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Chapeau

143 IV 308


39. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause X. contre Ministère public de la République et canton de Genève (recours en matière pénale)
6B_734/2016 du 18 juillet 2017

Regeste

Discrimination raciale; rabaissement ou discrimination (art. 261bis al. 4 première partie CP).
Le geste de la "quenelle" (un bras tendu vers le bas avec la paume ouverte et l'autre bras replié sur l'épaule ou le haut du bras) effectué devant une synagogue par trois hommes qui s'étaient dissimulé le visage, l'un d'eux portant en outre la tenue d'assaut de l'armée suisse, réalise les éléments constitutifs de l'infraction de discrimination raciale (consid. 4).

Faits à partir de page 309

BGE 143 IV 308 S. 309

A. Par ordonnance pénale du Ministère public du canton de Genève du 22 avril 2015, valant acte d'accusation, il a été reproché à X. d'avoir, à la fin de l'année 2013, en compagnie de A. et de B., effectué le geste de la "quenelle" devant la synagogue de Genève.
B. et A. ont été reconnus coupables, par ordonnances pénales actuellement en force, de discrimination raciale - et d'abus et dilapidation du matériel (art. 73 du code pénal militaire) s'agissant du premier -, et condamnés à une peine pécuniaire de 100, respectivement 90 jours-amende, à 30 fr. l'unité, avec sursis durant deux ans.
Statuant sur l'opposition de X., le Tribunal de police du canton de Genève l'a acquitté du chef de discrimination raciale (art. 261bis al. 2, 3 et 4, 1re partie, CP) par jugement du 13 avril 2015.

B. Statuant sur appel du Ministère public, la Chambre d'appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève a, par arrêt du 15 mai 2016, déclaré X. coupable de discrimination raciale au sens de l'art. 261bis al. 4 première partie CP et l'a condamné à une peine pécuniaire de 80 jours-amende à 10 fr. l'unité. Elle a dit que cette peine était complémentaire à celle prononcée le 12 novembre 2014 par le Tribunal de police de La Côte à Nyon, et mis X. au bénéfice du sursis avec délai d'épreuve d'une durée de trois ans.
Cette condamnation se fonde sur les faits suivants:
Au mois de décembre 2013, dans la version électronique du journal C. a été publiée une photographie représentant B., A. et X. en train d'exécuter une "quenelle", geste popularisé par l'humoriste controversé Dieudonné M'Bala M'Bala. Plus précisément, les trois jeunes
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hommes tenaient leur bras gauche tendu vers le bas et leur bras droit replié vers leur épaule gauche, avec la synagogue D. de Genève comme toile de fond. Au centre des trois protagonistes, B. portait la tenue d'assaut de l'armée suisse et masquait le bas de son visage au moyen d'un tissu. A., à gauche sur la photo, était habillé en sombre et portait des lunettes de soleil, alors que X., à droite, revêtait des habits de sport et une casquette noirs ainsi qu'une grande écharpe, qui ne laissait apparaître que ses yeux.

C. X. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal et conclut principalement, avec suite de frais et dépens, à sa réforme en ce sens qu'il est libéré de la prévention de discrimination raciale, subsidiairement au renvoi de la cause à la Chambre d'appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Considérants

Extrait des considérants:

4. Invoquant la violation de l'art. 261bis al. 4 première partie CP, le recourant conteste la réalisation de l'élément constitutif de "rabaissement" ou de "discrimination".

4.1 Selon l'art. 261bis al. 4 première partie CP, l'auteur doit rabaisser ou discriminer une personne ou un groupe de personnes "d'une façon qui porte atteinte à la dignité humaine" ("in einer gegen die Menschenwürde verstossenden Weise"; "lesivo della dignità umana"). La règle de l'art. 261bis al. 4 du projet du Conseil fédéral était semblable et prévoyait que se rendait coupable de l'infraction celui qui avait publiquement "porté atteinte à la dignité humaine" d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse. Cette exigence a manifestement pour but de restreindre le champ d'application de la norme pénale. Selon le Message, à la différence des délits contre l'honneur, il ne s'agit pas d'une atteinte à l'honneur de la victime. C'est sa qualité d'être humain qui lui est tout simplement déniée (Message du 2 mars 1992 concernant l'adhésion de la Suisse à la Convention internationale de 1965 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la révision y relative du droit pénal, FF 1992 III 265 ss, 308 s. ch. 636.2). Cette interprétation est toutefois trop étroite, comme le relève aussi la doctrine (par ex: TRECHSEL/VEST, in Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 2e éd. 2013, n° 34 ad art. 261bis CP). On doit admettre qu'un rabaissement porte atteinte à la dignité humaine
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au sens de l'art. 261bis al. 4 CP lorsque la personne visée est traitée comme un être humain de deuxième classe (ATF 140 IV 67 consid. 2.5.1). Une affirmation xénophobe, de mauvais goût, amorale ou choquante sur le plan moral ou encore inconvenante ou non civilisée en rapport avec une ethnie, une race ou une religion n'est pas encore constitutive de discrimination raciale (MARCEL ALEXANDER NIGGLI, Discrimination raciale, Un commentaire au sujet de l'art. 261bis CP et de l'art. 171c CPM, 2000, n. 945 p. 250).
C'est ainsi que les termes tels que "Sau" (cochon), "Dreck" (... de merde) et autres similaires, utilisés de manière répandue dans le langage allemand dans le cadre d'expressions de mauvaise humeur et de manifestations de mécontentement, pour offenser une autre personne en raison de son sexe, de son orientation sexuelle ou de particularités physiques ou intellectuelles, étaient ressenties comme de simples injures et non comme des atteintes à la dignité humaine. Il n'en allait pas différemment s'agissant de l'utilisation de ces mêmes termes et autres similaires en relation avec des nationalités, respectivement des ethnies particulières. De telles expressions étaient, en tout cas aussi longtemps qu'elles étaient dirigées contre une personne concrète, comprises par un tiers moyen non averti comme des atteintes à l'honneur motivées par des considérations xénophobes plus ou moins primitives, et non comme des atteintes racistes à la dignité humaine. Elles ne remplissaient ainsi pas les éléments constitutifs de l'infraction à l'art. 261bis al. 4 première partie CP (ATF 140 IV 67 consid. 2.5.2 p. 73 et les références citées).
Par ailleurs, le Tribunal fédéral a constaté que l'utilisation publique du "salut hitlérien" pouvait, selon les circonstances et les particularités locales et/ou le cercle des destinataires, remplir les conditions de l'art. 261bis al. 4 première partie CP. Dans le cas d'espèce (le prévenu avait effectué le salut hitlérien pendant environ 20 secondes au moment où le serment du Grütli, issu de l'oeuvre "Guillaume Tell" de Friedrich von Schiller, allait être récité, à l'occasion d'une manifestation organisée par un parti politique sur la prairie du Grütli), les conditions n'étaient pas réunies (ATF 140 IV 102 p. 103 ss).

4.2 La cour cantonale a retenu qu'un observateur moyen apercevant trois individus, dont le recourant vêtu d'habits noirs, visage et tête cachés, et un militaire en tenue d'assaut, visage en partie camouflé, posant devant la synagogue D., soit un lieu de culte juif notoirement connu à Genève, en effectuant une "quenelle", aura immédiatement
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pensé à un acte de nature antisémite, tombant sous le coup de l'art. 261bis al. 4, 1re partie, CP.

4.3 Les considérations cantonales peuvent être approuvées. Quoique la signification de la "quenelle" puisse varier selon les contextes et les avis, elle est à tout le moins perçue comme un geste obscène et méprisant. Or, à la différence de l'affaire jugée dans l' ATF 140 IV 67 précité, le tiers non prévenu aurait compris que ce message de mépris ne s'adressait pas à une personne déterminée, dans un contexte concret, mais à l'ensemble de la confession juive, représentée par le lieu religieux figurant en arrière-plan. En outre, plus qu'un signe injurieux ordinaire, tel qu'un bras d'honneur, la "quenelle" est empreinte d'une connotation antisémite compte tenu de la polémique qui l'entoure, généralement connue de la population genevoise. Le choix d'une synagogue comme toile de fond tend à confirmer, auprès des tiers, que c'est bien un message antisémite que le geste véhicule en l'espèce, à savoir un message hostile et discriminatoire envers les personnes de confession juive. A cela s'ajoute l'attitude affichée par le recourant et ses comparses, qui, alignés en rang, s'étaient en partie couvert le visage et, pour l'un deux, avait revêtu une tenue militaire. Une telle mise en scène exclut la thèse du recourant selon laquelle il ne fallait y voir qu'un geste "relevant d'un humour potache".
Ainsi, au vu de ce qui précède, la cour cantonale pouvait retenir sans violer le droit fédéral que le message délivré par le recourant était propre, du point de vue d'un observateur moyen non averti, à rabaisser et/ou discriminer le groupe visé d'une façon qui porte atteinte à la dignité humaine. Cette condition de l'art. 261bis al. 4 première partie CP est donc remplie. (...)

contenu

document entier
regeste: allemand français italien

Etat de fait

Considérants 4

références

ATF: 140 IV 67, 140 IV 102

Article: art. 261bis CP, art. 261bis al. 4 CP, art. 171c CPM, art. 261bis al. 4, 1re