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Chapeau

79216/12


Akiki Ferik gegen Schweiz
Nichtzulassungsentscheid no. 79216/12, 12 juin 2018

Regeste

  DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
  SUISSE: Art. 6 par. 1 CEDH. Non-divulgation de l'acte de désignation du policier ayant agi comme agent infiltré et de son approbation; nécessité d'une autorisation judiciaire.

  L'acte de désignation de l'agent infiltré et son approbation se trouvaient dans une annexe qui, par mégarde, n'a pas été envoyée au requérant. Le Tribunal fédéral peut réparer lui-même une violation du droit d'être entendu s'il dispose du même pouvoir d'examen que l'instance précédente et si le requérant n'en subit pas de préjudice. Ces deux conditions étant remplies, le Tribunal fédéral était libre d'examiner la question de savoir si l'agent infiltré avait été correctement désigné et autorisé.
  Les interventions de l'agent infiltré ont eu lieu avant l'ouverture de l'enquête pénale contre le requérant. Les art. 14 et 17 LFIS n'étant pas applicables en l'espèce, une autorisation judiciaire concrète n'était pas nécessaire au regard du droit en vigueur (ch. 18-25).
  Conclusion: requête déclarée irrecevable.



Synthèse de l'OFJ


(2ème rapport trimestriel 2018)

Droit à un procès équitable (art. 6 § 1 CEDH); impossibilité d'accès à l'acte de désignation du policier ayant agi comme agent infiltré ainsi qu'aux actes d'autorisation de cette désignation.

Le requérant a fait valoir une violation de son droit d'être entendu de par l'impossibilité d'accès à l'acte de désignation du policier ayant agi comme agent infiltré ainsi qu'aux actes d'autorisation de cette désignation. En outre, il a fait valoir que l'intervention concrète n'était pas autorisée par un juge.

La Cour a relevé que, dans sa réponse au Tribunal fédéral, le requérant, représenté par un avocat, ne s'est pas plaint de ne pas avoir reçu l'annexe à la réponse du Ministère public qui contenait l'acte de désignation de l'agent infiltré ainsi que son approbation judiciaire et qui ne lui a pas été envoyée par mégarde. Il n'a pas demandé au Tribunal fédéral - malgré que celui-ci ait manifestement agi par inadvertance - de lui faire parvenir lesdits documents. Le requérant aurait eu la possibilité de s'exprimer sur la licéité de cette désignation et autorisation devant le Tribunal fédéral. À partir du moment où il avait appris que les décisions litigieuses figuraient au dossier du Tribunal fédéral, le requérant disposait de suffisamment d'éléments qui lui permettaient de conclure que ce tribunal pourrait statuer lui-même sur le fond. Malgré cela, le requérant s'est contenté d'alléguer que les pièces fournies par le parquet général constituaient des preuves nouvelles et qu'elles étaient inadmissibles, indépendamment du fait qu'il avait lui-même critiqué leur absence du dossier tout au long de la procédure. En ce qui concerne la nécessité d'autorisation judiciaire pour l'intervention concrète, la Cour a observé que toutes les interventions de l'agent infiltré sont intervenues avant l'ouverture de l'enquête pénale contre le requérant et qu'une autorisation concrète n'était pas nécessaire au regard du droit en vigueur. La Cour a considéré que le droit d'être entendu du requérant n'a pas été violé et que la procédure a été équitable dans son ensemble puisque les tribunaux se sont bien assuré de la nécessité des documents en question. Irrecevable parce que manifestement mal fondé (unanimité).





Faits

 
TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 79216/12
Ferik AKIKI
contre la Suisse
 
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant le 12 juin 2018 en un comité composé de :
    Pere Pastor Vilanova, président,
    Helen Keller,
    María Elósegui, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 3 décembre 2012,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Vu la renonciation du gouvernement de l'ex-République yougoslave de Macédoine à exercer son droit d'intervention (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 b) du règlement de la Cour),
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
 
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
1.  Le requérant, ressortissant de l'ex-République yougoslave de Macédoine, est né en 1979 et réside à Zurich. Il est représenté par Me  M.  Tobler, avocat à Zurich.
2.  Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l'Office fédéral de la justice.
3.  Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
4.  Le 10 novembre 2008, le commandant adjoint de la police cantonale de Zurich désigna M.H., un policier cantonal, comme agent infiltré l'autorisant à prendre contact avec des trafiquants de drogues présumés, leur signaler un intérêt général à l'achat et accepter des offres de stupéfiants pour autant qu'aucune procédure pénale n'ait encore été ouverte. M.H. était également autorisé à agir dans le cadre de procédures pénales à condition qu'un juge autorise l'intervention concrète, comme le prévoyait la législation pertinente à l'époque. La désignation était limitée à une année et garantissait à M.H. l'anonymat et le secret. Le 12 novembre 2008, la Présidente de la chambre d'accusation du Tribunal supérieur du canton de Zurich confirma ladite désignation.
5.  R.Z., en détention provisoire depuis le 4 février 2009, avait pris la décision de coopérer avec la police. Le 5 février 2009, il autorisa M.H. à utiliser son téléphone portable dans le but de faire arrêter le requérant. Pour ce faire, il lui apprit le code utilisé avec le requérant (par exemple le fait que « lait et café » signifiait « héroïne et cocaïne »).
6.  Le 6 février 2009, le requérant envoya un SMS à R.Z. dont voici la teneur : « est-ce que je peux passer?et si oui dois-je en apporter des deux de la même quantité que la dernière fois ? ». M.H. répondit au SMS du requérant mais retarda le moment de la transaction à la semaine suivante.
7.  Le 11 février 2009, M.H. se rendit à la prison pour retrouver R.Z. et ils débutèrent une conversation par SMS avec le requérant à partir du téléphone portable de R.Z. Tous les SMS de cet échange furent rédigés par R.Z. et ensuite envoyés par lui-même ou par M.H. Ils envoyèrent au requérant le SMS suivant : « aurais-tu le temps à 14 heures pour du lait et du café ? ». Ils convinrent ensuite d'un rendez-vous afin d'effectuer la transaction.
8.  Plus tard dans la journée du 11 février 2009, un certain A.C. fut arrêté dans l'immeuble de R.Z. avec un bloc d'héroïne de 500 grammes. Celui-ci déclara qu'il effectuait une livraison pour le compte du requérant. Il dit que, le 10 février 2009, le requérant lui avait livré deux blocs d'héroïne d'environ 500 grammes chacun, qu'il lui avait demandé de les garder chez lui et de livrer un des deux blocs à R.Z. le lendemain à Zurich. Peu après l'arrestation d'A.C., le requérant fut arrêté et placé en détention préventive.
9.  Le 6 juillet 2010, le Tribunal de district de Zurich condamna le requérant à une peine privative de liberté de trois ans et demi pour infraction aggravée à la Loi sur les stupéfiants et les substances psychotropes. Contrairement à l'avis de la défense, le Tribunal de district estima que la manière d'agir de M.H. ne constituait pas une investigation secrète. Il jugea qu'il n'y avait en l'espèce ni besoin d'une décision autorisant M.H. à agir en tant qu'agent infiltré ni besoin d'une autorisation judiciaire de l'intervention concrète pour que les faits puissent être utilisés contre le requérant.
10.  Le 4 avril 2011, sur appel, le Tribunal supérieur du canton de Zurich considéra que toutes les interventions de l'agent infiltré étaient intervenues avant l'ouverture de la procédure pénale et ne nécessitaient pas d'autorisation concrète. Le requérant fut condamné à une peine privative de liberté de 39 mois.
11.  Le 16 août 2011, le requérant forma un recours en matière pénale au Tribunal fédéral dans lequel il fit valoir une violation de son droit d'être entendu parce que l'acte d'autorisation et de désignation auraient obligatoirement dû être disponibles pour que la défense ait l'occasion d'examiner le respect des modalités et l'étendue du mandat de l'agent infiltré. De surcroît, il fit valoir qu'il aurait obligatoirement fallu une autorisation de l'intervention concrète consistant en la vente fictive du 11 février 2009.
12.  En annexe de sa prise de position du 20 avril 2012 devant le Tribunal fédéral, le parquet général du Ministère public du canton de Zurich (Oberstaatsanwaltschaft) fournit des copies de l'acte de désignation par le commandement de la police cantonale et de l'acte d'autorisation par la Présidente de la chambre d'accusation du Tribunal supérieur concernant la qualité d'agent infiltré de M.H.
13.  Le 23 avril 2012, le Tribunal fédéral transmit ladite prise de position du parquet général au requérant en omettant, par inadvertance, d'y joindre l'annexe, à savoir l'acte de désignation ainsi que l'acte d'autorisation. Le Tribunal fédéral fixait aux parties un délai jusqu'au 3 mai 2012 pour des éventuelles observations.
14.  Dans sa duplique du 2 mai 2012, le requérant contesta principalement l'admissibilité des documents fournis par le parquet général en arguant qu'il s'agissait de faits nouveaux inadmissibles dans la procédure auprès du Tribunal fédéral.
15.  Dans un arrêt du 21 mai 2012, le Tribunal fédéral débouta le requérant. Il estima que le requérant avait déjà l'intention de procéder à une livraison de drogue avant le message du 11 février 2009. En d'autres termes, le requérant, qui était déjà prêt à effectuer la transaction avant que l'agent infiltré n'entra en scène, ne fut pas influencé par le comportement de M.H. Concernant l'autorisation pour M.H. d'agir en tant qu'agent infiltré, le Tribunal fédéral considéra que l'absence de mention explicite de ladite autorisation ainsi que de l'acte de désignation de M.H. dans l'arrêt du Tribunal supérieur ne changeait rien au fait que cette autorisation était valable au moment des faits.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
16.  Les dispositions pertinentes de la Loi du 20 juin 2003 sur l'investigation secrète (LFIS ; Recueil officiel du droit fédéral 2004 1409 ; en vigueur jusqu'au 31 décembre 2010) étaient libellées comme suit :
Section 1 Dispositions générales
Article 8 - Procédure d'autorisation
1 La décision désignant l'agent infiltré, dûment motivée et accompagnée des pièces nécessaires, est transmise aux autorités suivantes: [...]
b. pour les autorités cantonales: à l'autorité judiciaire désignée par le canton. [...]
2 L'autorité qui autorise la désignation de l'agent infiltré rend une décision en en indiquant brièvement les motifs. Elle peut autoriser la désignation à titre provisoire ou sous condition, demander que le dossier soit complété ou exiger d'autres éclaircissements.
3 L'autorisation est accordée pour un an au plus. Avant l'échéance de l'autorisation, le commandement de la police fait un rapport sur le déroulement de l'investigation secrète et demande si nécessaire une prolongation de l'autorisation.
Section 2 Intervention dans le cadre d'une procédure pénale
Art. 14 Autorité ordonnant l'intervention
L'intervention d'un agent infiltré dans le cadre d'une procédure pénale peut être ordonnée par: [...] b. les autorités cantonales compétentes de poursuite pénale.
Article 17 - Autorisation d'un juge
1 L'intervention d'un agent infiltré dans le cadre d'une procédure pénale doit être autorisée par l'une des autorités mentionnées à l'art. 8, al. 1. [...] »
GRIEFS
17.  Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant fait valoir une violation de son droit d'être entendu de par l'impossibilité d'accès à l'acte de désignation du policier ayant agi comme agent infiltré ainsi qu'aux actes d'autorisation de cette désignation. En outre, il fait valoir que l'intervention concrète n'était pas autorisée par un juge.
 


Considérants

EN DROIT
18.  La Cour rappelle que le droit à un procès pénal équitable implique que la défense puisse avoir accès à l'ensemble des preuves entre les mains de l'accusation, qu'elles soient en défaveur, ou en faveur, de l'accusé (Rowe  et Davis c. Royaume-Uni [GC], no 28901/95, §  60-63, CEDH  2000-II ; McKeown c. Royaume-Uni, no 6684/05, § 43, 11 janvier  2011). Les seules restrictions admissibles au droit d'accès à l'ensemble des preuves disponibles sont celles qui s'avèrent strictement indispensables (voir déjà, à titre d'exemple, Van Mechelen et autres c.  Pays-Bas, 23 avril 1997, § 58, Recueil 1997-III).
19.  Quant à l'acte de désignation de l'agent infiltré ainsi que son approbation judiciaire, la Cour observe d'emblée que le Tribunal fédéral avait donné accès à ces documents, qui se trouvaient dans l'annexe de la réponse du parquet général du Ministère public du canton de Zurich, au requérant. Or, par mégarde, cette annexe ne lui a pas été envoyée. Dans sa réponse au Tribunal fédéral du 2 mai 2012 le requérant, représenté par un avocat, ne s'est pas plaint de ce fait et n'a pas demandé au Tribunal fédéral - malgré que celui-ci ait manifestement agi par inadvertance - de lui faire parvenir lesdits documents.
20.  Comme le Gouvernement le souligne dans ses observations, le Tribunal fédéral peut réparer lui-même une violation du droit d'être entendu s'il dispose du même pouvoir d'examen que son instance précédente et si le requérant n'en subit pas de préjudice.
21.  Ces deux conditions étant remplies en l'espèce, le Tribunal fédéral était libre d'examiner la question de savoir si l'agent infiltré avait été correctement désigné et autorisé. Le requérant eut la possibilité de s'exprimer sur la licéité de cette désignation et autorisation. Les décisions litigieuses ayant été transmises au Tribunal fédéral, le requérant ne pouvait pas s'attendre à ce que celui-ci se contente de renvoyer, le cas échéant, l'affaire à l'instance précédente afin qu'elle statue à nouveau. À partir du moment où il avait appris que lesdites décisions figuraient au dossier du Tribunal fédéral, le requérant disposait ainsi de suffisamment d'éléments qui lui permettaient de conclure que la cour suprême pourrait statuer elle-même sur le fond.
22.  Malgré cela, le requérant s'est contenté d'alléguer que les pièces fournies par le parquet général constituaient des preuves nouvelles et qu'elles étaient inadmissibles, indépendamment du fait qu'il avait lui-même critiqué leur absence du dossier tout au long de la procédure.
23.  En ce qui concerne la nécessité d'autorisation judiciaire pour l'intervention concrète, la Cour observe que toutes les interventions de l'agent infiltré sont intervenues avant l'ouverture de l'enquête pénale contre le requérant. Comme l'ont relevé les différentes juridictions suisses, les articles 14 et 17 LFIS n'étant pas applicables en l'espèce, une autorisation concrète n'était pas nécessaire au regard du droit en vigueur. Partant, l'intervention de l'agent infiltré était couverte par l'acte de désignation du 10 novembre 2008 et par l'autorisation judicaire du 12 novembre 2008.
24.  Dans ces circonstances, la Cour ne saurait considérer que le droit d'être entendu du requérant a été violé et la procédure a bien été équitable dans son ensemble puisque les tribunaux se sont bien assuré de la nécessité des documents en question.
25.  Il s'ensuit que le grief est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
 


Disposition

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 5 juillet 2018.
    Fatoş Aracı    Greffière adjointe
    Pere Pastor Vilanova    Président

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Etat de fait

Considérants

Dispositif

références

Article: Art. 6 par. 1 CEDH, art. 14 et 17 LFIS