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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
5C.249/2004 /frs 
 
Arrêt du 2 mars 2005 
IIe Cour civile 
 
Composition 
MM. et Mme les Juges Raselli, Président, 
Hohl et Marazzi. 
Greffier: M. Abrecht. 
 
Parties 
A.________ et B.X.________, 
défendeurs et recourants, représentés par Me Albert J. Graf, avocat, 
 
contre 
 
La Banque Y.________, 
demanderesse et intimée, représentée par Me Bernard Katz, avocat, 
 
Objet 
cédule hypothécaire, mainlevée définitive de l'opposition dans une poursuite en réalisation de gage immobilier, 
 
recours en réforme contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 21 octobre 2004. 
 
Faits: 
A. 
Les époux A.________ et B.X.________ sont propriétaires de la parcelle n° 20 de la commune de Z.________, qu'ils ont acquise en 1983 et sur laquelle est érigée notamment une villa familiale. 
 
Le 18 juin 1987, la Banque Y.________ a accepté de porter à 1'050'000 fr. le montant du prêt hypothécaire qu'elle avait accordé aux époux X.________, tout en demandant des garanties sous forme de cédules hypothécaires. 
 
Par acte notarié du 15 juillet 1987 intitulé "complément de cédule hypothécaire", les époux X.________ et la Banque Y.________ ont convenu notamment de ce qui suit : 
" I 
La Banque Y.________ est porteur du titre suivant dû conjointement et solidairement par A.________ et B.X.________ susnommés : 
Numéro xxxxx. Cédule hypothécaire au porteur, du capital de quatre cent mille francs, premier rang, intérêt maximum huit pour cent, inscrite le onze avril mil neuf cent soixante-deux, grevant la parcelle 20 de Z.________. 
II 
La Banque Y.________, représentée comme il est dit ci-dessus, consent une augmentation de prêt de 
SIX CENT CINQUANTE MILLE FRANCS 
à A.________ et B.X.________ qui s'en reconnaissent codébiteurs solidaires. 
Cette augmentation s'incorpore au prêt faisant l'objet d'une cédule hypothécaire numéro xxxxx. susrappelée qui est ainsi élevée au capital de 
UN MILLION CINQUANTE MILLE FRANCS." 
B. 
Les 16 et 17 août 1993, les époux X.________ et la Banque Y.________ ont signé un acte de nantissement par lequel les premiers ont constitué en faveur de la seconde un droit de gage en garantie de toutes les prétentions que celle-ci pouvait ou pourrait faire valoir à leur encontre en vertu de leurs relations d'affaires. Cet acte, qui mentionnait comme valeur nantie la cédule hypothécaire au porteur n° xxxxx grevant en premier rang la parcelle n° 20 de la commune de Z.________, contenait la clause suivante : 
"7. Réalisation privée 
 
Sans égard aux dispositions prévues par la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, la banque est habilitée mais non tenue de réaliser selon son gré, de dénoncer des créances mises en gage et de les encaisser et d'amortir ainsi toutes ses prétentions de quelque nature qu'elles soient en capital, intérêts, commissions et frais dès que la dette est exigible. C'est dans ce but que des sûretés sont remises à la banque par le présent contrat [...]. 
 
La banque est de surcroît autorisée, mis à part pour le paiement des intérêts courants, à faire valoir ses prétentions découlant du nantissement directement à l'égard du débiteur du titre par la voie de la poursuite en réalisation de gage." 
La cédule hypothécaire n° xxxxx précitée contenait notamment les clauses suivantes : 
"1. Moyennant un avertissement de six mois, le prêt pourra être dénoncé au remboursement total ou partiel en tout temps par les débiteurs ou par le créancier pour l'une des échéances contractuelles. 
 
[...] 
 
3. Ce prêt sera productif d'intérêts dès le jour du versement des fonds au taux qui sera fixé d'entente entre les parties. Un taux d'intérêts maximum de huit pour cent est inscrit au Registre foncier." 
C. 
Par courrier recommandé du 3 novembre 2000, la Banque Y.________ a dénoncé la cédule hypothécaire précitée au remboursement et a mis les époux X.________ en demeure de lui payer la somme de 1'050'000 fr. plus intérêts à 8% l'an dès le 12 octobre 1997. Les époux X.________ n'ont donné aucune suite à cette sommation. 
 
Le 15 mai 2001, la Banque Y.________ a introduit une poursuite en réalisation de gage immobilier pour la somme de 1'050'000 fr. à l'encontre de chacun des époux X.________. Ceux-ci ont fait opposition aux commandements de payer n° 1 et n° 2 qui leur ont été notifiés le 30 mai 2001 par l'Office des poursuites de Nyon. 
D. 
Le 22 juin 2001, la Banque Y.________ a actionné les époux X.________, solidairement entre eux, devant la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud, en concluant au paiement de la somme de 1'050'000 fr. plus intérêts à 8% l'an dès le 12 octobre 1997, ainsi qu'à la mainlevée définitive des oppositions formées aux commandements de payer notifiés aux défendeurs dans les poursuites en réalisation de gage immobilier n° 1 et n° 2. Dans leur réponse du 26 novembre 2001, les défendeurs ont conclu au rejet des conclusions de la demande et ont opposé la compensation à hauteur d'un montant (non contesté) de 3'600 fr. 
Par jugement du 21 novembre 2003, la Cour civile a condamné les défendeurs, solidairement entre eux, à payer à la demanderesse la somme de 1'050'000 fr. avec intérêt à 5% l'an dès le 5 mai 2001, sous déduction de 3'600 fr. avec intérêt à 5% l'an dès le 28 novembre 2001. Elle a en outre prononcé la mainlevée définitive des oppositions à concurrence de la somme et de l'intérêt précités, et elle a mis les frais et dépens à la charge solidaire des défendeurs. 
E. 
La motivation de ce jugement, dans ce qu'elle a d'utile à retenir pour l'examen du recours, est en substance la suivante : 
E.a Les poursuites dirigées contre les défendeurs sont en réalisation de gage immobilier et se fondent sur la créance abstraite incorporée dans la cédule hypothécaire n° xxxxx du Registre foncier de Nyon. En principe, seul le titulaire de la créance et du droit de gage immobilier incorporés dans la cédule hypothécaire - à savoir le propriétaire de la cédule - peut agir en réalisation de gage immobilier. Toutefois, lorsqu'une cédule hypothécaire au porteur est remise en nantissement, l'acte de nantissement peut contenir une clause conférant au créancier gagiste (mobilier) la faculté de dénoncer la cédule hypothécaire et de faire valoir, sinon en vertu de son propre droit, du moins en son propre nom, la créance incorporée dans le titre remis en nantissement et d'exercer une poursuite en réalisation de gage immobilier (Favre/Liniger, Cédules hypothécaires et procédure de mainlevée, in SJ 1995 p. 101 ss, 105; SJ 2004 I 194). 
 
En l'espèce, l'acte de nantissement signé par les parties les 16 et 17 août 1993 contenait précisément une telle clause, si bien que la demanderesse, qui a valablement dénoncé la cédule hypothécaire au remboursement, peut agir en réalisation de gage immobilier contre les défendeurs, en réclamant le montant en capital de 1'050'000 fr. 
E.b La demanderesse réclame l'intérêt au taux de 8% l'an. Mais il s'agit là du taux maximum inscrit au registre foncier, alors que le taux applicable est celui déterminé d'entente entre les parties. En l'espèce, il n'a pas été prouvé ni même allégué que le preneur de crédit reconnaissait devoir les intérêts au taux maximum inscrit au registre foncier. L'intérêt sur la créance abstraite ne peut ainsi courir que dès le lendemain de l'échéance de la dénonciation de la cédule, soit dès le 5 mai 2001 et au taux légal de 5% l'an. 
Pour le surplus, les commandements de payer litigieux ne sont pas périmés, de sorte que la mainlevée définitive des oppositions peut être prononcée à concurrence du montant alloué en capital et intérêts, sous réserve de la compensation. 
F. 
Agissant par la voie du recours en réforme au Tribunal fédéral, les défendeurs concluent à la réforme de ce jugement en ce sens qu'ils doivent payer, solidairement entre eux, à la défenderesse la somme de 1'050'000 fr. avec intérêt à 4,5% l'an du 5 mai au 30 juin 2001, à 4,25% l'an du 1er juillet 2001 au 31 janvier 2002, à 4% l'an du 1er février au 31 octobre 2002, à 3,75 % l'an du 1er novembre 2002 au 28 février 2003, à 3,5% l'an du 1er mars au 30 juin 2003 et à 3,25% l'an ensuite, sous réserve de l'évolution future du taux hypothécaire de référence et sous déduction de 3'600 fr. avec intérêt à 5% l'an dès le 28 novembre 2001, et que les oppositions sont maintenues intégralement. Une réponse au recours n'a pas été demandée. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
Le jugement attaqué tranche une contestation civile portant sur des droits de nature pécuniaire dont la valeur dépasse largement 8'000 fr.; il constitue une décision finale prise par le tribunal suprême du canton de Vaud et qui ne peut pas être l'objet d'un recours ordinaire de droit cantonal. Le recours en réforme, interjeté en temps utile, est donc recevable au regard des art. 46, 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ. 
2. 
2.1 Les défendeurs soutiennent, dans une argumentation quelque peu confuse, que comme la demanderesse n'est pas propriétaire de la cédule hypothécaire litigieuse, mais seulement titulaire d'un droit de gage mobilier sur celle-ci, et que les parties n'ont pas valablement dérogé au système de l'art. 906 CC, la voie de la poursuite en réalisation de gage immobilier n'était pas ouverte. Selon eux, l'art. 7 de l'acte de nantissement devrait être considéré comme une clause insolite, qui ne serait pas valable dès lors que leur attention n'a pas été spécialement attirée sur celle-ci (cf. ATF 119 II 443 consid. 1a). En outre, le texte même de cette clause serait ambigu et peu clair, ce qui, en vertu du principe in dubio contra stipulatorem, devrait la rendre inefficace. 
2.2 Le créancier nanti - comme en l'espèce - d'une cédule hypothécaire ne peut, en principe, pas exercer contre le débiteur les droits qui sont incorporés dans ladite cédule. En effet, selon l'art. 906 CC, seul le propriétaire de la créance - laquelle, dans le cas d'une cédule hypothécaire, est incorporée dans le titre tout comme le droit de gage immobilier qui la garantit (cf. art. 842 CC) - peut la dénoncer et la recouvrer en agissant en réalisation du gage immobilier. Ces facultés n'appartiennent pas à celui qui est simplement titulaire d'un droit de gage mobilier sur les titres, à moins qu'elles ne lui aient été octroyées par convention (ATF 97 III 119; 64 II 418; 38 II 522 consid. 7 p. 530-531; Favre/Liniger, Cédules hypothécaires et procédure de mainlevée, in SJ 1995 p. 101 ss, 105 et les références citées; Zobl, Berner Kommentar, Band IV/2/5/2, 1996, n. 16 ad art. 906 CC et les références citées; Oftinger/Bär, Zürcher Kommentar, Band IV/2c, 1981, n. 35 ad art. 906 CC; arrêt non publié 5P.481/1997 du 24 février 1998, consid. 2). 
 
La clause par laquelle le créancier nanti d'une cédule hypothécaire se réserve contractuellement la possibilité de faire valoir, comme un propriétaire, les droits rattachés à la cédule est depuis longtemps usuelle dans les actes de nantissement des banques (Zobl, op. cit., n. 16 ad art. 906 CC et les références citées; le même, Probleme bei der Verpfändung von Eigentümer-Schuldbriefen, in RNRF 1978 p. 193 ss, 213; Oftinger/Bär, op. cit., n. 35 ad art. 906 CC). Au surplus, quoique dérogeant au droit dispositif, une telle clause entre parfaitement dans le cadre du type de contrat considéré et dans la nature de l'affaire, de sorte qu'elle ne saurait être considérée comme insolite (cf. ATF 119 II 443 consid. 1a et les références citées). 
2.3 En l'espèce, l'art. 7 de l'acte de nantissement conclu par les parties confère expressément à la banque la faculté de "dénoncer des créances mises en gage et de les encaisser" et de "faire valoir ses prétentions découlant du nantissement directement à l'égard du débiteur du titre par la voie de la poursuite en réalisation de gage." Dans les circonstances de l'espèce, cette clause ne peut être comprise, selon le principe de la confiance (cf. ATF 129 III 118 consid. 2.5 et les arrêts cités), que comme conférant à la demanderesse la faculté de dénoncer la créance incorporée dans le titre - alors même que celui-ci n'avait été remis qu'en nantissement - au remboursement et d'agir sur cette base en réalisation de gage immobilier. En effet, la faculté prévue d'agir "directement à l'égard du débiteur du titre par la voie de la poursuite en réalisation de gage" ne peut viser que la créance abstraite incorporée dans la cédule hypothécaire, et la poursuite en réalisation de gage ainsi mentionnée ne peut être que celle en réalisation du gage qui garantit cette créance abstraite, à savoir du gage immobilier (cf. art. 842 CC). 
3. 
Les défendeurs soulèvent en outre la question de l'identité entre la personne poursuivie et la personne désignée comme débiteur dans le titre; ils soutiennent qu'en l'occurrence, le débiteur désigné par la cédule hypothécaire est encore l'ancien propriétaire de l'immeuble. 
 
Le Tribunal fédéral doit fonder son arrêt sur les faits tels qu'ils ont été constatés par la dernière autorité cantonale (art. 63 al. 2 OJ). Or le jugement attaqué ne constate pas que la cédule hypothécaire litigieuse mentionne l'ancien propriétaire de l'immeuble comme débiteur de la créance incorporée dans le titre. En revanche, il retient que les défendeurs ont repris la dette incorporée dans la cédule hypothécaire lorsque celle-ci a été augmentée à 1'050'000 fr., de sorte que la demanderesse était fondée à faire valoir à leur encontre la créance incorporée dans le titre (cf. ATF 129 III 12). 
4. 
Les défendeurs soulèvent enfin la question du taux d'intérêt applicable. Ils reprochent à la cour cantonale de les avoir condamnés à payer l'intérêt sur le montant de 1'050'000 fr. au taux légal de 5%, alors qu'il est établi que le taux d'intérêt applicable est celui fixé d'entente entre les parties. Or depuis le 5 mai 2001, le taux hypothécaire de référence pour les prêts hypothécaires en premier rang de la Banque cantonale vaudoise aurait toujours été inférieur à 5%. 
 
Ce grief est manifestement mal fondé. En effet, la défenderesse a dénoncé la cédule au remboursement six mois d'avance par lettre du 3 novembre 2000, de sorte que les défendeurs étaient en demeure de payer le montant de 1'050'000 fr. depuis le 5 mai 2001 (art. 102 CO). Or le débiteur qui est en demeure pour le paiement d'une somme d'argent doit l'intérêt moratoire au taux de 5% l'an, même si un taux inférieur avait été fixé pour l'intérêt conventionnel (art. 104 al. 1 CO). 
5. 
En définitive, le jugement attaqué se révèle conforme au droit fédéral, aussi bien en ce qui concerne les montants en capital et intérêts dus par les défendeurs qu'en tant qu'il prononce la mainlevée définitive, à concurrence de ces montants, des oppositions formées par les défendeurs dans le cadre des poursuites en réalisation de gage immobilier dirigées contre eux. Le recours, mal fondé, doit ainsi être rejeté. Les défendeurs, qui succombent, supporteront les frais judiciaires, solidairement entre eux (art. 156 al. 1 et 7 OJ). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer de dépens, dès lors que la demanderesse n'a pas été invitée à procéder et n'a en conséquence pas assumé de frais en relation avec la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 159 al. 1 et 2 OJ; Poudret/Sandoz-Monod, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. V, Berne 1992, n. 2 ad art. 159 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est rejeté. 
2. 
Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge des défendeurs, solidairement entre eux. 
3. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
Lausanne, le 2 mars 2005 
Au nom de la IIe Cour civile 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: Le greffier: