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[AZA 0/2] 
5P.472/2000 
 
IIe COUR CIVILE 
****************************** 
 
15 mars 2001 
 
Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Bianchi et 
Mme Nordmann, juges. Greffière: Mme Mairot. 
 
__________ 
 
Statuant sur le recours de droit public 
formé par 
X.________, représenté par Me Enrico Monfrini, avocat à Genève, 
 
contre 
l'ordonnance rendue le 30 octobre 2000 par le Tribunal de première instance de Genève dans la cause qui oppose le recourant à Y.________, représenté par sa curatrice Me Olivia Morex-Davaud, avocate auprès du Service du Tuteur général, à Genève; 
 
(art. 9 et 29 Cst. ; procédure civile genevoise, 
expertise en paternité) 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent 
les faits suivants: 
 
A.- Dans le cadre de son action contre X.________, Y.________ a sollicité l'autorisation de rapporter la preuve directe, par le biais d'une analyse d'ADN, que celui-ci était son père. 
 
Le 24 mars 2000, le Tribunal de première instance de Genève a rejeté la requête. 
 
A la suite de la réouverture des enquêtes sur fait nouveau, des témoins ont été entendus, de même queX. ________. Lors de sa comparution personnelle, celui-ci a déclaré qu'il était certain de ne pas être le père deY. ________ et s'est opposé à toute expertise, pour le motif qu'il s'agissait d'une démarche humiliante pour lui. 
 
B.- Le 30 octobre 2000, le Tribunal de première instance de Genève a rendu une nouvelle ordonnance prescrivant l'analyse des sangs de Y.________, de sa mère et deX. ________; ce dernier a été enjoint de prêter son concours à ladite expertise sous la menace des peines de l'art. 292 CP (chiffre 3 de l'ordonnance précitée). 
 
C.- Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral, X.________ conclut à l'annulation de l'ordonnance du 30 octobre 2000 et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
 
L'intimé propose le rejet du recours et de la requête d'effet suspensif présentée par le recourant. Il sollicite en outre le bénéfice de l'assistance judiciaire. 
L'autorité cantonale s'en est rapportée à justice. 
 
D.- Par ordonnance du 19 décembre 2000, le président de la cour de céans a accordé l'effet suspensif au recours. 
 
Considérant en droit : 
 
1.- a) Le recours de droit public n'est en principe recevable qu'à l'encontre des décisions prises en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ). La décision attaquée, relative à l'admission de la preuve de la paternité du recourant par expertise, est une ordonnance préparatoire au sens de l'art. 295 LPC/GE (Bertossa/Gaillard/Guyet, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, n. 9 et 10 ad art. 291). Une telle décision ne peut pas faire l'objet d'un appel immédiat, à moins qu'elle n'admette une espèce de preuve ou d'instruction dans un cas où la loi l'a interdite (art. 295 al. 2 LPC/GE). En l'occurrence, le recourant ne prétend pas que cette hypothèse soit réalisée. L'ordonnance incriminée constitue par conséquent une décision prise en dernière instance cantonale. 
 
 
b) Selon l'art. 87 al. 2 OJ, le recours de droit public est recevable contre les décisions préjudicielles et incidentes - autres que celles sur la compétence et sur les demandes de récusation - prises séparément s'il peut en résulter un préjudice irréparable. La décision attaquée, qui a trait à l'administration des preuves dans le cadre d'un procès civil, est manifestement incidente (sur cette dernière notion, cf. ATF 124 I 255 consid. 1b p. 259; 123 I 325 consid. 3b et les références). Il reste à examiner si elle cause au recourant un dommage irréparable au sens de la disposition précitée, par quoi on entend exclusivement le dommage juridique qui ne peut pas être réparé ultérieurement, notamment par le jugement final (ATF 122 I 39 consid. 1a/bb p. 42; 117 Ia 247 consid. 3 p. 249, 396 consid. 1 p. 398; 115 Ia 311 consid. 2c p. 314). 
 
 
 
Les décisions relatives à l'administration des preuves ne sont, en principe, pas de nature à causer aux intéressés un dommage irréparable, tel qu'il vient d'être défini (ATF 99 Ia 437 consid. 1 p. 438 et les arrêts cités). La règle comporte toutefois des exceptions. Il en va ainsi, notamment, lorsque l'existence d'un moyen de preuve est mise en péril ou quand la sauvegarde de secrets est en jeu (Ludwig, Endentscheid, Zwischenentscheid und Letztinstanzlichkeit im staatsrechtlichen Beschwerdeverfahren, in RJB 110/1974 p. 161 ss, 183 in fine et les références; Kälin, Das Verfahren der staatsrechtlichen Beschwerde, 2e éd., p. 343 n. 135). Sont ainsi susceptibles de léser irrémédiablement les intérêts juridiques de la partie concernée, par exemple, le report de l'audition d'un témoin capital très âgé ou gravement malade, de même que la divulgation forcée de secrets d'affaires, en tant qu'ils impliquent, respectivement, le risque de perte d'un moyen de preuve décisif ou une atteinte définitive à la sphère privée de ladite partie. 
 
aa) Le recourant reproche au Tribunal de première instance d'avoir violé son droit d'être entendu en ne lui permettant pas de faire valoir ses objections quant à l'admissibilité de ce mode de preuve, au regard notamment de sa liberté personnelle et du respect de sa vie privée. 
 
On peut se demander si, sous cet angle, la décision attaquée est propre à entraîner un dommage irréparable pour l'intéressé. En effet, il n'est en principe pas contraire à la liberté personnelle de soumettre une personne à une prise de sang et à une analyse d'ADN dans le cadre d'un procès en paternité (ATF 112 Ia 249 consid. 3); on ne voit en outre pas en quoi cette mesure porterait atteinte à la sphère privée du recourant. De toute manière, le grief apparaît infondé, voire abusif. Selon l'ordonnance attaquée, X.________ a eu l'occasion, dans ses dernières écritures, de répéter son opposition à toute expertise et il a conclu au déboutement des conclusions prises en ce sens par Y.________. Le recourant ne le conteste pas, pas plus qu'il ne nie avoir été entendu personnellement sur ce point. Il ne saurait dès lors, de bonne foi, prétendre que l'expertise a été ordonnée sans que l'occasion lui ait été fournie de se déterminer à son propos. 
 
bb) Le recourant se plaint en outre d'arbitraire dans l'application du droit cantonal de procédure. Toutefois, il ne précise pas clairement, ni a fortiori ne démontre, quelle disposition aurait été à cet égard violée de manière insoutenable par l'autorité cantonale. Ce moyen est dès lors insuffisamment motivé et doit être déclaré irrecevable (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités), sans qu'il soit nécessaire d'examiner si la condition du dommage irréparable est réalisée. 
 
 
cc) Le risque pour le recourant d'encourir une condamnation pénale pour insoumission selon l'art. 292 CP s'il ne donne pas suite en temps utile à l'ordre qui lui est imparti dans la décision attaquée constitue un préjudice de nature juridique (arrêt du Tribunal fédéral du 26 octobre 1998, consid. 1b/bb/bbb, reproduit in SJ 1999 p. 186 ss, 189). Savoir si le juge pénal est lié par la décision contenant la commination de l'art. 292 CP est controversée et n'a pas été tranchée définitivement par le Tribunal fédéral (ATF 121 IV 29 consid. 2a p. 31; cf. aussi ATF 124 IV 297 consid. 4a p. 307). Il n'est dès lors pas certain que le préjudice en question puisse être éliminé dans la suite de la procédure. Cela suffit pour admettre la condition du dommage irréparable (cf. 
arrêt du Tribunal fédéral du 26 octobre 1999, consid. 2a/bb, reproduit in Rep. 1999, p. 70 ss, 71/72). Il y a lieu, partant, d'entrer en matière sur le recours dans la mesure où il s'en prend à la menace signifiée à son auteur. 
 
c) Le chef de conclusions tendant au renvoi de la cause est superfétatoire (cf. ATF 112 Ia 353 consid. 3c/bb p. 354). 
 
 
2.- De l'avis du recourant, l'autorité cantonale serait tombée dans l'arbitraire, en assortissant l'ordonnance d'expertise précitée de la menace des sanctions prévues par l'art. 292 CP au lieu de celles mentionnées à l'art. 40 let. d LPC/GE. 
a) Aux termes de l'art. 254 al. 2 CC, les parties et les tiers sont tenus de prêter leur concours aux expertises nécessaires pour élucider la filiation et qui peuvent leur être imposées sans danger pour leur santé. Les sanctions applicables sont en principe déterminées par le droit cantonal de procédure. Du point de vue du droit fédéral, le juge peut menacer le récalcitrant d'une amende d'ordre selon le droit cantonal ou d'une peine pour insoumission conformément à l'art. 292 CP; en revanche, des mesures faisant intervenir la force physique ne sont pas admises (Stettler, Traité de droit privé suisse, vol. III, II, 1, p. 76; Schwenzer, Commentaire bâlois, n. 20 ad art. 254 CC; Hegnauer, Commentaire bernois, n. 92 ad art. 254 CC). 
 
 
 
b) Selon la jurisprudence et la doctrine, l'art. 292 CP ne revet toutefois qu'un caractère subsidiaire par rapport aux dispositions spéciales du droit fédéral ou cantonal réprimant l'insoumission comme telle, quelles que soient la nature et la sévérité des sanctions prévues par ces dispositions spéciales (ATF 124 IV 64 consid. 4a p. 69/70; 121 IV 29 consid. 2b/aa p. 32 et les références; arrêt du Tribunal fédéral du 26 octobre 1998 précité, consid. 3b et les citations: 
Corboz, Les principales infractions, n. 29 ad art. 292 CP; Favre/Pellet/Stoudmann, Code pénal annoté, rem. 1.2 ad art. 292; Rehberg, Strafrecht IV, Delikte gegen die Allgemeinheit, 2e éd., p. 305 ch. 1.3; Logoz, Commentaire du Code pénal suisse, Partie spéciale, vol. II, p. 678, n. 1 in fine ad art. 292; Loepfe, Ungehorsam gegen amtliche Verfügungen, thèse Zurich 1947, p. 100 ss; Eigenmann, Die Androhung von Ungehorsamsstrafen durch den Richter, thèse Zurich 1964, p. 40 ss; Stalder, Ungehorsam gegen amtliche Verfügungen [Art. 292 StGB], thèse Zurich 1990, p. 36; Frank/Sträuli/Messmer, Kommentar zum zürcherischen Zivilprozessordnung, n. 9 ad par. 
 
 
183 CPC/ZH). Or, en vertu de l'art. 40 let. d LPC/GE, est condamné à l'amende la partie qui, au mépris d'une décision exécutoire, enfreint les défenses qui lui sont faites ou ne satisfait pas aux injonctions qui lui sont adressées. La sanction, à caractère pénal, ne concerne pas seulement les obligations de faire ou de ne pas faire imposées par un jugement au fond, mais aussi les injonctions qui découlent d'une décision préparatoire, en particulier d'une ordonnance d'expertise, et elle peut être prononcée indépendamment des effets qu'un tel refus entraînera sur l'administration des preuves (Bertossa/Gaillard/Guyet, op. cit. , n. 1 et 5 ad art. 40). 
 
 
L'ordonnance attaquée est ainsi entachée d'arbitraire dans la mesure où elle est assortie de la menace des peines prévues à l'art. 292 CP
 
3.- En conclusion, le recours doit être admis en tant qu'il est recevable et le chiffre 3 de la décision attaquée doit être annulé. Vu le sort du recours, il convient de mettre à la charge de l'intimé les 2/3 des frais de justice et des dépens réduits (art. 156 al. 3 et 159 al. 3 OJ). Sa requête d'assistance judiciaire ne peut qu'être rejetée, car il n'établit absolument pas qu'il soit dans le besoin au sens de l'art. 152 OJ (ATF 125 IV 161 consid. 4a p. 164 et l'arrêt cité). 
Par ces motifs, 
 
le Tribunal fédéral : 
 
1. Admet le recours dans la mesure où il est recevable et annule le chiffre 3 de la décision attaquée. 
 
2. Rejette la requête d'assistance judiciaire de l'intimé. 
 
3. Met un émolument judiciaire de 1'500 fr. pour 2/3 à la charge de l'intimé et pour 1/3 à la charge du recourant. 
 
4. Met à la charge de l'intimé une indemnité de 1'000 fr. à payer au recourant à titre de dépens réduits. 
 
5. Communique le présent arrêt en copie aux parties et au Tribunal de première instance de Genève. 
 
__________ 
Lausanne, le 15 mars 2001 MDO/frs 
Au nom de la IIe Cour civile 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE : 
Le Président, La Greffière,