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Chapeau

7548/04


Bianchi Stefano gegen Schweiz
Urteil no. 7548/04, 22 juin 2006

Regeste

SUISSE: Art. 8 CEDH. Diligence des autorités à assurer le retour en Italie de l'enfant du requérant enlevé par sa mère.

Les décisions et procédures dénoncées à la suite de la disparition de l'enfant constituaient une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale du requérant, car elles l'ont empêché de jouir de l'exercice du droit de garde de son fils. Après que la mère a enlevé l'enfant pour la seconde fois, le tribunal a ordonné le maintien de l'enfant en Suisse pendant la durée de la procédure qui a duré près de quatre mois, ce qui ne cadre pas avec la Convention de la Haye sur l'enlèvement d'enfants qui exige de procéder d'urgence en vue du retour de l'enfant; l'issue a été un refus du rapatriement vu les réticences de l'enfant, bien compréhensibles eu égard à son bas âge (4 ans) et à l'absence de contacts réguliers avec son père, qui n'a même pas été au bénéfice d'un droit de visite favorable durant la procédure. Suite à la décision du tribunal supérieur ordonnant la restitution de l'enfant, les autorités ont recherché l'enfant et sa mère, mais la police a finalement laissé cette dernière partir sur une simple promesse de ramener son fils, et ils n'ont alors plus pu être localisés.
Cette attitude dénote un certain laxisme ne cadrant pas avec les exigences strictes de la Convention de La Haye; cette passivité est à l'origine de la rupture totale des relations entre l'enfant et son père, qui dure depuis près de deux ans et comporte le risque d'une aliénation croissante entre les deux préjudiciable à l'intérêt supérieur de l'enfant (ch. 76 - 100).
Conclusion: violation de l'art. 8 CEDH.





Faits

En l'affaire Bianchi c. Suisse,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. P.Lorenzen, président,
L. Wildhaber,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
Mme M. Tsatsa-Nikolovska,
M. J. Borrego Borrego,
Mme R. Jaeger, juges,
et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mai 2006,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 7548/04) dirigée contre la Confédération suisse, et dont un ressortissant italien, M. Stefano Bianchi (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 février 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me M. Tirini, avocat à Bologne. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. P. Boillat, sous-directeur de l'Office fédéral de la justice.

3. Le requérant alléguait en particulier que les mesures prises par les autorités compétentes du canton de Lucerne aux fins de l'exécution des décisions des juridictions internes ordonnant le retour immédiat en Italie de son enfant, victime d'un enlèvement par sa mère, étaient insuffisantes au regard de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

5. Le 27 septembre 2004, le président de la chambre chargée de l'examen de l'affaire a décidé de la traiter en priorité (article 41 du règlement).

6. Par une décision du 4 octobre 2005, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable sous l'angle des articles 6 et 8 de la Convention.

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement). Des observations ont également été reçues du gouvernement italien, qui a exercé son droit d'intervenir (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 b) du règlement).

8. Le 1er avril 2006, la requête a été attribuée à la cinquième section nouvellement constituée (articles 25 § 5 et 52 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

9. Le requérant est né en 1962 et réside à Buggiano (Italie).

10. Le 26 juin 1998, il épousa E.H. en Italie. Les conjoints élurent domicile en Italie. Le 28 novembre 1999, ils eurent un fils. En juin 2002, ils se séparèrent et E.H. partit avec l'enfant pour la Suisse, sans y avoir été autorisée.

11. La procédure de divorce débuta le 25 juillet 2002. Le 2 février 2003, le tribunal civil de Pistoia (Italie) attribua la garde de l'enfant au requérant. Une expertise psychiatrique de l'enfant ordonnée en mai 2003 confirma qu'il convenait de laisser la garde exclusive à M. Bianchi. Celui-ci trouva pour la mère un appartement à proximité et lui proposa un partage de la garde. Il proposa également une médiation, qu'elle refusa.

12. La mère ayant enlevé l'enfant et l'ayant emmené en Suisse en juin 2002, le requérant s'adressa aux autorités suisses, le 30 septembre 2002, pour faire rapatrier son fils. Il invoquait la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (ci-après « la Convention de La Haye »).

13. Le 23 avril 2003, le Tribunal fédéral suisse, statuant en dernière instance, rejeta un recours de la mère et ordonna le retour de l'enfant en Italie pour le 15 mai 2003 au plus tard. La mère et l'enfant revinrent en Italie.

14. Le 4 juin 2003, le tribunal de Pistoia confirma le droit de garde du requérant.

15. Le 20 novembre 2003, le tribunal suisse, qui entre septembre 2002 et mai 2003 avait suspendu la procédure de divorce initiée par la femme du requérant, se déclara incompétent pour la poursuivre compte tenu du lieu de résidence de l'enfant.

16. Le 23 décembre 2003, le requérant confia l'enfant à sa mère, selon le calendrier des visites établi. Par la suite, la mère disparut avec son fils.

17. Le 3 janvier 2004, la police cantonale lucernoise prit contact avec les grands-parents maternels de l'enfant, qui ne dévoilèrent pas l'adresse de la mère.

18. Le 4 janvier 2004, la mère amena l'enfant à la police, laquelle constata qu'il n'avait pas subi de mauvais traitements.

19. Le 6 janvier 2004, le requérant s'adressa au tribunal d'arrondissement de Willisau pour demander le retour de son fils. Il invoquait la Convention de La Haye.

20. Le 7 janvier 2004, le tribunal en question ordonna le maintien de l'enfant en Suisse jusqu'à droit connu sur la procédure en vue du retour de l'enfant. En outre, la mère fut priée de restituer les papiers de l'enfant. En revanche, aucune décision ne fut prise concernant le droit de visite du requérant.

21. Fin janvier 2004, une tentative de visite consulaire fut refusée à un employé italien du consulat de Zurich.

22. Le 15 janvier 2004, le tribunal de Pistoia confirma une nouvelle fois le droit de garde du requérant.

23. Le 28 janvier 2004, le requérant déposa contre sa femme une plainte pénale pour enlèvement de mineur, au sens de l'article 220 du code pénal suisse.

24. Le 29 janvier 2004, la mère soumit au tribunal d'arrondissement de Willisau des observations dans lesquelles elle sollicitait le rejet de la demande du requérant et le transfert en Suisse du domicile de l'enfant.

25. Le 10 février 2004, elle déposa une demande de récusation des magistrats du tribunal d'arrondissement. La juridiction suspendit la procédure jusqu'au 15 mars 2004, date à laquelle elle débouta la mère.

26. Le 15 mars 2004, la mère de l'enfant fut condamnée par la préfecture de Willisau à verser une amende de 300 francs suisses (environ 191 euros) pour enlèvement de mineur, au sens de l'article 220 du code pénal suisse. L'intéressée forma un recours contre cette décision.

27. Le 7 avril 2004, le requérant déposa une nouvelle plainte pénale contre sa femme. Les deux procédures pénales furent par la suite suspendues jusqu'à droit connu sur la procédure en vue du retour de l'enfant.

28. Dans leurs réplique et duplique du 30 mars et du 14 avril 2004, les parties maintinrent leurs conclusions.

29. Le 13 avril 2004, le requérant demanda au juge la permission de voir son fils régulièrement, les samedis entre 10 heures et 14 heures, à un endroit où se trouveraient également un membre du consulat italien et un membre de l'autorité tutélaire.

30. Par une décision du 14 avril 2004, le tribunal d'arrondissement de Willisau accéda à sa demande en lui octroyant un droit de visite hebdomadaire d'une durée de quatre heures, dans un lieu neutre (« neutraler Ort ») et en présence d'un représentant de l'autorité tutélaire ou d'un agent de police et d'une assistante sociale de la commune.

31. Le 23 avril 2004, une nouvelle décision fut rendue au sujet du droit de visite. Elle tenait compte des modifications demandées par la femme du requérant. Le tribunal d'arrondissement ordonnait au requérant, notamment, de déposer son passeport et ses clés de voiture pendant l'exercice de son droit de visite. L'intéressé se soumit sans résistance à ces modalités.

32. Le 24 avril et le 1er mai 2004, le requérant exerça ses premiers droits de visite.

33. Le 3 mai 2004, le tribunal d'arrondissement de Willisau, s'appuyant sur les articles 1, 3, 4, 12, 13 et 14 de la Convention de La Haye (voir, ci-dessous, partie « Le droit interne et international pertinent »), rejeta la demande formée par le requérant en vue du retour de l'enfant, au motif que si l'enlèvement avait bien été illicite au sens de l'article 3 de cette convention, les conditions de l'article 13 du même texte étant remplies en l'espèce, le retour de l'enfant ne pouvait être ordonné, malgré le droit de garde du père. Le tribunal prit en considération un rapport produit par un assistant social sur les deux rencontres qui avaient eu lieu entre le requérant et l'enfant. L'assistant social avait relevé, notamment, que lors de la première visite l'enfant avait opposé de la résistance et que son père avait dû venir le chercher à l'intérieur de la maison. L'enfant avait indiqué qu'il ne voulait pas retourner en Italie. Lors de la seconde visite, il avait consenti plus facilement à voir son père, parce qu'il savait qu'il ne devait pas, du moins à ce stade, rentrer en Italie. Le tribunal, prenant en compte les sérieuses réticences de l'enfant quant à son retour en Italie, jugea que l'enfant n'avait pas été heureux en Italie et qu'il entretenait des liens bien plus étroits avec sa mère qu'avec le requérant. Enfin, cette juridiction exprima l'avis qu'il n'était pas opportun de requérir une nouvelle expertise psychologique.

34. Le 8 juin 2004, le requérant forma un recours en nullité contre la décision du 3 mai 2004.

35. Par un arrêt du 12 juillet 2004, le tribunal supérieur du canton de Lucerne ordonna le retour de l'enfant pour le 31 juillet 2004 au plus tard, en autorisant l'intervention de la police, si nécessaire. Cette juridiction estima que les preuves présentées par la mère ne suffisaient pas pour que l'on admît l'existence d'un risque grave pour l'enfant d'être exposé à un danger physique ou psychique, au sens de l'article 13 de la Convention de La Haye. En outre, le tribunal jugea normal que l'enfant, alors âgé de quatre ans, se soit opposé à son retour en Italie, après avoir été sous l'influence exclusive de sa mère pendant des mois. A ce sujet, il précisa qu'il était notoire qu'un enfant de cet âge adoptait très facilement les opinions et les attitudes du parent sous la garde duquel il se trouvait. Dès lors, il n'était pas surprenant que l'enfant se soit opposé à son retour, comportement qui, pris isolément, ne pouvait passer pour l'indication d'un danger pour l'enfant.

36. Le 30 juillet 2004, l'avocat de la mère envoya un fax au représentant du requérant, déclarant que la mère, en dépit de ses engagements, ne restituerait pas l'enfant et empêcherait tout contact entre le père et son fils tant que le Tribunal fédéral n'aurait pas statué sur le recours de droit public qu'elle envisageait de former contre la décision rendue le 12 juillet 2004 par le tribunal supérieur du canton de Lucerne. L'avocat du requérant en informa la police cantonale, qui procéda, le 2 août 2004, à un contrôle au domicile de la mère de l'enfant, apparemment en vacances à ce moment-là, ainsi qu'à celui de ses parents.

37. Toujours le 2 août 2004, le requérant s'adressa à la préfecture de Willisau afin de faire exécuter la décision du 12 juillet 2004.

38. Le 6 août 2004, le requérant déposa auprès du ministère public du canton de Lucerne une plainte pour retard à statuer dans les procédures pénales pendantes. La plainte fut rejetée par une décision du 17 août 2004.

39. Un rapport de l'autorité tutélaire en date du 27 août 2004 témoigna du fait que les neuf rencontres entre le requérant et son enfant - intervenues entre le 24 avril 2004 et le 18 juillet 2004 dans un lieu fermé et en présence d'un assistant social - s'étaient déroulées de manière satisfaisante et que le requérant avait respecté toutes les modalités fixées par le tribunal d'arrondissement.

40. Le 10 août 2004, la préfecture de Willisau chargea la police cantonale d'établir les circonstances de l'enlèvement de l'enfant et d'interroger la mère.

41. Le 15 août 2004, la mère, indiquant qu'elle se trouvait dans la région, prit contact avec le policier compétent et annonça qu'elle se présenterait pour être entendue, à condition toutefois de ne pas être retenue après l'interrogatoire. Venue seule, l'intéressée refusa de fournir des informations sur le lieu de séjour de l'enfant, mais affirma qu'elle était joignable à tout moment par l'intermédiaire de son avocat. Elle confirma que son fils était en bonne santé physique et heureux de rester avec elle. Elle promit qu'elle se soumettrait, le cas échéant, à un jugement défavorable du Tribunal fédéral. Après l'interrogatoire, qui dura quarante minutes, le policier laissa partir la mère, notamment parce qu'elle s'était engagée à se présenter si elle y était invitée.

42. Le 3 septembre 2004, un interrogatoire de la grand-mère eut lieu, en vertu d'un mandat délivré par la préfecture de Willisau le 26 août 2004. De surcroît, la mère et l'enfant furent inscrits dans le système de recherches informatisées de la police et un mandat d'arrêt contre la mère fut délivré.

43. A partir du 6 septembre 2004, la police cantonale, sur la base d'une liste fournie par le requérant et contenant les noms des personnes avec qui la mère pourrait prendre contact ou chez qui elle pourrait se cacher, commença à surveiller de nombreuses lignes téléphoniques, parfois avec effet rétroactif au début du mois de juillet 2004.

44. Le 21 septembre 2004, le tribunal civil de Pistoia rendit son jugement, qui entérinait la séparation des époux et octroyait la garde effective de l'enfant au requérant ainsi qu'un droit de visite à la mère.

45. Le 29 septembre 2004, la préfecture de Willisau envoya des demandes de renseignements à toutes les banques du canton de Lucerne et à Postfinance. Les informations ainsi collectées devaient permettre de retracer les opérations bancaires effectuées par la mère.

46. Par un arrêt du 15 octobre 2004, le Tribunal fédéral rejeta le recours de la mère. Il confirma l'avis de l'instance inférieure selon lequel l'enfant n'était pas menacé d'un danger grave pour son intégrité physique ou psychique, au sens de l'article 13 de la Convention de La Haye, en cas de retour en Italie. De surcroît, il estima que l'appréciation des preuves par l'instance inférieure ne pouvait être qualifiée d'arbitraire.

47. Les 21 et 27 octobre 2004, de nouvelles recherches concernant le compte postal de la mère furent effectuées.

48. Le 26 octobre 2004, la police procéda, au lieu de travail et au domicile de la grand-mère de l'enfant, à une perquisition, qui permit d'identifier deux personnes avec lesquelles la mère avait pu prendre contact. Les lignes téléphoniques de l'une des deux furent mises sur écoute à partir de la mi-novembre. La maison de l'autre fut perquisitionnée, également en novembre 2004.

49. Le 2 novembre 2004, la police autrichienne fut sollicitée en vue de l'obtention d'informations sur un éventuel séjour de la mère et de son enfant en Autriche, auprès de proches. Deux jours plus tard, un mandat d'arrêt international fut délivré à l'encontre de la mère.

50. Le 9 novembre 2004, face au comportement « gravissime » de la mère, le tribunal pour mineurs de Florence déchut également celle-ci de la garde théorique de l'enfant (potestà genitoriale), ce qui, selon l'article 330 du code civil italien, l'empêchait d'obtenir à l'avenir la garde.

51. Le 18 novembre 2004, la préfecture de Willisau ordonna la surveillance, avec effet rétroactif au 18 août 2004, d'un téléphone portable que la mère était présumée utiliser. De manière similaire, elle vérifia sporadiquement si la mère avait acquis un numéro de téléphone portable.

52. La police cantonale surveilla également certaines manifestations publiques tenues à Lucerne les 20 et 27 novembre 2004, organisées d'une part par le requérant et d'autre part par la mère de l'enfant, et ayant eu pour but de rendre la population locale attentive à leurs causes respectives. La mère n'y fut cependant pas repérée.

53. Afin de pouvoir suivre plus facilement la trace de la mère, les chaînes commerciales Coop et Migros, ainsi que Postfinance, furent priés d'informer aussitôt les autorités cantonales de toute transaction éventuellement effectuée sur le compte de la mère. Par ailleurs, les autorités compétentes essayèrent de trouver des indices par le biais de la caisse maladie de la mère, des organismes d'assurance vieillesse ou des comptes bancaires.

54. En novembre 2004 et en avril 2005, le requérant demanda aux autorités compétentes de lancer un appel au public en vue de la localisation de son fils.

55. Des manifestations sportives de cyclisme, milieu fréquenté par la mère, ainsi que les funérailles de son oncle, qui eurent lieu à Sursee le 29 avril 2005, furent surveillées par la police, mais sans résultat.

56. Le 9 mai 2005, le ministère public du canton de Lucerne rejeta une nouvelle plainte du requérant concernant le retard à statuer des autorités pénales du canton de Lucerne.

57. Le 15 juin 2005, la police du canton de Lucerne lança un appel au public afin de retrouver la mère et son fils.

58. Au moment de l'adoption du présent arrêt, il n'apparaît pas que la mère et son fils aient été retrouvés.
B. Le droit interne et international pertinent

59. En vertu de l'article 191 (Droit applicable) de la Constitution fédérale, le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international ; en d'autres termes, les traités internationaux conclus par la Confédération font partie intégrante du droit suisse (voir l'arrêt du Tribunal fédéral no 105 II 49, 57 et suiv., du 25 janvier 1979).

60. Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, traité international entré en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 1984, sont ainsi libellées:
« Les Etats signataires de la présente Convention,
Profondément convaincus que l'intérêt de l'enfant est d'une importance primordiale pour toute question relative à sa garde,
Désirant protéger l'enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non-retour illicites et établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l'enfant dans l'Etat de sa résidence habituelle, ainsi que d'assurer la protection du droit de visite,
Ont résolu de conclure une Convention à cet effet, et sont convenus des dispositions suivantes :
Article premier :
La présente Convention a pour objet :
a. d'assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout Etat contractant ;
b. de faire respecter effectivement dans les autres Etats contractants les droits de garde et de visite existant dans un Etat contractant.
(...)
Article 3 :
Le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite :
a. lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; (...)
Article 4 :
La Convention s'applique à tout enfant qui avait sa résidence habituelle dans un Etat contractant immédiatement avant l'atteinte aux droits de garde ou de visite. L'application de la Convention cesse lorsque l'enfant parvient à l'âge de 16 ans.
(...)
Article 7 :
Les Autorités centrales doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants et réaliser les autres objectifs de la présente Convention.
En particulier, soit directement, soit avec le concours de tout intermédiaire, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées :
a. pour localiser un enfant déplacé ou retenu illicitement ;
b. pour prévenir de nouveaux dangers pour l'enfant ou des préjudices pour les parties concernées, en prenant ou faisant prendre des mesures provisoires ;
c. pour assurer la remise volontaire de l'enfant ou faciliter une solution amiable ;
d. pour échanger, si cela s'avère utile, des informations relatives à la situation sociale de l'enfant ;
e. pour fournir des informations générales concernant le droit de leur Etat relatives à l'application de la Convention ;
f. pour introduire ou favoriser l'ouverture d'une procédure judiciaire ou administrative, afin d'obtenir le retour de l'enfant et, le cas échéant, de permettre l'organisation ou l'exercice effectif du droit de visite ;
g. pour accorder ou faciliter, le cas échéant, l'obtention de l'assistance judiciaire et juridique, y compris la participation d'un avocat ;
h. pour assurer, sur le plan administratif, si nécessaire et opportun, le retour sans danger de l'enfant ;
i. pour se tenir mutuellement informées sur le fonctionnement de la Convention et, autant que possible, lever les obstacles éventuellement rencontrés lors de son application.
(...)
Article 11 :
Les autorités judiciaires ou administratives de tout Etat contractant doivent procéder d'urgence en vue du retour de l'enfant.
Lorsque l'autorité judiciaire ou administrative saisie n'a pas statué dans un délai de six semaines à partir de sa saisine, le demandeur ou l'Autorité centrale de l'Etat requis, de sa propre initiative ou sur requête de l'autorité centrale de l'Etat requérant, peut demander une déclaration sur les raisons de ce retard. (...)
Article 12 :
Lorsqu'un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l'article 3 et qu'une période de moins d'un an s'est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l'introduction de la demande devant l'autorité judiciaire ou administrative de l'Etat contractant où se trouve l'enfant, l'autorité saisie ordonne son retour immédiat. (...)
Article 13 :
Nonobstant les dispositions de l'article précédent, l'autorité judiciaire ou administrative de l'Etat requis n'est pas tenue d'ordonner le retour de l'enfant, lorsque la personne, l'institution ou l'organisme qui s'oppose à son retour établit :
(...)
b. qu'il existe un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.
L'autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d'ordonner le retour de l'enfant si elle constate que celui-ci s'oppose à son retour et qu'il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.
Dans l'appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l'Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l'Etat de la résidence habituelle de l'enfant sur sa situation sociale.
Article 14 :
Pour déterminer l'existence d'un déplacement ou d'un non-retour illicite au sens de l'article 3, l'autorité judiciaire ou administrative de l'Etat requis peut tenir compte directement du droit et des décisions judiciaires ou administratives reconnues formellement ou non dans l'Etat de la résidence habituelle de l'enfant, sans avoir recours aux procédures spécifiques sur la preuve de ce droit ou pour la reconnaissance des décisions étrangères qui seraient autrement applicables. »


Considérants

EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

61. Le requérant allègue que les procédures devant les instances internes et les mesures prises par les autorités pour mettre en oeuvre l'ordre de retour concernant son fils ne cadrent pas avec son droit au respect de la vie familiale, au sens de l'article 8 de la Convention, lequel est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
A. Arguments des parties et de l'Etat intervenant
1. Le requérant

62. Le requérant ne souscrit pas à l'argument du gouvernement défendeur selon lequel le comportement de la mère était imprévisible. En effet, les actes antérieurs de la mère auraient dû indiquer aux autorités qu'il existait un risque réel de récidive.

63. Le requérant estime qu'en dépit de ces éléments les autorités compétentes n'ont rien entrepris, après l'expiration du délai que le tribunal supérieur avait fixé au 31 juillet 2004 pour la restitution de l'enfant, afin de faire exécuter cet ordre. Cela est d'autant plus surprenant que, d'après les actes et documents de la procédure pénale engagée contre la mère, ainsi que les déclarations de la police cantonale aux médias, les autorités du canton savaient où se trouvaient la mère et l'enfant, à savoir dans la commune d'Uffikon.

64. S'il est vrai que des agents de la police cantonale l'ont interrogée le 15 août 2004 au sujet de la restitution de l'enfant, ils se sont contentés, selon le requérant, de la promesse de la mère selon laquelle elle restituerait l'enfant une fois que le Tribunal fédéral aurait statué sur son recours de droit public. Dans ce contexte, le requérant juge totalement dénué de fondement l'argument du gouvernement défendeur selon lequel le temps limité dont disposait la police à ce moment-là n'a pas permis à celle-ci d'organiser la surveillance de la mère. A ce sujet, il rappelle que c'est la police cantonale elle-même qui a convoqué la mère, par l'intermédiaire de son avocat, cinq jours seulement avant la tenue de l'interrogatoire, à savoir le 10 août 2004, et que de surcroît la mère a pris contact avec la police le 15 août 2004, avant de se rendre au poste.

65. Le requérant rappelle aussi qu'à plusieurs reprises il a fait parvenir aux autorités compétentes de longues listes de personnes qu'il jugeait susceptibles d'être en contact avec la mère, mais qu'aucune de ces personnes - qui pouvaient être impliquées dans le délit d'enlèvement et de séquestration d'un mineur - n'a été entendue par la police cantonale. La grand-mère de l'enfant, la plus vive partisane de l'auteur de l'enlèvement selon le requérant, aurait été la seule personne soumise à un interrogatoire formel, le 9 septembre et le 27 octobre 2004. Son lieu de travail et son domicile ont été perquisitionnés une fois, à savoir le 26 octobre 2004, mais rien d'autre n'aurait été fait afin de suivre cette piste, bien que la grand-mère ait plusieurs fois déclaré publiquement être en contact avec sa fille par l'intermédiaire de son avocat.

66. Le requérant prétend aussi qu'après le 15 juin 2005 aucune démarche n'a été effectuée par les autorités compétentes, qui se seraient contentées d'attendre jusqu'à ce que la mère de l'enfant décide de reparaître. De surcroît, durant les dix-huit mois d'enquête, le requérant n'aurait jamais été contacté par la police et n'aurait été tenu au courant des résultats de l'appel au public du 15 juin 2005 que par le biais d'une convocation de la police cantonale de Lucerne, demandée par ses propres avocats.

67. Compte tenu de ce qui précède, le requérant soutient que la gravité de la situation a été totalement sous-estimée par les autorités compétentes du canton de Lucerne, malgré les indications précises qui figuraient dans la décision du tribunal supérieur du 12 juillet 2004. Tout ce qui est arrivé par la suite est, selon le requérant, une conséquence très lourde de l'inacceptable négligence qui a caractérisé l'exécution d'une décision judiciaire sans équivoque.

68. En conséquence, le requérant conclut à l'inaction des autorités compétentes, pour le moins entre janvier et août 2004, quant à la protection du bien-être psychique et physique de son fils, inaction qui ne cadre pas avec les exigences de l'article 8 de la Convention.
2. Le gouvernement défendeur

69. Le gouvernement suisse estime que les autorités de son pays ont pris toutes les mesures nécessaires, pendant la procédure en vue du retour de l'enfant, pour protéger le droit du requérant au respect de sa vie familiale, et rappelle d'emblée qu'elles lui ont accordé un droit de visite hebdomadaire, ce qui lui a permis d'avoir des contacts répétés avec son fils.
En même temps, le Gouvernement est d'avis que le second enlèvement de l'enfant par la mère était imprévisible dans la mesure où le comportement de l'intéressée durant la première procédure de retour n'avait donné aux autorités aucune raison de penser qu'elle ne se montrerait pas coopérative durant la seconde procédure.
De surcroît, les autorités suisses auraient entrepris, depuis la disparition de la mère et de l'enfant, de multiples actions de recherche et d'enquête, telles que des interrogatoires, des perquisitions et des saisies, des enquêtes auprès d'établissements bancaires et postaux, la surveillance de comptes, des surveillances téléphoniques et des observations.

70. De même, on ne saurait reprocher aux autorités leur réaction à la suite des faits survenus le 15 août 2004. Le gouvernement suisse affirme que le temps dont disposait la police n'a pas permis à celle-ci d'organiser la surveillance de la mère. De même, son éventuelle arrestation n'aurait constitué une mesure adéquate ni au vu des contacts avec d'autres mères en situation comparable, ni au vu des risques qu'elle aurait, le cas échéant, pu présenter pour la santé de l'enfant.

71. Enfin, le gouvernement défendeur indique que la police a consacré à cette affaire plus de 2 000 heures de travail, dont environ 900 à des mesures de surveillance. A cela s'ajoutent les 200 heures de travail effectuées par la préfecture de Willisau, qui est responsable de l'enquête.

72. En bref, le Gouvernement conclut que les mesures adoptées par les autorités cantonales ont satisfait aux exigences de l'article 8.
3. Le gouvernement italien, partie intervenante

73. Le gouvernement italien estime que le tribunal d'arrondissement de Willisau, en décidant de procéder - sans nécessité réelle - à une nouvelle instruction complète du dossier et en ordonnant que le mineur reste en Suisse pendant la procédure, a commis une ingérence active dans la jouissance par le requérant de ses droits découlant de l'article 8. De même, en statuant contre toute attente - et à vrai dire contre toute logique - en faveur de la mère de l'enfant enlevé, le tribunal en question a pris une mesure qui s'analyse en une autre atteinte à la vie privée et familiale du requérant.

74. Par ailleurs, l'ensemble de ces démarches et la décision à laquelle elles ont abouti sont à l'origine de la prolongation de la procédure, sans nécessité réelle, et ont donné à la mère la possibilité de disparaître ensuite avec l'enfant.

75. Pour ce qui est des défaillances et des retards dans l'adoption de mesures concrètes propres à empêcher la disparition de la mère et de l'enfant ou à les retrouver, le gouvernement italien estime que la gravité de la situation était telle qu'il fallait se résigner à faire usage de méthodes plus contraignantes. Par ailleurs, si vraiment les autorités judiciaires helvétiques estimaient indispensable de procéder à une nouvelle instruction complète de l'affaire lors de la seconde demande de rapatriement, et de veiller à la présence du mineur en Suisse pendant cette procédure, il aurait été sage qu'elles en confient provisoirement la garde à un organisme public, ce qui aurait empêché les développements ultérieurs regrettables ayant conduit à la présente situation.
B. Appréciation de la Cour
1. Les principes contenus dans la jurisprudence de la Cour

76. L'article 8 de la Convention tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics ; il engendre, de surcroît, des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Dans un cas comme dans l'autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l'Etat jouit d'une certaine marge d'appréciation (Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I ; Karad?ic c. Croatie, no 35030/04, § 51, 15 décembre 2005 ; Monory c. Roumanie et Hongrie, no 71099/01, § 72, 5 avril 2005).

77. La Cour n'a point pour tâche de se substituer aux autorités compétentes pour réglementer les questions de garde et de visites, mais d'apprécier sous l'angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation. Ce faisant, elle doit rechercher si les raisons censées justifier les mesures effectivement adoptées quant à la jouissance par le requérant de son droit au respect de sa vie familiale sont pertinentes et suffisantes au regard de l'article 8 (voir, par exemple, Hokkanen c. Finlande, arrêt du 23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 20, § 55).

78. S'agissant plus particulièrement de l'obligation pour l'Etat d'arrêter des mesures positives, la Cour a déclaré à de nombreuses reprises que l'article 8 implique le droit d'un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant et l'obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, les arrêts Ignaccolo-Zenide, précité, § 94 ; Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, §§ 127 et suiv., CEDH 2000-VIII ; Iglesias Gil et A.U.I. c. Espagne, no 56673/00, § 49, CEDH 2003-V ; Monory, précité, § 73).

79. Le point décisif, en matière de droit de la famille, consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris, pour faciliter l'exécution des décisions rendues par les juridictions internes accordant au requérant le droit de garde et l'autorité parentale exclusive de l'enfant, toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elles (Karad?ic, précité, § 53).

80. Toutefois, l'obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures à cet effet n'est pas absolue. La nature et l'étendue de celles-ci dépendent des circonstances de chaque espèce, mais la compréhension et la coopération de l'ensemble des personnes concernées en constituent toujours un facteur important. Si les autorités nationales doivent s'évertuer à faciliter pareille collaboration, une obligation pour elles de recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limitée : il leur faut tenir compte des intérêts et des droits et libertés de ces mêmes personnes, et notamment des intérêts supérieurs de l'enfant et des droits que lui reconnaît l'article 8 de la Convention. Dans l'hypothèse où des contacts avec les parents risquent de menacer ces intérêts ou de porter atteinte à ces droits, il revient aux autorités nationales de veiller à un juste équilibre entre eux (Ignaccolo-Zenide précité, § 94, Iglesias Gil et A.U.I., précité, § 50, Karad?ic, précité, § 52).

81. La Cour rappelle aussi que la Convention ne doit pas être interprétée isolément, mais qu'il convient, en vertu de l'article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), en vigueur pour la Suisse depuis le 6 juin 1990 et dont les articles 31 à 33 sont considérés, de surcroît, comme faisant partie du droit international coutumier (voir Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18, p. 14, § 29), de tenir compte de toute règle pertinente de droit international applicable à la partie contractante (voir, parmi d'autres, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 90, CEDH 2001-II, et Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001-XI).

82. Cela étant, les obligations que l'article 8 de la Convention fait peser sur les Etats contractants en matière de réunion d'un parent à ses enfants doivent s'interpréter à la lumière de la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 (Maire c. Portugal, no 48206/99, § 72, CEDH 2003-VII) et de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (Iglesias Gil et A.U.I., précité, § 51 ; Ignaccolo-Zenide, précité, § 95 ; Eskinazi et Chelouche c. Turquie (déc.), no 14600/05, CEDH 2005-... (extraits) ; Monory, précité, § 73 ; Guichard c. France (déc.), no 56838/00, p. 414, CEDH 2003-X ; Paradis c. Allemagne, (déc.), no 4783/03, 15 mai 2003).

83. Cela est d'autant plus vrai en l'espèce que l'Etat défendeur est également partie à ce dernier instrument, ce depuis le 1er janvier 1984. Dans le préambule de cette convention, les parties contractantes expriment leur conviction que « l'intérêt de l'enfant est d'une importance primordiale pour toute question relative à sa garde » et soulignent leur volonté de « protéger l'enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non-retour illicites et d'établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l'enfant dans l'Etat de sa résidence habituelle, ainsi que d'assurer la protection du droit de visite » (voir, ci-dessus, partie « Le droit interne et international pertinent »). Ces dispositions, considérées à la lumière de l'article 7 de ladite convention, qui dresse une liste non exhaustive de mesures que doivent prendre les Etats pour assurer le retour immédiat des enfants (Ignaccolo-Zenide, précité, § 95, et Monory, précité, § 73), doivent être perçues comme constituant l'objet et le but, au sens de l'article 31 § 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, de la Convention de La Haye (voir, dans ce sens, Paradis, précitée).

84. La Cour réitère également le principe bien établi dans sa jurisprudence selon lequel le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, série A no 37, p. 16, § 33). Dans cette logique, elle rappelle qu'un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant se règlent sur la seule base de l'ensemble des éléments pertinents, et non par le simple déroulement du temps. Elle peut aussi avoir égard, sur le terrain de l'article 8, au mode et à la durée du processus décisionnel (W. c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1987, série A no 121, p. 29, § 65 ; Eskinazi et Chelouche, précitée ; McMichael c. Royaume-Uni, arrêt du 24 février 1995, série A no 307-B, pp. 55 et 57, §§ 87 et 92).

85. Dans ce contexte, la Cour a noté que l'adéquation d'une mesure se juge à la rapidité de sa mise en oeuvre. En effet, les procédures relatives à l'attribution de l'autorité parentale, y compris l'exécution des décisions rendues à leur issue, exigent un traitement urgent, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre les enfants et celui des parents qui ne vit pas avec eux (Ignaccolo-Zenide, précité, § 102 ; voir aussi, mutatis mutandis, Maire, précité, § 74, Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 175, CEDH 2004-V (extraits), et Monory, précité, § 82).
2. Application en l'espèce des principes précités
a) Applicabilité à l'espèce de l'article 8, existence d'une ingérence ainsi que d'une base légale et d'un but légitime

86. Se tournant vers les circonstances de l'espèce, la Cour note d'emblée qu'il n'est pas contesté que, pour le requérant et son fils - dont le premier a obtenu la garde en vertu des décisions des tribunaux italiens -, continuer à vivre ensemble représente un élément fondamental qui relève de la vie familiale au sens du premier paragraphe de l'article 8 de la Convention, lequel est donc applicable en l'espèce (Maire, précité, § 68, CEDH 2003-VII ; Eskinazi et Chelouche, précitée).

87. Le requérant entend se plaindre, d'une part, de l'inadéquation et de la durée des procédures engagées par les autorités suisses à la suite du second enlèvement de l'enfant par sa mère, et, d'autre part, de la négligence des autorités compétentes s'agissant d'exécuter l'ordre de retour découlant de la décision du tribunal supérieur du 12 juillet 2004. La Cour estime que sont donc en jeu aussi bien les obligations « négatives » que « positives » des autorités du canton de Lucerne, mais qu'il n'y a pas lieu d'insister sur cette distinction, qui ne se prête de toute manière pas à une définition précise et dont les principes applicables sont largement comparables (Iglesias Gil et A.U.I., précité, § 48 ; Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, § 55, 24 avril 2003 ; Eskinazi et Chelouche, précitée).

88. En l'espèce, le 23 décembre 2003, le père a confié l'enfant à sa mère afin de permettre à celle-ci d'exercer son droit de visite selon le calendrier convenu entre les parties. Par la suite, elle a disparu avec l'enfant. Il ne semble pas prêter à controverse que les décisions et procédures dénoncées à la suite de la disparition de l'enfant constituaient une « ingérence » au sens du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention, dans la mesure où elles ont empêché le requérant, au moins temporairement, de jouir de l'exercice du droit de garde de son fils (voir, en ce sens, McMichael, précité, p. 55, §§ 86 et suiv. ; Monory, précité, § 70 ; Eskinazi et Chelouche, précitée ; Paradis, précitée).

89. Pareille immixtion enfreint l'article 8, sauf si elle remplit les exigences du paragraphe 2 de cette disposition. Reste donc à savoir si l'ingérence était « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard de ce paragraphe et « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.

90. En l'espèce, la Cour relève que tout au moins la décision litigieuse du tribunal d'arrondissement du 3 mai 2004 était fondée sur les dispositions de la Convention de La Haye, intégrées au droit suisse et appliquées dans le but de protéger l'enfant, but dont la légitimité n'a d'ailleurs pas été contestée (voir, en ce sens, Tiemann c. France et Allemagne (déc.), nos 47457/99 et 47458/99, CEDH 2000-IV ; Eskinazi et Chelouche, précitée).
b) Nécessité de l'ingérence dans une société démocratique

91. La Cour observe qu'au regard de l'article 3 de la Convention de La Haye, le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite « lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde attribué à une personne (...) par le droit de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ». S'agissant du fils du requérant, la Cour estime que le refus de sa mère de le ramener après l'exercice du droit de visite, en décembre 2003, entre assurément dans le champ d'application de la Convention de La Haye. Par ailleurs, l'« illicéité » du non-retour de l'enfant a ultérieurement été confirmée par les instances suisses, notamment par la préfecture de Willisau qui en vertu du code pénal a condamné la mère, le 15 mars 2004, à une amende pour enlèvement de mineur.

92. La Cour juge opportun, pour déterminer si les procédures et décisions juridictionnelles ainsi que les mesures prises par les autorités du canton de Lucerne en vue de mettre en oeuvre ces décisions satisfont aux exigences de l'article 8, d'analyser de manière chronologique et à la lumière de la Convention de La Haye les faits considérés par elle comme étant pertinents.
Il convient tout d'abord de rappeler que le requérant a formé le 6 janvier 2004 une demande en vue du retour de son fils en Italie, ce devant le tribunal d'arrondissement de Willisau qui, par une décision du 7 janvier 2004, a ordonné le maintien de l'enfant en Suisse pendant la durée de la procédure concernant son éventuel retour en Italie. La Cour exprime des doutes quant à l'opportunité de cette décision, dans la mesure où celle-ci a en quelque sorte entériné la situation créée par l'acte indéniablement illicite de la mère, laquelle avait déjà enlevé son enfant en juin 2002. Par ailleurs, force est de constater que l'existence d'une situation visée par l'article 13 de la Convention de La Haye n'est nullement mentionnée dans le dispositif de la décision du 7 janvier 2004.
La Cour se demande également, à l'instar du gouvernement italien, qui est partie intervenante, si la décision du tribunal d'arrondissement de procéder à une nouvelle instruction complète du dossier était appropriée, dès lors que l'affaire avait déjà été soumise à son examen et qu'elle avait été tranchée par la haute juridiction suisse à peine neuf mois auparavant, le 23 avril 2003. Il est vrai qu'il revient au premier chef aux autorités nationales, singulièrement aux instances juridictionnelles, d'interpréter et d'appliquer le droit interne (voir Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33, p. 20, § 46). Néanmoins, dans la mesure où la Cour est compétente pour contrôler la procédure suivie devant les tribunaux suisses, en particulier pour rechercher si l'interprétation par les juridictions internes des garanties de la Convention de La Haye est à l'origine d'une violation de l'article 8 de la Convention (voir Monory, précité, § 81 ; Iglesias Gil et A.U.I, précité, § 61 ; et Guichard, précitée, pp. 414 et suiv.), elle n'est pas convaincue que la manière dont a procédé le tribunal de première instance cadre avec l'objet et le but de la Convention de La Haye, consistant, d'après le préambule et l'article premier notamment, à assurer le « retour immédiat » des enfants déplacés ou retenus illicitement (voir, ci-dessus, partie « Le droit interne et international pertinent »). La Cour note à cet égard que ni les autorités du canton de Lucerne ni le gouvernement suisse n'ont invoqué un changement fondamental des circonstances qui aurait appelé à reconsidérer la situation juridique fixée antérieurement par les tribunaux italiens et suisses (à ce sujet, voir par exemple Sylvester, précité, §§ 61-64).

93. Il convient aussi de prendre en compte le fait que le tribunal d'arrondissement n'a pas proposé un règlement du droit de visite favorable au requérant pour la durée de la procédure pendante, de sorte à maintenir le lien entre l'intéressé et son enfant. Or, les parties contractantes à la Convention de La Haye sont tenues, en vertu de l'article 7 alinéa 2 f), de prendre « [toutes les mesures appropriées, le cas échéant, afin de] permettre l'organisation ou l'exercice effectif du droit de visite ». En l'occurrence, c'est à la demande du requérant lui-même que les autorités compétentes lui ont octroyé, par une décision du 23 avril 2004, le droit de voir son enfant une fois par semaine. Il ressort par ailleurs d'un rapport de l'autorité tutélaire en date du 27 août 2004 que les neuf rencontres entre le requérant et son enfant - intervenues entre le 24 avril et le 18 juillet 2004 - se sont déroulées de manière très satisfaisante et que le requérant a respecté toutes les modalités imposées par les autorités compétentes.

94. Ensuite, la Cour constate que le tribunal d'arrondissement de Willisau n'a statué que le 3 mai 2004, soit près de quatre mois après le dépôt de la demande du requérant tendant au rapatriement de l'enfant. Elle n'est pas convaincue qu'un tel laps de temps cadre avec l'article 11 de la Convention de La Haye, lequel exige que les autorités judiciaires ou administratives saisies procèdent « d'urgence » en vue du retour de l'enfant, toute inaction dépassant les six semaines pouvant donner lieu à une demande de motivation (pour une application de cette disposition, voir Ignaccolo-Zenide, précité, § 102 ; Monory, précité, § 82).

95. Le tribunal d'arrondissement de Willisau a finalement rejeté la demande du requérant au motif que les conditions de l'article 13 de la Convention de La Haye étaient remplies en l'espèce. La Cour exprime des réserves au sujet du processus décisionnel ayant conduit à ce jugement. Pour autant que l'enfant aurait fait preuve de réticences sérieuses quant à son retour en Italie, il faut en effet se demander s'il était opportun de se contenter en l'espèce d'un seul rapport, rédigé sur la base de deux rencontres entre l'enfant (âgé alors de quatre ans) et son père, intervenues le 24 avril et le 1er mai 2004, donc quatre mois après leur dernier contact (voir, a contrario, l'arrêt Sommerfeld c. Allemagne [GC], no 31871/96, § 71, CEDH 2003-VIII (extraits), qui porte sur le droit de visite d'un parent n'exerçant pas la garde de l'enfant, âgé de treize ans : il en ressort que ce serait aller trop loin que de dire que les tribunaux internes sont toujours tenus de solliciter l'avis d'un psychologue sur cette question, dans la mesure où cela dépend des circonstances particulières de chaque cause et, notamment, de l'âge et de la maturité de l'enfant concerné).

96. Dans ce contexte, la Cour est aussi d'avis que les réticences de l'enfant face à l'hypothèse de son retour - point mis en avant par le tribunal d'arrondissement - étaient essentiellement dues au fait que les autorités du canton de Lucerne avaient négligé de mettre en oeuvre toutes les mesures qu'on pouvait raisonnablement exiger d'elles pour faire exécuter la restitution de l'enfant ou, pour le moins, garantir un contact régulier entre lui et son père pendant la procédure pendante, ce afin d'éviter toute conséquence irrémédiable pour leurs relations. A ce sujet, elle partage l'opinion du tribunal supérieur selon laquelle il était tout à fait normal que l'enfant, qui avait alors quatre ans et qui s'était trouvé pendant des mois sous l'influence exclusive de sa mère, se fût opposé à son retour en Italie.

97. Le 12 juillet 2004, soit un peu plus d'un mois après sa saisine par le requérant (le 8 juin 2004), le tribunal supérieur du canton de Lucerne a finalement annulé la décision de l'instance inférieure, en ordonnant la restitution de l'enfant à son père pour le 31 juillet 2004 au plus tard et en autorisant l'intervention de la police, si nécessaire.

98. Il existe aussi une divergence d'opinion manifeste et profonde entre le requérant et le gouvernement défendeur sur la question de savoir si les autorités administratives et policières ont entrepris tout ce qui pouvait raisonnablement être exigé d'elles pour l'exécution de l'arrêt du tribunal supérieur du 12 juillet 2004. A cet égard, l'article 7 alinéa 2 lettre a) de la Convention de La Haye commande aux Etats parties de « [prendre toutes les mesures appropriées] pour localiser un enfant déplacé ou retenu illicitement ».
La Cour ne remet pas en question le fait que les autorités du canton de Lucerne ont pris à partir de septembre 2004 de nombreuses mesures afin de retrouver la mère et l'enfant, notamment des perquisitions, des enquêtes auprès d'établissements bancaires et postaux, la surveillance de comptes, des surveillances téléphoniques et des observations. Néanmoins, la Cour est très surprise du déroulement des faits survenus le 15 août 2004, date à laquelle la mère s'est présentée au poste de police. Elle s'étonne que les agents compétents l'aient laissée partir sans qu'elle ait rendu l'enfant, alors qu'elle l'avait déjà enlevé précédemment et qu'elle avait été sanctionnée à peine cinq mois auparavant, par la préfecture de Willisau, pour enlèvement d'un mineur au sens du code pénal suisse.
A ce sujet, la Cour n'estime pas suffisamment étayée l'allégation du gouvernement suisse d'après laquelle l'arrestation de la mère n'aurait pas constitué une mesure envisageable compte tenu des risques pour la santé de l'enfant. La simple promesse de la mère selon laquelle elle restituerait l'enfant une fois que le Tribunal fédéral aurait statué sur le recours qu'elle envisageait d'introduire contre la décision du tribunal supérieur du 12 juillet 2004 n'est pas non plus, d'après la Cour, une raison justifiant la passivité des autorités avant, pendant et après les contacts du 15 août 2004. De même, la Cour ne juge pas convaincant l'argument du gouvernement défendeur selon lequel le temps dont elles disposaient au moment de l'interrogatoire de la mère n'aurait pas permis aux autorités de préparer sa mise sous surveillance. Il convient de rappeler à ce sujet, premièrement, que c'est la police cantonale elle-même qui avait convoqué la mère à l'interrogatoire, seulement cinq jours auparavant ; deuxièmement, que la mère avait préalablement avisé la police, par téléphone, qu'elle se rendrait au poste ; troisièmement, que la rencontre a incontestablement duré quarante minutes.

99. Compte tenu de ce qui précède, la Cour admet que les autorités du canton de Lucerne ont entrepris, à partir de septembre 2004, de multiples démarches afin de localiser la mère et son fils. Elle estime néanmoins que leur attitude, entre l'enlèvement de l'enfant et leur dernier contact avec la mère, le 15 août 2004, témoigne dans l'ensemble d'un certain laxisme, qui ne cadre ni avec l'objet et le but de la Convention de La Haye, ni avec son libellé particulièrement clair et rigoureux.
Cette passivité est à l'origine de la rupture totale des relations entre l'enfant et son père, qui dure depuis près de deux ans et qui comporte, vu le très jeune âge de l'enfant, le risque d'une « aliénation » croissante entre les deux, aliénation qui n'est aucunement à considérer comme étant dans l'intérêt supérieur de l'enfant (voir, mutatis mutandis, Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 79, CEDH 2002-I).
Il s'ensuit qu'on ne saurait prétendre que le droit au respect de la vie familiale du requérant a été protégé de manière effective, comme le prescrit la Convention.

100. Dès lors, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

101. Le requérant se plaint également de la violation du droit à un jugement rendu dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6 § 1, dont le passage pertinent est ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »
A. Arguments des parties et de l'Etat intervenant

102. Le requérant soutient que la procédure devant le tribunal d'arrondissement du canton de Lucerne en vue du retour de l'enfant en Italie, procédure qui avait donc le même objet que celle intervenue après le premier enlèvement, en juin 2002, était inopportune et dès lors excessive au sens de l'article 6 § 1 de la Convention.

103. Le gouvernement défendeur considère que le dépôt de la demande de retour de l'enfant auprès du tribunal d'arrondissement de Willisau, le 6 janvier 2004, marque le début du délai pertinent. Il estime que la procédure s'est achevée par l'arrêt du Tribunal fédéral du 15 octobre 2004. La procédure a ainsi duré neuf mois, une semaine et un jour. Compte tenu de l'importance des questions posées, comme celle de savoir s'il existait un risque grave pour l'enfant d'être exposé, en cas de retour, à un danger physique ou psychique, la durée de la procédure interne n'est pas, selon le Gouvernement, excessive à la lumière de l'article 6 § 1.

104. Si on interprétait le grief tiré de l'article 6 comme portant sur le « droit à un tribunal », le gouvernement défendeur soutiendrait que ni la préfecture de Willisau ni la police n'ont hésité à recourir à des mesures de contrainte pour localiser la mère et l'enfant en vue de l'exécution ultérieure de la décision du tribunal supérieur du canton de Lucerne du 12 juillet 2004.

105. Au vu de ce qui précède, le gouvernement défendeur est convaincu que les autorités compétentes ont pris toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elles pour éliminer l'obstacle majeur à l'exécution de la décision du tribunal supérieur, à savoir la disparition de la mère et de son fils.

106. Le gouvernement italien, en tant que partie intervenante, a du mal à admettre qu'une seconde procédure judiciaire ait été nécessaire aux fins du retour de l'enfant, dont le père avait désormais la garde exclusive, compte tenu de l'autorité de chose jugée et de la force exécutoire de l'arrêt définitif.

107. Il estime aussi qu'à supposer même qu'une nouvelle procédure judiciaire eût réellement été indispensable, il est encore plus difficile de comprendre comment le tribunal d'arrondissement de Willisau - et a fortiori les magistrats ayant déjà siégé dans ce tribunal, qui avait déjà connu de l'affaire quelques mois auparavant et dont la décision favorable au requérant avait obtenu l'aval de toutes les juridictions supérieures - a pu éprouver le besoin de refaire l'instruction complète d'un dossier qui lui était familier. Le temps que cela a pris, même s'il a été bref, a été excessif parce qu'inutile. La demande du requérant a finalement été rejetée, ce qui a rendu nécessaire la saisine d'autres juridictions et le prolongement du procès.
Pour cette raison, vu les circonstances particulières de l'espèce et notamment en considération de l'extrême simplicité de l'affaire, la durée de la seconde procédure de retour ne saurait passer pour « raisonnable » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. De plus, le gouvernement italien estime que la phase de l'exécution doit être prise en considération dans le calcul de la durée globale de la procédure litigieuse. En application de ce principe, la procédure en question est encore pendante et sa durée ne se limite donc pas à quelques mois, mais s'avère à présent manifestement excessive.

108. En bref, le gouvernement italien conclut à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
B. Appréciation de la Cour

109. La Cour rappelle que le grief tiré de l'article 6 a essentiellement été communiqué sous l'angle de la durée des procédures devant les instances cantonales, pendantes au moment de la communication. Consciente qu'elle est maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 223, § 44), la Cour soutient qu'il convient de l'examiner aussi au regard de l'obligation d'exécuter les arrêts et décisions des juridictions internes passées en force de chose jugée, qui incombe aux Etats parties en vertu du « droit à un tribunal ».

110. Ainsi, la Cour tient à rappeler sa jurisprudence constante selon laquelle l'article 6 protège également la mise en oeuvre des décisions judiciaires définitives et obligatoires qui, dans un Etat respectueux de la prééminence du droit, ne peuvent rester inopérantes au détriment d'une partie. En conséquence, l'exécution d'une décision judiciaire ne peut être empêchée, invalidée ou retardée de manière excessive (voir, entre autres, Pini et autres, précité, § 176 ; Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil 1997-II, pp. 510 et suiv., § 40 ; Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 34, CEDH 2002-III ; Jasiuniene c. Lituanie, no 41510/98, § 27, 6 mars 2003 ; Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 65, 17 juin 2003).

111. En revanche, la Cour n'ignore pas que ce grief est étroitement lié à celui portant sur l'article 8 en son volet procédural. Il convient, dès lors, d'examiner de plus près et à la lumière des circonstances de l'espèce le rapport entre les deux dispositions.

112. La Cour rappelle tout d'abord la différence de nature des intérêts protégés par les articles 6 § 1 et 8. Ainsi, l'article 6 accorde une garantie procédurale, à savoir le « droit à un tribunal », qui connaîtra des « droits et obligations de caractère civil » d'un individu (Golder, précité, p. 18, § 36), tandis que l'exigence procédurale inhérente à l'article 8 non seulement couvre les procédures administratives aussi bien que judiciaires, mais va de pair avec l'objectif plus large consistant à assurer le juste respect, entre autres, de la vie familiale (voir, par exemple, B. c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1987, série A no 121-B, pp. 72-74 et 75, §§ 63-65 et 68).

113. En d'autres termes, la différence entre l'objectif visé par les garanties respectives des articles 6 §§ 1 et 8 peut, selon les circonstances, justifier l'examen d'une même série de faits sous l'angle de l'un et l'autre articles (voir McMichael, précité, p. 57, § 91 ; voir, en sens contraire, Golder précité, pp. 20-22, §§ 41-45, et O. c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1987, série A no 120-A, pp. 28 et suiv., §§ 65-67).

114. En l'espèce, cependant, force est de constater que les deux aspects soulevés sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention - à savoir la durée de la procédure devant les autorités du canton de Lucerne et la non-exécution de la décision du tribunal supérieur du 12 juillet 2004, qui ordonnait le retour de l'enfant en Italie -, s'ils ne sont pas identiques en soi, doivent être considérés comme constituant l'essence même du grief tiré de l'article 8 (voir, dans ce sens, Karad?ic, précité, § 67, et Sylvester, précité, §§ 73-77).

115. Dès lors, la Cour, ayant conclu à la violation de l'article 8, estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner ces allégations séparément sous l'angle de l'article 6 de la Convention.
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

116. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage

117. Le requérant se plaint d'un dommage patrimonial s'élevant à environ 25 000 euros (EUR), provoqué notamment par la détérioration de sa situation financière et le manque à gagner qu'il affirme avoir subi en sa qualité de médecin libéral. Cette somme inclut les frais engendrés par les voyages qu'il a effectués en Suisse, en Autriche et en Allemagne pour retrouver son fils disparu.

118. Par ailleurs, le requérant demande à la Cour de lui octroyer la somme globale de 500 000 EUR au titre du préjudice moral subi par lui-même et son fils.

119. Le gouvernement défendeur estime que les exigences de l'article 60 § 2 du règlement de la Cour ne sont pas respectées en l'espèce.

120. Quant au dommage matériel, le gouvernement défendeur soutient qu'il s'agit de prétentions non chiffrées, tels que des pertes de revenu hypothétiques, et que le lien de causalité entre l'éventuel constat de violation et le dommage matériel allégué n'est pas établi. Il en est de même au sujet des voyages que le requérant aurait faits en Europe pour rechercher son fils.

121. Eu égard aux sommes allouées par la Cour dans des affaires similaires et aux efforts considérables des autorités cantonales, le gouvernement défendeur est prêt à accorder un montant global de 10 000 francs suisses (CHF) (environ 6 386 EUR) au titre du dommage moral.

122. La Cour estime, en ce qui concerne le dommage matériel, que le requérant n'a pas suffisamment justifié et ventilé la somme de 25 000 EUR. Il convient, dès lors, de rejeter cette demande.

123. La Cour, rappelant qu'elle a constaté la violation de l'article 8 de la Convention et tenant compte des circonstances de l'espèce, notamment des manquements dans la mise en oeuvre de l'ordre de retour, qui ont provoqué une rupture prolongée des relations entre le requérant et son fils, est d'avis que l'intéressé a subi un préjudice moral considérable qui ne saurait être réparé par le seul constat de violation de cette disposition.
Statuant en équité, comme le veut l'article 41 et à la lumière des affaires comparables, elle alloue au titre du préjudice moral la somme de 15 000 EUR (Iglesias Gil et A.U.I., précité, § 67 ; Maire, précité, § 82 ; Karad?ic, précité, § 71 ; Monory, précité, § 96 ; Ignaccolo-Zenide, précité, § 117, CEDH 2000-I ; Sylvester, précité, § 84 ; Hansen c. Turquie, no 36141/97, § 122, 23 septembre 2003).
B. Frais et dépens

124. Le requérant a fait parvenir à la Cour, sans commentaires, plusieurs notes d'honoraires émanant de différents avocats suisses et italiens et correspondant aux procédures menées devant les juridictions nationales et devant la Cour. Selon les calculs de la Cour, le montant total de ces factures et d'environ 50 000 CHF (environ 31 940 EUR).

125. D'après le gouvernement défendeur, il convient de prendre en considération le fait que seuls deux des griefs soulevés par le requérant ont été retenus par la Cour dans sa décision sur la recevabilité du 4 octobre 2005. De surcroît, le gouvernement suisse soutient que selon l'article 60 § 2 du règlement de la Cour, le requérant doit soumettre ses prétentions chiffrées et ventilées par rubrique et accompagnées des justificatifs pertinents.
Compte tenu de ce qui précède, le Gouvernement estime qu'il serait équitable d'allouer pour frais et dépens une somme n'excédant pas 7 000 CHF (4 470 EUR).

126. La Cour rappelle que, lorsqu'elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder aux requérants le remboursement des frais et dépens qu'ils ont engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (Zimmermann et Steiner c. Suisse, arrêt du 13 juillet 1983, série A no 66, p. 14, § 36 ; Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63). Il faut aussi que se trouvent établis la réalité de ces frais, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 30, CEDH 1999-V, Linnekogel c. Suisse, no 43874/98, § 49, 1er mars 2005).

127. D'autre part, le requérant a droit au remboursement des frais et dépens se rapportant à la procédure devant la Cour, dans la mesure où les griefs ont été déclarés recevables par celle-ci (Linnekogel, précité, § 50).

128. Ainsi, la Cour partage l'avis du gouvernement suisse selon lequel il y a lieu de tenir compte du fait que le grief relatif à l'égalité des armes, soulevé sous l'angle de l'article 6, et celui concernant le droit à la liberté et à la sûreté, au sens de l'article 5, ont été déclarés irrecevables le 4 octobre 2004.
De surcroît, il n'est pas certain que les prétentions du requérant soient suffisamment étayées pour satisfaire totalement aux exigences de l'article 60 § 2 du règlement de la Cour. En tout état de cause, elles s'avèrent exagérées, comme en témoignent notamment les multiples mémoires - très longs et peu susceptibles de clarifier la cause du requérant - adressés à la Cour depuis l'introduction de la requête.
Compte tenu des éléments en sa possession et des critères dégagés dans sa jurisprudence, la Cour, statuant en équité, octroie au requérant la somme globale de 5 000 EUR.
C. Intérêts moratoires

129. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


Disposition

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;
2. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner les griefs tirés de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 15 000 EUR (quinze mille euros) pour dommage moral ;
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros) pour frais et dépens ;
iii. tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes, sommes à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 juin 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek     Greffière
Peer Lorenzen     Président

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Article: Art. 8 CEDH