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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_159/2023  
 
 
Arrêt du 9 novembre 2023  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Viscione et Métral. 
Greffière : Mme Betschart. 
 
Participants à la procédure 
Zurich Compagnie d'Assurances SA, 
Mythenquai 2, 8002 Zurich, 
recourante, 
 
contre  
 
A.________, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-accidents (notion d'accident), 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 2 février 2023 (A/1484/2022 - ATAS/68/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, née en 1974, est maîtresse en éducation physique. Elle est assurée obligatoirement contre le risque d'accidents auprès de Zurich Compagnie d'Assurances SA (ci-après: la Zurich). Par déclaration d'accident bagatelle du 4 janvier 2021, son employeur a annoncé qu'elle s'était tordue le coude en faisant une démonstration de passement sur un caisson le 24 septembre 2020. Par décision du 26 janvier 2022, confirmée sur opposition le 29 mars 2022, la Zurich a nié son droit à des prestations d'assurance au motif que l'évènement du 24 septembre 2020 n'était pas un accident. 
 
B.  
Par arrêt du 2 février 2023, la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève a admis le recours formé par l'assurée contre cette décision sur opposition, qu'elle a annulé. Elle a reconnu le caractère accidentel de l'évènement du 24 septembre 2020 et a renvoyé la cause à la Zurich pour l'examen des autres conditions du droit aux prestations d'assurance-accidents et le calcul éventuel de celles-ci. 
 
C.  
La Zurich interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt en concluant à sa réforme en ce sens que la décision sur opposition du 29 mars 2022 soit confirmée. 
En substance, A.________ conclut au rejet du recours. La Cour cantonale et l'Office fédéral de la santé publique renoncent à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
D'un point de vue formel, le jugement entrepris est une décision de renvoi. En principe, les décisions de renvoi sont des décisions incidentes qui ne peuvent faire l'objet d'un recours au Tribunal fédéral qu'aux conditions de l'art. 93 LTF (ATF 142 V 551 consid. 3.2; 133 V 477 consid. 4.2 et 4.3). Lorsqu'un assureur social est contraint par le jugement incident à rendre une décision qu'il estime contraire au droit et qu'il ne pourra pas lui-même attaquer, ces conditions sont en principe remplies et le jugement incident peut être déféré au Tribunal fédéral sans attendre le prononcé du jugement final (ATF 144 V 280 consid. 1.2; 141 V 330 consid. 1.2; 133 V 477 consid. 5.2). Cette éventualité est réalisée en l'espèce car le jugement attaqué a un effet contraignant pour la recourante en ce sens que celle-ci doit statuer à nouveau sur le droit aux prestations de l'intimée en tenant compte du fait que l'événement annoncé a été qualifié d'accident. 
Au surplus, le recours est dirigé contre un arrêt rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable. 
 
2.  
 
2.1. Est litigieux le caractère accidentel de l'évènement du 24 septembre 2024. Il est incontesté que l'intimée souffre d'une épitrochléite, soit une tendinopathie microfissuraire des tendons fléchisseurs avec discrète tuméfaction des structures de voisinage, et que cette atteinte ne figure pas au nombre de celles assimilables à un accident énumérées à l'art. 6 al. 2 LAA, puisqu'il n'y a pas eu de déchirure du tendon.  
 
2.2. L'admission d'un évènement accidentel pouvant engendrer des prestations en espèce (cf. art. 15 ss LAA) et en nature (cf. art. 10 ss LAA), le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par l'autorité précédente (cf. art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF) en ce qui concerne les faits communs aux deux types de prestations (cf. arrêts 8C_13/2021 du 6 septembre 2021 consid. 1.2, in SVR 2022 UV n° 2 p. 4; 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 2 et les références).  
 
3.  
 
3.1. L'assurance-accidents est en principe tenue d'allouer ses prestations en cas d'accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d'accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l'atteinte, le caractère involontaire de l'atteinte, le facteur extérieur de l'atteinte et, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur; il suffit que l'un d'entre eux fasse défaut pour que l'événement ne puisse pas être qualifié d'accident (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221; 129 V 402 consid. 2.1 p. 404 et les références; pour un aperçu de la jurisprudence cf. SELIN ELMIGER-NECIPOGLU, Unfallbegriff - Ein Blick auf die Rechtsprechung des Bundesgerichts, in Kieser [éd.], Sozialversicherungsrechtstagung 2021, 2022, p. 1 ss. STÉPHANIE PERRENOUD, in Commentaire romand LPGA, n o 1 ss ad art. 4 LPGA).  
 
3.2. Pour admettre la présence d'un accident, il ne suffit pas que l'atteinte à la santé trouve sa cause dans un facteur extérieur. Encore faut-il que ce facteur puisse être qualifié d'extraordinaire. Cette condition est réalisée lorsque le facteur extérieur excède le cadre des évènements et des situations que l'on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d'habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante. Le caractère extraordinaire de l'atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même (ATF 134 V 72 consid. 4.1; 129 V 402 consid. 2.1). L'existence d'un facteur extérieur est en principe admise en cas de "mouvement non coordonné", à savoir lorsque le déroulement habituel et normal d'un mouvement corporel est interrompu par un empêchement non programmé, lié à l'environnement extérieur, tel le fait de glisser, de trébucher, de se heurter à un objet ou d'éviter une chute, le facteur extérieur - modification entre le corps et l'environnement extérieur - constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1; arrêts 8C_24/2022 du 20 septembre 2022 consid. 3.2 in SVR 2023 UV n° 13 p. 40; 8C_404/2020 du 11 juin 2021 consid. 3.1; avec les références). Ainsi, dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a nié le facteur extraordinaire chez un assuré qui avait monté un petit escalier normal en tenant quelque chose à la main. Cette action n'avait rien d'inhabituel, même si elle s'était produite avec la partie avant du pied et non avec toute la surface du pied sur la marche. L'affaissement du talon sur la marche inférieure ne dépassait pas le cadre de ce à quoi on pouvait s'attendre dans la situation initiale et ne constituait pas un incident particulier. En outre, l'assuré n'avait pas allégué qu'il n'aurait pas vu un pas, qu'il aurait perdu l'équilibre ou qu'il aurait marché dans le vide sans support. Il n'avait pas non plus fait valoir que la configuration de l'escalier aurait été particulière ou qu'il se serait trouvé dans un état particulier (p.ex. humide ou verglacé) en raison d'influences environnementales. Malgré l'atteinte à la santé qui s'était produite (rupture partielle du tendon d'Achille), le seul abaissement du talon lors de la montée quotidienne d'un escalier, sans autre perturbation, ne remplissait ainsi pas les exigences relatives au facteur extérieur indispensable à l'affirmation de la notion d'accident au sens de l'art. 4 LPGA (arrêt 8C_24/2022 du 20 septembre 2022, in SVR 2023 UV n° 13 p. 40).  
 
3.3. Pour les accidents survenus dans l'exercice du sport, l'existence d'un événement accidentel doit être niée lorsque et dans la mesure où le risque inhérent à l'exercice sportif en cause se réalise; autrement dit, le caractère extraordinaire de la cause externe doit être nié lorsqu'une atteinte à la santé se produit alors que le sport est exercé sans que survienne un incident particulier (arrêt 8C_410/2017 du 22 mars 2018 consid. 3.2). A titre d'exemples, le critère du facteur extérieur extraordinaire a été admis dans le cas d'une charge contre la balustrade subie par un hockeyeur (ATF 130 V 117 précité consid. 3), d'une réception au sol manquée par un gymnaste lors d'un "saut de carpe" (arrêt U 43/92 du 14 septembre 1992 consid. 3b, in RAMA 1992 n° U 156 p. 258), ou encore dans le cas d'un skieur dans un champ de bosses qui, après avoir perdu le contrôle de ses skis en raison d'une plaque de glace, aborde une nouvelle bosse qui le soulève et le fait retomber lourdement au sol. En revanche, il a été nié dans le cas d'une assurée qui, selon ses premières déclarations, a exécuté une culbute en arrière sans incidents particuliers et s'est alors blessée au niveau de la nuque et de l'épaule (arrêt U 322/02 du 7 octobre 2003). Il en est allé de même dans le cas d'une personne qui a exécuté une culbute "ratée" en arrière lors d'un entraînement de Ju-jitsu, le fait qu'elle a roulé non pas par-dessus son épaule, mais par-dessus sa nuque ne constituant pas un mouvement sortant de l'éventail ordinaire des mouvements exécutés dans la pratique de ce sport (arrêt 8C_189/2010 du 9 juillet 2010). Le Tribunal fédéral a également conclu à l'absence de facteur extraordinaire dans les cas suivants: une personne qui a trébuché sur une pierre, sans chuter, pendant une séance de nordic walking en extérieur (arrêt 8C_978/2010 du 3 mars 2011 consid. 4.2); une assurée qui s'est blessé à la nuque en effectuant une roulade en avant durant une leçon de gymnastique (arrêt U 98/01 du 28 juin 2002) ou en exécutant de manière légèrement imparfaite une figure de gymnastique ou un autre mouvement dans l'exercice d'un sport (arrêt U 134/00 du 21 septembre 2001; cf. pour un aperçu de la casuistique: MARTIN KAISER/JAVIER FERREIRO, Sozialversicherungsrechtliche Aspekte des Unfallbegriffs und des Wagnisses im Sport, in: RSAS 2013 p. 570 ss et 2014 p. 22 ss).  
 
4.  
 
4.1. Concernant le déroulement de l'évènement, les juges cantonaux ont constaté - à l'instar de la recourante - que l'intimée avait fait une démonstration de saut d'appui sur un caisson, lors duquel son coude droit était parti en arrière en lui provoquant des douleurs immédiates. Ils ont rajouté que l'intimée avait elle-même indiqué que la pratique de la gymnastique faisait partie de sa vie quotidienne. Dans le questionnaire à l'intention de l'assureur-accident, celle-ci avait répondu par la négative à la question de savoir s'il s'était passé quelque chose d'inhabituel. Cela étant, il n'en demeurait pas moins que, depuis ces déclarations et dans toutes ses écritures subséquentes, l'intimée avait indiqué que son "coude était parti vers l'arrière" alors qu'elle effectuait sa démonstration de saut sur le caisson. On pouvait en déduire que si un tel mouvement était habituel, l'intimée n'aurait pas pris la peine d'en faire état dans toutes ses descriptions successives de l'évènement.  
Ensuite la cour cantonale a examiné si ce mouvement inhabituel était suffisant aux yeux de la jurisprudence pour admettre l'existence d'un facteur extérieur extraordinaire. Elle a retenu que, si la figure à effectuer lors de la démonstration du saut était bien dans la norme des activités quotidiennes de l'intimée, la manière dont elle s'était réceptionnée sur le caisson sortait, elle, clairement de l'ordinaire. La situation était similaire à celle de la gymnaste s'étant mal réceptionnée à l'issue d'un saut de carpe, situation dans laquelle le Tribunal fédéral des assurances avait admis l'existence d'un accident (arrêt U 43/92 du 14 septembre 1992, in RAMA 1992 U n° 156 p. 258). En effet, il y avait bel et bien eu un mouvement incontrôlé du coude de l'intimée au moment de la figure et de la réception, mouvement devant être qualifié de facteur extérieur extraordinaire. Dès lors, c'était à tort que l'intimée avait nié le caractère accidentel de l'évènement du 24 septembre 2020. 
 
4.2. La recourante conteste que la condition d'un facteur extraordinaire soit remplie en l'espèce. Selon elle, le déroulement du mouvement initié par l'intimée (démonstration d'un saut en appui sur un caisson) n'aurait été interrompu par aucun empêchement non programmé lié à l'environnement extérieur. Le fait que le coude soit "parti en arrière" ne serait selon elle pas un élément déterminant dans ce contexte. Il s'agirait d'un facteur strictement interne et l'articulation du coude aurait "lâché" sans aucune influence extérieure, très probablement en raison d'un état de faiblesse préexistant dû à une épicondilyte médiale.  
Cette argumentation ne peut être suivie. D'abord, elle repose sur plusieurs hypothèses non vérifiées, faute d'instruction sur le plan médical. Ensuite, dès ses premières déclarations, l'intimée a précisé que son coude s'était tordu lors de l'exécution de sa démonstration. Ce mouvement de torsion, non programmé, s'est effectué lors d'un enchaînement qui impliquait pour l'intimée de mettre tout le poids du corps sur son bras en appui, bloqué par un élément extérieur fixe (le caisson); la charge qui s'y exerçait était renforcée par la vitesse du mouvement. Ces circonstances permettent bien de constater l'existence d'un facteur extérieur extraordinaire et d'admettre, par conséquent, la survenance d'un accident au sens de l'art. 6 al. 1 LAA, comme l'ont fait les premiers juges. Le point de savoir si l'épitrochléite constatée par la suite a été causée par l'accident ou s'il s'agissait d'une atteinte préexistante est une question de causalité qu'il appartiendra à la recourante d'examiner. 
 
5.  
La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 9 novembre 2023 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Wirthlin 
 
La Greffière : Betschart