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Chapeau

55525/00


Hadri-Vionnet Dalila gegen Schweiz
Urteil no. 55525/00, 14 février 2008

Regeste

SUISSE: Art. 8 CEDH. Dépouille d'un enfant mort-né retirée à la requérante à l'hôpital, transportée dans un véhicule inapproprié et enterrée à l'insu de la mère dans la fosse commune du cimetière.

La bonne foi de l'agent communal chargé d'ordonner le transport et l'enterrement du corps de l'enfant n'est pas mise en doute par la Cour, compte tenu notamment du fait que la requérante se trouvait dans un état de choc et qu'il convenait d'agir avec une certaine rapidité. Cela ne libère toutefois aucunement la Suisse de sa propre responsabilité internationale au titre de la Convention. Dès lors, le transport et l'enterrement du corps s'analysent en une ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale. Sur le point de savoir si une telle ingérence était prévue par la loi, une contradiction apparaît entre le texte législatif clair et la pratique suivie en l'espèce. En effet, l'officier d'état civil a procédé à l'enterrement sans consultation des proches, alors que le règlement communal le prescrit. En outre, ce règlement prévoit que l'inhumation soit organisée par les proches. Quant au transport du corps, les autorités judiciaires suisses ont admis qu'il était intervenu en méconnaissance de l'ordonnance sur les règles de la circulation routière, aucune autorisation n'ayant été donnée (ch. 50 - 62).
Conclusion: violation de l'art. 8 CEDH.







Faits

En l'affaire Hadri-Vionnet c. Suisse,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Karel Jungwiert,
Volodymyr Butkevych,
Margarita Tsatsa-Nikolovska,
Javier Borrego Borrego,
Mark Villiger,
Giorgio Malinverni, juges,
et de ClaudiaWesterdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 janvier 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 55525/00) dirigée contre la Conféderation suisse, et dont une ressortissante algérienne, Mme Dalila Hadri-Vionnet (« la requérante »), a saisi la Cour le 7 décembre 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me I. Poncet Carnice, avocate à Genève. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, initialement M. Ph. Boillat, ancien sous-directeur de l'Office fédéral de la justice, puis M. F. Schürmann, chef de la section des droits de l'homme et du Conseil de l'Europe à l'Office fédéral de la justice.

3. La requérante alléguait que l'impossibilité d'assister à l'enterrement de son enfant mort-né ainsi que le transport de son cadavre dans une camionnette de livraison ordinaire avaient enfreint son droit au respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention.

4. Par une décision du 2 mai 2006, la cinquième section a déclaré la requête recevable.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. La requérante est née en 1970 et réside au Lignon (canton de Genève).
A. Les événements à l'origine de l'affaire

6. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

7. La requérante arriva en Suisse le 10 juin 1996 en tant que requérante d'asile.

8. Le 17 juin 1996, elle fut placée dans un centre d'accueil pour requérants d'asile dans le canton d'Argovie.

9. Le 12 mars 1997, elle fut déplacée dans un autre centre, le centre d'accueil « Thorfeld 2 », à Buchs (Argovie).

10. Le 4 avril 1997, la requérante donna naissance à un enfant mort-né, dont le père était un ressortissant suisse. L'autopsie détermina plus tard que le foetus était mort deux jours avant l'accouchement et qu'il avait 26 semaines et deux jours. Sur demande de la sage-femme, la requérante, sous le choc, fut amenée du centre d'accueil de « Thorfeld 2 » à l'hôpital du canton d'Argovie. A la question de la sage-femme lui demandant si elle souhaitait voir le corps de son enfant, la requérante, ainsi que le père, répondirent par la négative.

11. Le même jour, l'assistant social ( Sozialarbeiter ) et l'officier d'état civil ( Zivilstandsbeamter) de la commune de Buchs furent informés de la naissance de l'enfant. Estimant qu'un enterrement avec cérémonie n'était pas obligatoire dans le cas d'un enfant mort-né au début de la 27ème semaine de la grossesse, ils ordonnèrent un enterrement sans cérémonie, en l'absence de la requérante. Ils prirent notamment en compte le fait que les parents de l'enfant avaient exprimé le souhait de ne pas voir le corps avant son autopsie et estimèrent que, compte tenu de son état psychique, la requérante n'était pas en mesure d'assister à son inhumation.

12. Le 8 avril 1997, après avoir été placé dans un cercueil en bois par une entreprise de pompes funèbres, le corps de l'enfant, sur ordre de l'assistant social de la commune, fut transporté dans une camionnette de livraison au cimetière de la commune de Buchs, pour y être enterré dans la fosse commune des enfants mort-nés ( Grabstelle für Totgeburten ).

13. Il apparaît que la requérante ait quitté l'hôpital le même jour (voir les décisions du tribunal supérieur du canton d'Argovie du 14 mai 1999, ci-dessous, le paragraphe 23).

14. Le 10 avril 1997, la requérante fut conduite au cimetière par une assistante du service psychiatrique pour y déposer des fleurs.

15. D'après le Gouvernement, la requérante fut informée, le 15 avril 1997, de la possibilité d'organiser ultérieurement une cérémonie d'enterrement pour son enfant. Dans ses dépositions en date du 1er juillet 1997 (voir ci-dessous, le 19), la requérante contesta cette allégation.

16. Le 22 avril 1997, elle se rendit au cimetière, visita le lieu où son enfant avait été enterré, accompagnée par le curé, et y déposa quelques pierres et des fleurs.
B. Les procédures intentées par la requérante

17. Le 13 mai 1997, la requérante introduisit une plainte pénale contre X auprès de l'office du district ( Bezirksamt ) d'Aarau et se constitua partie civile. Une procédure pénale fut ouverte contre l'assistant social et l'officier d'état civil de la commune de Buchs pour abus d'autorité, atteinte à la paix des morts et, subsidiairement, pour soustraction d'une chose mobilière au sens de l'article 141 du code pénal. La requérante fit valoir que le cadavre de son enfant lui avait été retiré de manière illicite et que son transport était intervenu dans un véhicule inapproprié et sans l'autorisation nécessaire pour ce type de transport. Dans ce contexte, elle se plaignit d'une violation de sa liberté personnelle, garantie par la Constitution fédérale et protégeant, d'après la requérante, les sentiments d'un individu vis-à-vis d'un membre de sa famille décédé (voir ci-dessous, le paragraphe 33).

18. Le 15 mai 1997, la requérante déménagea à Genève où vivait son compagnon.

19. Le 1er juillet 1997, la requérante et son compagnon furent interrogés par la police cantonale de Genève au sujet de la naissance de leur enfant et des circonstances l'ayant entourée. Des extraits de l'entretien avec la requérante sont reproduits ci-dessous :
« Question (ci-après : « Q ») 17 : Avez-vous été informée des différents modes de sépulture (ensevelissement, incinération ou autre) pour les enfants morts-nés ?
Réponse (ci-après : « R ») 17 : La sage-femme, puis le Dr. R., m'ont demandé ce que je désirais faire avec le corps de mon enfant.
Q 18 : Pour quel mode de sépulture avez-vous opté ?
R 18 : J'ai choisi l'enterrement normal avec une cérémonie.
Q 19 : Vous a-t-on indiqué que vous pouviez voir le corps de votre enfant ?
R 19 : La sage-femme m'a proposé de voir l'enfant.
Q 20 : Avez-vous vu le corps de l'enfant ?
R 20 : J'étais sous le choc et j'ai refusé, car je n'avais pas le courage de voir mon enfant mort.
(...)
Q 32 : Avez-vous été orientée au sujet des obsèques par le personnel de l'hôpital ?
R 32 : Oui. Les formalités ont été faites avec C. [l'entreprise de pompes funèbres] Seul le jour ne m'a pas été communiqué.
Q 33 : Avez-vous été informée de l'ensevelissement par le service de l'état civil de Buchs ?
R 33 : Non.
Q 34 : Est-ce que l'endroit, la date et l'heure de l'enterrement vous ont été communiqués ?
R 34 : Non.
Q 35 : Dans l'affirmative, par qui ?
R 35 : ---
Q 36 : Dans la négative, avez-vous demandé des informations à ce sujet au père de l'enfant ou à d'autres personnes, notamment à M. H. (le directeur du centre d'accueil à Buchs) ?
R 36 : J'ai reçu la visite du Dr. H. le mardi suivant, sauf erreur, vers 14h00. Elle m'a annoncé que mon bébé avait été enterré le jour même à 13h00. J'étais très en colère de n'avoir pas été présente. Elle a déclaré n'être pas au courant du système.
Q 37 : Vous sentiez-vous en état d'assister à l'enterrement de votre enfant ?
R 37 : Je m'y préparais car pour me convaincre de sa mort, je devais le voir mis en terre.
Q 38 : Pourquoi n'avez-vous pas assisté à l'enterrement ?
R 38 : Je n'en ai pas eu la possibilité.
(...)
Q 40 : Est-ce que le personnel de l'hôpital vous a proposé d'assister à l'enterrement en présence d'une infirmière ?
R 40 : Non. Je n'ai reçu aucune proposition à ce sujet.
Q 41 : Êtes-vous allée sur la tombe de votre enfant et avec qui ?
R 41 : Le jeudi 10 avril 1997, j'ai rencontré M. B., assistant social. Il m'a déclaré que je n'avais pas le droit de savoir où se trouvait mon bébé. Je lui ai rétorqué que bien que je sois requérante d'asile, j'étais avant tout une mère et que j'avais le droit de voir la tombe de mon fils.
Comme il a refusé de me dire quoi que ce soit, je suis allée à la police où j'ai été reçue par Mme B. Elle m'a déclaré que ce type de problème n'était pas de son ressort. J'ai insisté et après s'être renseignée, elle m'a dit que c'était la « commune » qui avait décidé ainsi.
Sur ce, j'ai contacté le prêtre de l'Eglise catholique d'Aarau ainsi qu'une assistante pastorale. Ils étaient étonnés que je n'aie pas obtenu satisfaction. Ils ont tenté d'obtenir des informations mais sans succès.
Q 42 : Avec-vous le sentiment d'avoir subi un préjudice par le manque d'informations qui vous ont été données au sujet de l'ensevelissement de votre enfant ?
R 42 : Un grand préjudice. J'ai eu le choc de perdre mon enfant et de plus, je n'ai sais pas où il est enterré.
Q 43 : Quel type de préjudice avez-vous subi ?
R 43 : J'estime n'avoir pas été respectée en ma qualité de mère. J'ai été mise à l'écart de toutes les démarches.
Q 44 : Auriez-vous assisté à l'enterrement si vous en aviez connu l'heure et l'endroit ?
R 44 : Oui.
Q 45 : Avez-vous été informée du fait que des funérailles dans l'intimité étaient encore possibles ?
R 45 : Non.
(...) »

20. Voici encore quelques extraits de l'entretien avec le compagnon de la requérante :
« Q 11 : Avez-vous été informé des modes de sépulture (ensevelissement, incinération, autre) ?
R 11 : La sage-femme m'a demandé quelle sorte d'enterrement je souhaiterais pour l'enfant. Je lui ai répondu qu'en tant que catholique, je désirais un enterrement (ensevelissement et cérémonie). Elle m'a demandé de contacter la société C.
(...)
Q 13 : Avez-vous été informé de la possibilité de voir votre enfant mort ?
R 13 : Oui, la sage-femme me l'a proposé.
Q 14 : Avez-vous vu votre enfant mort ?
R 14 : Non, je n'ai pas eu le courage de le voir. J'ai cependant vu des photographies du bébé à l'hôpital cantonal.
(...)
Q 27 : Vous sentiez-vous en état d'assister à un enterrement ?
R 27 : Oui
(...)
Q 30 : Vous êtes-vous rendu au cimetière sur la tombe de votre enfant et qui vous accompagnait à ce moment-là ?
R 30 : Je suis allé avec mon amie au cimetière des « inconnus » de Buchs vers le 20 mai 1997. Pour moi, il ne s'agit pas d'un cimetière mais d'un parc public. Il n'y a aucune croix qui indique que c'est un cimetière. Il y a deux statues et quelques pavés avec des noms. Mon enfant est, sur la base des indications fournies par le service social de Buchs, enterré à la lisière des arbres. Il n'y aucune preuve.
Q 31 : Avez-vous le sentiment d'avoir subi un préjudice dû à un manque d'informations au sujet de l'ensevelissement ?
R 31 : Oui, j'ai subi un préjudice. En effet, le bébé mort était mon fils.
Q 32 : Quel genre de préjudice ?
R 32 : Un préjudice moral et humain.
Q 33 : Auriez-vous assisté à l'ensevelissement si vous aviez eu connaissance du lieu et de la date ?
R 33 : Oui, absolument.
Q 34 : Avez-vous été informé du fait qu'une cérémonie funéraire peut être tenue postérieurement ?
R 34 : Je n'ai reçu aucune information à ce sujet.
(...). »

21. Le 4 août 1998, se fondant sur les rapports finaux de l'office du district ( Bezirksamt ) d'Aarau du 1er juillet 1998, le parquet du canton d'Argovie rendit deux ordonnances de classement relatives aux deux inculpés. S'agissant du délit d'atteinte à la paix des morts, il estima qu'un des éléments constitutifs de l'infraction, l'intention des auteurs, faisait défaut en l'espèce. Quant au transport inadéquat du corps de l'enfant, le parquet admit une erreur de droit de la part de l'officier d'état civil de la commune. Une partie des frais de procédure fut toutefois mise à la charge des accusés.

22. La requérante forma deux recours à l'encontre des ordonnances du 4 août 1998 devant le tribunal supérieur ( Obergericht ) du canton d'Argovie. Elle soutint que les deux inculpés avaient commis une atteinte à la paix des morts par « dol éventuel » ( Eventualvorsatz ) et qu'ils devaient bien, dès lors, en répondre pénalement. Dans le cadre du recours visant l'officier d'état civil, la requérante se plaignit plus spécifiquement d'une atteinte à sa liberté personnelle ainsi qu'au droit à une sépulture décente en tant que droits individuels protégés par la Constitution fédérale, en raison notamment du fait qu'elle n'avait pas été invitée à assister à l'enterrement de son enfant. Enfin, s'agissant du transport de l'enfant, la requérante contesta la thèse du parquet, qui avait admis une erreur de droit.

23. Par deux arrêts en date du 14 mai 1999, le tribunal supérieur déclara les recours irrecevables. S'agissant de l'atteinte à la paix des morts, il estima que les éléments constitutifs de l'infraction n'étaient en l'espèce pas réunis, mais considéra néanmoins qu'en ordonnant l'enterrement de l'enfant sans cérémonie, les deux personnes inculpées avaient enfreint la législation pertinente. En effet, aussi bien l'ordonnance sur les pompes funèbres du canton d'Argovie, dans son article 11 alinéa 1, que le règlement sur le cimetière et les pompes funèbres de la commune de Buchs, dans son article 8 alinéa 1, auraient permis l'inhumation après deux jours à compter de la naissance de l'enfant mort-né. En outre, cette dernière disposition prévoyait, dans son alinéa 4, l'organisation d'une cérémonie (voir ci-dessous, le paragraphe 40). De ce fait, le tribunal supérieur estima qu'il y avait a priori eu atteinte au droit de la requérante à la tenue d'une cérémonie. Par ailleurs, l'état psychique et physique de la requérante ne l'aurait pas empêchée d'assister à l'enterrement de son enfant, puisque c'est précisément ce jour-là qu'elle avait quitté l'hôpital. Le tribunal supérieur précisa cependant qu'une cérémonie pouvait avoir lieu après l'inhumation (article 12 § 1 du règlement sur le cimetière et les pompes funèbres de la commune de Buchs ; voir ci-dessous, le paragraphe 41), mais que la requérante n'avait formulé aucune demande en ce sens.

24. S'agissant du grief relatif au transport de l'enfant, le tribunal supérieur admit que l'officier d'état civil avait enfreint l'article 75 de l'ordonnance sur la circulation routière, puisqu'aucune autorisation, telle que prévue par son alinéa 2, n'avait été donnée. Il estima néanmoins qu'il fallait relativiser la faute de l'agent compétent, peu expérimenté en la matière, ainsi que les effets réels ( Tatfolge ) de son comportement. Dès lors, le parquet, en se fondant sur le principe de l'opportunité des poursuites, avait légalement pu renoncer à poursuivre les personnes mises en cause.

25. Le 25 juin 1999, la requérante saisit le Tribunal fédéral ( Bundesgericht ) de deux recours de droit public ainsi que de deux pourvois en nullité. S'agissant du délit d'atteinte à la paix des morts, la requérante fit valoir que tous ses éléments, aussi bien objectifs que subjectifs, étaient réunis en l'espèce. Ensuite, elle alléguait que ses arguments relatifs au droit à une sépulture décente et à l'atteinte à la liberté personnelle n'avaient pas été correctement pris en compte par les juridictions inférieures. A ce sujet, elle demanda au Tribunal fédéral de transmettre la partie de ses recours portant sur le droit à une sépulture décente au Conseil fédéral, seule instance compétente en la matière. A propos de l'atteinte à sa liberté personnelle, la requérante soutint que, pour la famille d'un défunt, le processus de deuil constituait une manifestation élémentaire du développement de la personnalité, au sens de la jurisprudence pertinente du Tribunal fédéral. Enfin, elle contesta l'argumentation retenue par les instances cantonales quant au transport inadéquat de l'enfant.

26. Par deux arrêts du 12 août 1999, le Tribunal fédéral débouta la requérante de ses quatre recours. Il déclara irrecevable le moyen tiré du droit à une sépulture décente et jugea téméraire (« geradezu mutwillig » ) sa demande de transmettre au Conseil fédéral une partie de ses recours, en rappelant qu'une voie particulière de recours devant cette instance existait pour faire valoir ce type de grief.

27. Ensuite, laissant ouverte la question de savoir si les éléments objectifs du délit d'atteinte à la paix des morts étaient réunis, le Tribunal fédéral retint qu'en tout état de cause, l'élément intentionnel faisait défaut dans le chef des personnes inculpées. Concernant, enfin, la violation de la liberté personnelle que la requérante dénonçait pour avoir été empêchée d'accomplir son processus de deuil, ainsi que l'atteinte au droit à une sépulture décente, le Tribunal fédéral estima que ces allégations étaient fondées, ou du moins pouvaient l'être, mais qu'elles n'étaient cependant pas pertinentes dans le cadre de la procédure concernée, où la seule question à trancher était celle de la culpabilité des auteurs des actes litigieux.

28. Parallèlement à ces procédures, en vertu de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions, la requérante déposa une demande tendant au versement d'une indemnité pour le dommage moral subi par l'atteinte à la personnalité.

29. Cette demande fut rejetée, d'abord par les services sociaux du canton d'Argovie et par le tribunal administratif de ce canton et, en dernier lieu, par le Tribunal fédéral le 24 novembre 2000. Tout en reconnaissant qu'une infraction commise par négligence pouvait, le cas échéant, satisfaire aux exigences de l'article 2 § 1 de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions alors même qu'elle ne serait, comme telle, pas répréhensible pénalement à défaut d'élément intentionnel, le haute juridiction estima que l'infraction en cause dans le cas d'espèce, à savoir l'abus d'autorité, échappait par sa nature au champ d'application de ladite loi.
C. L'exhumation et le transfert à Genève de la dépouille de l'enfant

30. Par une décision du 23 mars 1998, le conseil communal de Buchs autorisa - aux frais de la commune - l'exhumation du corps de l'enfant. Elle eut lieu le 20 mai 1998 et fut suivie par le transfert du corps au nouveau domicile de la requérante à Genève, où il fut enterré après une cérémonie catholique.

31. A une date non indiquée, la requérante contracta mariage avec son compagnon.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

32. Avant le 1er janvier 2000, date de l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, la protection de la sphère privée ne figurait pas expressément dans la Constitution fédérale. Le Tribunal fédéral lui accordait cependant une valeur constitutionnelle en tant qu'élément de la liberté personnelle (ou individuelle), depuis un arrêt du 20 mars 1963 (ATF 89 I 92).

33. Dans un arrêt du 18 septembre 1985 (ATF 111 Ia 231), le Tribunal fédéral a reconnu plus spécifiquement que la liberté personnelle englobe aussi le sentiment de piété des parents et, partant, leur droit de s'opposer à une intervention injustifiée sur la dépouille d'un défunt de la famille.

34. La nouvelle Constitution fédérale protège la sphère privée dans son article 13, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de sa correspondance et des relations qu'elle établit par la poste et les télécommunications.
2. Toute personne a le droit d'être protégée contre l'emploi abusif des données qui la concernent. »

35. L'obligation des autorités d'assurer une sépulture décente aux défunts était prévue à l'article 53 alinéa 2 de l'ancienne Constitution fédérale :
« Le droit de disposer des lieux de sépulture appartient à l'autorité civile. Elle doit pourvoir à ce que toute personne décédée puisse être enterrée décemment. »
La nouvelle Constitution n'a pas repris explicitement cette disposition.

36. Aux termes de l'ancien article 73 alinéa 1, lettre a), § 4o de la loi fédérale sur la procédure administrative, en vigueur à l'époque des faits, le Conseil fédéral était la seule instance compétente pour connaître des recours dirigés contre des actes cantonaux en matière de lieux de sépulture. Cet alinéa était ainsi rédigé :
« Le recours au Conseil fédéral est recevable contre les décisions prises en dernière instance cantonale et contre les actes législatifs cantonaux pour violation :
a. des dispositions suivantes de la constitution fédérale ou des dispositions correspondantes des constitutions cantonales :
(...)
4. Article 53, 2e alinéa (de la Constitution fédérale), concernant les lieux de sépulture.
(...). »
Cette disposition a été abrogée avec effet au 1er mars 2000, en relation avec l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution fédérale.

37. L'article 262 du Code pénal suisse, relatif à l'atteinte à la paix des morts, punit dans son alinéa 2 la soustraction de cadavres humains. Cette disposition se lit comme suit :
« Celui qui, contre la volonté de l'ayant droit, aura soustrait un cadavre humain, une partie d'un cadavre humain, ou les cendres d'un mort sera puni de l'emprisonnement ou de l'amende. »

38. L'article 75 de l'ordonnance sur la circulation routière est libellé ainsi :
« Des véhicules automobiles ne serviront au transport de cadavres que s'ils sont spécialement aménagés à cet égard ; le transport de victimes du lieu d'un accident est excepté.
L'autorité cantonale peut permettre l'utilisation d'un autre véhicule lorsqu'il est certain que le transport se fera avec décence et dans des conditions d'hygiène irréprochables. »

39. L'article 11 alinéa 1 de l'ordonnance sur les pompes funèbres du canton d'Argovie ( Verordnung über das Bestattungswesen ) est libellé comme suit (traduction non officielle) :
« L'inhumation doit intervenir dans un délai correspondant à l'usage local et en règle générale pas avant 48 heures à partir du décès. »

40. L'article 8 alinéa 1 du règlement sur le cimetière et les pompes funèbres ( Bestattungs- und Friedhofreglement ) de la commune de Buchs pose une règle similaire. Ses alinéas 2 et 4 sont libellés comme suit (traduction non officielle) :
« L'inhumation doit en principe avoir lieu le troisième jour suivant le décès (...).
Après consultation des proches et de la cure, le service de l'état civil règle la cérémonie et l'enterrement (...). »

41. L'article 12 alinéa 1 du même règlement est libellé comme suit (traduction non officielle) :
« L'inhumation ou l'incinération du cercueil au cimetière doivent être organisées par les proches directement avec l'officier de l'état civil et la cure. Elles ont normalement lieu avant la cérémonie. Sur demande, elles peuvent être fixées à un autre moment. »


Considérants

EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

42. La requérante se plaint d'une atteinte à sa vie privée et familiale, au motif que, d'une part, le cadavre de son enfant mort-né lui a été retiré et a été enterré à son insu dans la fosse commune du cimetière et que, d'autre part, il a été transporté de l'hôpital au cimetière dans un véhicule inapproprié. Est en jeu l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
A. Les arguments des parties
1. La requérante

43. Selon la requérante, en transportant la dépouille de son enfant dans une simple camionnette et en la privant du droit d'assister à une cérémonie funéraire, les autorités compétentes ont porté atteinte à sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention. Selon elle, les droits d'un parent sur la dépouille de son enfant, et notamment celui de décider du lieu, de l'heure et des modalités de l'inhumation sont protégés par cette disposition en tant qu'éléments de la vie privée et familiale. En l'espèce, ces droits auraient été bafoués, car le corps de l'enfant de la requérante a été transporté comme un vulgaire déchet et enterré à la hâte, sans cérémonie digne de ce nom et sans que les parents aient été consultés, ni même informés.
2. Le Gouvernement

44. Le Gouvernement conteste l'argumentation de la requérante. Il affirme que, amenée à l'hôpital d'Aarau, elle aurait déclaré ne pas vouloir voir le corps de l'enfant et aurait consenti à une autopsie. Informé de ces faits par l'assistant social de la commune, l'officier d'état civil en a déduit que celle-ci ne souhaitait pas assister à l'enterrement de l'enfant, et a donc ordonné d'y procéder, sans cérémonie. D'après le Gouvernement, cette décision a également été influencée par la supposition que - selon les dires de l'assistant social - l'état physique et psychique de la requérante, qui était hospitalisée, était tel qu'elle ne pourrait pas se rétablir en temps utile afin d'assister à l'inhumation. En effet, l'article 8 § 2 du Règlement communal sur le cimetière et les pompes funèbres de la commune de Buchs prévoit que l'inhumation doit, en principe, avoir lieu le troisième jour suivant la mort (voir ci-dessus, le paragraphe 40).

45. D'après le Gouvernement, un élément supplémentaire doit également être pris en compte pour mieux comprendre l'attitude de l'officier d'état civil, et qui démontre que celui-ci a agi de bonne foi : le père de l'enfant s'est rendu à l'hôpital où se trouvait la requérante le lendemain et aurait lui aussi refusé de voir le corps de l'enfant.

46. En outre, le Gouvernement argue que le dénominateur commun des mesures étatiques pouvant être qualifiées d'ingérence dans la vie privée et familiale - telles que le refus de reconnaître le lien biologique entre un enfant et sa mère ou son père, les interventions dans les rapports personnels d'un enfant avec ses parents, l'expulsion d'un membre d'une famille, ou encore les mesures motivées par l'orientation sexuelle d'une personne - est le fait qu'elles sont toutes prises soit contre la volonté, soit à l'insu d'au moins l'une des personnes concernées. Il faudrait ainsi clairement les distinguer des circonstances de la présente affaire, dans laquelle les personnes en cause, à savoir l'assistant social et l'officier de l'état civil, seraient parties de l'idée qu'elles agissaient en accord avec la volonté exprimée par la requérante. L'officier de l'état civil aurait donc pris de bonne foi la décision d'ordonner l'enterrement de l'enfant mort-né en son absence, en estimant que cette décision correspondait à la volonté de ses parents.

47. Par ailleurs, la partie défenderesse affirme que l'enterrement s'est déroulé de manière décente, le 8 avril 1997, indépendamment de l'absence des parents de l'enfant. A cela s'ajoute que le conseil communal de Buchs a donné suite à une demande ultérieure de la requérante, le 23 mars 1998, tendant à l'exhumation du corps. Celle-ci a eu lieu le 20 mai 1998 - aux frais de la commune de Buchs - tout comme son transfert au nouveau domicile de la requérante à Genève, où le corps fut enterré à l'issue d'une cérémonie catholique.

48. De l'avis du Gouvernement, on ne saurait donc qualifier d'ingérence dans l'exercice du droit de la requérante au respect de sa vie privée ou familiale la décision de l'officier de l'état civil d'ordonner l'enterrement de l'enfant mort-né sans avoir pris contact avec ses parents.

49. Si la Cour devait néanmoins conclure à une ingérence en l'espèce, le Gouvernement ferait alors valoir, essentiellement pour les mêmes raisons que ci-dessus, que l'acte ou l'omission litigieux n'emporte pas violation de l'article 8 de la Convention. Il réaffirme notamment qu'à la lumière des informations en sa possession, l'officier de l'état civil pouvait présumer que sa décision était conforme à la volonté exprimée par la requérante à l'hôpital et que cette dernière ne pouvait pas être rétablie à temps afin d'assister à l'enterrement.
B. L'appréciation par la Cour
1. Applicabilité de l'article 8 au cas d'espèce

50. Le Gouvernement ne conteste pas l'applicabilité de l'article 8 au cas d'espèce.

51. La Cour rappelle que les notions de vie privée et de vie familiale sont des notions larges qui ne peuvent faire l'objet d'une définition exhaustive (voir, par exemple, Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002-III). Ainsi, l'ancienne Commission avait estimé que le voeu de voir ses cendres dispersées sur sa propriété relevait de la première notion (X c. République fédérale d'Allemagne, décision du 10 mars 1981, no 8741/79, Décisions et rapports 24, p. 137). Plus tard, dans l'affaire Znamenskaya c. Russie (no 77785/01, § 27, 2 juin 2005), la Cour a considéré comme applicable le volet « vie privée » de l'article 8 à la question de savoir si une mère avait le droit de modifier le nom de famille inscrit sur la pierre tombale de son enfant mort-né. Dans l'affaire Pannullo et Forte c. France (no 37794/97, § 36, CEDH 2001-X), la Cour a qualifié d'ingérence dans la vie privée et familiale des requérants le retard excessif mis par les autorités françaises à restituer le corps de leur enfant à la suite d'une autopsie. Enfin, dans l'affaire Elli Poluhas Dödsbo c. Suède (no 61564/00, § 24, CEDH 2006-...), la Cour a considéré le refus d'autoriser le transfert de l'urne contenant les cendres du mari de la requérante comme une question tombant dans le champ d'application de l'article 8, sans pour autant préciser si l'ingérence constatée se rapportait à la notion de vie privée ou à celle de vie familiale.

52. A la lumière de cette jurisprudence, la Cour considère l'article 8 comme applicable à la question de savoir si la requérante était en droit d'assister à l'enterrement de son enfant, éventuellement accompagné d'une cérémonie, et de voir sa dépouille transportée dans un véhicule approprié.
2. Ingérence dans l'exercice des droits protégés par l'article 8

53. Pour les motifs exposés ci-dessus (voir les paragraphes 44-48), le Gouvernement soutient qu'on ne saurait qualifier d'ingérence dans l'exercice du droit de la requérante au respect de sa vie privée ou familiale la décision des autorités compétentes d'ordonner l'enterrement de l'enfant sans avoir repris contact avec ses parents. Le Gouvernement fait essentiellement valoir que l'agent communal responsable aurait agi de bonne foi, présumant que, compte tenu des circonstances, la mère ne voulait pas assister à l'enterrement. Par ailleurs, la Cour constate que le Gouvernement ne se prononce pas quant à l'existence d'une ingérence dans la jouissance des droits énoncés à l'article 8 à propos du transport du corps de l'enfant dans un véhicule inapproprié.

54. La Cour n'a nullement l'intention de mettre en doute la bonne foi de l'agent chargé d'ordonner le transport et l'enterrement du corps de l'enfant, tâche particulièrement sensible, compte tenu notamment du fait que la requérante se trouvait dans un état de choc et qu'il convenait d'agir avec une certaine rapidité.

55. Cela étant, la Cour rappelle que l'acquittement au pénal d'un fonctionnaire ne dégage pas nécessairement un Etat de ses obligations en vertu de la Convention. La responsabilité qui lui incombe au titre de celle-ci ressort de ses dispositions, qui doivent être interprétées et appliquées conformément à l'objet et au but de la Convention et à la lumière des principes pertinents du droit international (voir, à ce propos, Ribitsch c. Autriche, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 336, p. 26, § 34, et Avsar c. Turquie, no 25657/94, § 284, CEDH 2001-VII (extraits)).

56. En d'autres termes, la Cour estime que, dans la présente affaire, l'absence d'intention ou de mauvaise foi des agents communaux responsables ne libère aucunement la Suisse de sa propre responsabilité internationale au titre de la Convention. Dans des circonstances certes différentes de celles de l'espèce, la Cour a eu l'occasion de poser le principe selon lequel il appartient aux Etats contractants d'organiser leurs services et de former leurs agents de manière à leur permettre de répondre aux exigences de la Convention (voir, mutatis mutandis, Dammann c. Suisse, no 77551/01, § 55, 25 avril 2006, concernant la divulgation d'informations confidentielles ; ou encore Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 183, CEDH 2006-V, et Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999-V, concernant le respect du délai raisonnable). Selon la Cour, ce qui est valable dans ces domaines l'est d'autant plus dans un domaine aussi intime et sensible que la gestion du décès d'un proche, dans lequel il convient de faire preuve d'un degré de diligence et de prudence particulièrement élevé.

57. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu'il y a eu ingérence dans la jouissance des droits garantis à la requérante par l'article 8 de la Convention, aussi bien s'agissant de l'enterrement de son enfant que du transport de sa dépouille.
3. Justification de l'ingérence dans l'exercice du droit protégé par l'article 8

58. Une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée ou familiale ne peut se justifier que si les exigences du deuxième paragraphe de l'article 8 sont remplies. Reste donc à savoir si l'ingérence était « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard de ce paragraphe et « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre (Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, § 72, CEDH 1999-VI).

59. La Cour est donc amenée à examiner en premier lieu si les agissements des agents communaux reposaient sur une base légale suffisante. En ce qui concerne d'abord le droit des parents d'assister à l'enterrement et à une cérémonie, la Cour décèle une contradiction entre un texte législatif clair et la pratique suivie en l'espèce (voir, mutatis mutandis, Kopp c. Suisse, arrêt du 25 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, § 73). En effet, contrairement à ce que prescrit l'article 8 alinéa 4 du règlement sur le cimetière et les pompes funèbres de la commune de Buchs, l'officier d'état civil a procédé à l'enterrement sans avoir consulté les proches. De même, en contradiction avec le libellé clair de l'article 12 alinéa 1 du même règlement, l'inhumation n'a pas été organisée par les proches (voir ci-dessus, les paragraphes 40 et suiv.).

60. S'agissant du grief relatif au transport de la dépouille de l'enfant, la Cour rappelle que le tribunal supérieur du canton d'Argovie a admis que le transport était intervenu en méconnaissance de l'article 75 alinéa 1 de l'ordonnance sur la circulation routière, aucune autorisation au sens de l'alinéa 2 de cette disposition n'ayant été donnée (voir ci-dessus, le paragraphe 38). Le Tribunal fédéral n'a aucunement remis en question ce constat.

61. Compte tenu de ce qui précède, les ingérences dans les droits protégés par l'article 8 ne reposaient pas sur une base légale.

62. La Cour conclut, dès lors, qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

63. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage

64. La requérante allègue un dommage matériel, s'élevant à 2 000 CHF (environ 1 208 EUR), correspondant à des frais non remboursés par les assurances. Ces frais concernent le suivi gynécologique, médical et psychologique qui se serait avéré nécessaire à la suite des événements qui sont à l'origine de la présente affaire. Elle indique que les justificatifs ont malheureusement été égarés.

65. En outre, la requérante demande à la Cour de lui octroyer « un montant équitable » au titre du tort moral.

66. Selon le Gouvernement, les exigences de l'article 60 du Règlement de la Cour ne sont pas remplies en ce qui concerne les frais médicaux allégués. Il lui paraît dès lors justifié de rejeter les prétentions formulées à ce titre.

67. S'agissant du préjudice moral, le Gouvernement estime que le constat d'une violation de la Convention constituerait en soi une satisfaction équitable. A cet égard, il rappelle que l'enterrement de l'enfant s'est déroulé de manière décente le 8 avril 1997 à Genève et que les mesures prises ultérieurement par les autorités de la commune de Buchs, qui ont autorisé l'exhumation et le transfert à Genève de l'enfant mort-né, ont permis à la requérante d'assister à un enterrement avec cérémonie selon ses convictions.

68. La Cour partage l'avis du Gouvernement en ce qui concerne les frais non remboursés par les assurances, dès lors que la requérante n'est pas parvenue à en établir la réalité. En outre, elle note qu'il n'existe pas de lien de causalité suffisant entre la violation de la Convention constatée par la Cour et les frais allégués.

69. En revanche, la Cour n'est pas convaincue par l'argument du Gouvernement selon lequel l'exhumation du corps de l'enfant et son transfert au cimetière près du nouveau domicile de la requérante à Genève, où le corps a été enterré au cours d'une cérémonie catholique, constitue, en combinaison avec le présent constat de violation, une réparation adéquate et suffisante. La Cour rappelle que dans sa décision du 2 mai 2006 sur la recevabilité de la présente affaire elle a considéré que, intervenues plus d'une année après la naissance et l'enterrement initial de l'enfant, ces mesures n'étaient pas susceptibles d'effacer intégralement les souffrances endurées par la requérante pendant ce laps de temps, d'autant qu'elles laissaient entier le tort moral causé par le transport inadéquat du corps de l'enfant.

70. Statuant en équité, la Cour alloue à la requérante la somme de 3 000 EUR au titre du dommage moral.
B. Frais et dépens

71. La requérante réclame la somme de 17 216 CHF (environ 10 397 EUR) au titre d'honoraires d'avocat pour la procédure devant la Cour, soit 40 heures à 400 CHF (environ 242 EUR), à laquelle s'ajoute la TVA.

72. A la lumière notamment du degré de complexité de la présente affaire, le Gouvernement estime que les frais et dépens que la requérante fait valoir ne sauraient être qualifiés de nécessairement encourus au sens de la jurisprudence de la Cour. Aussi, la somme revendiquée par la requérante lui paraît excessive. Il propose de lui octroyer au titre des frais et dépens une somme de 8 000 CHF (environ 4 831 EUR).

73. La Cour rappelle que, lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder aux requérants le remboursement des frais et dépens qu'ils ont engagés pour prévenir ou faire corriger ladite violation (Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, p. 14, § 36 ; Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63). Il faut toutefois que se trouvent établis la réalité de ces frais, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Bottazzi c. Italie, précité, § 30, CEDH 1999-V, Linnekogel c. Suisse, no 43874/98, § 49, 1er mars 2005).

74. La Cour considère la demande portant sur les frais et dépens comme exagérée. Compte tenu des éléments en sa possession et des critères dégagés par sa jurisprudence, elle octroie à la requérante la somme de 5 000 EUR au titre des frais et dépens.
C. Intérêts moratoires

75. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;
2. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral ;
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros) pour frais et dépens ;
iii. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 février 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière     Président

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références

Article: Art. 8 CEDH