéant, d'une action civile contre ses associés gérants pour obtenir des dommages et intérêts en cas d'apports en nature surévalués pour renoncer à rechercher de manière aussi complète que possible quelle était l'intention des associés gérants.  
On ajoutera que si les prélèvements opérés par les associés gérants ne s'avèrent finalement pas économiquement liés à un rapport de travail au sens du droit de la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité, la juridiction cantonale devra encore examiner les conditions posées par la jurisprudence pour convertir une distribution du revenu du capital en salaire, comme le propose la caisse de compensation. Ainsi, selon la jurisprudence, il y a lieu de déroger à la répartition choisie par la société entre dividende et salaire s'il existe une disproportion manifeste entre la prestation de travail et le salaire ainsi qu'entre le capital propre engagé dans l'entreprise et le dividende (ATF 141 V 634; 145 V 50). 
 
6.   
Au vu des éléments qui précèdent, il convient d'admettre partiellement le recours de l'OFAS, d'annuler le chiffre 4 du dispositif du jugement entrepris et de renvoyer la cause à la juridiction cantonale (art. 107 al. 2 LTF) afin qu'elle reprenne l'instruction de la cause, puis statue à nouveau. 
 
7.   
Succombant, l'intimée supportera les frais de justice afférents à la procédure (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 68 al. 1 et 3 LTF). En particulier, la société B.________ SA a renoncé à se déterminer. 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est partiellement admis et le chiffre 4 du dispositif du jugement de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 8 mai 2019 est annulé. La cause est renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. Le recours est rejeté pour le surplus. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimée. 
 
3.   
Il n'est pas alloué de dépens. 
 
4.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la ation de la fédération romande de métiers du bâtiment, à B.________ SA et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales. 
 
 
Lucerne, le 4 juin 2020 
 
Au nom de la IIe Cour de droit social 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
Le Greffier : Bleicker