Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_192/2024
Arrêt du 3 juillet 2024
IIIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Stadelmann, Juge présidant, Moser-Szeless et Beusch.
Greffier : M. Bürgisser.
Participants à la procédure
A.________ SA,
recourante,
contre
Administration fiscale cantonale du canton de Genève,
rue du Stand 26, 1204 Genève,
intimée.
Objet
Impôts cantonaux et communaux du canton de Genève et impôt fédéral direct, période fiscale 2021,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 27 février 2024 (A/3385/2022-ICCIFD ATA/259/2024).
Faits :
A.
A.a. A.________ SA (ci-après: la société ou la contribuable) est une société anonyme dont le siège se trouve à U.________/GE. Elle a pour but la fourniture de prestations dans le domaine de l'audit, du conseil fiscal, ainsi que du conseil d'entreprise. Elle exerce par ailleurs des activités entrant dans le cadre d'une société fiduciaire.
Dans sa déclaration fiscale relative à la période fiscale 2021, la société a annoncé un bénéfice net imposable dans le canton de Genève de 78'123 fr., ainsi qu'un bénéfice net imposable en Suisse de 153'216 fr. Son bilan comptable annexé de l'année 2021 faisait en outre état de "provisions à court terme" pour un montant de 2'044'982 fr.
En réponse à une demande de renseignements provenant de l'administration fiscale cantonale du canton de Genève (ci-après: l'Administration fiscale), la contribuable a indiqué que ces "provisions à court terme" comprenaient notamment une "provision pour vacances" de 250'000 fr.
A.b. L'Administration fiscale a procédé à la taxation de la contribuable pour l'impôt fédéral direct (ci-après: IFD) et les impôts cantonaux et communaux (ci-après: ICC) de l'année 2021 (bordereaux de taxation du 7 juillet 2022). Elle a refusé de prendre en compte, à titre de déduction, la provision "pour vacances" motif pris que celle-ci s'apparentait à une provision pour charge future présentée principalement pour faire ressortir une marge brute effective plus favorable et de permettre par ce biais une diminution du résultat fiscal.
Par décision sur réclamation du 21 septembre 2022, l'Administration fiscale a rejeté la réclamation de la contribuable.
B.
B.a. Statuant par jugement du 13 mars 2023, le Tribunal administratif de première instance de la République et canton de Genève (ci-après: le TAPI) a rejeté le recours de la société.
B.b. Par arrêt du 27 février 2024, la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative (ci-après: la Cour de justice), a rejeté le recours contre le jugement du TAPI.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ SA conclut en substance à l'admission de la provision "pour vacances" d'un montant de 250'000 fr. en tant que charge justifiée "économiquement" pour la période fiscale 2021.
Après que l'Administration fiscale et l'Administration fédérale des contributions ont conclut au rejet du recours, la contribuable s'est encore déterminée.
Considérant en droit :
1.
1.1. La décision attaquée est finale (art. 90 LTF) et a été rendue par une autorité judiciaire supérieure de dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF), ne tombant pas sous le coup de l'une des exceptions de l'art. 83 LTF. La voie du recours en matière de droit public est partant ouverte (cf. aussi art. 146 LIFD et 73 al. 1 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes [LHID; RS 642.14]).
1.2. L'instance précédente a traité dans un seul arrêt de l'IFD et des ICC, ce qui est admissible. Partant, le dépôt d'un seul acte de recours est aussi autorisé, dans la mesure où la recourante s'en prend aux deux catégories d'impôts (ATF 142 II 293 consid. 1.2; 135 II 260 consid. 1.3.1).
1.3. La recourante ne prend pas de conclusion formelle à l'encontre de l'arrêt cantonal, étant rappelé que le recours en matière de droit public se caractérise comme un recours en réforme (art. 107 al. 2 LTF). On comprend toutefois à la lecture de son mémoire qu'elle demande à ce que l'arrêt de la Cour de justice du 27 février 2024 soit modifié, en ce sens qu'une provision "pour vacances" soit admise à hauteur de 250'000 fr. tant pour l'IFD et que les ICC de la période fiscale 2021 (sur l'interprétation des conclusions à la lumière de la motivation du recours, cf. ATF 133 II 409 consid. 1.4.1; arrêt 9C_707/2022 du 25 janvier 2024 consid. 1.2). Dans cette mesure, il y a lieu d'entrer en matière, les autres conditions de recevabilité étant remplies.
2.
2.1. D'après l'art. 106 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral applique le droit d'office. Il examine en principe librement l'application du droit fédéral ainsi que la conformité du droit cantonal harmonisé et de sa mise en pratique par les instances cantonales aux dispositions de la LHID (cf. ATF 134 II 207 consid. 2; arrêt 2C_826/2015 du 5 janvier 2017 consid. 2, non publié in ATF 143 I 73).
2.2. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits constatés par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), hormis dans les cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF. Selon l'art. 97 al. 1 LTF, le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire (art. 9 Cst.) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 145 V 188 consid. 2).
3.
Le litige porte sur la reprise dans le bénéfice et le capital imposables de la recourante pour la période fiscale 2021 du montant de 250'000 fr. à titre de provision "pour vacances".
4.
La juridiction cantonale a tout d'abord considéré que la provision litigieuse ne pouvait être admise car elle visait à neutraliser l'impact du report, d'année en année, de vacances des employés sur le chiffre d'affaire de la société. Un tel procédé violait le principe de périodicité, car il avait en définitive pour but de tenter de compenser les résultats des exercices entre eux ce que la jurisprudence n'admettait pas. À cela s'ajoutait que la variation d'une année à une autre du chiffre d'affaires d'une entreprise était inhérente à toute activité entrepreneuriale et que celle-ci était dépendante de nombreux facteurs qui n'étaient pas maîtrisables. De plus, il n'apparaissait pas que la société allait cesser ses activités en 2022, de sorte qu'il n'existait aucun risque concret que des vacances non prises par les employés dussent être effectivement payées. La société n'avait pas davantage démontré, alors qu'il le lui appartenait, qu'en raison de la rupture de rapports de travail avec certains de ses employés, elle aurait été obligée de rémunérer des jours de vacances non pris.
5.
5.1. Aux termes de l'art. 57 LIFD, l'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net. Selon l'art. 58 al. 1 LIFD, le bénéfice net imposable comprend notamment le solde du compte de résultats (let. a), ainsi que tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultats, qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l'usage commercial (let. b).
De jurisprudence constante, il ressort des art. 57 et 58 LIFD que le droit fiscal renvoie au droit comptable pour déterminer le bénéfice net imposable et que les comptes établis conformément aux règles du droit comptable lient les autorités fiscales, à moins que des normes impératives du droit commercial ne soient violées ou que des normes fiscales correctrices ne l'exigent (principe de l'autorité du bilan commercial ou de déterminance; cf. notamment ATF 147 II 209 consid. 3.1.1; 137 II 353 consid. 6.2; 136 II 88 consid. 3.1; arrêt 9C_469/2023 du 9 avril 2024).
5.2.
5.2.1. Selon l'art. 63 al. 1 LIFD, des provisions peuvent être constituées à la charge du compte de résultats notamment pour les engagements de l'exercice dont le montant est encore indéterminé (let. a) et pour les autres risques de pertes imminentes durant l'exercice (let. c). D'après l'art. 63 al. 2 LIFD, les provisions qui ne se justifient plus sont ajoutées au bénéfice imposable.
Pour être admise en droit fiscal, la provision doit avoir été dûment comptabilisée, être justifiée par l'usage commercial et porter sur des faits dont l'origine se déroule durant la période de calcul. Lorsque des provisions, qui ont été passées en charge du compte de résultats, ne sont pas admissibles, l'autorité fiscale est en droit de procéder à la dissolution de la provision. La dissolution a lieu lors de la période durant laquelle l'absence de justification commerciale de la réserve est constatée. La société contribuable supporte le fardeau de la preuve de la conformité à l'usage commercial. La question de savoir si une provision est justifiée par l'usage commercial doit être examinée sur la base de tous les éléments en présence et à la lumière de la situation prévalant au moment où le bilan est établi (arrêt 9C_469/2023 du 9 avril 2024 consid. 6.2.1 et les références).
Le principe de périodicité interdit, de manière générale, de réduire (artificiellement) le bénéfice imposable par le biais de provisions exagérées (arrêts 2C_1101/2014 du 23 novembre 2015; 2C_392/2009 du 23 août 2010 consid. 2.4).
5.2.2. Les provisions pour les engagements ("Verpflichtungen") de l'exercice au sens de l'art. 63 al. 1 let. a LIFD sont autorisées pour les engagements existant au cours de l'exercice et dont le montant n'est pas encore déterminé; sont en particuliers visés par cette disposition les engagements incertains ou des pertes imminentes résultant d'affaires en cours. Ceux-ci doivent pour le surplus reposer sur un contrat ou sur une loi. L'art. 63 al. 1 let. a LIFD couvre également les engagements conditionnels, pour autant que la réalisation de la condition soit très vraisemblable (arrêt 9C_469/2023 du 9 avril 2024 consid. 6.2.2 et les références).
En outre et selon la jurisprudence, les provisions constituées en vue d'une utilisation future, notamment pour faire face à des dépenses que l'entreprise devra supporter en raison de son activité future représentent des réserves; en tant que telles, elles font partie du revenu imposable et ne sauraient être déduites de ce dernier avant que la société n'ait à supporter les charges en cause, conformément au principe de périodicité du droit fiscal (arrêt 9C_469/2023 du 9 avril 2024 consid. 6.2.2 et les références).
5.2.3. Le cas de figure de l'art. 63 al. 1 let. c LIFD vise les risques de pertes qui ne reposent pas encore sur des engagements effectifs et qui ne concernent pas les actifs circulants. Leur prise en compte sur le plan fiscal est soumise à deux conditions. D'une part, le risque de pertes doit déjà avoir existé au cours de l'exercice lui-même; des provisions pour risques futurs ne sont pas admissibles. D'autre part, le risque doit être imminent. Le droit fiscal n'admet pas la constitution de réserves latentes par le biais de provisions, pourtant tolérées en droit des obligations et selon les usages du commerce. La constitution de provision à la charge du compte de résultat n'est possible que dans des limites relativement étroites et, du point de vue temporel, que si elle se trouve dans une relation claire de connexité avec l'exercice commercial en cause ("durant l'exercice"; "nel corso dell'esercizio"; "die im Geschäftsjahr bestehen"; arrêt 9C_469/2023 du 9 avril 2024 consid. 6.2.3 et les références).
6.
6.1. À l'encontre du raisonnement de la cour cantonale, la contribuable justifie en substance la provision litigieuse comme suit. Elle allègue qu'un collaborateur qui effectuerait durant une certaine année un nombre d'heures plus important car il n'aurait pas épuisé tout son droit aux vacances "augmentera sa production et ainsi indirectement sa contribution au chiffre d'affaires de la société". En conséquence et toujours selon la contribuable, l'employé en question diminuera "automatiquement" sa production durant l'exercice suivant et le "chiffre d'affaires [...] diminuera proportionnellement à cette réduction de productivité". Or et selon la société, il existerait pour elle un impact substantiel si l'ensemble des collaborateurs devait prendre une semaine de vacances en moins "durant l'année N et une semaine de plus durant l'année N+1". En outre, tout refus de la déduction de la provision litigieuse "serait à l'évidence une violation de l'ensemble des principes de droit comptable" énumérés à l'art. 958c CO.
6.2. La recourante méconnaît manifestement la notion de provision au sens de l'art. 63 LIFD, dont son argumentation ne tient pas compte. En effet, étant donné les conditions de l'art. 63 al. 1 let. a et let. c, telles que rappelées ci-avant (supra consid. 5.2), la provision litigieuse ne peut pas être admise au sens de cette disposition. En effet, la provision "pour vacances" ne peut pas être considérée comme ayant été comptabilisée en lien avec des engagements incertains ou des pertes imminentes résultant d'affaires en cours (cf. art. 63 al. 1 let. a LIFD) ou en relation avec un risque de pertes qui ne reposerait pas encore sur des engagements effectifs et qui ne concernent pas les actifs circulants (cf. art. 63 al. 1 let. c LIFD).
En se référant ensuite à l'impact qu'aurait la variation des jours de vacances pris par ses collaborateurs sur "sa marge brute", la contribuable souhaiterait en réalité créer, par le biais d'une provision, une réserve latente indue du point de vue du droit fiscal et, de la sorte, réduire artificiellement son bénéfice imposable. Or le principe de périodicité s'oppose à un tel procédé, qui conduirait la contribuable à compenser les résultats des exercices entre eux par le biais de provisions (supra consid. 5.2.1). La recourante ne saurait davantage être suivie lorsqu'elle prétend que le droit comptable l'obligerait à constituer de telles provisions (ce qui aurait pour conséquence que la provision "pour vacances" de 250'000 fr. devrait être admise sur le plan fiscal). En effet et même à supposer que tel fût le cas au regard du droit des obligations - question qui peut souffrir de demeurer indécise en l'espèce -, l'art. 63 LIFD autorise dans tous les cas l'autorité fiscale à reprendre ladite provision lorsqu'elle viserait à créer une pure réserve latente (supra consid. 5.2.3), ce qui est le cas ici.
Au demeurant, l'autre pan du raisonnement de la cour cantonale relatif à l'absence de risque concret pour la recourante de devoir payer effectivement l'équivalent des vacances non prises, qui n'est pas remis en cause par celle-ci en instance fédérale, échappe à toute critique.
6.3. Le recours en matière d'IFD doit donc être écarté.
7.
Le recours doit également être rejeté en ce qui concerne les ICC de la période fiscale 2021, un raisonnement similaire à celui qui précède pouvant être effectué à ce sujet.
7.1. En effet, la législation cantonale, en relation avec les art. 10 al. 1 let. b et 24 al. 1 let. a LHID, prévoit des dispositions similaires à celles du droit fédéral ( art. 57, 58 et 63 LIFD ), aux art. 11, 12 al. 1 let . e et 16B de la loi genevoise sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM; rs/GE D 3 15) (cf. arrêt 9C_469/2023 du 9 avril 2024 consid. 8.1 et la référence).
7.2. De plus, en vertu de l'art. 2 al. 1 let. b LHID, les cantons prélèvent un impôt sur le capital des personnes morales. L'impôt sur le capital a pour objet le capital propre (art. 29 al. 1 LHID). Le capital propre imposable comprend, pour les sociétés de capitaux et les sociétés coopératives, le capital-actions ou le capital social libéré, les réserves ouvertes et les réserves latentes constituées au moyen de bénéfices imposés (art. 29 al. 2 let. a LHID). Les art. 27 et 28 LIPM contiennent des dispositions similaires. L'impôt sur le capital englobe donc les réserves ouvertes, mais ne vise les réserves latentes que si elles ont été constituées au moyen de bénéfices imposés. Tel est notamment le cas d'amortissements surfaits ou des provisions non admises qui ont fait l'objet de reprises (arrêt 9C_469/2023 du 9 avril 2024 consid. 8.2). En l'espèce, la provision, reprise à bon droit, doit donc être ajoutée au capital imposable, ce que la recourante ne conteste du reste pas.
8.
Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours tant en matière d'IFD que d'ICC. Succombant, la recourante doit supporter les frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable, en tant qu'il concerne l'impôt fédéral direct de la période fiscale 2021.
2.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable, en tant qu'il concerne les impôts cantonaux et communaux de la période fiscale 2021.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 4
ème section, et à l'Administration fédérale des contributions.
Lucerne, le 3 juillet 2024
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant : Stadelmann
Le Greffier : Bürgisser