Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_697/2023
Arrêt du 17 septembre 2024
IVe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Viscione et Métral.
Greffière : Mme Castella.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Jämes Dällenbach, avocat,
recourante,
contre
Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel,
rue Chandigarh 2, 2300 La Chaux-de-Fonds,
intimé.
Objet
Assurance-invalidité (rente d'invalidité),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel du 27 septembre 2023 (CDP.2022.237-AI/dma).
Faits :
A.
A.a. A.________, née en 1971, sans formation, a perçu une rente entière d'invalidité, fondée sur un taux d'invalidité de 80 %, du 1
er juillet au 30 novembre 2016 (décision de l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel [ci-après: l'office AI] du 18 janvier 2018).
En 2018, elle a trouvé un emploi à plein temps en tant qu'opératrice de production au sein d'une entreprise horlogère. À la suite d'un changement de poste au sein de cette entreprise, elle a présenté une incapacité de travail totale dès le 5 septembre 2018.
A.b. Le 6 mars 2019, A.________ a déposé une nouvelle demande de prestations de l'assurance-invalidité. Après avoir recueilli les rapports médicaux des médecins consultés, le service médical régional de l'assurance-invalidité (SMR) a confié un examen rhumatologique au docteur B.________, spécialiste en médecine physique et réadaptation, ainsi qu'un examen psychiatrique au docteur C.________, spécialiste en psychiatrie. Dans leur rapport du 23 février 2022, ces médecins ont retenu, comme diagnostic influençant la capacité de travail, un trouble anxieux, sans précision (F41.9). Sur le plan psychiatrique, ils ont conclu à une incapacité de travail dans toute activité de 100 % du 5 septembre 2018 au 24 février 2019 et de 50 % du 25 février au 10 mars 2019. A partir du 11 mars 2019, la capacité de travail était de 70 % dans l'activité habituelle et totale dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles (moindre résistance au stress, fatigabilité en fin de journée, difficultés à soutenir une attention et concentration sur un travail routinier et monotone nécessitant un rendement important). Sur le plan rhumatologique, les médecins ont conclu à une capacité de travail totale dans l'activité habituelle, laquelle était adaptée aux limitations fonctionnelles (pas de port de charges supérieures à 10 kg, pas de marche à plat sans pause au-delà de 30 minutes, pas de montées et descentes répétées d'escaliers, pas de marche fréquente en descente ou en montée, pas de marche sur terrain irrégulier, pas d'activité en zone basse à genoux ou accroupie, pas d'activité prolongée au-dessus de la tête, pas de posture en porte-à-faux, pas de posture statique de la colonne cervicale ou de la colonne lombaire, pas de mouvements répétitifs de flexion-extension ou de rotation de la colonne vertébrale).
Par projet de décision du 10 mars 2022, l'office AI a informé l'assurée de son intention de lui refuser l'octroi d'une rente d'invalidité, au motif qu'elle ne présentait pas d'incapacité de gain suffisante pour ouvrir le droit à une telle prestation. Compte tenu des objections de l'intéressée et d'un nouveau rapport de sa médecin traitante, la doctoresse D.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du 25 mai 2022, le cas a été soumis à l'appréciation du SMR, qui a constaté une divergence d'appréciation portant sur les diagnostics incapacitants et sur la capacité de travail de l'assurée (avis du 31 mai 2022). || a néanmoins retenu l'impartialité du docteur C.________ et le fait qu'aucun nouvel élément médical probant ne pouvait le faire départir de ses précédentes conclusions. Par décision du 22 juin 2022, l'office AI a confirmé son projet de refus de rente.
B.
Saisie d'un recours contre la décision de l'office AI du 22 juin 2022, la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel l'a rejeté par arrêt du 27 septembre 2023.
C.
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à sa réforme dans le sens de la reconnaissance de son droit à une rente entière d'invalidité. A titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et à la mise en oeuvre d'une nouvelle expertise psychiatrique par l'office AI. Par ailleurs, la recourante requiert d'être mise au bénéfice de l'assistance judiciaire.
Invités à se déterminer sur le recours, l'office AI a déclaré n'avoir pas d'observations à formuler, tandis que la juridiction précédente et l'Office fédéral des assurances sociales n'ont pas répondu.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
Le litige porte sur le droit éventuel de la recourante à une rente d'invalidité, singulièrement sur le point de savoir si les premiers juges ont violé le droit fédéral en niant le droit à ladite prestation sur la base du rapport d'examen des docteurs B.________ et C.________ du 23 février 2022.
3.
3.1. Sur le plan psychiatrique - seul litigieux dans la présente procédure, comme dans la précédente -, la cour cantonale a reconnu une pleine valeur probante au rapport du docteur C.________ et fait siennes les conclusions de ce médecin, après avoir relevé, en prémisse de son argumentation, que la valeur probante dudit rapport s'appréciait de la même manière que celle des expertises réalisées par des médecins indépendants.
3.2.
3.2.1. La recourante fait valoir divers griefs à l'encontre du docteur C.________, de son examen et de son rapport du 23 février 2022. Elle se plaint d'abord de l'absence d'un enregistrement sonore, en invoquant la violation de l'art. 44 al. 6 LPGA. Elle en déduit l'impossibilité d'établir certains vices graves (p. ex. le fait de ne pas aborder les sujets utiles ou formuler les questions de manière pertinente, de ne pas chercher à clarifier certaines réponses à des questions éventuellement mal comprises, etc.). La recourante invoque également le manque d'indépendance de ce médecin à l'égard du SMR et, par là, une violation de l'art. 44 al. 2 LPGA. Le docteur C.________ ne serait par ailleurs pas certifié en médecine d'assurance suisse et le dossier ne permettrait pas de connaître son champ de compétences. Enfin, la recourante évoque la brève durée de l'expertise (1h30), effectuée dans des circonstances selon elle objectivement indéfinissables.
3.2.2. Les éléments avancés par la recourante et ses griefs de violation de l'art. 44 LPGA sont mal fondés. En effet, l'art. 44 LPGA ("Expertise"), qui prévoit notamment un enregistrement sonore des entretiens (al. 6), ne s'applique pas aux examens médicaux réalisés par les SMR comme celui pratiqué par le docteur C.________, médecin exerçant précisément pour le compte du SMR. Un tel examen est soumis aux exigences de l'art. 49 al. 2 RAI (RS 831.201), aux termes duquel les SMR peuvent au besoin procéder eux-mêmes à des examens médicaux sur la personne des assurés; ils consignent les résultats de ces examens par écrit. Quant au fait que le docteur C.________ ne serait pas certifié en médecine d'assurance suisse, il ne permet pas en soi de remettre en cause ses conclusions, alors qu'il s'agit d'un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, comme cela ressort tant du rapport d'examen que de la convocation à celui-ci. Enfin, la durée de l'examen ne permet de tirer aucune conclusion, en l'espèce, sur la valeur du travail de l'expert, dont le rôle consiste notamment à se prononcer sur l'état de santé psychique de l'assuré dans un délai relativement bref (cf. arrêts 9C_457/2021 du 13 avril 2022 consid. 6.2; 9C_133/2012 du 29 août 2012 consid. 3.2.1; 9C_443/2008 du 28 avril 2009 consid. 4.4.2 et les arrêts cités).
3.3.
3.3.1. Dans la suite de son argumentation, la recourante se prévaut des rapports médicaux de la doctoresse D.________, qui a notamment pris position sur le rapport du docteur C.________, et reproche aux juges cantonaux de n'avoir pas confronté leurs avis divergents. Dans ce contexte, elle met en évidence des éléments, selon elle, contradictoires et des lacunes dans le rapport de ce dernier.
3.3.2. S'agissant de la valeur probante des rapports des SMR selon l'art. 49 al. 2 RAI, le Tribunal fédéral considère qu'elle est comparable à celle des expertises médicales externes, lorsque ces rapports satisfont aux exigences développées par la jurisprudence en matière d'expertise médicale. Toutefois, les offices AI devraient toujours ordonner des expertises externes lorsque le caractère interdisciplinaire d'une situation médicale problématique l'exige, lorsque le SMR ne dispose pas des ressources professionnelles nécessaires pour pouvoir répondre à une question qui se pose ou lorsqu'il existe une divergence entre le rapport du SMR et la teneur générale du dossier médical, divergence qui ne reposerait pas sur des prémisses différentes dues à la conception bio-psycho-sociale de la maladie, répandue en médecine et qui est plus large que la notion d'atteinte à la santé en droit des assurances sociales (cf. ATF 137 V 210 consid. 1.2.1; arrêt I 738/05 du 1er mars 2007 consid. 5.2, in SVR IV 33 n° 117).
Lorsqu'une décision administrative s'appuie exclusivement sur l'appréciation d'un médecin interne à l'assureur social et que l'avis d'un médecin traitant ou d'un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l'un ou sur l'autre de ces avis et il y a lieu de mettre en oeuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.6 et 4.7; arrêt 8C_816/2021 du 2 mai 2022 consid. 3.2 et l'arrêt cité).
3.3.3. En l'espèce, les juges cantonaux ont privilégié les conclusions du docteur C.________, du fait que son rapport satisfaisait aux exigences jurisprudentielles en matière d'expertise médicale. Ils ont considéré en particulier que ce médecin n'avait pas ignoré les éléments invoqués par la recourante - qualifiés pour certains d'anecdotiques - mais avait un avis différent ou que celle-ci se limitait à opposer l'appréciation de sa médecin traitante à celui du docteur C.________.
Cela dit, il ressort de l'arrêt attaqué que la doctoresse D.________ et le docteur C.________ ne s'accordent ni sur les diagnostics, ni sur la capacité de travail de la recourante (cf. avis du SMR du 31 mai 2022). En particulier, et comme la recourante le fait valoir, la médecin traitante a reproché à l'expert d'avoir écarté les troubles de l'attention et de la concentration sans expliquer son évaluation ni avoir procédé à un test. Elle lui a également opposé d'avoir fondé son analyse de l'évolution de la capacité de travail de la recourante sur la base d'un rapport d'expertise mis en oeuvre par l'assurance perte de gain, alors que le médecin consultant était par la suite revenu sur son évaluation. A cela s'ajoute d'autres éléments, invoqués par la recourante, contribuant à susciter un doute à tout le moins minime sur la fiabilité ou la pertinence du rapport du SMR. Ainsi, le docteur C.________ retient notamment la capacité de la recourante à prendre des décisions importantes et une indépendance dans l'organisation de sa vie quotidienne (cf. p. 12, 15, 19 et 20 du rapport), sans circonstancier son appréciation par rapport au fait que la recourante est sous curatelle de représentation (art. 394 s. CC) (ce qui n'est pas précisé dans le rapport d'examen). Si le curateur n'est pas médecin, comme l'ont relevé les juges cantonaux en niant la pertinence de ses observations, on ne saurait nier sa légitimité à s'exprimer sur les capacités de la recourante à se gérer sur le plan administratif, compte tenu de la mission qui lui est confiée.
Sans préjuger du fond du litige, il apparaît ainsi que les circonstances du cas d'espèce justifiaient une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA. En conséquence, les premiers juges ont procédé à une appréciation (anticipée) des preuves manifestement erronée en refusant la mise en oeuvre d'une telle expertise médicale (cf. mémoire de recours du 29 août 2022 p. 24).
4.
Il s'ensuit que le recours doit être partiellement admis au sens des considérants, avec pour conséquence l'annulation de l'arrêt cantonal et de la décision du 22 juin 2022. La cause sera renvoyée à l'intimé pour qu'elle mette en oeuvre une expertise médicale, dont la discipline peut se limiter au domaine psychiatrique, et rende une nouvelle décision.
5.
En ce qui concerne la répartition des frais judiciaires et des dépens, le renvoi de la cause pour nouvelle décision revient à obtenir gain de cause au sens des art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF, indépendamment du fait qu'une conclusion ait ou non été formulée à cet égard, à titre principal ou subsidiaire (ATF 146 V 28 consid. 7; 141 V 281 consid. 11.1). Les frais judiciaires ainsi que les dépens auxquels peut prétendre la recourante seront dès lors mis à la charge de l'intimé, qui succombe, ce qui rend la demande d'assistance judiciaire sans objet. La recourante a produit une note d'honoraires pour un montant de 6'470 fr. (18 heures 52 au tarif horaire de 290 fr.). Ce montant apparaît toutefois excessif compte tenu de l'ampleur de la cause et de ses difficultés, ainsi que du fait que les arguments soulevés ont déjà été amplement discutés par la recourante dans la procédure précédente. Il convient dès lors d'allouer à la recourante le montant forfaitaire habituel de 2'800 fr.
Compte tenu de l'issue du litige en instance fédérale, la juridiction cantonale statuera à nouveau sur les frais et les dépens de la procédure antérieure (art. 68 al. 5 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est partiellement admis. L'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public, du 27 septembre 2023 et la décision de l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel du 22 juin 2022 sont annulés. La cause est renvoyée à l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel pour qu'il mette en oeuvre une expertise médicale et rende une nouvelle décision. Le recours est rejeté pour le surplus.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimé.
3.
L'intimé versera à l'avocat de la recourante la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4.
La cause est renvoyée au Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public, pour nouvelle décision sur les frais et les dépens de la procédure antérieure.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 17 septembre 2024
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Wirthlin
La Greffière : Castella