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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
4P.297/2004 /ech 
 
Arrêt du 12 mai 2005 
Ire Cour civile 
 
Composition 
MM. et Mmes les Juges Corboz, président, 
Rottenberg Liatowitsch, Nyffeler, Favre et Kiss. 
Greffière: Mme Cornaz. 
 
Parties 
A.________, 
recourante, représentée par Me Christine Sayegh, 
 
contre 
 
B.________, 
intimée, représentée par Me Gérald Benoît, 
Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève, case postale 3688, 1211 Genève 3. 
 
Objet 
art. 8 et 9 Cst. (procédure civile; contrat de travail; 
salaire et autres prestations dues par un fonctionnaire international à une employée de maison étrangère), 
 
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour d'appel 
de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève du 5 novembre 2004. 
 
Faits: 
A. 
Du 5 août 1989 au 30 juin 1999, B.________, ressortissante marocaine, a travaillé à Genève en qualité d'employée de maison au service de A.________, alors fonctionnaire internationale auprès de X.________. 
B. 
Le 20 octobre 1999, B.________ a assigné A.________ devant le Tribunal des prud'hommes du canton de Genève, en paiement des montants de 236'320 fr. à titre de salaire, 73'242 fr. à titre d'heures supplémentaires - montant augmenté en cours d'instance à 366'210 fr. - et 25'260 fr. à titre de vacances, le tout avec intérêt à 5 % l'an dès le 1er janvier 1994. A.________ a fait valoir une demande reconventionnelle en paiement des montants de 3'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 6 septembre 1999 et 297 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 1er septembre 1999 à titre de remboursement de frais. Par jugement du 18 septembre 2001, cette autorité a alloué à B.________ la somme brute de 19'916 fr. 35 avec intérêt à 5 % l'an dès le 1er janvier 1994, sous déduction du montant net de 3'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 6 septembre 1999. 
 
Statuant sur appel de B.________ par arrêt du 5 novembre 2004, la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève a annulé le jugement du 18 septembre 2001 et condamné A.________ à verser à B.________ la somme brute de 52'863 fr. 75 - soit 31'622 fr. 35 à titre de salaire, 10'924 fr. 80 à titre d'heures supplémentaires et 10'316 fr. 60 à titre de vacances - avec intérêt à 5 % l'an dès le 1er janvier 1994, sous déduction du montant net de 3'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 6 septembre 1999. Elle a notamment rappelé qu'à Genève, les relations contractuelles nées de l'activité domestique étaient régies par le contrat-type de travail genevois pour les travailleurs de l'économie domestique (ci-après: le CTT), qui prévoit des salaires minima en fonction de différents critères. Elle n'a pas retenu une dérogation écrite valable, de sorte que la rémunération prévue par le CTT devait s'appliquer. Invoquant un arrêt récent du Tribunal fédéral (arrêt 4P.277/2003 du 2 avril 2004), elle a considéré que les premiers juges ne pouvaient valablement invoquer l'application de la Directive du DFAE (réd.: cf. la Directive du 1er avril 1987 du Département fédéral des affaires étrangères sur le recrutement du personnel privé par les fonctionnaires internationaux, ci-après: la Directive du DFAE de 1987, et la Directive du 1er mai 1998 du Département fédéral des affaires étrangères sur l'engagement des domestiques privés par les fonctionnaires internationaux, ci-après: la Directive du DFAE de 1998) pour réduire d'un tiers la rémunération due à l'employée par rapport aux normes cantonales. Afin de justifier une diminution de salaire en espèces par rapport aux avantages dont bénéficiait celle-ci, il convenait d'apprécier concrètement ces avantages, qu'il s'agisse d'un privilège fiscal ou d'autres avantages de nature à entrer dans le calcul de la rémunération. La cour cantonale a ainsi calculé le privilège fiscal dont l'intimée avait effectivement bénéficié et considéré que la prise en charge de frais divers pouvait être estimée mensuellement à 400 fr. à raison de 200 fr. pour l'habillement et l'entretien courant, 100 fr. pour les divers frais médicaux et pharmaceutiques et une moyenne de 100 fr. pour les frais de voyage. Elle a considéré que l'appréciation libre du résultat des mesures probatoires à l'issue de laquelle les premiers juges avaient retenu que le salaire avait été régulièrement payé à B.________ devait être confirmée et qu'il fallait retenir le versement d'un salaire mensuel net de 1'200 fr. effectué pour la période de 1989 à 1997, porté à 1'400 fr. en 1998 et à 1'550 fr. en 1999. 
C. 
A.________ (la recourante) interjette un recours de droit public au Tribunal fédéral. Invoquant les art. 8 et 9 Cst. ainsi que la protection de la bonne foi, elle conclut à l'annulation de l'arrêt du 5 novembre 2004, avec suite de frais et dépens. 
 
B.________ (l'intimée) conclut au rejet du recours, avec suite de dépens. Pour sa part, la cour cantonale ne s'est pas déterminée. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
1.1 Exercé en temps utile (art. 89 al. 1 OJ), dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), pour violation de droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ), contre une décision finale prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ), par la recourante qui est personnellement touchée par la décision attaquée - qui la condamne au versement d'une somme d'argent -, de sorte que la qualité pour recourir doit lui être reconnue (art. 88 OJ), le présent recours de droit public est en principe recevable. 
1.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 262; 129 I 113 consid. 2.1). 
2. 
La recourante invoque la protection contre l'arbitraire garantie par l'art. 9 Cst. 
2.1 Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en violation d'un droit certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution paraît également concevable, voire même préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 128 I 273 consid. 2.1). 
2.2 Se fondant en particulier sur un passage de l'arrêt du Tribunal fédéral appliqué par la cour cantonale (arrêt 4P.277/2003 du 2 avril 2004), la recourante soutient en substance que la Directive du DFAE de 1987 prescrivait un salaire minimum de 1'200 fr. par mois et avait un caractère réglementaire reconnu, ce qui n'était plus le cas de la Directive du DFAE de 1998. Elle aurait ainsi manifestement respecté la Directive du DFAE de 1987 pour fixer les conditions contractuelles de travail de son employée et la cour cantonale aurait appliqué avec effet rétroactif la portée de la Directive du DFAE du 1er mai 1998 et contesté en conséquence une jurisprudence constante fondée sur la Directive du DFAE du 1er avril 1987. Ce raisonnement conduirait à un résultat manifestement arbitraire et choquant en faisant fi de la Directive du DFAE applicable pour la presque totalité de la période contractuelle considérée. 
 
Les conclusions que la recourante tire des termes de l'arrêt dont elle se prévaut sont hâtives. Dans l'affaire en question, la Cour de céans a certes mentionné que "la Directive du DFAE (réd.: de 1998) n'a manifestement pas pour but de réglementer elle-même le salaire du personnel de maison des fonctionnaires internationaux, comme le faisaient apparemment les anciennes directives du 1er avril 1987, qui prescrivaient un salaire minimum de 1'200 fr. par mois pour les employés de maison nourris et logés de 20 ans et plus" (arrêt 4P.277/2003 du 2 avril 2004, consid. 3.4), mais l'arrêt n'avait pas pour vocation de trancher cette question. En effet, puisque la Directive du DFAE de 1998 ne contenait pas de prescription spéciale établissant le salaire minimal des employés domestiques de fonctionnaires internationaux, la Cour de céans n'avait pas eu à s'interroger sur la question de la portée juridique de celle-ci par rapport au CTT pour aboutir à la conclusion que la cour cantonale ne pouvait valablement invoquer l'application de la Directive du DFAE de 1998 pour réduire d'un tiers la rémunération due à l'employée par rapport aux normes cantonales (cf. arrêt 4P.277/2003 du 2 avril 2004, consid. 3.4 in fine). 
 
Dans un cas dont la Cour de céans avait eu à connaître quelques années auparavant, semblable question avait également été soulevée sans qu'il soit nécessaire de la trancher dès lors que, dans le cas particulier, la prise en considération de la pratique administrative en matière d'engagement du personnel de maison étranger employé par des fonctionnaires internationaux ne modifiait ni les données ni la solution du problème. Le Tribunal fédéral avait néanmoins indiqué qu'il apparaissait fort délicat de reconnaître un effet de droit civil (cf. art. 342 al. 2 CO) aux Directives du DFAE de 1987, puisque celles-ci ne faisaient que rappeler, "à titre indicatif" (réd.: le texte de la Directive du DFAE de 1987 dispose en effet qu'"à titre indicatif, les contrats-type de travail cantonaux pour travailleurs de l'économie domestique se réfèrent à un salaire minimal de quelque Frs 950.-- à Frs 990.-- pour le personnel privé jusqu'à 18 à 20 ans et de Frs 1'200.-- à Frs 1'340.-- pour le personnel privé de 18 à 20 ans et plus. Il y aura lieu de tenir compte des prestations en nature tels que logement, nourriture et blanchissage notamment"), les normes minimales de salaire prévues dans le CTT et ne paraissaient donc pas avoir force obligatoire sur ce point. La Cour de céans avait ajouté qu'on en voulait du reste pour preuve indirecte l'extrait de la réponse faite le 5 mai 1993 par le Conseil fédéral à une interpellation, qui disposait: "C'est ainsi que le DFAE, d'entente avec tous les offices concernés, met au point à titre de première mesure un projet de contrat de travail qu'il soumettra à l'approbation du Conseil fédéral et qui devrait devenir obligatoire pour l'engagement du personnel de maison par les fonctionnaires internationaux" (cf. arrêt 4C.483/1995 du 17 octobre 1996, consid. 4a/cc et la référence citée à la Revue suisse de droit international et de droit européen [RSDIE] 1994 p. 620, spéc. 622). 
A cela s'ajoute que, selon la jurisprudence, les instructions internes données par l'administration afin d'assurer une application uniforme de dispositions légales n'ont pas force de loi et, par voie de conséquence, ne lient ni les administrés, ni les tribunaux; elles ne constituent pas des normes de droit fédéral au sens de l'art. 104 let. a OJ et n'ont pas à être suivies par le juge. Elles servent tout au plus à créer une pratique administrative uniforme et présentent à ce titre une certaine utilité; de toute façon, de telles instructions ne peuvent pas sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu'elles sont censées concrétiser. En d'autres termes, à défaut de lacune, les directives ne peuvent prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 117 Ib 225 consid. 4b; plus récemment arrêt 2A.569/1997 du 7 janvier 1999, publié in RDAF 1999 I p. 415, consid. 2d). Il n'en va pas différemment en l'espèce et l'on ne saurait reconnaître aux Directives du DFAE de 1987 la portée réglementaire que la recourante aimerait leur voir conférer. En conséquence, la cour cantonale pouvait sans arbitraire dénier toute portée à la Directive du DFAE de 1987, en particulier considérer que celle-ci ne permettait pas de déroger au CTT. 
 
Compte tenu de ce qui précède, la recourante ne peut être suivie quand elle soutient que la cour cantonale, s'inspirant de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, a appliqué avec effet rétroactif la portée de la Directive du DFAE de 1998 et contesté une jurisprudence constante fondée sur la Directive du DFAE de 1987 puisque, précisément, aucune des deux n'a de portée, respectivement d'incidence sur le calcul de la rémunération due aux employés de maison au service de fonctionnaires internationaux. Dans ces circonstances, l'on ne voit pas que la cour cantonale ait commis arbitraire en appliquant, pour l'entier de la période concernée, la jurisprudence de la Cour de céans selon laquelle le montant du salaire prévu dans le CTT ne peut être réduit qu'en présence d'avantages qui doivent être appréciés concrètement dans chaque cas d'espèce. Le grief de la recourante est ainsi dénué de fondement. 
2.3 La recourante reproche par ailleurs à la cour cantonale d'avoir fixé le montant de 400 fr., correspondant à la prise en charge de frais divers, de manière constante sans tenir compte de l'évolution du coût de la vie, alors que tant le montant des salaires pris en considération que les prestations en nature usuelles (logement et nourriture) augmentent progressivement. 
A supposer qu'il y ait effectivement eu lieu d'adapter cette valeur, il incombait à la recourante de démontrer en quoi il était arbitraire de ne pas l'avoir fait et sur la base de quels critères il aurait fallu y procéder. Ne respectant pas les exigences de motivation découlant de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. consid. 1.2), le grief de la recourante n'est pas admissible. 
2.4 La recourante reproche enfin à la cour cantonale d'avoir décidé, sans recourir à un expert, que la signature apposée sur le contrat de travail n'était pas celle de l'intimée, commettant ainsi une violation des règles de procédure relatives à la preuve entraînant également une décision choquante. 
 
A supposer satisfaisant du point de sa motivation (cf. consid. 1.2), ce moyen est dénué de tout fondement. En effet, outre que la recourante n'établit pas avoir régulièrement offert la preuve par expertise selon les règles de procédure cantonale, la cour cantonale pouvait parfaitement procéder à une appréciation anticipée des preuves, dont on ne voit pas en quoi elle pourrait en l'occurrence être qualifiée d'arbitraire (cf. ATF 130 II 425 consid. 2.1 p. 429; 125 I 127 consid. 6c/cc in fine p. 135), pour aboutir à la conclusion que, sur la base du document des 21 et 29 avril 1989 à la signature contestée et divergente, elle ne pouvait pas retenir un accord écrit dérogeant au CTT en ce qui concernait le salaire versé à l'intimée. D'ailleurs, même si une expertise avait été ordonnée et avait permis d'aboutir à la conclusion que la signature litigieuse était bien celle de l'intimée, la solution du litige n'aurait pas été différente. Dans son arrêt, la cour cantonale a en effet considéré que si l'on avait retenu le principe d'un accord écrit, la validité de celui-ci aurait été contestable au regard de l'art. 21 CO compte tenu notamment de l'inexpérience de l'intimée, qui avait affirmé ne pas connaître les salaires en vigueur en Suisse - argumentation que la recourante n'a pas entrepris de contester. Il en résulte que le grief de la recourante ne peut pas être accueilli. 
3. 
La recourante soulève en outre les griefs de violation du principe de la bonne foi et d'inégalité de traitement au sens de l'art. 8 Cst., mais derechef en méconnaissance des exigences de motivation découlant de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. consid. 1.2). En effet, dans le premier cas, elle se limite à affirmer s'être fondée de bonne foi sur la Directive du DFAE du 1er avril 1987 pour déterminer le salaire de son employée, sans expliquer en quoi elle aurait été fondée à le faire. Dans le second, elle expose seulement qu'en l'espèce, la situation doit être appréciée sous l'angle de la Directive du DFAE du 1er avril 1987 et qu'une autre appréciation créerait une inégalité de traitement entre les fonctionnaires internationaux, sans indiquer précisément en quoi tel serait le cas. Par conséquent, ses moyens sont irrecevables. 
4. 
Dès lors que la valeur litigieuse, établie selon la prétention à l'ouverture de l'action, dépasse le seuil de 30'000 fr. (art. 343 al. 2 et 3 CO; ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41), la procédure n'est pas gratuite. Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge de la recourante (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ). 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
1. 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
2. 
Un émolument judiciaire de 2'500 fr. est mis à la charge de la recourante. 
3. 
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens. 
4. 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève. 
Lausanne, le 12 mai 2005 
Au nom de la Ire Cour civile 
du Tribunal fédéral suisse 
Le président: La greffière: