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Chapeau

109 II 412


87. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 8 décembre 1983 dans la cause Granoli et Meier contre Stucki (recours en réforme)

Regeste

Art. 667, 730, 738 CC. Fonds grevé d'une servitude de non-bâtir. Construction d'un garage souterrain et projet d'aménagement d'un chemin d'accès et de places de parc dans la zone frappée de la restriction.
1. L'inscription de la servitude, constituée en 1929, se limitant à la formule "restriction au droit de bâtir" et l'acte de constitution ne donnant pas d'indications quant à la portée de la charge, on peut voir le but de la servitude dans la recherche d'un ensoleillement favorable, d'une certaine tranquillité, d'un dégagement pour préserver la vue et d'une protection contre toute nuisance, notamment contre le bruit (consid. 3).
2. Dans la mesure où elle ne modifie pas le niveau du sol, une construction souterraine et invisible est compatible avec la servitude (consid. 4).
3. Le propriétaire du fonds servant reste libre d'aménager son terrain à son gré au niveau du sol. Il peut notamment l'asphalter pour créer un chemin et établir des places de parc (consid. 5).

Faits à partir de page 413

BGE 109 II 412 S. 413

A.- a) La parcelle no 290 du registre foncier du district de Vevey, sise au no 5 de l'avenue des Baumes à La Tour-de-Peilz, appartenant à Armand Granoli et à Jakob Meier, est grevée d'une restriction du droit de bâtir en faveur de la parcelle no 293 du même registre foncier, sise au no 7 de l'avenue des Baumes à La Tour-de-Peilz, et dont Walter Stucki est propriétaire. Inscrite le 10 décembre 1929, la servitude interdit de construire sur une bande de terrain de 13,5 m de large depuis la limite avec le fonds dominant, tout le long de cette limite.
En outre, un droit de passage grève la parcelle no 290, le long de sa limite avec la parcelle no 287, au bénéfice de la parcelle no 289.
b) Armand Granoli et Jakob Meier ont envisagé, depuis 1979, la construction sur leur parcelle d'un immeuble locatif; un garage souterrain, le chemin d'accès et des places de parc étaient sis, en partie, dans la zone frappée de la restriction du droit de bâtir. Les travaux ont débuté en automne 1981 sur la base d'un troisième projet, soumis à l'enquête et approuvé par l'autorité administrative, le garage ainsi que les places de parc demeurant prévus en partie dans la zone soumise à la restriction du droit de bâtir. Walter Stucki a requis des mesures provisionnelles, mais les propriétaires de la parcelle no 290 ont été autorisés à terminer la construction du garage souterrain, sous réserve des droits découlant de la servitude. Cette construction est aujourd'hui achevée.
c) Le 8 janvier 1982, Walter Stucki a ouvert action contre Armand Granoli et Jakob Meier. Il demandait qu'il fût constaté que le garage souterrain déjà construit ainsi que le chemin d'accès et les places de parc projetés violent la servitude de non-bâtir, ordre étant donné aux défendeurs de remettre les lieux en état. Granoli
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et Meier ont conclu à libération et, reconventionnellement, à ce qu'il fût dit que la servitude litigieuse doit être interprétée en ce sens qu'elle ne prohibe pas des constructions entièrement souterraines ni l'aménagement du sol lui-même, et que, partant, ne lui sont contraires ni le garage souterrain, ni l'aménagement d'une voie d'accès et de places de parc.

B.- Par jugement du 18 mars 1983, la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a dit que le garage souterrain ne violait pas la servitude litigieuse, mais qu'en revanche les places de parc et le chemin d'accès projetés lui étaient contraires.

C.- Armand Granoli et Jakob Meier ont recouru en réforme au Tribunal fédéral. Ils demandaient qu'il fût dit que les places de parc et le chemin d'accès ne violent pas la servitude. Walter Stucki a formé un recours joint tendant à ce qu'il fût constaté que le garage souterrain est contraire à la servitude, ordre étant donné aux recourants principaux de procéder à sa démolition.
Le Tribunal fédéral a admis le recours principal et rejeté le recours joint.

Considérants

Extrait des considérants:

3. Aux termes de l'art. 738 al. 1 et 2 CC, l'inscription fait règle, en tant qu'elle désigne clairement les droits et les obligations dérivant de la servitude; l'étendue de celle-ci peut être précisée, dans les limites de l'inscription, soit par son origine, soit par la manière dont la servitude a été exercée pendant longtemps, paisiblement et de bonne foi.
En l'espèce, l'inscription se limite à la formule "restriction au droit de bâtir". L'acte de constitution, qui porte la date du 5 décembre 1929, renvoie au plan cadastral, mais ne donne aucune indication quant à la portée de la servitude. Le critère de l'exercice paisible et de bonne foi pendant longtemps n'est d'aucune utilité.
Avec raison, l'autorité cantonale s'est fondée, dès lors, sur le but qui peut être raisonnablement attribué à la servitude, compte tenu de l'intérêt et des besoins du fonds dominant (LIVER, 2e éd., n. 16 et 109-113 ad art. 738 CC; PIOTET, Les droits réels limités en général, les servitudes et les charges foncières, Traité de droit privé suisse V/3 p. 64/65). Au surplus, toute servitude doit être interprétée restrictivement et ne doit limiter les droits du propriétaire du fonds servant que dans la mesure nécessaire à son exercice normal (ATF 99 II 158 in fine; LIVER, 2e éd., n. 14 ad art. 738 CC).
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Aussi ne peut-on que se rallier à la cour cantonale lorsqu'elle voit le but de la servitude litigieuse dans la recherche d'un ensoleillement favorable, d'une certaine tranquillité liée à l'éloignement de toute construction, d'un dégagement pour préserver la vue (dans l'espèce, en direction du lac) et d'une protection contre toute nuisance, notamment contre le bruit.

4. La cour cantonale estime qu'une construction souterraine et invisible, dans la mesure où elle ne modifie par le niveau du sol, est compatible avec la servitude en cause.
Le recourant par voie de jonction soutient qu'il n'y a pas lieu à interprétation de la servitude et que la question est réglée par l'art. 667 al. 1 CC, aux termes duquel la propriété du sol emporte celle du dessus et du dessous, dans toute la hauteur et la profondeur utiles à son exercice. Dès lors, dit-il, l'interdiction de bâtir s'étend, à défaut de dispositions contraires, au cube de terre utilisable sous la parcelle grevée et au cube d'air qui la domine dans la mesure utile à l'exercice du droit; toute autre interprétation aurait pour effet de transformer la servitude d'interdiction de bâtir en une servitude de vue.
On peut admettre, avec le recourant par voie de jonction, que la cour cantonale a écarté un peu vite les principes tirés du droit de propriété pour déterminer l'étendue de la servitude et qu'elle ne saurait invoquer l'arrêt ATF 88 II 242 ss à l'appui de son opinion. L'art. 667 al. 1 CC s'applique aussi, en règle générale, aux droits réels limités (HAAB/SIMONIUS/SCHERRER/ZOBL, n. 3 et MEIER-HAYOZ, 2e éd., n. 12 ad art. 667 CC).
Il n'en reste pas moins cependant que le propriétaire et, partant, le titulaire d'un droit réel limité n'ont pas un droit abstrait, sans bornes en hauteur et en profondeur: il faut qu'ils aient un intérêt digne de protection quant à l'exercice, même éventuel, de leur droit dans un certain espace au-dessus et au-dessous du sol (ATF 97 II 338 consid. 2, ATF 93 II 175 consid. 5 et les références; cf. THORENS, L'étendue en profondeur de la propriété foncière, RDS 1970 I p. 255 ss, sp. pp. 262-273). La question de savoir si le titulaire d'un droit réel limité peut se prévaloir d'un intérêt juridiquement protégé doit être résolue selon les circonstances de chaque cas (ATF 93 II 176 consid. 5; cf. HAAB/SIMONIUS/SCHERRER/ZOBL, n. 3 et MEIER-HAYOZ, n. 7 ad art. 667 CC).
Celui qui accepte que son fonds soit grevé d'une servitude d'interdiction de bâtir renonce à utiliser son droit de propriété en hauteur et en profondeur dans la seule mesure nécessaire pour que
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l'exercice de la servitude par le propriétaire du fonds dominant soit sauvegardé, compte tenu des besoins de ce fonds. C'est ce que le recourant par voie de jonction n'a pas suffisamment pris en considération. En l'espèce, il ne résulte ni du but de la servitude, raisonnablement interprété, ni des autres éléments du dossier que le garage souterrain construit par Granoli et Meier soit incompatible avec l'interdiction de bâtir: comme le dit avec pertinence la cour cantonale, une construction invisible et ne modifiant pas le niveau du sol, après la remise en état, n'est pas contraire au but de la restriction imposée au droit des défendeurs. Dès lors, sur ce point, le jugement attaqué résiste au grief de violation du droit fédéral et doit être confirmé.

5. Selon la Cour civile vaudoise, le propriétaire d'un fonds doit demeurer libre d'aménager son terrain en surface, mais ne saurait l'affecter à une destination contraire aux servitudes existantes; or, en l'espèce, la création d'un chemin dans la zone grevée ainsi que l'aménagement de places de parc sont de nature à causer des nuisances aussi nombreuses et du même genre que celles que la servitude litigieuse était destinée à éviter: dès lors, conclut l'autorité cantonale, il y a lieu de prohiber de telles utilisations du fonds servant.
a) On doit admettre que le propriétaire du fonds servant reste libre d'aménager le terrain à son gré au niveau du sol. Contrairement à l'opinion du recourant par voie de jonction, il n'est pas tenu de le maintenir en nature de pré ou en terrain vague; il peut, par exemple, l'engazonner, voire l'asphalter, même si le goudronnage exige certains travaux qui, dans un sens très large, peuvent être qualifiés de constructions, mais qui, ne modifiant pas (ou seulement d'une manière négligeable) le niveau du sol, ne portent pas atteinte à la servitude (cf. l'arrêt rendu les 14/15 février 1962 par le Kantonsgerichtsausschuss du canton des Grisons, dans RNRF 44 (1963) p. 259 ss; LIVER, n. 190 ad art. 730 et n. 112 ad art. 738 CC). Le recourant par voie de jonction ne s'oppose d'ailleurs pas à ce que l'assiette de la servitude soit utilisée en nature de pré pour le passage à pied. Or, il n'est pas raisonnable que ce passage ne puisse être exercé par les propriétaires et les locataires du bâtiment, ou par d'autres personnes, que sur du pré et non pas sur le même terrain aménagé pour le passage.
Il ne faut pas perdre de vue qu'en cas de servitude de non-bâtir, l'obligation imposée au propriétaire du fonds servant est de n'établir aucune construction qui contrevienne au titre de la
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servitude: pour le surplus, le propriétaire en question n'est, conformément au principe de l'interprétation restrictive de la servitude, pas limité dans ses prérogatives de propriétaire (cf. Encyclopédie Dalloz. Répertoire de droit civil, 2e éd., t. VII, vo Servitudes, nos 299/300). En d'autres termes, visant normalement l'édification de constructions au-dessus du sol, une servitude de non-bâtir ne peut pas être invoquée pour empêcher toute utilisation du fonds servant, mais seulement s'il y a érection de bâtiments.
b) Le même raisonnement doit être tenu pour ce qui concerne les places de parc. Dans la mesure où l'aménagement de ces places n'exige qu'un asphaltage et un balisage, il n'est pas incompatible avec la servitude litigieuse. Certes, la présence de places de stationnement entraîne des inconvénients dus au bruit des moteurs, des portières qui s'ouvrent et se ferment, et des conversations. Toutefois, la servitude litigieuse n'interdit pas, en soi, des activités bruyantes sur la partie grevée du fonds servant: elle prohibe des constructions au-dessus du sol et c'est seulement indirectement qu'elle empêche les immissions en provenance de ces constructions. Quand la cour cantonale déclare que le but de la servitude était d'éviter les nuisances, elle oublie d'ajouter que ce but ne peut être invoqué que pour autant que sont envisagées des constructions sur le fonds servant.
L'interdiction d'aménager des places de parc ne pourrait être confirmée que si l'on assimilait les véhicules stationnés à des constructions mobilières.
Dans un arrêt du 12 janvier 1955 (RNRF 38 (1957) p. 15 ss), la Cour d'appel du Tribunal cantonal du canton de Fribourg a admis qu'une servitude de non-bâtir permet au propriétaire du fonds dominant de s'opposer à l'érection de constructions mobilières sur le fonds servant. Il s'agissait en l'espèce de deux hangars légers devant servir d'abris à des dépôts de bois; il pourrait s'agir, dans une autre situation, d'une halle d'exposition ou d'un chapiteau. La Cour d'appel a considéré avec raison que, "s'il fallait admettre que le caractère provisoire d'une construction lui évite de tomber sous le coup de la servitude de non-bâtir, le contrat constitutif de servitude en viendrait à être vidé de tout son contenu": en effet, "le sol frappé de cette servitude pourrait être couvert d'une manière permanente par des constructions mobilières successives".
Contrairement à ce que pense le recourant par voie de jonction,
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qui cite une doctrine ne traitant que du principe de l'accession (HAAB/SIMONIUS/SCHERRER/ZOBL, n. 14 ad art. 667 CC), ce qui est en jeu, ce n'est pas la notion de construction de l'art. 667 CC, mais la question de savoir si une construction déterminée, immobilière ou mobilière, est compatible avec l'interdiction sanctionnée par la servitude. Le stationnement de véhicules normalement utilisés n'atteint pas le degré de stabilité et de durée d'une construction mobilière; il est plus précaire et provisoire encore: la création de places de parc ne viole donc pas la servitude litigieuse.

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Etat de fait

Considérants 3 4 5

références

ATF: 99 II 158, 88 II 242, 97 II 338, 93 II 175 suite...

Article: Art. 667, 730, 738 CC, art. 667 CC, art. 667 al. 1 CC, art. 738 al. 1 et 2 CC