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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
4A_39/2007 /ech 
 
Arrêt du 9 mai 2007 
Ire Cour de droit civil 
 
Composition 
MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Rottenberg Liatowitsch et Kolly. 
Greffière: Mme Godat Zimmermann. 
 
Parties 
Assurance X.________, 
demanderesse et recourante, représentée par 
Me Christian Buonomo, 
 
contre 
 
Y.________, 
défendeur et intimé, représenté par Me Alain Tripod. 
 
Objet 
bail à loyer; demeure du locataire; avis comminatoire, 
 
recours en matière civile contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève du 5 février 2007. 
 
Faits : 
A. 
Par contrat du 19 décembre 2001, l'assurance X.________ (ci-après: X.________) a remis à bail à Y.________, représentant l'entreprise individuelle «A.________», trois arcades dans un immeuble, à Genève; ces locaux étaient destinés à accueillir un café-restaurant. Le bail était conclu pour dix ans, soit jusqu'au 31 décembre 2011. Dès 2005, le locataire a été mis en demeure à plusieurs reprises de payer des loyers échus sous menace de résiliation du bail; il s'est à chaque fois acquitté du montant réclamé dans le délai fixé. Pour 2006, le loyer échelonné s'élevait à 63'240 fr. 
 
Le 10 février 2006, la bailleresse a adressé au locataire, par lettre signature, un avis comminatoire lui fixant un délai de trente jours pour régler le montant de 16'589 fr. correspondant aux loyers et charges de janvier à avril 2006; ce courrier se référait à l'art. 257d CO et précisait que, faute de paiement dans le délai imparti, le bail serait résilié avec effet immédiat. La lettre a été retournée à son expéditrice avec la mention «non réclamé». La bailleresse a alors adressé l'avis comminatoire au locataire par pli simple du 22 février 2006. Le 21 mars 2006, elle a résilié le bail pour le 30 avril 2006. 
 
Le 18 avril 2006, le locataire a écrit à la bailleresse qu'il n'avait pas reçu l'avis comminatoire et qu'il s'opposait à la résiliation. Il a joint un chèque bancaire couvrant le solde des montants dus. 
B. 
X.________ et Y.________ ont tous deux saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers du canton de Genève; la première sollicitait l'évacuation du locataire et de ses biens ainsi que de tiers dont il serait responsable, alors que le second contestait le congé. La tentative de conciliation s'est soldée par un échec. 
 
Le 21 juin 2006, respectivement le 14 juillet 2006, la bailleresse, puis le locataire ont ouvert action devant le Tribunal des baux et loyers du canton de Genève. Les deux causes ont été jointes. 
 
Par jugement du 14 septembre 2006, le tribunal a constaté la validité de la résiliation et condamné le locataire à évacuer immédiatement les locaux loués. 
Statuant le 5 février 2007 sur appel de Y.________, la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève a annulé le jugement de première instance et débouté la bailleresse de sa requête en évacuation. 
 
En résumé, la cour cantonale a retenu les faits suivants: Y.________ a conclu le bail pour l'entreprise individuelle «A.________». Tous les courriers envoyés au locataire par la bailleresse ou son représentant ont été adressés à: «Maison A.________, M. Y.________, rue ..., 1204 Genève». Jusqu'au 10 février 2006, ces courriers ont régulièrement été mis dans la boîte aux lettres du restaurant ou remis à Y.________ dans l'établissement même. Le locataire dispose d'une case postale qu'il utilise pour une activité de conseils pour une tierce société; il relève rarement cette case postale, l'activité de conseil ayant lieu par le biais de la messagerie électronique; il n'y avait pas de sous-adresse enregistrée au nom du restaurant à l'époque de l'envoi de l'avis comminatoire du 10 février 2006; la bailleresse n'a jamais utilisé l'adresse de la case postale. L'avis comminatoire du 10 février 2006 a toutefois été acheminé vers la case postale; à ce sujet, la poste a précisé qu'il était possible que l'avis de retrait - avis invitant le locataire à retirer l'envoi dans les sept jours - ait été déposé par mégarde dans une autre case. 
 
La Chambre d'appel en a tiré les conclusions suivantes. Dans ses rapports avec la bailleresse, le locataire ne devait pas s'attendre à l'envoi de courriers dans la case postale qu'il utilisait pour une autre activité économique. Pour avoir démontré «l'existence d'une irrégularité dans la distribution de l'avis de retrait du pli recommandé» contenant la mise en demeure comminatoire, Y.________ a mis à néant la fiction de la remise effective de ce courrier. Quant à la notification par pli simple, elle n'emporte aucune garantie de réception effective. Dans ces circonstances, l'avis comminatoire ne peut pas être considéré comme ayant atteint le locataire. En conséquence, à défaut d'avis comminatoire valablement notifié, la résiliation du bail pour cause de demeure (art. 257d CO) n'est pas valable. 
C. 
X.________ (la demanderesse) interjette un recours en matière civile. Elle conclut principalement à ce que la validité de la résiliation du contrat de bail soit constatée et à ce que Y.________ soit condamné à évacuer immédiatement l'objet loué de sa personne et de ses biens, ainsi que de tout tiers dont il serait responsable. Subsidiairement, elle demande l'annulation de l'arrêt attaqué et le renvoi de la cause à la Chambre d'appel. 
 
Y.________ (le défendeur) propose le rejet du recours. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions en évacuation (art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre un jugement final (art. 90 LTF) rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 LTF) dans une affaire de bail à loyer dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF; pour la détermination de la valeur litigieuse en cas de contestation d'une résiliation, cf. ATF 119 II 147 consid. 1 p. 149; 111 II 384 consid. 1 p. 385), le recours est en principe recevable puisqu'il a été déposé dans le délai et la forme prévus par la loi (art. 100 al. 1 et art. 42 LTF). 
1.2 Compte tenu des exigences de motivation dont le respect est une condition de recevabilité du recours (art. 42 al. 1 et 2 et art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui se posent lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui. Il ne peut pas entrer en matière sur la violation d'un droit constitutionnel ou sur une question relevant du droit cantonal ou intercantonal si le grief n'a pas été invoqué et motivé de manière précise (art. 106 al. 2 LTF). 
 
En l'espèce, la demanderesse soulève deux critiques. D'une part, la cour cantonale aurait violé le droit fédéral en niant que l'avis comminatoire du 10 février 2006 ait été valablement notifié par lettre signature. D'autre part, certains faits auraient été établis de façon manifestement inexacte. 
2. 
Il convient d'examiner cette critique-ci en premier lieu. 
2.1 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Ce n'est que dans cette mesure que la partie recourante est recevable à critiquer les constatations de fait; encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). La notion de «manifestement inexacte» correspond à celle d'arbitraire (Message concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, in FF 2001, p. 4135). 
 
Selon la jurisprudence, l'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution que celle retenue par l'autorité cantonale pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 132 I 13 consid. 5.1). Lorsque la partie recourante s'en prend à l'appréciation des preuves et à l'établissement des faits, la décision n'est arbitraire que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve ou si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables ou encore s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée (ATF 129 I 8 consid. 2.1). 
 
La partie recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées, faute de quoi il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui contenu dans la décision attaquée (cf. ATF 130 III 138 consid. 1.4 p. 140). Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). 
2.2 En l'espèce, la Chambre d'appel a rejeté la «fiction de la remise» de la lettre signature contenant l'avis comminatoire, au motif que le locataire avait «démontré l'existence d'une irrégularité dans la distribution de l'avis de retrait du pli recommandé contenant la mise en demeure comminatoire». L'arrêt mentionne clairement une irrégularité dans la distribution de l'avis de retrait, et non pas une irrégularité dans la distribution de la lettre. Dans ce contexte, il faut constater que la cour cantonale ne retient nulle part qu'un avis de retrait aurait été mis dans la case postale du défendeur. En revanche, elle relève que la poste a écrit qu'il était possible que l'avis de retrait ait été déposé, par mégarde, dans une autre case que celle du locataire; par ailleurs, la cour cantonale se réfère à la jurisprudence selon laquelle l'avis de retrait d'une lettre signature (ou lettre recommandée) est censé avoir été déposé dans la boîte aux lettres ou la case postale du destinataire, aussi longtemps que la partie qui le conteste n'a pas apporté la preuve d'un comportement irrégulier des employés postaux. Force est ainsi de conclure que la Chambre d'appel a retenu que l'avis de retrait relatif à l'avis comminatoire du 10 février 2006 n'avait peut-être pas été mis dans la case postale du défendeur. 
 
Certes, les juges genevois précisent également que la case postale ne comprenait pas de sous-adresse concernant le restaurant, que le locataire ne l'utilisait pas pour son activité de cafetier-restaurateur, que la bailleresse n'avait jamais adressé de courrier à cette adresse et que le locataire ne devait donc pas s'attendre à l'envoi de courriers de la demanderesse dans la case postale. Ces considérations sont toutefois inutiles si l'on retient que l'avis de retrait n'a pas été mis dans la case postale; en effet, il n'importe pas de savoir si le locataire devait s'attendre à un envoi si celui-ci n'est de toute façon pas parvenu dans la sphère d'influence du destinataire. Que l'autorité cantonale en discute malgré tout dans son arrêt ne signifie pas qu'elle retient implicitement que l'avis de retrait a été correctement déposé dans la case postale du défendeur. 
 
Partant, le seul fait déterminant en l'état est celui de la mise d'un avis de retrait dans la case postale du locataire, car, sans un tel avis, une notification valable de la lettre signature est exclue. 
2.3 La demanderesse s'en prend à plusieurs constatations de fait: «A.________» ne constituerait pas une entreprise individuelle; le locataire n'utiliserait pas la case postale pour son activité de conseil; le facteur ne distribuerait pas le courrier dans la boîte aux lettres du restaurant; le chèque bancaire donné en paiement du solde du loyer n'aurait pas été signé. La critique se limite toutefois à de simples affirmations; conformément aux principes rappelés ci-dessus (consid. 2.1), elle est irrecevable. Au demeurant, les faits contestés sont sans pertinence pour le sort de la cause. 
3. 
La demanderesse reproche en outre à la cour cantonale d'avoir violé le droit fédéral, plus particulièrement d'avoir méconnu le principe de la réception. Elle soutient que l'avis comminatoire pouvait valablement être mis dans la case postale et qu'il y a été valablement reçu par le défendeur. 
3.1 L'avis comminatoire doit parvenir au locataire (art. 257d al. 1 CO). Selon le principe de la réception, une déclaration écrite est considérée comme parvenue à son destinataire lorsqu'elle est entrée dans sa sphère d'influence, de sorte qu'il a la possibilité d'en prendre connaissance. En ce qui concerne l'avis comminatoire de l'art. 257d CO envoyé par une lettre signature (ou recommandée) qui ne peut pas être remise directement au destinataire, la lettre est réputée reçue le jour où le destinataire va la chercher à la poste ou, à défaut, le dernier jour du délai de garde s'il devait s'attendre à la recevoir (ATF 119 II 147 consid. 2 p. 149). L'application de cette règle présuppose toutefois qu'un avis de retrait correspondant ait été mis dans la boîte aux lettres ou dans la case postale; à défaut, on ne saurait reprocher au destinataire de ne pas être allé chercher la lettre signature et considérer qu'il l'a reçue le dernier jour de garde alors qu'il ne pouvait en connaître l'existence (cf. ATF 127 I 31 consid. 2a/aa p. 34). 
3.2 En l'espèce, savoir si, comme la bailleresse le soutient, l'avis de retrait pour la lettre signature contenant l'avis comminatoire pouvait valablement être mis dans la case postale du locataire et si celui-ci devait s'attendre à recevoir un tel courrier dans la case postale n'est pas déterminant, dès lors qu'il y a doute sur le dépôt de l'avis de retrait dans la case postale. Or, à défaut d'un avis de retrait, la lettre contenant l'avis comminatoire ne saurait être considérée comme ayant été reçue par le défendeur. Cette conclusion scelle le sort du moyen tiré de la violation du droit fédéral. 
4. 
Selon la demanderesse, il est pour le moins abusif de retenir que le défendeur n'a pas été atteint par deux courriers successifs contenant l'avis comminatoire, envoyés l'un par lettre signature et l'autre sous pli simple, alors qu'il a toujours reçu la correspondance qu'elle lui a adressée. 
A cet égard, il suffit de relever que la bailleresse supporte le fardeau de la preuve de la réception de l'avis comminatoire et que la faible probabilité que deux envois successifs n'atteignent pas leur destinataire n'y change rien. En l'occurrence, il a été constaté que la lettre signature n'avait pas été valablement reçue. Et la demanderesse admet elle-même que la notification sous pli simple n'emporte aucune garantie quant à la réception du courrier. 
5. 
Sur le vu de ce qui précède, le recours sera rejeté dans la mesure où il est recevable. 
6. 
Comme elle succombe, la demanderesse supportera les frais de la procédure (art. 66 al. 1 LTF) et versera au défendeur une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 2 LTF). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
2. 
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la recourante. 
3. 
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens. 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève. 
Lausanne, le 9 mai 2007 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
Le Président: La Greffière: