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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
8C_290/2024  
 
 
Arrêt du 31 janvier 2025  
 
IVe Cour de droit public  
 
Composition 
Mmes et MM. les Juges fédéraux 
Viscione, Présidente, 
Maillard, Heine, Scherrer Reber et Métral. 
Greffier : M. Colombi. 
 
Participants à la procédure 
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Division juridique, Fluhmattstrasse 1, 6002 Lucerne, 
recourante, 
 
contre  
 
A.________ Sàrl, 
représentée par Me Bruno de Weck, avocat, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-accidents (procédure administrative; 
condition de recevabilité), 
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 11 avril 2024 (605 2023 22). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. Le 10 novembre 2022, la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA) a adressé à A.________ Sàrl, sise à U.________, une décision-facture après révision de 129'923 fr. 65. Ce montant correspondait aux primes d'assurance contre les accidents professionnels et non professionnels (pour la période du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020) du personnel emprunté par A.________ Sàrl à d'autres entreprises, la CNA ayant considérés ces employés comme étant dépendants de cette société.  
 
A.b. Le 25 novembre 2022, B.________ a eu un entretien avec deux collaborateurs de la CNA, dans le cadre duquel il a indiqué représenter A.________ Sàrl "dans les litiges". Il a demandé et obtenu des explications quant aux motifs de la décision-facture du 10 novembre 2022. Il lui a notamment été indiqué que la seule solution offerte aux associés de sa mandante était de faire opposition à la facture et de prouver ce qui s'était passé. À l'issue de l'entretien, B.________ a indiqué qu'il allait faire opposition par courrier recommandé, ce qu'il a fait le 28 novembre 2022 en produisant une procuration délivrée par A.________ Sàrl l'autorisant à "avoir accès à tout document officiel concernant leur comptabilité générale ainsi que tout document extra en prévoyance de l'expertise commerciale qui a été ordonnée par la société précitée". Par courrier A Plus du 1er décembre 2022, la CNA a imparti à B.________ un délai au 16 décembre 2022 pour attester ses pouvoirs au moyen d'une procuration impliquant expressément le pouvoir de former opposition, en précisant que, à défaut de production dans le délai imparti, l'opposition serait considérée comme irrecevable. Selon les informations de suivi des envois fournies par la poste, ledit courrier a été distribué le 2 décembre 2022 à 10 heures 11 (mention "zugestellt durch", sans autre précision).  
 
A.c. Par décision sur opposition du 3 janvier 2023, la CNA a déclaré irrecevable l'opposition du 28 novembre 2022 au motif que la procuration demandée n'avait pas été remise dans le délai imparti. Par courriers des 4 et 16 janvier 2023, B.________ a produit la procuration requise et a demandé que l'opposition soit prise en considération, au motif qu'il n'avait jamais reçu le courrier du 1er décembre 2022.  
 
B.  
Le 2 février 2023, représentée par son avocat, A.________ Sàrl a déposé un recours contre la décision sur opposition du 3 janvier 2023 en concluant à son annulation. Par arrêt du 11 avril 2024, la I re Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Fribourg a admis le recours et renvoyé la cause à la CNA pour nouvelle décision. 
 
C.  
La CNA interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à son annulation ainsi qu'à la confirmation de la décision sur opposition du 3 janvier 2023. 
L'intimée conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. La juridiction cantonale ne s'est pas déterminée. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) est recevable contre les décisions finales, soit celles qui mettent fin à la procédure (art. 90 LTF), et contre les décisions partielles visées à l'art. 91 LTF. Sous réserve des hypothèses visées à l'art. 92 LTF, il n'est recevable contre les décisions incidentes que si celles-ci peuvent causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF).  
 
1.2. En règle générale, une décision de renvoi ne met pas fin à la procédure (ATF 140 V 282 consid. 4.2) et n'est pas non plus de nature à causer un préjudice irréparable aux parties, le seul allongement de la durée de la procédure ou le seul fait que son coût s'en trouve augmenté n'étant pas considéré comme constitutif d'un tel dommage (ATF 139 V 99 consid. 2.4). Néanmoins, lorsqu'une administration ou un assureur social sont ainsi contraints à rendre une décision qu'ils estiment contraire au droit et qu'ils ne pourront eux-mêmes pas attaquer, le jugement incident peut être déféré au Tribunal fédéral sans attendre le prononcé du jugement final (ATF 142 V 26 consid. 1.2; 141 V 255 consid. 1.1 et les arrêts cités; 133 V 477 consid. 5.2).  
 
1.3. En l'espèce, l'arrêt entrepris renvoie la cause à la recourante pour qu'elle traite l'opposition du 28 novembre 2022. Dès lors, on est en présence d'une décision incidente. Cela dit, le jugement cantonal a un effet contraignant pour la recourante, en ce sens qu'elle est tenue d'entrer en matière sur l'opposition, ce qu'elle considère comme contraire au droit, sans qu'elle puisse par la suite attaquer la décision à rendre. Contrairement à l'opinion de l'intimée, selon laquelle les droits de la recourante ne seraient pas prétérités dès lors que le traitement de l'opposition pourrait également être négatif, la décision incidente comporte en tout cas un risque de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF.  
Les autres conditions étant également réunies (cf. art. 42, 86 al. 1 let. d et 100 LTF), le recours est admissible. 
 
2.  
 
2.1. Le litige porte sur la recevabilité de l'opposition formée par B.________ au nom de l'intimée, qualifiée d'irrecevable par la recourante faute de production d'une procuration valable dans le délai imparti. Il ne concerne donc pas l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents, de sorte que la règle de l'art. 105 al. 3 LTF n'est pas applicable à la présente procédure (cf. ATF 140 V 136 consid. 1.2.2; 135 V 412 consid. 1.2.2; arrêt 8C_61/2019 du 17 avril 2019 consid. 1). Par conséquent, le Tribunal fédéral est lié par les faits constatés par la juridiction précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1; 143 I 310 consid. 2.2; 140 III 264 consid. 2.3) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).  
 
2.2. En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables. Le Tribunal fédéral n'entre en matière sur les moyens fondés sur la violation de droits fondamentaux, dont l'interdiction de l'arbitraire, que s'ils ont été invoqués et motivés de manière précise (art. 106 al. 2 LTF; ATF 150 I 50 consid. 3.3.1; 146 IV 88 consid. 1.3.1; 144 V 50 consid. 4.2).  
 
3.  
Aux termes de l'art. 52 al. 1 LPGA (RS 830.1), les décisions peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d'opposition auprès de l'assureur qui les a rendues, à l'exception des décisions d'ordonnancement de la procédure. 
Selon l'art. 10 OPGA (830.11), l'opposition doit contenir des conclusions et être motivée (al. 1). Exception faite des cas visés par l'alinéa 2 - non réalisés en l'espèce -, l'opposition peut être formée au choix par écrit ou par oral, lors d'un entretien personnel (al. 3). L'opposition écrite doit être signée par l'opposant ou par son représentant légal. En cas d'opposition orale, l'assureur consigne l'opposition dans un procès-verbal signé par l'opposant ou son représentant légal (al. 4). Si l'opposition ne satisfait pas aux exigences de l'al. 1 ou si elle n'est pas signée, l'assureur impartit un délai convenable pour réparer le vice, avec l'avertissement qu'à défaut, l'opposition ne sera pas recevable (al. 5). 
 
4.  
 
4.1. Sans se prononcer sur la présence d'éventuels indices concrets d'une erreur de distribution du courrier A Plus, comme prétendu par l'intimée, les premiers juges ont estimé que l'opposition du 28 novembre 2022 avait effectivement été déposée au nom de la société. Tout d'abord, ils ont relevé que la recourante n'avait pas adressé ce courrier à l'intimée mais exclusivement à B.________, admettant ainsi implicitement qu'il agissait bien en qualité de représentant. Cette représentation s'inscrivait du reste dans la suite logique de l'entretien préalable avec deux collaborateurs de la recourante, lesquels n'avaient à aucun moment remis en question les pouvoirs de B.________ d'agir au nom de sa mandante. Le tribunal cantonal a également noté que c'est à la suite d'un échange de vues avec une juriste de la recourante - n'ayant pas participé à l'entretien précité - que la Caisse de compensation compétente (ci-après, la "Caisse"), dans le cadre d'une procédure parallèle, a elle aussi requis de B.________ une procuration spécifique, qui lui a été adressée très rapidement par celui-ci. Le courrier de la Caisse avait cependant été envoyé par pli recommandé et adressé en copie à l'intimée, contrairement au courrier de la recourante. La cour cantonale a alors estimé que la juriste de la recourante, qui avait indiqué expressément à son interlocuteur de la Caisse qu'il était important qu'ils restent en contact afin de coordonner leurs démarches, aurait facilement pu se renseigner auprès de ce dernier au sujet de la procuration avant de déclarer l'opposition irrecevable.  
 
4.2. De plus, la volonté de l'intimée de faire opposition résultait clairement d'un entretien téléphonique du 7 décembre 2022 (soit dans le cadre du délai imparti au mandataire pour justifier de son pouvoir de représentation) avec une collaboratrice de la recourante, lors duquel, sans l'intervention de son mandataire, elle avait demandé de "stopper la facture le temps que la procédure d'opposition soit réglée". Il lui avait été répondu que l'opposition n'avait pas d'effet suspensif et qu'en cas d'admission le montant payé serait déduit des factures ouvertes ou remboursé. D'après les juges cantonaux, cela démontrait un manque de communication interne à la recourante entre, d'une part, les gestionnaires du dossier qui avaient donné des informations sur la situation de l'intimée en l'absence d'une procuration écrite valable, ne remettant ainsi jamais en cause le pouvoir de représentation du mandataire et, d'autre part, la juriste chargée de traiter l'opposition qui avait constaté la portée insuffisante de la procuration. Les conséquences de ce dysfonctionnement interne de la recourante, qui avait adopté un comportement contraire à la bonne foi et à l'interdiction du formalisme excessif, ne devaient pas être imputées à l'intimée.  
 
5.  
La recourante conteste avoir fait preuve d'un formalisme excessif et réfute toute violation du principe de la bonne foi. De plus, elle nie la possibilité d'une erreur de distribution du courrier A Plus ainsi qu'une éventuelle irrégularité à ce propos. 
 
5.1. Il y a formalisme excessif (constitutif d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst.) lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi et complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 149 IV 9 consid. 7.2; 149 III 12 consid. 3.3.1; 145 I 201 consid. 4.2.1; 142 V 152 consid. 4.2; 142 IV 299 consid. 1.3.2). Les limitations appliquées au droit d'accès à un tribunal, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d'un recours, ne doivent pas restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, les limitations considérées ne se concilient avec l'art. 6 par. 1 CEDH que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En ce sens, si le droit d'exercer un recours est bien entendu soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédures établies par la loi (ATF 149 IV 9 consid. 7.2).  
 
5.2. En demandant au mandataire de l'intimée de justifier de ses pouvoirs de représentation, la recourante aurait opéré en parfaite conformité avec les principes dégagés de l'art. 37 LPGA. Celui-ci ne s'étant pas exécuté dans le délai imparti et ayant été averti des conséquences de l'absence de production d'une procuration dans le délai imparti, la recourante n'aurait donc fait que procéder à une stricte application des règles de forme qui, d'après la jurisprudence, ne serait pas constitutive de formalisme excessif. Par ailleurs, le fait d'avoir initialement retenu, lors de l'échange avec le mandataire, que ce dernier "représente la société dans les litiges" n'aurait nullement empêché la recourante, après avoir remarqué son erreur, de revenir sur sa position. Elle ne saurait donc, sur la base du principe de la bonne foi, être amenée à admettre la validité de l'opposition du 28 novembre 2022. Quant à l'entretien téléphonique du 7 décembre 2022 entre les parties, indépendamment du fait de savoir si l'intimée y a manifesté sa volonté de s'opposer à la décision du 10 novembre 2022, il y aurait lieu de constater que les conditions de forme d'une opposition - auxquelles elle aurait été rendue attentive - ne seraient en tous cas pas satisfaites. La recourante soutient encore qu'il n'y aurait pas lieu de retenir une erreur de distribution, étant donné que, d'après la jurisprudence, le simple fait que celle-ci ne puisse être exclue ne suffirait pas à la rendre plausible au vu des circonstances. Pour le surplus, le fait d'adresser le courrier A Plus au mandataire seulement serait conforme à l'art. 37 al. 3 LPGA.  
 
5.3.  
 
5.3.1. Contrairement à l'avis des premiers juges, la recourante était en droit d'exiger une procuration écrite du mandataire de l'intimée, conformément à l'art. 37 al. 2 LPGA (cf. ATF 104 Ia 403 consid. 4e; arrêts 9C_533/2022 du 10 février 2023 consid. 5.2; 6B_388/2022 du 8 mai 2023 consid. 2.3; 2C_545/2021 du 10 août 2021 consid. 2.1; 5A_561/2016 du 22 septembre 2016 consid. 3.3; 2C_55/2014 du 6 juin 2014 consid. 5.3.1). Pour autant que cette exigence de procuration ait été valablement notifiée, la recourante était également en droit de s'en tenir à cette exigence en dépit de l'appel téléphonique du 7 décembre 2022 lors duquel la procédure d'opposition a été directement évoquée avec l'intimée. Il n'y a pas lieu d'y voir un formalisme excessif. Par ailleurs, le fait que des collaborateurs de la recourante se soient entretenus auparavant avec B.________ ou aient échangé avec l'intimée n'y change rien. Même en admettant que la recourante avait connaissance de la volonté de l'intimée de former opposition, elle était tout de même en droit d'exiger une procuration écrite de son mandataire. Le recours doit être admis sur ce point.  
 
5.3.2. Les premiers juges ont laissé ouverte la question de savoir si la preuve de la notification de la demande de procuration écrite avait été rapportée. Il s'agissait toutefois d'une question décisive pour se prononcer sur le recours dont ils étaient saisis, étant donné qu'aucun formalisme excessif ne pouvait être reproché à la recourante. En l'espèce, le Tribunal fédéral est tenu de statuer sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF; cf. consid. 2.1 supra), ce qui rend nécessaire un renvoi de la cause à la cour cantonale pour qu'elle se prononce sur cet aspect.  
 
6.  
Il s'ensuit que le recours doit être partiellement admis dans le sens des considérants. En ce qui concerne la répartition des frais judiciaires et des dépens, le renvoi de la cause pour nouvelle décision revient à obtenir gain de cause (ATF 146 V 28 consid. 7; 137 V 210 consid. 7.1). L'intimée, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Bien qu'elle obtienne gain de cause, la recourante n'a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est partiellement admis. L'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Cour des assurances sociales, du 11 avril 2024 est annulé et la cause lui est renvoyée pour nouvelle décision. Pour le surplus, le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimée. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Cour des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique. 
 
 
Lucerne, le 31 janvier 2025 
 
Au nom de la IVe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Viscione 
 
Le Greffier : Colombi