Avis important:
Les versions anciennes du navigateur Netscape affichent cette page sans éléments graphiques. La page conserve cependant sa fonctionnalité. Si vous utilisez fréquemment cette page, nous vous recommandons l'installation d'un navigateur plus récent.
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
5A_220/2008 / frs 
 
Arrêt du 12 juin 2008 
IIe Cour de droit civil 
 
Composition 
MM. et Mmes les Juges Raselli, Président, 
Escher, Meyer, Hohl et Zappelli, Juge suppléant. 
Greffier: M. Braconi. 
 
Parties 
dame X.________, 
recourante, représentée par Me Alain Veuillet, avocat, 
 
contre 
 
X.________, 
intimé, représenté par Me François Canonica, avocat, 
 
Objet 
complément d'un jugement de divorce étranger; compétence ratione loci; 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 22 février 2008. 
 
Faits: 
 
A. 
X.________, né en 1943, et dame X.________, née en 1941, se sont mariés le 21 août 1965 en France. L'épouse, d'origine française, a acquis la nationalité suisse par le mariage; le mari, d'origine suisse, a obtenu la nationalité française en 1991. Quatre enfants, actuellement majeurs, sont issus de cette union. En novembre 1972, les époux ont quitté Genève et se sont installés à Y.________, en France. 
 
Le mari a toujours travaillé en Suisse. Il a atteint l'âge de la retraite le 30 avril 2008; le montant de sa prévoyance professionnelle s'élevait à 1'214'921 fr. au 31 décembre 2002. Son épouse a travaillé en Suisse pour le compte de A.________, puis, après une interruption de quinze ans pour s'occuper des enfants, a repris une activité lucrative à temps partiel; en 1999, elle a ouvert un cabinet de kinésiologie à Genève et travaille aujourd'hui pour son compte. A l'ouverture de son cabinet, elle a retiré ses avoirs de prévoyance et perçu une prestation de libre-passage de 17'030 fr.80. 
 
B. 
B.a Par jugement du 24 mars 2003, le Tribunal de Grande instance de Thonon-les-Bains a prononcé le divorce des époux X.________. Concernant leur prévoyance professionnelle, il a condamné (en application du droit suisse) le mari à verser à l'épouse la moitié de la prestation de sortie acquise pendant la durée du mariage. 
 
Sur appel du mari, la Chambre civile de la Cour d'appel de Chambéry a réformé ce jugement le 1er février 2005 et alloué à la femme une somme de 160'000 ? au titre de prestation compensatoire. Par arrêt du 14 mars 2006, la Cour de cassation française a rejeté le pourvoi formé par l'épouse contre cette décision. 
B.b Le 22 novembre 2006, l'épouse a ouvert action en complément du jugement de divorce, concluant à ce qu'il soit dit que le jugement de divorce français ne déploie aucun effet en tant qu'il concerne le partage des avoirs de prévoyance professionnelle et à ce que ce partage soit ordonné conformément à l'art. 122 CC
 
Statuant le 21 juin 2007, le Tribunal de première instance de Genève a débouté la demanderesse. Par arrêt du 22 février 2008, la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement entrepris. 
 
C. 
L'épouse forme un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Sur le fond, elle conclut en substance à ce qu'il soit constaté que les jugements prononcés en France ne déploient aucun effet en Suisse en tant qu'ils concernent le partage des avoirs de prévoyance professionnelle, à ce que le partage des avoirs de prévoyance du mari soit ordonné conformément à l'art. 122 CC ou, s'il est ordonné en vertu de l'art. 124 CC, à ce que l'intéressé soit condamné au paiement d'une indemnité correspondant à la moitié des avoirs de prévoyance, calculée pour la durée du mariage, c'est-à-dire 607'460 fr.50 avec intérêts à 5% dès le 24 mars 2003. A titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la juridiction précédente pour qu'elle statue sur le partage des avoirs de prévoyance dans le sens des considérants. Elle sollicite le bénéfice de l'assistance judiciaire. 
 
Des observations n'ont pas été requises. 
 
D. 
Par ordonnance du 29 avril 2008, le Président de la Cour de céans a admis la requête de mesures provisionnelles de la recourante tendant à ce que la somme de 400'600 fr. soit bloquée en mains de l'Institution de Prévoyance 2 du Groupe d'Assurances Zurich, à Zurich. 
Considérant en droit: 
 
1. 
Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 134 III 115 consid. 1 p. 117, 235 consid. 1 p. 236 et la jurisprudence citée). 
 
1.1 Déposé à temps (art. 100 al. 1 LTF) à l'encontre d'une décision finale (art. 90 LTF) prise par l'autorité cantonale de dernière instance (art. 75 LTF) dans une contestation civile (art. 72 al. 1 LTF) de nature pécuniaire, dont la valeur litigieuse (cf. art. 51 al. 1 let. a LTF) atteint 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), le présent recours est recevable au regard de ces dispositions. 
 
1.2 Saisi d'un recours en matière civile, le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Eu égard à l'exigence de motivation prescrite par l'art. 42 al. 2 LTF - sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF) -, il n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est pas tenu de traiter, à l'instar d'une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser lorsqu'elles ne sont plus discutées devant lui (ATF 133 II 249 consid. 1.4.1 p. 254; 133 III 545 consid. 2.2 p. 550). 
 
1.3 Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). 
 
2. 
2.1 La recourante reproche à la cour cantonale de n'avoir pas examiné la question du droit applicable, qui serait en l'espèce le droit suisse en vertu de l'art. 15 LDIP; elle se plaint, dès lors, d'une violation de cette disposition. 
 
Dans la mesure où le droit suisse est applicable, il faut rechercher si le jugement français nécessite un complément. Or, tel est le cas, selon la recourante, car la Cour d'appel de Chambéry lui a alloué une prestation compensatoire, qui correspond en réalité à une contribution d'entretien payable en capital et ne doit pas être confondue avec le partage de la prévoyance, point qui n'a pas été tranché par les autorités françaises; il appartient donc au juge suisse d'ordonner ce partage en application des art. 122 et 142 CC
 
2.2 Après avoir admis, à l'inverse du premier juge, que les tribunaux suisses étaient compétents ratione loci pour connaître de la demande en complément du jugement de divorce - vu l'élection de for conclue valablement par les parties (cf. art. 5 LDIP) -, les juges cantonaux ont retenu que les autorités françaises avaient définitivement statué sur le sort des avoirs de prévoyance du mari et que leurs décisions avaient acquis à cet égard l'autorité de chose jugée, ce qui interdisait au juge suisse de se prononcer à nouveau. Cela rend sans objet la question de savoir quel aurait dû être le droit applicable - suisse ou français - à la question litigieuse. 
 
3. 
3.1 Conformément à l'art. 64 al. 2 LDIP, l'action en complément ou en modification du divorce ou de la séparation de corps est en principe régie par le droit applicable au divorce ou à la séparation de corps. En vertu de l'art. 61 LDIP, le divorce et la séparation de corps sont régis par le droit suisse (al. 1er); cependant, si les époux ont une nationalité étrangère commune et qu'un seul est domicilié en Suisse, leur droit national commun s'applique (al. 2). Les effets accessoires du divorce sont régis par le droit applicable au divorce, sous réserve, notamment, des dispositions de la loi relatives à l'obligation d'entretien entre époux et au régime matrimonial (art. 63 al. 2 LDIP). Selon la jurisprudence, le partage de la prestation de sortie de la prévoyance professionnelle ne tombe pas sous la réserve en faveur des règles touchant à l'obligation d'entretien ou au régime matrimonial; c'est donc le droit applicable au divorce qui trouve en principe application (ATF 131 III 289 consid. 2.4 p. 291; arrêts 5A_83/2008 du 28 avril 2008, consid. 3.2; 5C.297/2006 du 8 mars 2007, consid. 3.1, in: FamPra.ch 2007 p. 667 ss). Toutefois, la clause d'exception prévue par l'art. 15 LDIP habilite le juge à ne pas appliquer le droit auquel renvoie la règle de conflit de lois lorsque, au regard de l'ensemble des circonstances, il est manifeste que la cause n'a qu'un lien très lâche avec cette législation et qu'elle se trouve dans une relation beaucoup plus étroite avec un autre droit (al. 1er). Cette clause n'intervient que de façon restrictive (ATF 121 III 246 consid. 3c p. 247 et la jurisprudence mentionnée); elle ne tend pas, en particulier, à obvier aux conséquences indésirables du droit matériel (ATF 131 III 289 consid. 2.5 p. 292). 
 
3.2 Avant de s'interroger sur le droit applicable, il convient d'examiner si le jugement de divorce français doit être complété (ATF 131 III 289 consid. 2.8 p. 294; MAYA STUTZER, Vorsorgeausgleich bei Scheidungen mit internationalem Konnex, in: FamPra.ch 2006 p. 243 ss, spéc. 256); si ladite décision ne nécessite aucun complément, parce qu'elle a déjà réglé le sort des avoirs de prévoyance, la question du droit applicable devient sans objet. 
 
Dans l'arrêt publié aux ATF 131 III 289 (consid. 2.8 et 2.9), le Tribunal fédéral a constaté que le jugement de divorce prononcé en France ne contenait aucune clause explicite quant aux avoirs accumulés auprès de l'institution suisse de prévoyance et que le juge français avait rejeté la prétention de l'épouse en paiement d'une prestation compensatoire (art. 270 ss CCF) sans qu'on puisse discerner le motif de ce refus. 
 
3.3 Il n'en va pas de même en l'espèce. Tant l'arrêt de la Cour d'appel de Chambéry que celui de la Cour de cassation se sont expressément penchés sur la problématique du partage des avoirs de la prévoyance professionnelle des parties. La Cour d'appel a estimé que les normes du Code civil suisse relatives au partage du deuxième pilier en cas de divorce (art. 124 et 142 CC) ne revêtent pas de caractère automatique et que l'épouse ne tient pas de la loi suisse un droit acquis à la moitié des avoirs de la prévoyance professionnelle constituée par son époux pendant la durée du mariage; se référant ainsi à la loi française, seule applicable au litige, pour fixer la quotité de la prestation compensatoire due à l'épouse et tenant compte des situations respectives des parties quant à leurs revenus et à leurs prétentions dans la liquidation du régime matrimonial, ainsi que de la prestation de libre passage à laquelle le mari pouvait prétendre, les magistrats d'appel ont alloué à l'épouse une somme de 160'000 ?. La Cour de cassation a confirmé cette décision en déclarant: «(...) c'est en considération du versement de la prestation de libre passage à M. X.________ selon le droit suisse, dont l'arrêt n'a pas dénaturé la teneur, et par une juste application de l'article 1401 du Code civil, que la Cour d'appel a, par une appréciation souveraine, fixé le montant de la prestation compensatoire due à Mme X.________». 
 
Il faut concéder à la recourante qu'il existe une différence de nature entre la prestation compensatoire du droit civil français et le partage des avoirs de prévoyance prévu par les art. 122 ss CC, institution que la législation française ne connaît pas comme telle (ATF 131 III 289 consid. 2.8 p. 295). Il n'en demeure pas moins, comme le relève avec raison l'autorité cantonale, que la prestation compensatoire a été fixée en tenant compte, parmi plusieurs éléments, de la prestation de libre passage du mari. Il n'y a donc plus de place pour un complément par le juge suisse. 
 
4. 
A titre subsidiaire, la recourante affirme que, même s'il fallait admettre que le jugement de divorce français bénéficie de l'autorité de la chose jugée, il ne pourrait pas être reconnu, car il contrevient à l'ordre public suisse: d'une part, il attribue une prestation compensatoire sans fixer aucune clef de répartition conformément à l'art. 142 CC; d'autre part, il ne lui alloue qu'un peu plus d'un cinquième des avoirs de prévoyance, la privant de l'essentiel de ses droits découlant de l'art. 122 CC
 
4.1 En vertu de l'art. 27 al. 1 LDIP, la reconnaissance d'une décision étrangère doit être refusée en Suisse si elle apparaît manifestement incompatible avec l'ordre public suisse. La réserve de l'ordre public doit permettre au juge de ne pas apporter la protection de la justice suisse à des situations qui heurtent de façon choquante les principes les plus essentiels de l'ordre juridique, tel qu'il est conçu en Suisse. En tant que clause d'exception, la réserve de l'ordre public s'interprète de manière restrictive; il en va spécialement ainsi en matière de reconnaissance et d'exécution des jugements étrangers, où sa portée est plus étroite que pour l'application directe du droit étranger; la reconnaissance constitue la règle, dont il ne faut pas s'écarter sans de bonnes raisons (ATF 126 III 327 consid. 2b p. 330; 116 II 625 consid. 4a p 630). 
Le Tribunal fédéral a jugé que l'ordre public matériel serait violé si un jugement étranger contrevenait à des règles impératives qualifiées du droit suisse; on ne saurait notamment reconnaître, en raison de son incompatibilité avec le droit suisse du divorce et de la prévoyance, une réglementation renvoyant le partage à un moment postérieur au divorce ou consacrant un «splitting» du rapport de prévoyance entre les époux (ATF 130 III 336 consid. 2.4 p. 340). 
 
4.2 Une telle situation n'est pas réalisée ici. Le juge français, statuant après avoir dûment analysé la situation des époux, au regard du droit français applicable au litige, et admettant partiellement les conclusions de l'épouse, a fixé à 160'000 ? la prestation compensatoire due par le mari et invité l'institution de prévoyance de celui-ci à verser à l'épouse la contre-valeur de ce montant en francs suisses. 
 
Dans ces circonstances, on ne peut admettre que les arrêts de la Cour d'appel, puis de la Cour de cassation, sont contraires à l'ordre public matériel suisse. En particulier, le fait que l'épouse perçoit moins de la moitié de la prestation de sortie du mari n'autorise pas cette conclusion, d'autant que les tribunaux français ont pris en compte l'ensemble des éléments consécutifs au divorce des époux. Rien ne s'oppose dès lors à ce que lesdits jugements soient reconnus et exécutés en Suisse. 
 
5. 
Vu ce qui précède, le présent recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. 
 
Comme les conclusions de la recourante étaient vouées à l'échec, sa requête d'assistance judiciaire doit être rejetée (art. 64 al. 1 LTF), les frais étant mis à sa charge (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens à l'intimé qui n'a pas été invité à répondre sur le fond. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2. 
La requête d'assistance judiciaire est rejetée. 
 
3. 
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
4. 
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève. 
 
Lausanne, le 12 juin 2008 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
Le Président: Le Greffier: 
 
Raselli Braconi