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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
                 
 
 
5A_176/2020  
 
 
Arrêt du 8 juillet 2020  
 
IIe Cour de droit civil  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux Escher, Juge présidant, Schöbi et Bovey. 
Greffière : Mme Achtari. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Maître Daniel Tunik et Maître Adrien Vion, avocats, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________ SA, représentée par l'Office des faillites, 
intimée. 
 
Objet 
liquidation de la faillite, compensation, 
 
recours contre la décision de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre de surveillance des 
Offices des poursuites et faillites, du 20 février 2020 (A/2728/2019-CS DCSO/43/20). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Par jugement du 3 juin 2015, le Tribunal de première instance du canton de Genève a ordonné la dissolution et la liquidation selon les règles de la faillite de la société C.________ SA, en application de l'art. 731b CO. La liquidation se déroule en la forme sommaire (art. 230 LP), l'Office cantonal des faillites (ci-après: office) assumant les fonctions d'administration de la faillite.  
 
A.b. Antérieurement à sa dissolution, C.________ SA entretenait avec A.________ SA (ci-après: Banque) une relation bancaire comportant notamment la tenue d'un compte n° xxx/ID.  
Le 30 septembre 2013, la Banque s'est portée caution solidaire de C.________ SA à hauteur de 97'963 fr. aux fins de garantir les dettes de cette dernière vis-à-vis de la société luxembourgeoise D.________ SA, bailleresse des locaux que C.________ SA avait loués à U.________. En qualité de caution solidaire, la Banque s'engageait à payer à D.________ SA, à première réquisition et à concurrence du montant garanti, toute somme qui pourrait lui être due par C.________ SA. La validité du cautionnement devait s'étendre à " toute la durée du bail en question, ainsi qu'à ses prolongations éventuelles ". 
 
B.  
 
B.a. Par courrier daté du 12 octobre 2015, la Banque a informé l'office qu'un solde de 161'278 fr. 26 était disponible sur le compte n° xxx/ID. Simultanément, la Banque a indiqué " revendiquer " un montant de 97'963 fr. sur la base, d'une part, de l'acte de cautionnement du 30 septembre 2013 et, d'autre part, d'un acte de nantissement souscrit en sa faveur par la faillie le 29 août 2005. " Subsidiairement et au vu de ce qui précède ", la Banque a également déclaré dans le même courrier faire valoir " son droit de compensation ".  
 
B.b. Le 4 avril 2016, la Banque a produit dans la faillite une créance de 97'963 fr. au titre de l'acte de cautionnement du 30 septembre 2013. Cette créance a été intégralement admise à l'état de collocation comme créance de troisième classe soumise à une condition suspensive; l'état de collocation précisait ainsi que le dividende afférent à cette créance ne serait distribué qu'une fois la condition suspensive réalisée (art. 210 et 264 al. 3 LP). Déposé une première fois le 13 décembre 2016, l'état de collocation n'a fait l'objet concernant cette créance, d'aucune plainte ou action en contestation au sens de l'art. 250 LP. Il a par la suite été à nouveau déposé, mais sans modification relative à la créance concernée.  
 
B.c. Par courrier daté du 12 octobre 2017, la Banque a indiqué à l'office que D.________ SA n'avait toujours pas invoqué l'acte de cautionnement. Elle a ajouté maintenir sa production dans la faillite et conserver en ses mains le montant de 97'963 fr. " sur la base de l'acte de nantissement signé le 29 août 2005".  
 
B.d. Par lettre datée du 5 juillet 2019, l'office a informé la Banque que, selon son analyse de la situation, elle ne pouvait faire valoir la compensation entre sa dette - soit le solde du compte de la faillie - et sa créance résultant de l'acte de cautionnement. Elle était dès lors invitée à s'acquitter en mains de l'office du solde positif du compte de la faillie ouvert en ses livres.  
 
B.e. Par acte déposé le 19 juillet 2019 auprès de la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: chambre de surveillance), la Banque a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre la décision de l'office du 5 juillet 2019, concluant à son annulation et à ce qu'il soit constaté qu'elle avait valablement compensé sa créance de 97'963 fr. avec les créances de la faillie à son encontre.  
 
Dans ses observations datées du 23 août 2019, l'office a conclu au rejet de la plainte. 
A la date à laquelle la cause a été gardée à juger devant l'autorité cantonale, le 11 octobre 2019, D.________ SA n'avait ni fait appel à la caution ni produit une quelconque créance dans la faillite de C.________ SA en liquidation. 
 
B.f. Par décision du 20 février 2020, la Chambre de surveillance a rejeté la plainte.  
 
C.   
Par acte posté le 2 mars 2020, la Banque exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre la décision du 20 février 2020. Elle conclut à son annulation et à sa réforme en ce sens qu'il est constaté qu'elle a valablement compensé sa créance de 97'963 fr. avec les créances de C.________ SA en liquidation à son égard. En substance, elle se plaint de la violation de l'art. 213 LP
Invitées à se déterminer, l'autorité de surveillance s'est référée aux considérants de sa décision alors que l'intimée a conclu au rejet du recours par acte du 27 mai 2020. Dans sa réplique du 8 juin 2020, la recourante a persisté dans ses conclusions. L'intimée en a fait de même dans sa duplique du 22 juin 2020. 
 
D.   
Par ordonnance présidentielle du 7 avril 2020, la requête d'effet suspensif assortissant le recours a été admise. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.   
Le recours a été déposé à temps (art. 100 al. 2 let. a LTF) contre une décision rendue en matière de poursuite pour dettes (art. 72 al. 2 let. a LTF) par une autorité de surveillance ayant statué en dernière (unique) instance cantonale (art. 75 al. 1 LTF). Il est ouvert sans égard à la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. c LTF). La recourante a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF). 
 
2.  
 
2.1. Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit tel qu'il est délimité par les art. 95 s. LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Néanmoins, aux termes de l'art. 42 al. 2 LTF, la motivation d'un recours adressé au Tribunal fédéral doit indiquer succinctement en quoi la décision attaquée viole le droit. Lorsque la décision repose sur plusieurs motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires, et que chacune d'elles suffit à sceller le sort de la cause, la partie recourante doit démontrer que chacune de ces motivations est contraire au droit; à défaut, la motivation du recours n'est pas suffisante (ATF 143 III 364 consid. 2.4 i.f.; 138 I 97 consid. 4.1.4).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par la juridiction précédente (art. 105 al. 1 LTF).  
 
3.   
La chambre de surveillance a rejeté la plainte de la recourante sur la base de trois motivations indépendantes. 
Premièrement, elle a jugé, à l'instar de l'office, que la créance invoquée par la Banque en relation avec l'acte de cautionnement du 30 septembre 2013 était soumise à une condition suspensive au sens de l'art. 210 al. 1 LP. Or, dans la mesure où l'obligation virtuelle souscrite par la Banque au titre du cautionnement ne s'était pour l'instant pas concrétisée, et que l'on ignorait si elle se concrétiserait un jour, elle ne constituait qu'une expectative et ne pouvait dès lors être invoquée au titre de créance compensante. La faillite de la débitrice principale avait certes eu pour effet de rendre exigibles les créances à son encontre (art. 208 al. 1 LP) mais n'avait pas levé la condition, résultant des règles générales sur la compensation, de l'" invocabilité " en justice de la créance invoquée en compensation, avec pour conséquence qu'une créance soumise à une condition suspensive non encore réalisée, et dont on ignorait si elle se réaliserait un jour, ne pouvait être invoquée en compensation avec une créance de la faillie. Ce n'était que si la condition se réalisait au cours de la procédure de liquidation de la faillite que la créance compensante devenait invocable en justice et que la compensation devenait possible. Les nombreuses " jurisprudences " relatives à l'art. 213 al. 2 ch. 1 LP citées par la Banque ne lui étaient à cet égard d'aucun appui puisque cette disposition ne traitait pas des conditions de la compensation mais des limites temporelles auxquelles était soumis son exercice dans la faillite. La solution contraire, consistant à autoriser le titulaire d'une créance contre la faillie soumise à une condition suspensive de l'invoquer en compensation aurait pour effet de lui permettre d'en obtenir le paiement complet (ou à hauteur de sa propre dette) alors même que l'avènement de la condition, et donc la concrétisation de la créance, était incertaine. Elle irait en outre à l'encontre du système prévu par l'art. 210 LP pour les créances soumises à une condition suspensive. C'était donc à juste titre que, en l'état, l'office avait considéré que la plaignante n'avait pas éteint par compensation sa dette à l'égard de la faillie. 
Deuxièmement, la chambre de surveillance a jugé que la conclusion en constatation de compensation de la recourante était en tout état mal fondée. De son point de vue, une telle constatation aurait pour conséquence de faire disparaître un actif inventorié. Or, seule la seconde assemblée des créanciers (art. 253 al. 2 LP) ou, en cas de liquidation sommaire, les créanciers consultés par voie de circulaire, avaient la compétence de renoncer à des actifs inventoriés, et non l'office ou l'autorité de surveillance, lesquelles devaient faire preuve de retenue à cet égard. 
Troisièmement, la chambre de surveillance a jugé que les différentes déclarations et annonces de la recourante sur sa volonté de compenser étaient confuses, voire contradictoires. C'est ainsi que, notamment, tout en se prévalant dans son courrier du 12 octobre 2015 d'un droit de nantissement sur les avoirs déposés en ses mains, soit d'un droit de gage lui permettant d'être désintéressée de préférence sur le produit de réalisation des valeurs mises en gage, elle n'avait produit le 4 avril 2016 qu'une créance ordinaire et n'avait pas réagi lorsque ladite créance avait été colloquée en troisième classe, renonçant ainsi apparemment à se prévaloir d'un éventuel droit de gage. Elle s'était toutefois référée à ce droit de gage, comme si celui-ci lui avait été jusqu'alors reconnu, dans ses courriers du 12 octobre 2017 et 12 juillet 2019 adressés à l'office. Or, s'agissant de la compensation, la recourante l'avait certes invoquée dans son courrier à l'office du 12 octobre 2015 mais uniquement à titre subsidiaire par rapport au nantissement dont elle se prévalait alors. Elle avait ensuite produit dans la faillite pour l'intégralité de la créance invoquée en compensation alors que, à suivre son raisonnement, cette créance était éteinte par compensation. La chambre de surveillance a conclu que l'existence même d'une déclaration de compensation conforme à l'art. 124 al. 1 CO ne pouvait être admise sans réserve, à tout le moins jusqu'au dépôt de la plainte. 
 
4.   
En l'espèce, se plaignant de la violation de l'art. 213 LP, la recourante ne s'en prend qu'à la première des trois motivations alternatives de la décision attaquée, en reprochant à la chambre de surveillance de s'être écartée de la jurisprudence claire du Tribunal de céans selon laquelle la compensation d'une créance grevée d'une condition suspensive envers un débiteur failli est possible, même avant la survenance de l'événement futur et incertain, pour autant que la créance soit née antérieurement à la faillite. En revanche, elle ne s'en prend ni à la motivation selon laquelle sa conclusion en constatation de la compensation doit dans tous les cas être rejetée en tant qu'elle excède le pouvoir d'examen des autorités de poursuite, ni à celle selon laquelle elle n'a pas fait de déclaration de compensation conforme à l'art. 124 al. 1 CO. S'agissant de cette dernière motivation, la recourante, sans soulever de grief, se borne à affirmer, d'une part, qu'elle aurait valablement fait valoir la compensation par déclaration du 12 octobre 2015, alors que la chambre de surveillance a précisément retenu que cette déclaration était équivoque, et, d'autre part, que cette autorité aurait dans tous les cas admis que le dépôt de la plainte constitue une telle déclaration, alors qu'on comprend de la motivation de la décision attaquée qu'elle a au contraire jugé que, survenue à ce stade, cette déclaration n'était pas pertinente. 
Il suit de là que, ne répondant pas aux exigences de motivation de l'art. 42 al. 2 LTF, le recours doit être déclaré irrecevable (cf.  supra consid. 2.1).  
 
5.   
A titre subsidiaire, il sied de relever que, même à supposer que le recours eût été recevable, celui-ci aurait dû être rejeté sur la question de la compensation des créances dans la faillite en lien avec laquelle la recourante se plaint de la violation de l'art. 213 LP. La motivation de l'autorité de surveillance et surtout l'argumentation de l'office, qui résume de manière correcte la jurisprudence fédérale, peuvent être intégralement reprises. 
En effet, la recourante fait une lecture erronée de la doctrine et des arrêts qu'elle cite, dont l'un d'eux ne traite au demeurant pas de la question de la réalisation de la condition à laquelle serait soumise une créance compensante (ATF 107 III 139). Elle estime que, pour que le créancier ait le droit de compenser une créance soumise à condition contre celle que le failli a contre lui, il suffirait que cette créance soit née avant l'ouverture de la faillite; peu importerait en revanche que la condition ne se soit pas réalisée au moment où il exerce la compensation. Or, la jurisprudence fédérale ne va nullement dans ce sens. Elle admet la compensation de créances réciproques dans la faillite si elles sont nées l'une et l'autre avant l'ouverture de la faillite mais, lorsque l'une de ces créances est soumise à condition, consent alors à ce que cette condition ne s'accomplisse qu'après l'ouverture de la faillite. En d'autres termes, l'art. 213 al. 2 LP n'exclut la compensation qu'avec des obligations qui ont leur cause juridique dans des faits postérieurs au prononcé de la faillite. Il importe peu qu'à cette date, l'obligation ait été affectée d'une condition. Toutefois, il faut que celle-ci se réalise tant que la compensation est possible dans cette procédure (ATF 107 III 25 consid. 3c; 106 III 114 consid. 3; 105 III 4 consid. 4b; 95 III 47 consid. 5; arrêt du 27 juin 1918 en la cause Konkursmasse J. Jost-Rüedi c. Stiffler, considérant non publié aux ATF 44 II 279, mais  in JdT 1919 I p. 113 [115] et  in Pra 1918 n° 110 p. 258 [259]; 21 p. 872 consid. 3; cf. aussi GILLIÉRON, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, Articles 159-270, 2001, n° 18 ad art. 213 LP).  
Les auteurs qui opèrent une distinction entre les arrêts précités, en soutenant que le Tribunal fédéral aurait, aux ATF 21 p. 872 et 95 III 47, admis la compensation avec une créance conditionnelle même si la condition ne se réalise pas avant la clôture de la faillite, ne peuvent pas être suivis dans cette lecture (cf. SOGO, Zahlungsunfähigkeit im Vertragsverhältnis, 2015, p. 187 ss et les références). Ils ne tiennent au demeurant pas suffisamment compte dans leur analyse des ATF 107 III 25 et 106 III 114, plus récents. A l'ATF 21 fondateur, repris par la suite constamment dans la jurisprudence, le Tribunal fédéral a précisément admis la compensation de la créance " quand bien même la condition ne s'accomplirait qu'après l'ouverture de la faillite " (p. 875), " la compensation [ne pouvant être exclue] par ce seul motif que la condition ne s'est accomplie qu'après l'ouverture de la faillite " (p. 879). A l'ATF 95, le Tribunal fédéral n'a en rien modifié ce principe, affirmant même que, au contraire, le créancier ne pouvait pas s'en prévaloir, étant donné que, en l'espèce, il ne bénéficiait, au moment de l'ouverture de la faillite, même pas d'une quelconque créance conditionnelle, mais d'une simple expectative de l'acquisition d'une créance hypothécaire contre le débiteur (consid. 5). 
En l'espèce, la recourante reconnaît elle-même que la condition à laquelle sa créance est soumise n'est pas réalisée. Il suit de là que son grief n'aurait pu être que rejeté. 
 
6.   
En définitive, le recours doit être déclaré irrecevable, aux frais de son auteur qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'accorder de dépens à la masse en faillite, représentée par l'office (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.   
Le recours est irrecevable. 
 
2.   
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.   
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites. 
 
 
Lausanne, le 8 juillet 2020 
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
La Juge présida nt :       La Greffière : 
 
Escher       Achtari