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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
6S.5/2007 /rod 
 
Arrêt du 14 mars 2007 
Cour de cassation pénale 
 
Composition 
MM. les Juges Schneider, Président, 
Ferrari et Favre. 
Greffière: Mme Kistler. 
 
Parties 
Ministère public du canton de Vaud, 1014 Lausanne, 
recourant, 
 
contre 
 
X.________, 
intimée. 
 
Objet 
Ordonnance de refus de suivre (diffamation), 
 
pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 26 octobre 2006. 
 
Faits : 
A. 
Le 31 juillet 2006, X.________ a envoyé un sms à l'épouse de Y.________, lui disant qu'elle avait entretenu une relation sexuelle avec son mari pendant qu'elle était en vacances. Contestant les propos tenus, Y.________ a déposé une plainte pénale contre X.________. 
 
Par ordonnance du 25 août 2006, le juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne a refusé de suivre à la plainte déposée par Y.________. 
B. 
Statuant le 26 octobre 2006 sur le recours du Ministère public vaudois, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois a confirmé l'ordonnance de refus de suivre. 
 
En substance, cette autorité a considéré que l'accusation d'avoir une relation extra-conjugale n'est plus de nos jours de nature à nuire à l'honneur de la personne visée. 
C. 
Contre cette ordonnance, le Ministère public vaudois dépose un pourvoi en nullité devant le Tribunal fédéral, concluant à l'annulation de l'arrêt attaqué. 
 
Invitée à se déterminer, X.________ n'a pas répondu. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
L'arrêt attaqué a été rendu avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007, de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110). Or, conformément à l'art. 132 al. 1 LTF, cette loi ne s'applique aux procédures de recours que si l'acte attaqué a été rendu après son entrée en vigueur. C'est donc sur la base de l'ancien droit de procédure, en l'espèce les art. 268 ss PPF concernant le pourvoi en nullité, que doit être tranchée la présente cause. 
 
En outre, le 1er janvier 2007 sont également entrées en vigueur les nouvelles dispositions de la partie générale du code pénal. Toutefois, celles-ci ne sont pas non plus applicables puisque le Tribunal fédéral saisi d'un pourvoi en nullité examine uniquement la question de savoir si l'autorité cantonale a correctement appliqué le droit fédéral (art. 269 al. 1 PPF), soit celui qui était en vigueur au moment où elle a statué (ATF 129 IV 49 consid. 5.3 p. 51 s. et les arrêts cités). 
2. 
Indépendamment de sa dénomination selon le droit cantonal, la décision attaquée, qui a été rendue par une autorité d'accusation et qui, en refusant de suivre à la plainte, met un terme à l'action pénale sur le chef d'accusation dénoncé, constitue une décision de non-lieu au sens de l'art. 268 ch. 2 PPF (ATF 123 IV 252 consid. 1 p. 253; 122 IV 45 consid. 1c p. 46). Elle peut donc faire l'objet d'un pourvoi en nullité, que le Ministère public cantonal est habilité à former (art. 270 let. c PPF). 
3. 
3.1 Pour la cour cantonale, on ne saurait considérer qu'une personne apparaît méprisable du seul fait qu'elle a une relation hors mariage, depuis l'abrogation de l'art. 214 CP qui réprimait l'adultère. Le recourant critique cette manière de voir. A ses yeux, l'accusation d'entretenir une relation extra-conjugale reste attentatoire à l'honneur, indépendamment de l'évolution des moeurs et du fait que l'adultère ne constitue plus une infraction pénale. 
3.2 L'honneur protégé par le droit pénal est le droit de chacun de ne pas être considéré comme une personne méprisable (ATF 117 IV 27 consid. 2c p. 28/29). Selon la jurisprudence, les art. 173 ss CP ne protègent que l'honneur personnel, la réputation et le sentiment d'être un homme honorable, de se comporter, en d'autres termes, comme un homme digne a coutume de le faire selon les idées généralement reçues; échappent à ces dispositions les déclarations qui sont propres seulement à ternir de quelque autre manière la réputation dont jouit quelqu'un dans son entourage ou à ébranler sa confiance en lui-même: ainsi en va-t-il des critiques qui visent comme tel l'homme de métier, l'artiste ou le politicien (ATF 119 IV 44 consid. 2a p. 47; 117 IV 27 consid. 2c p. 28/29; 116 IV 205 consid. 2 p. 206/207). L'honneur protégé par le droit pénal doit être conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'homme (ATF 117 IV 27 consid. 2c p. 29). 
 
Pour déterminer si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il ne faut pas se fonder sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon le sens qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances données, lui attribuer (ATF 119 IV 44 consid. 2a p. 47; 117 IV 27 consid. 2c p. 29/30 et les arrêts cités). Celui qui accuse une personne d'avoir commis un crime ou un délit intentionnel se rend en principe coupable d'une atteinte à l'honneur (ATF 118 IV 248 consid. 2b p. 250 s.). Il n'est toutefois pas nécessaire que le comportement soit réprimé par la loi pénale, il suffit qu'il soit moralement réprouvé (ATF 117 IV 27 consid. 2d p. 30). 
3.3 Dans un arrêt datant de 1972, le Tribunal fédéral a retenu que le fait d'accuser quelqu'un d'adultère portait atteinte à son honneur. Pour les juges fédéraux de l'époque, des relations intimes entre partenaires dont l'un était marié restaient contraires aux bonnes moeurs malgré l'évolution des conceptions. Les juges motivaient leur point de vue par le fait que, sous certaines conditions, le code pénal punissait l'adultère d'emprisonnement (ATF 98 IV 86 consid. 2 p. 88). Par la loi fédérale du 23 juin 1989, entrée en vigueur le 1er janvier 1990, le législateur a cependant abrogé l'art. 214 CP, qui réprimait l'adultère, de sorte que la motivation exposée dans l'arrêt précité n'est plus pertinente aujourd'hui (RO 1989, 2449; FF 1985 II 1021). Dans un arrêt plus récent, du 6 décembre 2000 (6S. 752/2000, consid. 3), le Tribunal fédéral mentionnait, sans autre développement, à propos de l'application de l'art. 181 CP, que, bien que l'adultère ne fût plus réprimé pénalement, "il n'en rest[ait] pas moins qu'accuser une personne d'adultère p[ouvait], suivant les circonstances, attenter à son honneur en jetant sur elle le soupçon d'avoir eu un comportement méprisable". 
 
Dans des ouvrages de doctrine publiés après l'abrogation de l'art. 214 CP, les auteurs citent encore l'adultère comme cas d'atteinte à l'honneur. Ainsi, tout en précisant que la punissabilité du comportement évoqué n'est pas une condition de l'atteinte à l'honneur, Riklin considère qu'il est attentatoire à l'honneur de reprocher à quelqu'un d'avoir un comportement socialement mal vu en matière sexuelle, tel que l'adultère et la prostitution. Il mentionne comme autres cas d'atteintes à l'honneur le fait d'évoquer qu'une personne a une maladie sexuelle ou qu'elle a menti (Riklin, Basler Kommentar, Strafgesetzbuch II, 2003, rem. prélim. art. 173, n. 18). Stratenwerth/Jenny et Corboz citent également comme exemple d'atteinte à l'honneur le fait d'alléguer un adultère, le dernier auteur précisant que l'abrogation de l'art. 214 CP, qui réprimait l'adultère, devrait conduire à un réexamen de la motivation de la jurisprudence fédérale (ATF 98 IV 86; Stratenwerth/Jenny, Schweizerisches Strafrecht, Besonderer Teil I: Straftaten gegen Individualinteressen, 6e éd., Berne 2003, § 11, n. 20; Corboz, Les infractions en droit suisse, vol. I, Berne 2002, art. 173, n. 16). Enfin, dans la jurisprudence cantonale, on trouve un arrêt neuchâtelois, qui déclare qu'il est douteux que l'accusation de concubinage dans le cadre d'un litige matrimonial soit attentatoire à l'honneur de façon générale (RJN 2001, p. 162); dans ce cas, les époux étaient cependant déjà séparés de fait. 
3.4 Si l'adultère a cessé d'être punissable, cela ne signifie pas pour autant qu'il ne soit pas moralement réprouvé. La liberté sexuelle est certes entrée dans les moeurs. Il est vrai que la personne qui commet un adultère n'est aujourd'hui plus couverte d'opprobre. Le code civil exige cependant toujours, à l'art. 159 al. 3 CC, la fidélité des époux et conçoit ainsi la relation conjugale comme exclusive, pour chaque époux, de rapports semblables ou analogues avec un autre partenaire (Deschenaux/Steinauer/Baddeley, Les effets du mariage, Berne 2000, § 1, n. 55, p. 66). L'adultère - s'il n'est plus une cause de divorce -, reste ainsi un acte illicite. Le conjoint qui entretient des relations intimes avec un tiers manque à ses engagements et trahit la confiance mise en lui par son partenaire. Il est bien souvent considéré encore aujourd'hui, dans la société, comme une personne déloyale, qui a manqué à sa parole, et sa réputation, sans être ruinée, sera néanmoins fortement compromise. Contrairement à l'avis de la cour cantonale, il faut donc admettre que le message envoyé par l'intimée est propre à déprécier le caractère du plaignant et à nuire à sa réputation, de sorte qu'il tombe sous le coup des art. 173 ss CP
4. 
Au vu de ce qui précède, le pourvoi doit être admis, l'arrêt attaqué doit être annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. 
 
Il n'y a pas lieu de mettre des frais de justice à la charge de l'intimée qui n'a pas procédé ni d'allouer d'indemnité à l'accusateur public qui obtient gain de cause (art. 278 al. 3 PPF). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le pourvoi est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision. 
2. 
Il n'est pas perçu de frais ni alloué de dépens. 
3. 
Le présent arrêt est communiqué en copie au Ministère public du canton de Vaud, à l'intimée et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois. 
Lausanne, le 14 mars 2007 
Au nom de la Cour de cassation pénale 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: La greffière: