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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_1058/2021  
 
 
Arrêt du 4 avril 2022  
 
Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux 
Jacquemoud-Rossari, Présidente, Muschietti et Abrecht. 
Greffier : M. Ourny. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Miguel Oural, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Ministère public de la République et canton de Genève, 
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, 
intimé. 
 
Objet 
Infraction à la LArm; erreur sur l'illicéité; négligence, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale d'appel 
et de révision de la Cour de justice de la République 
et canton de Genève du 13 juillet 2021 
(AARP/222/2021 P/18773/2019). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 20 janvier 2021, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a reconnu A.________ coupable d'infraction à la Loi fédérale sur les armes et l'a condamné à une amende de 5000 fr. avec une peine privative de liberté de substitution de cinq jours. 
 
B.  
Par arrêt du 13 juillet 2021, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève a partiellement admis l'appel de A.________, en ce sens qu'elle a condamné celui-ci à une amende de 3000 fr. avec une peine privative de liberté de substitution de trois jours. 
En substance, la juridiction cantonale a retenu les faits suivants. 
 
B.a. Le 5 septembre 2019, lors de sa sortie de Suisse, A.________ a fait l'objet d'un contrôle par les garde-frontières suisses au passage de la frontière de U.________ à V.________. Le contrôle de son véhicule a révélé la présence d'une matraque télescopique dans la portière côté conducteur. Auditionné par les garde-frontières, A.________ a déclaré avoir acheté la matraque sur internet pour se défendre, ayant déjà été agressé. Devant le ministère public, il a ajouté qu'il ignorait qu'un tel objet ne pouvait pas être acquis sans permis, précisant encore l'avoir acheté pour une dizaine de francs sur un site de vente en ligne.  
 
B.b. A.________, de nationalité suisse, est né en 1973. Divorcé, il est père de deux enfants majeurs. Titulaire d'un diplôme de gérant de fortune, il a une activité d'homme d'affaires indépendant et dirige le groupe B.________. Il estime sa fortune à 200'000'000 fr. et a créé la Fondation C.________, qui vient en aide aux plus démunis. Il n'a pas d'antécédent inscrit au casier judiciaire suisse.  
 
C.  
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 13 juillet 2021, en concluant à sa réforme en ce sens qu'il soit acquitté, subsidiairement condamné pour infraction par négligence à la Loi fédérale sur les armes et exempté de toute peine pour cas de peu de gravité. Plus subsidiairement, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il sollicite en outre l'octroi de l'effet suspensif. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recourant se plaint d'abord d'une violation de l'art. 21 CP en se prévalant d'une erreur inévitable sur l'illicéité. 
 
1.1.  
 
1.1.1. Selon l'art. 33 al. 1 let. a de la Loi fédérale sur les armes, les accessoires d'armes et les munitions (LArm; RS 514.54), est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire quiconque, intentionnellement, sans droit, offre, aliène, acquiert, possède, fabrique, modifie, transforme, porte, exporte vers un État Schengen ou introduit sur le territoire suisse des armes, des éléments essentiels d'armes, des composants d'armes spécialement conçus, des accessoires d'armes, des munitions ou des éléments de munitions, ou en fait le courtage.  
Aux termes de l'art. 33 al. 2 LArm, si l'auteur agit par négligence, la peine est une amende (première phrase); dans les cas de peu de gravité, le juge peut exempter l'auteur de toute peine (seconde phrase). 
 
1.1.2. Conformément à l'art. 21 CP, quiconque ne sait ni ne peut savoir au moment d'agir que son comportement est illicite n'agit pas de manière coupable. Le juge atténue la peine si l'erreur était évitable.  
L'erreur sur l'illicéité vise le cas où l'auteur agit en ayant connaissance de tous les éléments constitutifs de l'infraction, et donc avec intention, mais en croyant par erreur agir de façon licite (ATF 129 IV 238 consid. 3.1; cf. ATF 141 IV 336 consid. 2.4.3 et les références). Les conséquences pénales d'une erreur sur l'illicéité dépendent de son caractère évitable ou inévitable. L'auteur qui commet une erreur inévitable est non coupable et doit être acquitté (art. 21, première phrase, CP). Tel est le cas s'il a des raisons suffisantes de se croire en droit d'agir (ATF 128 IV 201 consid. 2). Une raison de se croire en droit d'agir est "suffisante" lorsqu'aucun reproche ne peut être adressé à l'auteur du fait de son erreur, parce qu'elle provient de circonstances qui auraient pu induire en erreur toute personne consciencieuse (ATF 128 IV 201 consid. 2; 98 IV 293 consid. 4a). En revanche, celui dont l'erreur sur l'illicéité est évitable commet une faute, mais sa culpabilité est diminuée. Il restera punissable, mais verra sa peine obligatoirement atténuée (art. 21, seconde phrase, CP). L'erreur sera notamment considérée comme évitable lorsque l'auteur avait ou aurait dû avoir des doutes quant à l'illicéité de son comportement (ATF 121 IV 109 consid. 5) ou s'il a négligé de s'informer suffisamment alors qu'il savait qu'une réglementation juridique existait (ATF 120 IV 208 consid. 5b). Savoir si une erreur était évitable ou non est une question de droit (cf. ATF 75 IV 150 consid. 3; arrêt 6B_428/2021 du 18 novembre 2021 consid. 2.1 et les références). La réglementation relative à l'erreur sur l'illicéité repose sur l'idée que le justiciable doit faire tout son possible pour connaître la loi et que son ignorance ne le protège que dans des cas exceptionnels (ATF 129 IV 238 consid. 3.1). 
 
1.2. Les juges cantonaux ont retenu que le recourant avait possédé, avec conscience et volonté, une matraque télescopique dans sa voiture sans autorisation de détenir une telle arme, dans le but avoué de pouvoir en faire un éventuel usage défensif. Les éléments constitutifs objectifs et subjectifs de l'infraction visée par l'art. 33 al. 1 let. a LArm étaient ainsi réalisés et l'infraction était intentionnelle. Les juges cantonaux ont toutefois retenu que le recourant ignorait que la détention de l'arme en question sans autorisation était illicite, de sorte qu'il avait été en proie à une erreur sur l'illicéité de son acte. Cela étant, il aurait dû savoir qu'une matraque télescopique était une arme et que sa possession était réglementée; il aurait dû, à tout le moins, s'en douter, la question de la licéité de la détention d'un tel objet étant, au vu de sa finalité, sujette à caution. L'instance précédente en a conclu que le recourant aurait dû se renseigner avant d'acquérir l'arme, de sorte que son erreur était manifestement évitable. En raison de cette erreur évitable, la peine devait être atténuée.  
 
1.3. Le recourant allègue que le fait qu'une matraque télescopique soit une arme soumise à autorisation serait loin d'être une évidence pour une personne ordinaire ou un non-juriste. Il soutient qu'il ne pouvait et ne devait pas se douter de l'illicéité de son comportement, dès lors qu'il avait acheté l'arme pour une dizaine de francs sur une plateforme d'achat basée aux États-Unis vendant des gadgets bas de gamme provenant de Chine, que la matraque avait été livrée en Suisse sans être interceptée par la douane suisse et qu'au moment de la commande comme de la réception du colis, aucune information ne mentionnait que l'article pouvait être soumis à autorisation dans certaines juridictions. Le recourant explique encore ne pas être familier avec la législation suisse en matière d'armes, n'étant ni professionnellement ni personnellement actif dans ce domaine. Son erreur sur l'illicéité serait ainsi excusable et partant inévitable.  
 
1.4. La motivation ayant amené les juges cantonaux à retenir que l'erreur sur l'illicéité du recourant était évitable est convaincante, contrairement aux arguments de celui-ci. Dès lors que celui-ci a acheté une matraque télescopique en vue de l'utiliser pour répondre à une potentielle agression, il avait parfaitement conscience qu'il s'agissait d'une arme et il comptait en faire usage comme telle. Dans ces conditions, il aurait dû - comme toute personne consciencieuse placée dans cette situation - se douter que l'acquisition et la possession d'une telle arme étaient réglementées et se renseigner avant de se la procurer. On rappellera que lorsque le doute est permis quant à la légalité d'un comportement, l'auteur doit, en principe, s'informer de manière plus précise auprès de l'autorité compétente (ATF 129 IV 6 consid. 4.1). On ajoutera qu'il n'est pas commun de détenir une matraque télescopique sur soi ou dans son véhicule à des fins non professionnelles et qu'il est de notoriété publique, même pour les personnes non initiées à la législation en la matière, que la possession d'armes est réglementée, notamment en Suisse. Par ailleurs, en commandant la matraque sur un site internet étranger non spécialisé, le recourant ne pouvait pas s'attendre à ce que son attention soit attirée sur la réglementation suisse topique. La cour cantonale n'a donc pas violé l'art. 21 CP en considérant que l'erreur sur l'illicéité était évitable.  
 
2.  
Le recourant, invoquant les art. 33 al. 2 LArm et 12 CP, reproche ensuite aux premiers juges de ne pas avoir retenu qu'il avait agi par négligence. 
 
2.1. L'art. 12 CP prévoit que sauf disposition expresse et contraire de la loi, est seul punissable l'auteur d'un crime ou d'un délit qui agit intentionnellement (al. 1); agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté (al. 2, première phrase); l'auteur agit déjà intentionnellement lorsqu'il tient pour possible la réalisation de l'infraction et l'accepte au cas où celle-ci se produirait (al. 2, seconde phrase); agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte (al. 3, première phrase); l'imprévoyance est coupable quand l'auteur n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle (al. 3, seconde phrase).  
Déterminer ce qu'une personne a su, voulu, envisagé ou accepté relève du contenu de la pensée, à savoir de faits "internes" qui, en tant que faits, lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'ils aient été retenus de manière arbitraire, ce qu'il incombe au recourant d'invoquer et de démontrer par une argumentation précise (ATF 141 IV 369 consid. 6.3; 142 IV 137 consid. 12). 
 
2.2. Le tribunal cantonal a retenu que le recourant ne pouvait pas être suivi lorsqu'il déclarait ne pas avoir su qu'une matraque télescopique était une arme, soit un objet conçu pour blesser, dès lors qu'il avait lui-même indiqué l'avoir achetée pour se défendre d'une potentielle agression par un tiers. Le recourant avait possédé avec conscience et volonté une arme dans sa voiture, dans le but de pouvoir en faire un éventuel usage défensif et sans avoir eu de perception erronée de la réalité. L'infraction était ainsi réalisée intentionnellement.  
 
2.3. Le recourant soutient qu'il ignorait qu'une matraque télescopique était une arme au sens de la LArm et que son acquisition et sa possession étaient soumises à autorisation. Il aurait ainsi agi par négligence inconsciente ou à tout le moins par négligence consciente. Sa négligence serait par ailleurs de peu de gravité, de sorte qu'il devrait être exempté de toute peine au sens de l'art. 33 al. 2, seconde phrase, LArm (cf. consid. 1.1.1 supra).  
 
2.4. Comme retenu en fait par la juridiction cantonale, sans que le recourant démontre un établissement arbitraire des faits à cet égard, celui-ci s'est procuré avec conscience et volonté une matraque télescopique, qu'il a délibérément placée dans sa voiture dans le but d'en faire usage en cas de nécessité. L'infraction est donc intentionnelle (cf. arrêt 6P.57/2005 du 16 octobre 2006 consid. 5). L'ignorance de l'illicéité de son acte, dont se prévaut le recourant, a déjà été prise en compte pour retenir une erreur sur l'illicéité au sens de l'art. 21 CP et ne constitue pas un motif permettant de retenir une négligence en l'espèce. Le grief du recourant est infondé.  
 
3.  
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. Le recourant supportera les frais de la cause. Cet arrêt rend la requête d'effet suspensif sans objet. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 4 avril 2022 
 
Au nom de la Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jacquemoud-Rossari 
 
Le Greffier : Ourny