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Chapeau

148 III 109


15. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause A. Ltd. contre B. et C. (recours en matière civile)
5A_491/2021 du 2 février 2022

Regeste

Art. 960 al. 1 ch. 1 et al. 2 CC. Annotation de la restriction du droit d'aliéner opérée par un fiduciant; effet de l'annotation sur la procédure d'exécution forcée lorsque la qualité de propriétaire d'un bien immobilier est reconnue avant la réalisation.
Lorsqu'une annotation d'une restriction du droit d'aliéner selon l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC a été annotée au registre foncier antérieurement à une mainmise opérée dans le cadre d'une procédure d'exécution forcée, son bénéficiaire peut exiger de l'administration de la faillite - ou in casu des créanciers saisissants - l'exécution de sa prétention (rappel de jurisprudence). Le droit ainsi inscrit devient opposable à la masse en faillite, respectivement aux créanciers saisissants, de sorte que si ce droit concerne la propriété de l'immeuble, celui-ci n'est plus soumis à la faillite, ou à la saisie respectivement au séquestre (consid. 5).

Faits à partir de page 110

BGE 148 III 109 S. 110

A.

A.a Le 19 juillet 1996, C. a acquis une parcelle à titre fiduciaire pour B.
Par courrier du 31 janvier 2008, B. a sommé C. de lui transférer cette parcelle. Le 15 octobre 2010, elle a saisi le Tribunal de première instance de Genève (ci-après: le Tribunal de première instance) d'une action en constatation de droit, assortie de mesures superprovisionnelles et provisionnelles. Par ordonnance du même jour, le Tribunal de première instance a ordonné au conservateur du registre foncier de procéder à l'annotation provisoire d'une restriction du droit d'aliéner la parcelle, en faveur de B. Dite annotation a été inscrite au registre foncier le 18 octobre 2010.

A.b Le 5 juin 2012, A. Ltd. a requis, à l'encontre de C. et à concurrence de 3'667'167 fr., le séquestre de plusieurs biens, dont la parcelle acquise à titre fiduciaire. Le séquestre a été ordonné et annoté le jour même au registre foncier.

A.c Le 15 août 2012, B. a informé l'office des poursuites qu'elle revendiquait la propriété de la parcelle. Par mémoire du 20 septembre 2012, elle a formé une action en revendication à l'encontre de C. et de A. Ltd.
Par procès-verbal de saisie du 10 janvier 2013, l'office des poursuites a converti en saisie définitive le séquestre, avec la mention que B. avait ouvert action en revendication au sens de l'art. 107 LP. La procédure en revendication a été suspendue dans l'attente de l'issue de la procédure en constatation de droit.

A.d Par jugement du 27 mai 2015, confirmé par arrêt de la Cour de justice du canton de Genève du 24 juin 2016 contre lequel le recours de C. a été rejeté par le Tribunal fédéral le 31 janvier 2017, le Tribunal de première instance a, entre autres, condamné C. à exécuter son obligation de restituer la parcelle acquise à titre fiduciaire à B. et a révoqué l'ordonnance du 23 décembre 2010 ordonnant
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l'annotation provisoire de la restriction du droit d'aliéner. Le transfert de propriété de l'immeuble au registre foncier a été opéré le 8 février 2017.

B. Par jugement du 7 septembre 2020, le Tribunal de première instance a débouté B. de ses conclusions en revendication. Il a jugé en substance que, lors du prononcé du séquestre le 5 juin 2012, seul C. était inscrit comme propriétaire de l'immeuble. B. était devenue propriétaire de ce bien postérieurement à l'annotation du séquestre, de sorte que tant le séquestre que la saisie lui étaient opposables.
Statuant sur l'appel formé par B. par arrêt du 11 mai 2021, la Cour de justice du canton de Genève a partiellement annulé ce jugement. Elle l'a réformé en ce sens que la revendication de B. sur la parcelle était admise et que le bien immobilier ne pouvait pas être saisi au bénéfice des créanciers de C.

C. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de A. Ltd. tendant à ce que B. (ci-après: l'intimée) soit déboutée de ses conclusions en revendication.
(résumé)

Considérants

Extrait des considérants:

3. La cour cantonale a relevé que, lors de l'exécution du séquestre, l'intimée n'était certes pas inscrite comme propriétaire de l'immeuble litigieux. Une restriction du droit d'aliéner cet immeuble était toutefois déjà annotée en sa faveur, de sorte que son droit personnel au transfert de la propriété de ce bien avait été garanti le temps que la procédure en constatation de son droit de propriété soit définitivement tranchée. A l'issue de cette procédure, le droit de propriété de l'intimée avait été reconnu par les tribunaux et l'annotation provisoire de la restriction du droit d'aliéner avait été remplacée par l'inscription définitive de l'intimée comme propriétaire de l'immeuble litigieux.
La cour cantonale a également retenu que l'intimée avait indiqué dans sa demande en revendication être au bénéfice de cette annotation sur la parcelle litigieuse et que cela ressortait également de l'extrait du registre foncier qu'elle avait produit. Il ne pouvait dès lors être considéré que l'intimée avait fait valoir tardivement ce fait. La cour cantonale a ajouté que, pour le surplus, celle-ci n'avait pas à "revendiquer" une annotation inscrite en sa faveur. En outre, le fait que l'annotation avait été radiée lorsque l'intimée avait été
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définitivement inscrite comme propriétaire au registre foncier ne lui avait pas fait perdre les droits attachés à cette inscription puisque, au contraire, elle devait être considérée comme étant propriétaire du bien immobilier depuis la date de l'annotation. Comme cette annotation avait été inscrite antérieurement au séquestre, la propriété de l'intimée sur le bien immobilier saisi avait pris naissance lors de l'inscription provisoire, soit en octobre 2010. Dès lors que le séquestre était intervenu postérieurement, en juin 2012, la priorité des droits conduisait alors à retenir que le bien immobilier revendiqué ne pouvait pas être réalisé au bénéfice des créanciers du poursuivi. La revendication de l'intimée sur la parcelle était donc fondée. (...)

5.

5.1 Sur le plan matériel, la recourante reproche à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 961 al. 2 CC, en retenant que l'intimée devait être considérée comme étant propriétaire du bien immobilier depuis la date de l'annotation de la restriction du droit d'aliéner. Elle relève que ce principe d'opposabilité du droit de propriété à la date de l'inscription provisoire était issu de l'art. 961 al. 2 CC, alors qu'en l'occurrence on était en présence d'une restriction du droit d'aliéner selon l'art. 960 CC. Dès lors que cette première disposition ne s'appliquait pas en l'espèce, il n'était pas possible de comprendre comment et sur quelle base la cour cantonale avait pu considérer que l'intimée était propriétaire du bien immobilier depuis la date de l'annotation. Cette annotation avait par ailleurs été radiée en 2016 et l'inscription de l'intimée en tant que propriétaire avait été opérée près d'un an après cette radiation, de sorte que c'était à tort que l'arrêt querellé retenait que l'inscription définitive du droit de propriété avait remplacé l'annotation. L'intimée ayant été inscrite en 2017, elle n'était devenue propriétaire de l'immeuble litigieux qu'à cette date, avec pour conséquence que, lorsque le séquestre avait été inscrit en 2012, elle n'était pas propriétaire; elle ne l'était pas non plus devenue rétroactivement puisque l'art. 961 al. 2 CC ne trouvait pas application.
Se prévalant d'une violation de l'art. 106 LP, la recourante conteste également que l'annotation de la restriction du droit d'aliéner serait prioritaire par rapport aux mesures d'exécution forcée. Elle indique que, si la Cour de justice avait retenu à juste titre que l'intimée n'était pas inscrite au registre foncier en tant que propriétaire de la parcelle litigieuse, et n'avait ainsi pas de droit de propriété au moment déterminant qu'était l'exécution du séquestre, elle avait cependant
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considéré que l'annotation de la restriction du droit d'aliéner était prioritaire sur le séquestre inscrit postérieurement. Il n'était pas possible de comprendre comment les juges cantonaux avaient pu arriver à une telle conclusion, étant donné que, selon l' ATF 104 II 170, cette restriction produit des effets dans la procédure d'exécution forcée. La recourante ajoute que la restriction du droit d'aliéner est un droit qu'il faut considérer dans la procédure d'exécution forcée, mais n'est en aucun cas un droit susceptible de soustraire un bien de l'exécution forcée au même titre qu'un droit de propriété. Il en résulterait que la cour cantonale avait violé l'art. 106 LP en retenant le contraire.

5.2 L'annotation d'une restriction du droit d'aliéner selon l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC sert à la conservation de droits litigieux ou de prétentions exécutoires. Il faut entendre par prétentions au sens de cette disposition celles de nature obligatoire qui se rapportent à l'immeuble lui-même et qui ont des effets sur le registre foncier lorsqu'elles sont définitivement reconnues. Tel est par exemple le cas de la prétention contractuelle de l'acheteur au transfert de la propriété de l'immeuble qu'il a acheté (ATF 104 II 170 consid. 5; ATF 103 II 3 consid. 2; ATF 91 II 412 consid. 3d) ou, comme en l'occurrence, de la prétention du fiduciant tendant à la restitution ou à la reconnaissance de son droit de propriété sur un immeuble à l'encontre du fiduciaire. Selon l'art. 960 al. 2 CC, l'annotation de la restriction du droit d'aliéner au registre foncier a pour effet de rendre opposable à tous droits postérieurement acquis sur l'immeuble la prétention jouissant de cette protection. Cet effet se produit non seulement à l'égard de droits créés postérieurement par des actes juridiques mais aussi à l'égard d'une mainmise qui prendrait effet postérieurement dans le cadre d'une procédure d'exécution forcée (ATF 104 II 170 consid. 5 et les références). Le droit à l'exécution du contrat est dès lors protégé lorsqu'une restriction du droit d'aliéner a été valablement annotée au registre foncier antérieurement à la faillite du débiteur de ce droit (ATF 104 II 170 consid. 5), respectivement à l'exécution d'une saisie ou d'un séquestre sur un immeuble lui appartenant. Ainsi, le bénéficiaire de l'annotation peut exiger de l'administration de la faillite ou des créanciers saisissants l'exécution de sa prétention, car son droit prioritaire serait opposable à l'adjudicataire dans la réalisation forcée (ATF 104 II 170 consid. 5; HENRI DESCHENAUX, Le registre foncier, in TDPS vol. V, tome II/2, 1983, p. 546 note 81; CHRISTIAN MEISTER, Vorsorgliche Massnahmen bei immobiliarsachenrechtlichen Streitigkeiten, 1977, p. 51). Le droit ainsi inscrit devient opposable à la masse en faillite (MICHEL MOOSER, in
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Commentaire romand, Code civil, vol. II, 2016, n° 20 ad art. 960 CC; DIETER ZOBL, Grundbuchrecht, 2e éd. 2004, § 17 n. 310), de sorte que si ce droit concerne la propriété de l'immeuble, celui-ci n'est plus soumis à la faillite ou à la saisie en cas de poursuite ou de séquestre (SILVIA LEEMANN, Die Vormerkung von Verfügungsbeschränkungen im Grundbuch nach dem ZGB, 1937, p. 72; MEISTER, op. cit., p. 51 note 177; voir également ATF 102 III 20 consid. 1 à propos de l'annotation de droits personnels de l'art. 959 CC dont les effets sont les mêmes qu'une restriction du droit d'aliéner de l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC [ATF 104 II 170 consid. 5]).

5.3 En l'occurrence, l'annotation de la restriction du droit d'aliéner en faveur de l'intimée a été opérée avant l'exécution du séquestre de la recourante et la qualité de propriétaire de l'intimée a été reconnue avant la réalisation de l'immeuble. Comme il vient d'être relevé (supra consid. 5.2), l'annotation opérée a eu pour effet de rendre opposable l'exécution du transfert de propriété de l'intimée à la recourante et, partant, de soustraire l'immeuble à la saisie une fois le droit de l'intimée reconnu, une acquisition par des adjudicataires lors d'une réalisation forcée subséquente n'étant plus possible. Il apparaît ainsi que la cour cantonale a considéré à juste titre que l'annotation de la restriction du droit d'aliéner antérieurement à l'exécution du séquestre avait permis de garantir la prétention personnelle au transfert de la propriété et que, dès lors que ce droit avait été reconnu, l'action en revendication de l'intimée devait être admise. La question de savoir si l'acquisition du droit de propriété de l'intimée remonte effectivement au moment de l'annotation en 2010, comme l'a relevé la cour cantonale, ou si ce droit prend effet postérieurement, à la date du jugement de reconnaissance passé en force ou à la date de l'inscription de l'intimée au journal, n'est en soi pas déterminante. Seul l'est le fait qu'en vertu de l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC - et de la même manière que si l'acquisition du droit de propriété remontait au jour de la restriction du pouvoir de disposer (DESCHENAUX, op. cit., p. 546 note 79; ARTHUR HOMBERGER, Zürcher Kommentar, 1938, n° 23 ad art. 960 CC; voir également PAUL PIOTET, Transferts de propriété, expectatives réelles et substitutions fidéicommissaires, 1992, n. 316 p. 82 et ARTHUR GRISONI, Mutations réelles "conditionnelles" et expectatives de droit, Not@lex 2019 p. 39 ss, p. 56 note 17, qui relèvent que l'art. 960 al. 1 let. 1 CC a le même rôle par rapport à l'acquisition par le jugement définitif que l'enregistrement au jour du journal par rapport à l'inscription au grand livre
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[art. 972 al. 2 CC]) - l'annotation a permis de garantir la prétention de l'intimée en reconnaissance de son droit de propriété et de rendre opposable ce droit à la recourante une fois celui-ci reconnu.
Il résulte de ce qui précède que le grief de violation de l'art. 961 al. 2 CC - auquel la cour cantonale ne se réfère du reste pas pour fonder sa décision - se révèle, pour autant que recevable, dénué de pertinence. Quant aux critiques fondées sur la violation de l'art. 106 LP, elles méconnaissent la portée et les effets de l'annotation de la restriction du droit d'aliéner de l'art. 960 al. 1 ch. 1 CC dans le cadre d'une procédure d'exécution forcée, ainsi que ses conséquences sur la réalisation forcée de l'immeuble une fois le droit, dont l'exécution a été garantie, reconnu. Partant, elles doivent être rejetées.

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Etat de fait

Considérants 3 5

références

ATF: 104 II 170, 103 II 3, 91 II 412, 102 III 20

Article: Art. 960 al. 1 ch. 1 et al. 2 CC, art. 961 al. 2 CC, art. 960 CC, art. 106 LP suite...