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Chapeau

61697/00


Meloni Raffaele gegen Schweiz
Urteil no. 61697/00, 10 avril 2008

Regeste

SUISSE: Art. 5 par. 1 let. c CEDH. Prolongation d'une détention provisoire sans mandat d'arrêt valable.

Soupçonné d'avoir commis diverses infractions, le requérant fut placé en détention provisoire d'avril 1999 à septembre 2000. Par jugement du 25 février 2003, le tribunal cantonal de Bâle-Ville le condamna à une peine privative de liberté de six ans. Le 1er février 2005, l'intéressé fut arrêté afin de purger le reste de sa peine. Invoquant l'art. 5 par. 1 let. c CEDH (droit à la liberté et à la sûreté), il se plaint de l'illégalité de sa détention provisoire, celle-ci ayant été prolongée sans fondement légal.
La Cour constate que la détention initiale du requérant a été valablement prolongée jusqu'au 8 mai 2000. S'agissant de la détention à partir du 19 juillet 2000, les autorités du canton de Bâle-Campagne ont émis un mandat valable à l'encontre du requérant en application des dispositions pertinentes du droit cantonal (ch. 45 - 46 et 56 - 57).
Conclusion: non-violation de l'art. 5 par. 1 let. c CEDH s'agissant de la détention provisoire jusqu'au 8 mai et à partir du 19 juillet 2000.
La Cour considère cependant que la détention subie par le requérant du 9 au 12 mai 2000, ainsi que du 12 mai au 19 juillet 2000 n'a pas été décidée selon les voies légales (ch. 47 - 55).
Conclusion: violation de l'art. 5 par. 1 let. c CEDH s'agissant de la détention provisoire pendant ces périodes.







Faits

En l'affaire Meloni c. Suisse,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Snejana Botoucharova,
Volodymyr Butkevych,
Rait Maruste,
Mark Villiger,
Giorgio Malinverni,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
et de Mme C.Westerdiek, greffière de section ,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mars 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 61697/00) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet Etat, M. Raffaele Meloni (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 août 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me D. Borter, avocat à Liestal. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a initialement été représenté par son agent, M. P. Boillat, ancien sous-directeur de l'Office fédéral de la justice, puis par M. F. Schürmann, chef de la section des droits de l'homme et du Conseil de l'Europe à l'Office fédéral de la justice.

3. Le requérant se plaignait en particulier de n'avoir pas été détenu « selon les voies légales » au sens de l'article 5 § 1 c) de la Convention.

4. Par une décision du 22 juin 2006, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1964 et réside à Solonas di Cabras (République dominicaine). Il exerce, à son compte, la profession de commerçant.

6. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

7. L'office spécial d'instruction pénale (Besonderes Untersuchungs-richteramt ) du canton de Bâle-Campagne mena une enquête pénale à l'encontre du requérant, notamment pour escroquerie et faux dans les titres.

8. L'intéressé fut appréhendé en République dominicaine en vertu d'un mandat d'arrêt de la préfecture de Liestal du 16 octobre 1998 et, après avoir été extradé vers la Suisse, il fut placé en détention provisoire le 2 avril 1999.

9. Le 18 février 2000, le requérant demanda l'anticipation du commencement de l'exécution de sa peine. En même temps, il renonça explicitement au contrôle d'office (« von Amtes wegen ») de la légalité de la détention, prévu par le code de procédure pénale du canton de Bâle-Campagne.

10. Le 22 février 2000, après avoir pris connaissance de cette renonciation, l'office spécial d'instruction pénale accepta la demande de transfert du requérant dans un établissement d'exécution des peines (Straf- oder Massnahmenvollzugsanstalt ), mais rejeta sa demande en vue d'une exécution anticipée de peine.

11. Le 13 mars 2000, le tribunal de procédure en matière pénale du canton de Bâle-Campagne (Verfahrensgericht in Strafsachen ; ci-après : «Verfahrensgericht » ), sur demande de l'office spécial d'instruction pénale, prolongea la détention provisoire du requérant de huit semaines, à savoir jusqu'au 8 mai 2000.

12. Le 16 mars 2000, en vertu de la décision du 22 février 2000, le requérant fut transféré dans un établissement d'exécution des peines.

13. Le 4 mai 2000, le requérant soumit une demande de mise en liberté, au motif que la durée de sa détention provisoire aurait atteint la moitié de la durée probable de la peine de privation de liberté encourue.

14. Le 5 mai 2000, l'office spécial d'instruction pénale transmit la demande de mise en liberté au Verfahrensgericht , mais proposa son rejet.

15. Par une décision du 8 mai 2000, le président du Verfahrensgericht ordonna une procédure écrite et contradictoire.

16. Dans une réplique du 11 mai 2000, le requérant exposa qu'il devait être libéré, au motif que la validité du mandat d'arrêt à son encontre avait, selon lui, expiré le 8 mai 2000.

17. Par une décision présidentielle (Präsidialbeschluss ) du 12 mai 2000, notifiée au requérant le 17 mai 2000, le Verfahrensgericht rejeta la demande de mise en liberté, estimant que le risque de fuite ne pouvait être écarté et qu'il y avait des raisons de soupçonner le requérant d'avoir commis les infractions pour lesquelles la procédure avait été ouverte. En outre, d'après ce tribunal, le maintien de l'intéressé en détention provisoire au-delà du 8 mai ne pouvait être considéré comme disproportionné à la lumière de l'article 5 de la Convention.

18. Par une plainte du 22 mai 2000, le requérant demanda l'annulation de la décision du 12 mai 2000, alléguant qu'aucun mandat d'arrêt n'avait été délivré pour la période allant au-delà du 8 mai 2000 et que, même dans le cas d'une renonciation au contrôle de la légalité de la détention, une prorogation explicite de la détention provisoire était nécessaire.

19. Par une décision présidentielle du 31 mai 2000, la cour d'appel (Obergericht ) du canton de Bâle-Campagne rejeta la demande du requérant, considérant que les conditions formelles et matérielles de la détention mise en cause était réunies en l'espèce. De plus, la cour d'appel estima que la renonciation du requérant au contrôle d'office de la légalité de sa détention, prévu à l'article 89 § 2 du code de procédure pénale du canton de Bâle-Campagne, alors en vigueur (paragraphe 32 ci-dessous), avait pour conséquence qu'il n'y avait plus à procéder à un contrôle périodique de la détention et que la détention provisoire initiale pouvait être prolongée pour une période indéterminée (« unbefristet verlängert »). Dès lors, la délivrance d'un nouveau mandat d'arrêt n'était pas indispensable.

20. Par un recours de droit public (staatsrechtliche Beschwerde ) du 23 juin 2000, le requérant demanda l'annulation de la décision du 31 mai 2000 et sa libération immédiate. Il répéta que sa détention après le 8 mai 2000 n'était fondée sur aucun mandat d'arrêt valable et considéra que son maintien en détention provisoire était une mesure excessive, étant donné que la durée de la détention déjà subie dépassait la moitié de la peine à laquelle il pouvait s'attendre.

21. Par un arrêt du 17 juillet 2000, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public du requérant. Il estima d'abord que l'interprétation faite par les instances internes de l'article 89 §§ 1 et 2 du code de procédure pénale du canton de Bâle-Campagne était incohérente dans la mesure où, contrairement au libellé de ces dispositions, elle permettait aux autorités de demander la renonciation au contrôle de la légalité de la détention dès le placement du détenu dans un établissement d'exécution des peines. Une telle approche pouvait suggérer que l'octroi d'une autorisation de transfert du requérant dans un établissement pénitentiaire était subordonné à sa renonciation au contrôle d'office de la légalité de sa détention.

22. Le Tribunal fédéral estima également qu'il n'était pas licite de prolonger de manière rétroactive une détention dont le délai était expiré. En revanche, il reconnut dans la décision présidentielle du Verfahrensgericht du 12 mai 2000 un mandat d'arrêt valable et jugea le comportement des instances cantonales compatible avec l'article 5 § 3 de la Convention, même si le requérant n'avait pas été entendu par le Verfahrensgericht . D'après le Tribunal fédéral, le requérant aurait dû demander une audience, notamment au moment où le président du Verfahrensgericht avait ordonné, par la décision du 8 mai 2000, une procédure écrite et contradictoire.
Enfin, posant en l'espèce l'hypothèse d'une peine privative de liberté supérieure à trois ans, le Tribunal fédéral considéra comme proportionné le prolongement de la détention, dont la durée était de quinze mois à cette date.

23. A la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral, le président du Verfahrensgericht émit, le 19 juillet 2000, un nouveau mandat d'arrêt à l'encontre du requérant, prolongeant ainsi sa détention jusqu'au 17 août 2000. Il retint comme motifs de la détention les risques de fuite et de collusion.

24. Le 22 juillet 2000, le requérant soumit une nouvelle demande de mise en liberté, au motif que les conditions matérielles de sa détention n'étaient plus remplies.

25. Par une décision du 2 août 2000, la cour d'appel du canton de Bâle-Campagne rejeta la demande de mise en liberté du requérant, estimant que les soupçons à l'encontre de celui-ci étaient toujours plausibles et que le risque de fuite persistait.

26. Sur demande du président du Verfahrensgericht , le 16 août 2000, la cour d'appel prolongea la détention du requérant jusqu'au 12 octobre 2000.

27. Le 8 septembre 2000, le Tribunal fédéral rejeta une nouvelle fois la demande de mise en liberté du requérant, au motif que les conditions de la détention étaient toujours remplies.

28. Le 12 septembre 2000, le requérant fut remis en liberté.

29. Par un jugement du tribunal cantonal (Kantonsgericht ) de Bâle-Campagne du 16 février 2001, le requérant fut condamné à une peine privative de liberté de quatre ans et trois mois pour escroquerie.

30. Dans le cadre d'une seconde procédure engagée contre le requérant, celui-ci fut condamné à une peine privative de liberté de deux ans et trois mois pour escroquerie et faux dans les titres. Sur demande du requérant, le tribunal cantonal prononça, par un jugement du 25 février 2003, une peine privative de liberté de six ans pour les deux procédures, desquels furent déduits les 1 071 jours de la détention provisoire.

31. Le 1er février 2005, le requérant fut arrêté afin de purger le reste de sa peine.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

32. Les articles pertinents du code de procédure pénale du canton de Bâle-Campagne, dans la version en vigueur au moment des faits, sont libellés ainsi :
« Article 81
Mandat d'arrêt, recours
1. La détention provisoire est ordonnée par la voie d'un mandat d'arrêt écrit. Celui-ci comporte :
a) le signalement de la personne à arrêter ;
b) l'infraction que celle-ci est fortement soupçonnée d'avoir commise ;
c) le motif de l'arrestation ;
d) la durée maximale de la détention ordonnée et l'indication de sa possible prorogation (article 86) ;
e) l'indication de la possibilité de former un recours contre le mandat d'arrêt (article 81 § 3) et, à tout moment, d'introduire une demande de mise en liberté (article 85) ;
f) les heures et dates de la délivrance du mandat d'arrêt, de l'arrestation, de l'incarcération et de la notification du mandat d'arrêt ;
g) la désignation de l'autorité compétente ainsi que le nom et la signature de la personne compétente ;
h) l'indication de la personne à qui le mandat est communiqué.
2. La personne arrêtée et son défenseur doivent se voir remettre copie du mandat d'arrêt.
3. La personne accusée peut, dans les trois jours de la notification du mandat d'arrêt, former contre celui-ci un recours écrit et motivé. Le recours est dépourvu d'effet suspensif. L'article 85 §§ 3 à 5 s'applique, mutatis mutandis , à la procédure.
Article 85
Demande de mise en liberté, recours
1. La personne arrêtée peut, à tout moment et par écrit, demander sa mise en liberté à l'autorité compétente en vertu de l'article 26. L'autorité doit se prononcer sans délai sur la demande.
2. La personne arrêtée peut, dans un délai de cinq jours et par écrit, introduire un recours motivé contre le rejet de la demande de mise en liberté. Le recours n'a pas d'effet suspensif.
3. Le recours doit être introduit auprès de l'autorité compétente. Celle-ci fournit des copies des documents pertinents pour la détention et les transmet, accompagnées du recours et d'une prise de position succincte, immédiatement et au plus tard dans un délai de trois jours, à l'instance compétente en vertu des articles 5 ou 6. La prise de position peut comporter une proposition de prolongation de la détention.
(...)
5. Le président compétent statue sur le recours dans un délai de cinq jours ouvrables. Sa décision est définitive.
Article 86
Contrôle d'office de la légalité de la détention, prolongation de la détention
1. Lorsque la détention provisoire dure depuis quatre semaines et que le maintien en détention de la personne arrêtée est jugé indispensable, les autorités compétentes soumettent, au moins cinq jours ouvrables avant l'expiration prévue de la détention, une demande de prolongation de la détention auprès du président compétent en vertu de l'article 85 § 3. Elles joignent une copie des documents pertinents pour la détention.
2. La détention provisoire peut être prolongée dans la mesure nécessaire, mais en aucun cas pour une durée excédant huit semaines. Lorsque les motifs ayant justifié la détention subsistent après l'expiration de la prolongation de la détention, de nouvelles prolongations peuvent être autorisées.
3. Le président compétent statue, dans une procédure écrite ou dans une procédure orale et contradictoire, sur la prolongation de la détention avant l'expiration de la durée de la détention. L'autorité requérante peut demander d'être dispensée de la participation à l'audience publique.
Article 89
Placement dans un établissement pénitentiaire,
anticipation du commencement d'exécution de la peine ou de la mesure de sûreté
1. Sur demande de la personne arrêtée, la détention provisoire peut avoir lieu dans un établissement pénitentiaire ou de sûreté approprié. L'autorité de poursuite compétente fait droit à la demande pour autant que des intérêts importants de l'instruction n'y mettent pas obstacle.
2. Les personnes qui séjournent dans un établissement pénitentiaire ou de sûreté au titre du paragraphe 1 continuent d'être soumises aux dispositions relatives à la détention provisoire et, pour autant que leur situation de justiciables en détention provisoire ne commande pas l'application de règles particulières, à celles du règlement intérieur de l'établissement concerné. Par une déclaration explicite, les personnes ainsi détenues peuvent renoncer au contrôle d'office de la légalité de leur détention, mais non à la possibilité d'introduire une demande de mise en liberté.
(...). »

33. Le 22 mai 2003, ce code a subi des modifications, qui sont entrées en vigueur le 1er avril 2004. L'article 86 § 2 modifié autorise, dans des circonstances particulières (« in besonderen Fällen » ), une prolongation de la détention allant jusqu'à six mois.


Considérants

EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 1 c) DE LA CONVENTION

34. Le requérant se plaint que sa détention provisoire a été prolongée sans un mandat d'arrêt valable et que, par conséquent, il n'a pas été privé de sa liberté « selon les voies légales » au sens de l'article 5 § 1 de la Convention. Les passages pertinents de cette disposition sont ainsi libellés :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
c) s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;
(...) »
A. Arguments des parties
1. Le requérant

35. Le requérant allègue qu'il n'existait pas de fondement légal à sa détention provisoire au-delà du 8 mai 2000, terme indiqué dans la décision présidentielle du 13 mars 2000 du Verfahrensgericht du canton de Bâle-Campagne. En effet, selon l'intéressé, le rejet d'une demande de mise en liberté au sens de l'article 85 du code de procédure pénale ne saurait en aucun cas être assimilé à un mandat de prolongation de la détention en vertu de l'article 86 du même code, les deux situations exigeant des conditions sensiblement différentes.

36. Il ajoute que, même si l'on interprétait la décision présidentielle du 12 mai 2000 comme étant un titre de prolongation de la détention, force serait de constater que cette décision n'avait de toute façon pas respecté les délais prévus aux paragraphes 1 et 2 de l'article 86 du code de procédure pénale (paragraphe 32 ci-dessus). Le requérant fait valoir à ce titre l'arrêt du Tribunal fédéral du 17 juillet 2000, qui rappelait le principe selon lequel il était illicite de prolonger rétroactivement une détention dont le délai était expiré.

37. Enfin, le requérant se plaint que la première période - du 8 au 12 mai 2000 - de détention, selon lui illégale, a été suivie d'une deuxième, dans la mesure où ce n'est qu'à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral du 17 juillet 2000 que le président du Verfahrensgericht a émis, le 19 juillet 2000, soit plus de huit semaines après le 12 mai 2000, un mandat d'arrêt prolongeant la détention du requérant jusqu'au 17 août 2000.

38. Par conséquent, le requérant estime avoir été victime d'une détention illégale entre le 9 mai et le 12 septembre 2000, date de sa mise en liberté.
2. Le Gouvernement

39. Le Gouvernement soutient que le contenu formel de la décision présidentielle du 12 mai 2000, portant sur le rejet de la demande de mise en liberté du requérant, répondait aux exigences posées par le droit du canton de Bâle-Campagne. En effet, la décision litigieuse mentionnerait que, en raison de la renonciation du requérant au contrôle d'office de la légalité de sa détention, la détention préventive était ordonnée pour une durée indéterminée. Elle indiquerait aussi que le requérant pouvait à tout moment introduire une demande de mise en liberté et utiliser les voies de recours ouvertes contre cette même décision. De plus, elle comporterait sa date d'adoption et celle de sa notification, un exposé des faits et la date de l'arrestation et de l'incarcération du requérant. Par conséquent, la décision du 12 mai 2000 portant sur le rejet de la demande de mise en liberté constituerait un mandat d'arrêt valable, les indications requises par le droit cantonal ayant été implicites.

40. L'Etat défendeur soutient également que, même dans l'hypothèse où le Tribunal fédéral aurait constaté que la détention du requérant après le 8 mai 2000 ne reposait pas sur un titre valable ou qu'il aurait considéré la décision présidentielle du 12 mai 2000 comme ne constituant pas un mandat d'arrêt valable, le requérant n'aurait de toute façon pas été libéré : en effet, la libération de l'intéressé n'aurait été possible que si sa détention n'apparaissait plus comme justifiée, si la durée de celle-ci était excessive ou si le principe de l'égalité devant la loi l'imposait (Arrêts du Tribunal fédéral suisse (ATF), vol. 114 Ia, p. 88, considérant 5d). Ainsi, le vice allégué par le requérant, à savoir l'absence dans la décision présidentielle du 12 mai 2000 de certaines indications requises par le droit cantonal pour la validité du mandat d'arrêt, serait de toute évidence de nature purement formelle et ne rejaillirait pas, selon le droit constitutionnel fédéral, sur la légalité de la détention en question. Or le requérant n'aurait aucunement montré que les motifs de fond justifiant sa détention, à savoir l'existence de soupçons et le risque de fuite, n'avaient plus cours après le 8 mai 2000.

41. Par conséquent, le Gouvernement estime que le maintien en détention du requérant après le 8 mai 2000 était conforme au droit interne. De surcroît, la détention de l'intéressé n'aurait pas non plus été arbitraire, étant donné que le requérant a été condamné par le tribunal cantonal à une peine globale de six ans d'emprisonnement, dont a été déduite la durée de la détention provisoire.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes élaborés par la Cour

42. La Cour rappelle que les termes « régulièrement » et « selon les voies légales », qui figurent à l'article 5 § 1 de la Convention, renvoient pour l'essentiel à la législation nationale et consacrent l'obligation d'en observer les normes de fond comme de procédure. S'il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit interne, il en est autrement lorsque l'inobservation de ce dernier est susceptible d'emporter violation de la Convention. Tel est le cas, notamment, des affaires dans lesquelles l'article 5 § 1 de la Convention est en jeu : la Cour doit alors exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne - dispositions légales ou jurisprudence - a été respecté (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50 et 54, CEDH 2000-III, Minjat c. Suisse, no 38223/97, § 39, 28 octobre 2003).

43. La Cour rappelle également qu'il est essentiel, en matière de privation de liberté, que le droit interne définisse clairement les conditions de détention et que la loi soit prévisible dans son application, en ce sens qu'elle doit être suffisamment précise pour permettre au citoyen de prévoir, avec un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé (Minjat , précité, § 40, Amuur c. France , arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, § 50, et Erkalo c. Pays-Bas , 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2477, § 52, et Baranowski , précité, § 51).
2. Application des principes au cas d'espèce

44. Se tournant vers les circonstances de l'espèce, la Cour note d'emblée que la privation de liberté du requérant relève de l'article 5 § 1 c) de la Convention. En effet, le requérant a été arrêté et placé en détention provisoire le 2 avril 1999 « en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente ».
i. Détention provisoire jusqu'au 8 mai 2000

45. Il n'est pas contesté par les parties que la détention initiale se fondait sur un mandat d'arrêt valable, émis par la préfecture de Liestal le 16 octobre 1998. La Cour rappelle aussi que le 13 mars 2000, la détention provisoire du requérant a été valablement prolongée de huit semaines, à savoir jusqu'au 8 mai 2000, par le Verfahrensgericht .

46. Dès lors, la Cour estime qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 1 s'agissant de la détention du requérant jusqu'au 8 mai 2000.
ii. Détention provisoire du 8 au 12 mai 2000

47. Ensuite, la Cour rappelle que, le 4 mai 2000, le requérant a soumis une demande de mise en liberté. S'appuyant sur les articles 85 et 86 du code de procédure pénale, l'office spécial d'instruction pénale a proposé, le 5 mai 2000, le rejet de cette demande. Cette proposition de ne pas le mettre en liberté, destinée au Verfahrensgericht , ne saurait, en elle-même, être considérée comme ayant rendu la détention subie par le requérant « régulière » ou conforme aux « voies légales ».

48. Par ailleurs, la décision du 12 mai 2000 est intervenue après le délai prévu par le paragraphe 3 de l'article 86 du code de procédure pénale, qui imposait sans équivoque au président compétent de statuer avant l'expiration de la prolongation de la détention, soit avant le 8 mai 2000. De surcroît, le Tribunal fédéral a ultérieurement reconnu que la décision présidentielle du 12 mai 2000 n'avait pas pu prolonger rétroactivement le délai échu le 8 mai 2000. Par conséquent, cette décision ne pouvait ni être considérée comme une base légale régulière pour la détention que le requérant a subie avant le 12 mai 2000, ni rendre sa détention conforme aux « voies légales » selon le droit suisse.

49. Il s'ensuit qu'entre le 8 et le 12 mai 2000, la détention n'a pas été autorisée par une décision valable. Partant, il y a eu violation de l'article 5 § 1 par rapport à ce laps de temps.
iii. Détention provisoire du 12 mai au 19 juillet 2000

50. Le 12 mai 2000, le Verfahrensgericht a rejeté la demande de mise en liberté du requérant du 4 mai 2000 par une décision notifiée à l'intéressé le 17 mai 2000. Le rejet de cette demande a été interprété ultérieurement par le Tribunal fédéral comme étant un titre valable de prolongation de la détention. La Cour est dès lors amenée à répondre à la question de savoir si la décision du 12 mai 2000, prise en vertu de l'article 85 du code de procédure pénale, pouvait être interprétée comme étant un titre valable de prolongation de la détention au sens de l'article 86 du même code.

51. La Cour estime d'emblée opportun de préciser que, contrairement à ce que semble avancer le Gouvernement, l'on ne saurait interpréter la renonciation du requérant au contrôle d'office de la légalité de sa détention comme ayant pour conséquence de décharger les autorités compétentes de leur responsabilité de procéder à une prolongation de la détention « selon les voies légales », à savoir conformément à l'article 86 du code de procédure pénale. A cet égard, la Cour rappelle qu'on peut certes renoncer, sous quelques conditions, à ses droits garantis par la Convention (voir, par exemple, Håkansson et Sturesson c. Suède, arrêt du 21 février 1990, série A no 171-A, § 66, Pfeifer et Plankl c. Autriche, arrêt du 25 février 1992, série A no 227, § 37, et Thompson c. Royaume-Uni, no 36256/97, § 43, 15 juin 2004 ). En l'espèce, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner la question de savoir si le requérant a en l'espèce valablement pu renoncer à ses droits découlant de l'article 5 § 3. En tout état de cause, rien ne permet de penser que le requérant ait eu l'intention de renoncer à son droit de ne pas être détenu arbitrairement, garanti par l'article 5 § 1 de la Convention.

52. La Cour met ensuite en exergue les buts différents que poursuivent les articles 85 et 86 du code de procédure pénale. L'article 85 permet à la personne détenue de demander sa mise en liberté et, le cas échéant, d'introduire un recours contre une décision négative. L'article 86, de son côté, règle la procédure à respecter lorsqu'il s'agit de prolonger une détention provisoire. Partant, la Cour ne partage pas l'avis du Gouvernement selon lequel la décision du 12 mai 2000, qui a été prise suite à une demande de mise en liberté du requérant, aurait dispensé les autorités compétentes de l'obligation de prolonger la détention « selon les voies légales », à savoir par l'émission d'un titre de détention formel, comme l'exige l'article 5 § 1 de la Convention. Adopter une approche différente signifierait placer à la charge du requérant, et non des autorités compétentes, l'obligation de garantir une base régulière pour la détention (voir, dans ce sens, Melnikova c. Russie, no 24552/02, §§ 57-62, 21 juin 2007).

53. La solution consistant à se fonder sur une décision négative à une demande de mise en liberté afin de prolonger la détention du requérant est infirmée par le fait que la décision du 12 mai 2000 n'indique pas la durée de la prolongation « nécessaire » de la détention au sens de l'article 86 § 2 du code, indication qui compte au nombre des éléments indispensables pour éviter une détention arbitraire au sens de l'article 5 § 1 de la Convention (Khoudoïorov, précité, §§ 142 et 146 in fine ).

54. Dans l'hypothèse où la Cour aurait reconnu dans la décision du 12 mai 2000 une base légale suffisante au regard de l'article 5 § 1 pour la détention subie par le requérant, la question aurait été de savoir si cette base légale aurait déployé ses effets immédiatement ou seulement à partir de la date de sa notification au requérant, soit dès le 17 mai 2000. Cependant, compte tenu de la conclusion de la Cour selon laquelle la décision du 12 mai 2000 n'était pas susceptible de constituer une base légale suffisante, aucune question séparée ne se pose par rapport à la période de détention allant du 12 au 17 mai 2000.

55. Partant, la Cour estime qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 en ce qui concerne la détention du requérant du 12 mai au 19 juillet 2000.
iv. Détention provisoire à partir du 19 juillet 2000

56. A la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral du 17 juillet 2000, le président du Verfahrensgericht du canton de Bâle-Campagne a émis, le 19 juillet 2000, un nouveau mandat d'arrêt à l'encontre du requérant, prolongeant ainsi sa détention jusqu'au 17 août 2000. Sur demande du président du Verfahrensgericht , le 16 août 2000, la cour d'appel prolongea la détention du requérant jusqu'au 12 octobre 2000. Le 12 septembre 2000, le requérant fut remis en liberté.

57. A la lumière de l'article 5 § 1, il n'apparaît pas que ces autorités aient méconnu les dispositions pertinentes du droit du canton de Bâle-Campagne. Partant, il n'a y pas eu violation de cette disposition s'agissant de la détention à partir du 19 juillet 2000.
v. Conclusion générale

58. Compte tenu de ce qui précède, la Cour constate que la détention subie par le requérant du 9 au 12 mai 2000, ainsi que du 12 mai au 19 juillet 2000, n'a pas été décidée « selon les voies légales » au sens de l'article 5 § 1 de la Convention. Dès lors, il y a eu violation de cette disposition par rapport à ces périodes.
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

59. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommages

60. Le requérant, qui dit exercer la profession de commerçant à son compte, sollicite au titre du préjudice matériel qu'il estime avoir subi le remboursement de 25 600 francs suisses (CHF) (soit environ 15 390 euros (EUR)), plus un intérêt à cinq pour cent à compter du 9 octobre 2000, en compensation de la perte de revenus liée à la détention qu'il estime illégale entre le 9 mai et le 12 septembre 2000 (soit 128 jours à 200 CHF par jour).

61. Le requérant réclame le même montant pour préjudice moral.

62. Le Gouvernent invite la Cour à rejeter ces prétentions, estimant que le requérant n'est pas parvenu à démontrer un lien de causalité entre la violation de l'article 5 § 1 et le dommage matériel allégué. S'agissant du préjudice moral, il considère que le constat d'une violation représenterait à lui seul une satisfaction équitable.

63. La Cour partage le raisonnement et la conclusion du Gouvernement quant au dommage matériel. Elle estime que le requérant n'a pas démontré de manière suffisamment concrète qu'il avait subi une perte de revenus qui avait comme cause immédiate la détention jugée illégale par la Cour. Dès lors, aucun montant n'est dû à ce titre.

64. Elle considère en revanche que l'intéressé a certainement éprouvé, en raison de l'illégalité de sa détention pendant plus de deux mois, des sentiments de frustration et d'angoisse que le constat d'une violation ou la publication du présent arrêt ne suffiraient pas à réparer.

65. Statuant en équité comme le veut l'article 41, la Cour alloue au requérant la somme totale de 5 000 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.
B. Frais et dépens

66. Le requérant réclame la somme de 10 983,60 CHF (soit environ 6 603 EUR) en remboursement des frais et dépens exposés pour la procédure interne et celle devant la Cour. Il a joint à cette fin deux notes d'honoraires en date des 23 mars 2005 (8 285.20 CHF) et 20 septembre 2006 (2 698.40 CHF).

67. Le Gouvernement considère que seul le grief tiré de l'article 5 § 1 de la Convention doit être pris en considération. Par ailleurs, il estime que le requérant n'a pas soumis ses prétentions chiffrées et ventilées par rubrique et ne les a pas accompagnées des justificatifs pertinents, exigence prévue à l'article 60, alinéa 2, du règlement de la Cour. De plus, eu égard notamment au fait qu'il ne s'agit pas d'une affaire très complexe, le Gouvernement considère comme excessif le temps pris en compte dans les prestations facturées. Partant, le Gouvernement, se fondant sur les montants alloués par la Cour dans d'autres affaires contre la Suisse présentant un degré de difficulté comparable, estime que la somme de 2 500 CHF (soit environ 1 503 EUR) (dix heures à raison de 250 CHF l'heure) couvrirait l'ensemble des frais et dépens pour la procédure engagée tant sur le plan national qu'à Strasbourg.

68. La Cour rappelle que, lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder au requérant le remboursement non seulement de ses frais et dépens engagés devant les organes de Strasbourg, mais aussi de ceux qu'il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir, par exemple, Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, p. 14, § 36). Cependant, le remboursement des frais et dépens ne peut être obtenu que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V, et Linnekogel c. Suisse, no 43874/98, § 49, 1er mars 2005).

69. En l'occurrence, la Cour considère que, pour le remboursement des frais et dépens, il y a lieu de tenir compte du fait que le grief tiré de l'article 5 § 4 a été déclaré irrecevable par la Cour (voir, mutatis mutandis , Olsson c. Suède (no 2) , arrêt du 27 novembre 1992, série A no 250, p. 42, § 113, et Linnekogel ,précité, § 50). Par ailleurs, elle rappelle également que seule la détention provisoire subie par le requérant entre le 8 et le 12 mai, ainsi qu'entre le 12 mai et le 19 juillet 2000 a été déclarée non conforme à l'article 5 § 1 (voir ci-dessus, le paragraphe 58).

70. Compte tenu des éléments en sa possession et des critères dégagés dans sa jurisprudence, la Cour octroie au requérant la somme globale de 4 000 EUR.
C. Intérêts moratoires

71. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention s'agissant de la détention provisoire du 8 au 12 mai, ainsi que du 12 mai au 19 juillet 2000 ;
2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention relative à la détention provisoire jusqu'au 8 mai et à partir du 19 juillet 2000 ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral ;
ii. 4 000 EUR (quatre mille euros) pour frais et dépens ;
iii. plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 avril 2008, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Peer Lorenzen
Greffière     Président

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