Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_672/2021  
 
 
Arrêt du 18 octobre 2022  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Chaix, Juge présidant, 
Müller et Weber, Juge suppléant. 
Greffière : Mme Sidi-Ali. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représenté par Me Yves Nicole, avocat, 
recourant, 
 
contre  
 
Municipalité d'Essertines-sur-Rolle, 
rue du Collège 3, 1186 Essertines-sur-Rolle, 
représentée par Me Luc Pittet, avocat. 
 
Objet 
Ordre d'éliminer des bâches biodégradables, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de droit administratif 
et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud, du 13 octobre 2021 (AC.2021.0120). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________ est propriétaire des parcelles nos 677 (6.5 ha) et 747 (21 ha) de la commune d'Essertines-sur-Rolle. Il s'agit de champs cultivés, en zone agricole. 
 
B.  
Le 8 mars 2021, la Municipalité d'Essertines-sur-Rolle lui a adressé une décision constatant une infraction à la loi du 5 septembre 2006 sur la gestion des déchets (LGD/VD; RS VD 814.11). Il lui est reproché en substance d'avoir étendu en 2020, sur les parcelles précitées, des bâches en plastique qu'il n'a pas enlevées durant l'hiver, d'avoir broyé l'une d'elles lors du labourage de la parcelle n° 677 début mars 2021 et d'avoir laissé celles sises sur la parcelle n° 747 s'effriter en morceaux. La décision somme ainsi A.________ de retirer dans un délai de 5 jours les bâches encore présentes sur la parcelle n° 747 pour les amener à la déchetterie, de ramasser les débris de plastique poussés par le vent sur les parcelles et lisières avoisinantes, et d'éliminer à l'avenir ces bâches - qui sont en fait des films de paillage à base d'acide polylactique (PLA) - dès la fin de la récolte. 
Saisie d'un recours de l'intéressé contre cette décision, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois a, par arrêt du 13 octobre 2021, confirmé le troisième point (éliminer à l'avenir ces bâches dès la fin de la récolte), jugeant pour le reste que les deux autres objets de la contestation ne présentaient plus d'intérêt actuel. A cette occasion, la Direction générale de l'environnement (DGE) et la Direction générale de l'agriculture, de la viticulture et des affaires vétérinaires (DGAV) du canton de Vaud ont été consultées. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral de prononcer que "la décision attaquée est annulée" et que "l'obligation imposée par la commune [...] d'éliminer à l'avenir les paillages 100 % biodégradables dès la fin de la récolte est supprimée". 
La cour cantonale renonce à se déterminer et se réfère aux considérants de son arrêt. La Municipalité d'Essertines-sur-Rolle se détermine et conclut au rejet du recours. Invité à se déterminer sur le recours, l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) a déposé des observations 
Le recourant et la commune se déterminent à nouveau et confirment leurs conclusions respectives dans de nouveaux échanges d'écritures. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans une cause relevant du droit de la protection de l'environnement (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Le recourant a pris part à la procédure devant l'instance cantonale; il est particulièrement atteint par l'arrêt attaqué et a un intérêt digne de protection à sa modification, celui-ci confirmant l'ordre d'éliminer des bâches qui lui a été donné. Il a ainsi qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF
Les autres conditions de recevabilité sont réunies si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le recours. 
 
2.  
Le recourant fait valoir que les bâches qu'il utilise sur ses champs ne seraient pas des déchets car elles sont entièrement biodégradables. Il n'y aurait en outre aucun intérêt public à considérer une matière compostable comme un déchet et à en ordonner l'élimination. Se fondant sur les art. 7 al. 6 LPE (RS 814.01) et 14 al. 1 de l'ordonnance du 4 décembre 2015 sur la limitation et l'élimination des déchets (Ordonnance sur les déchets, OLED; RS 814.600), le recourant fait valoir que l'ordre d'éliminer à l'avenir dès la fin de la récolte les bâches biodégradables qu'il utilise est infondé. Le droit cantonal ne permettrait pas non plus de justifier une telle décision. 
 
2.1. A teneur de l'art. 7 al. 6 LPE, par déchets, on entend les choses meubles dont le détenteur se défait ou dont l'élimination est commandée par l'intérêt public. L'élimination des déchets comprend leur valorisation ou leur stockage définitif ainsi que les étapes préalables que sont la collecte, le transport, le stockage provisoire et le traitement, soit toute modification physique, biologique ou chimique des déchets (art. 7 al. 6bis LPE). L'art. 30 al. 2 LPE prescrit que les déchets doivent être valorisés dans la mesure du possible. Les déchets doivent être éliminés d'une manière respectueuse de l'environnement et, pour autant que ce soit possible et approprié, sur le territoire national (art. 30 al. 3 LPE). Les déchets non urbains doivent être éliminés par le détenteur, qui peut charger un tiers d'assurer cette élimination (art. 31c al. 1 LPE).  
Selon l'art. 14 al. 1 OLED, les biodéchets doivent faire l'objet d'une valorisation matière ou d'une méthanisation, pour autant (a) qu'ils s'y prêtent compte tenu de leurs caractéristiques et en particulier de leur teneur en nutriments et en polluants, (b) qu'ils aient été collectés séparément, et (c) que leur valorisation ne soit pas interdite par d'autres dispositions du droit fédéral. Les biodéchets qui ne doivent pas être valorisés selon l'al. 1 doivent, dans la mesure de ce qui est possible et judicieux, faire l'objet d'une valorisation purement énergétique ou d'un traitement thermique dans des installations appropriées; il convient ce faisant d'exploiter leur potentiel énergétique (art. 14 al. 2 OLED). 
Le document d'aide à l'exécution relative à l'OLED publié par l'OFEV contient un module intitulé "Biodéchets" (OFEV, 2018) qui établit une liste dite positive des biodéchets et indique quelles sont les méthodes de valorisation appropriées pour chaque type de biodéchets. A teneur du chiffre 6 de cette liste (code OLED 6303), les produits à base d'acide lactique (PLA) peuvent être éliminés de façon appropriée par méthanisation thermophile, compostage centralisé, co-digestion dans une station d'épuration des eaux usées, mais non par méthanisation mésophile ni par compostage en bordure de champ. La liste précise que seuls les produits clairement marqués comme satisfaisant à la norme EN 13432 peuvent être pris en charge. 
La norme de l'Union européenne EN 17033:2018 a été reprise en Suisse et complétée par la norme suisse SN (Schweizer Norm), qui stipule que le matériau doit se dégrader à 90 % au moins en l'espace de 24 mois. L'annexe informative H.7 de la norme SN EN 17033:2018 prévoit que le film doit être entièrement labouré ou retiré immédiatement après la récolte. 
 
2.2. Dans ses déterminations, l'OFEV confirme le caractère biodégradable en principe du film couvrant utilisé par le recourant, pour autant que le film soit utilisé et traité de façon appropriée. L'office précise que si le film est laissé sur le sol après la récolte, le rayonnement solaire et les intempéries nuisent à sa dégradabilité. Toujours selon l'office fédéral, l'utilisation appropriée consiste en substance à broyer le film immédiatement après récolte et de façon à ce que les morceaux soient complétement recouverts, puis à retirer immédiatement les morceaux restants ou le film qui n'aurait pas pu être broyé à temps (en raison, par exemple et comme en l'espèce, des intempéries ou conditions climatiques).  
Selon l'OFEV, la bâche non broyée n'est pas un déchet au sens de 7 al. 6 LPE tant que les étapes d'utilisation sont respectées. Elle le devient si elle est laissée en place au-delà d'un temps raisonnable ou si des résidus de broyage subsistent. Si tel est le cas, le film couvrant ou ses résidus doivent être éliminés conformément aux art. 30 al. 3 et 31c al. 1 LPE, c'est-à-dire d'une manière respectueuse de l'environnement et par le détenteur. 
L'OFEV conclut que la décision d'obliger le recourant à éliminer le film biodégradable n'est pas une mesure proportionnée et qu'en lieu et place, l'autorité aurait pu ordonner une utilisation correcte afin d'éviter que le film ne se dégrade de manière incomplète. 
La commune adhère à cette vue. Elle considère que, si elle n'a effectivement pas tenu compte de la bonne pratique consistant à enterrer les films de paillage, l'ordre contenu dans le dispositif de sa décision d'éliminer les bâches dès la fin de la récolte comprend la possibilité de procéder à leur élimination sur site moyennant respect de cette bonne pratique. Le recours devrait en d'autres termes être rejeté par substitution de motifs, le dispositif devant s'interpréter à la lumière de considérations fondées sur les observations de l'OFEV. 
Le recourant adhère lui aussi aux observations de l'OFEV. Au contraire de la commune, il juge la décision litigieuse incompatible avec celles-ci, puisqu'elles prescrivent selon lui d'enfouir les films biodégradables et non de les éliminer. 
 
2.3. On peut se demander à partir de quel moment les films biodégradables peuvent être qualifiés de déchets.  
Immédiatement après la récolte, cette question peut demeurer indécise. En effet, indépendamment de la qualification de déchet ou non, les parties et autorités s'accordent sur le fait que, moyennant respect de bonnes pratiques exposées par l'OFEV dans la présente procédure, une telle valorisation du film plastique par enfouissement dans le sol et broyage sur le site est adéquate. 
Se référant à la définition de l'art. 7 al. 6 LPE, le recourant conteste cette qualification quel qu'en le soit le stade d'utilisation, au motif qu'il n'entend pas se défaire de ses bâches et qu'il n'existe aucun intérêt public à en ordonner l'élimination vu leur caractère biodégradable. Or cette vue ne peut être suivie si l'enfouissement dans le sol et le broyage n'ont pas lieu rapidement. En effet, avec l'OFEV, il y a lieu de considérer qu'à tout le moins une fois que la dégradation a échoué faute de respect des règles d'utilisation du film couvrant, celui-ci est un déchet dont l'ordre public commande l'élimination au sens de l'art. 7 al. 6 LPE in fine (notion objective du déchet). Dans un tel cas, la dégradation ne s'opérant pas et les résidus, voire le film entier laissé en place, pouvant se disséminer, un risque d'atteinte à l'environnement devient concret. La liste positive des biodéchets éditée par l'OFEV, en tant qu'elle prévoit que les produits à base de PLA ne peuvent être éliminés par compostage en bordure de champ, confirme cette appréciation. L'office fédéral ajoute, dans le cadre de la présente procédure, que les bâches ne sont pas uniquement constituées de PLA, mais également d'autres polymères. Il est en tout état catégorique quant à la nécessité du matériau d'être correctement enfoui pour être dégradé. A l'air libre, la qualité de déchet des bâches pour une durée allant au-delà de leur utilisation primaire ne fait ainsi aucun doute.  
Les raisons avancées par le recourant pour justifier avoir procédé ainsi à l'automne 2020 ne permettent pas de déroger à cette obligation de valorisation immédiate. Si les conditions météorologiques devaient véritablement empêcher un labourage immédiatement après la récolte, le recourant devrait à ce moment-là retirer les films de paillage des champs. Il lui reviendrait alors de les éliminer conformément aux règles prévues par l'aide à l'exécution relative à l'OLED, soit autrement que par un procédé serait alors jugé assimilable au compostage en bordure de champ. 
Cela implique que la position de la commune doit être suivie en tant qu'elle ne tolère pas que le film couvrant soit laissé en place plusieurs mois sans être enfoui, respectivement broyé, comme cela a été le cas durant l'hiver 2020-2021. Aussi, imposer au recourant d'"éliminer à l'avenir ces bâches dès la fin de la récolte" est acceptable, l'élimination pouvant consister en un broyage - dans les règles de l'art - à des fins de décomposition sur site. En effet, conformément à l'art. 7 al. 6bis LPE, la valorisation du déchet (donc son broyage) fait partie intégrante du processus d'élimination. 
 
3.  
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté aux frais de son auteur, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF), et l'arrêt attaqué confirmé. La Commune d'Essertines-sur-Rolle, quand bien même elle a agi par l'intermédiaire d'un avocat, n'a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires du recourant et de la Municipalité d'Essertines-sur-Rolle, à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud, et à l'Office fédéral de l'environnement. 
 
 
Lausanne, le 18 octobre 2022 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Chaix 
 
La Greffière : Sidi-Ali