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Chapeau

1742/05


EIFFAGE S.A., et autres c. Suisse
Décision d'irrecevabilité no. 1742/05, 15 septembre 2009

Regeste

DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ de la CourEDH:
SUISSE: Art. 6 par. 1 CEDH. Plainte portant sur le remboursement par le CERN des frais entraînés par l'accélération des travaux confiés aux sociétés requérantes.

Les requérantes allèguent que leur plainte n'a pas fait l'objet d'un examen par un tribunal au sens de l'art. 6 par. 1 CEDH. En concluant un contrat avec le CERN, qui bénéficie d'une immunité de juridiction absolue, elles ont accepté les conditions générales qui prévoient l'arbitrage comme voie exclusive de règlement des différends. Leurs prétentions ayant été déférées devant une juridiction pouvant trancher sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée toute question relevant de sa compétence, les intéressées ne sauraient se prétendre victimes d'un déni de justice.
S'agissant du grief tiré du manque de célérité, la Cour constate que la procédure devant le DFAE et le Conseil fédéral s'est déroulée devant des organes administratifs et a mis en cause l'application de l'accord de siège qui relève du droit international public et plus particulièrement du droit des organisations internationales et leurs privilèges et immunités. L'accord déploie ses effets exclusivement entre la Confédération et le CERN et ne peut pas être invoqué par des tiers. Les intéressées ne pouvaient dès lors se prévaloir d'un droit de saisir les instances internes pour qu'elles contraignent le CERN à se soumettre à une troisième procédure arbitrale.
Les griefs invoqués doivent être rejetés en application de l'art. 35 par. 3 et par. 4 CEDH.
Conclusion: requête déclarée irrecevable.







Faits

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 15 septembre 2009 en une chambre composée de :
Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Karel Jungwiert,
Rait Maruste,
Mark Villiger,
Giorgio Malinverni,
Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 6 janvier 2005,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérantes,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérantes, qui agissent sous la forme d'une société simple de droit suisse, le Groupement Eurolep (« le Groupement »), sont Eiffage S.A., une société de droit français ayant son siège social à Issy-les-Moulineaux, Impresa Astaldi SpA, une société de droit italien ayant son siège social à Rome, Necso Entrecanales Cubiertas SA (antérieurement Entrecanales Y Tavora SA), une société de droit espagnol ayant son siège social à Alcobendas-Madrid, Philipp Holzmann, une personne morale de droit allemand ayant son siège social à Neu Isenburg, ainsi que Rothpletz Lienhard & Cie AG, une société de droit suisse ayant son siège social à Aarau. Le Groupement est représenté devant la Cour par Me F. Perret, avocat à Genève. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent suppléant, M. A. Scheidegger.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
En avril 1982, l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (« le CERN ») lança un appel d'offres pour le creusement, dans la région de Genève, d'un tunnel souterrain formant un anneau de 27 kilomètres de circonférence destiné à abriter le grand collisionneur électron-positon.
Par un contrat signé le 23 février 1983, le CERN confia les travaux de génie civil au Groupement. Ce contrat fixait la durée des travaux à 48 mois. L'exécution du contrat donna lieu, dès le début, à des difficultés diverses, qui eurent pour effet de compromettre le respect du délai fixé. Le Groupement dut notamment faire appel à des entreprises sous-traitantes pour pouvoir effectuer certains travaux. Les contrats pour les travaux sous-traités furent conclus entre le Groupement et les entreprises sous-traitantes. Aucun lien contractuel ne fut établi entre les sous-traitants et le CERN.
Les difficultés d'exécution conduisirent le Groupement à demander au CERN le paiement de suppléments de prix.
1. La première procédure arbitrale
Aucun accord n'ayant pu être trouvé quant au remboursement par le CERN des frais entraînés par l'accélération des travaux confiés au Groupement, ce dernier mit en oeuvre le 25 mai 1986 à l'encontre du CERN la procédure arbitrale prévue par l'article 33 des conditions générales des contrats du CERN (voir ci-dessous « Le droit interne et international pertinent »).
Le 27 décembre 1991, un premier tribunal arbitral rendit sa sentence finale, qui faisait partiellement droit aux prétentions du Groupement. Le CERN fut condamné à verser au Groupement la somme totale de 44 621 190 francs suisses (CHF - environ 29 747 460 euros (EUR)) plus les intérêts.
En revanche, le tribunal arbitral déclara irrecevable les prétentions concernant les coûts des travaux sous-traités pour les motifs suivants :
« 234. Le CERN a pris bien soin pendant toute la durée du contrat de n'établir aucun lien direct avec les divers sous-traitants du Groupement. De telle sorte que les Arbitres sont incompétents à l'égard de ces sous-traitants, qui n'ont pas participé au surplus à l'établissement de l'Acte de mission et dont la présence n'a nullement été alors portée à la connaissance des Arbitres.
235. Ces sous-traitants ne sauraient pas plus intervenir en cours de procédure, sans le consentement du CERN. Il ne suffit pas d'ailleurs que le Groupement déclare faire « siennes » leurs prétentions, puisque celles-ci ne sont que mentionnées à la suite des prétentions du Groupement, sans y être réellement intégrées.
236. Et à supposer même que ces demandes fussent de la compétence des Arbitres, et recevables, elles ne seraient pas, en tout cas, justifiées en l'absence des contrats liant le Groupement à ses sous-traitants, car il n'est même pas possible, en cet état, de déterminer si et dans quelle mesure le Groupement serait débiteur de ceux-ci.
237. La demande formée contre le CERN du chef des sous-traitants doit en conséquence être rejetée. »
Le Groupement saisit le Tribunal fédéral d'un recours de droit public contre cette sentence, recours qui fut déclaré irrecevable le 21 décembre 1992 en raison de l'immunité de juridiction absolue reconnue au CERN en vertu de l'article 6 de l'accord entre le Conseil fédéral et le CERN pour déterminer le statut juridique de cette organisation en Suisse (l'accord de siège) (voir ci-dessous « Le droit interne et international pertinent »).
Voici les passages pertinents de cet arrêt :
« En définitive, contrairement à ce qui vaut pour les Etats, la soumission des organisations internationales à une clause compromissoire ne vaut pas renonciation à leur immunité. L'arbitrage auquel elles participent reste à l'abri de toute intervention d'une juridiction nationale à moins toutefois que l'organisation renonce à son immunité ou que l'accord de siège en dispose autrement ou encore que l'organisation accepte que l'arbitrage soit soumis à une loi nationale, généralement celle du siège (DOMINICÉ, RCADI 1984, p. 204). Ce n'est que si l'arbitrage renvoie à un droit national qu'il peut impliquer l'intervention éventuelle du juge étatique dans la procédure. Mais un tel renvoi n'est, en pratique, jamais utilisé par les grandes organisations internationales (DOMINICÉ, RCADI 1984, p. 182).
(...)
2 b) En conformité de son engagement pris dans l'accord de siège précité du 11 juin 1955, le CERN a, dans des « Conditions générales », mis en place une procédure arbitrale pour vider tout litige pouvant survenir entre lui-même et ses cocontractants. L'art. 33 de ces « Conditions générales » prévoit, en particulier, la constitution d'un Tribunal arbitral de trois membres ; en cas de désaccord sur la désignation du tiers arbitre devant présider le Tribunal arbitral, il appartient alors au Président du Tribunal Administratif de l'Organisation Internationale du Travail d'intervenir. La règle précitée dispose également que les parties « apportent d'elles-mêmes aux arbitres l'aide qu'elles sont en mesure de leur fournir » ; elle indique le délai dans lequel doit être rendue la sentence et soumet toute question de procédure non réglée par elle au code de procédure civile du canton de Zurich, applicable par analogie. Enfin, la sentence « est définitive et lie les parties qui, par avance, renoncent à tout recours possible ». En réalité, dans l'Acte de mission, les parties ont dérogé à la clause d'arbitrage précitée dans la faible mesure où le Tribunal arbitral ne se référera pas au code de procédure civile du canton de Zurich, mais appliquera les principes généraux de la procédure civile.
La clause d'arbitrage contenue à l'art. 33 des « Conditions générales » consacre le choix du CERN de soumettre les litiges le divisant d'avec les particuliers à un arbitrage constitué ad hoc. En effet, le CERN a prévu en détail la mise en place ainsi que le fonctionnement du Tribunal arbitral. Est, à cet égard, caractéristique la procédure prévue par l'Organisation internationale précitée en cas de désaccord des parties sur le choix du surarbitre, à savoir l'intervention d'une tierce personne de niveau élevé (VALTICOS, op.cit., p. 81). Cela tend à démontrer que l'Organisation a choisi un type d'arbitrage la mettant à l'abri de tout contrôle judiciaire étatique. Et l'art. 33 des « Conditions générales » est conçu de telle manière que la procédure ne puisse prendre appui sur un droit national, en particulier le droit suisse de l'arbitrage. Ainsi, eu égard au droit applicable à la procédure arbitrale convenue entre les parties, la soumission du CERN à un tel arbitrage ne peut en aucune manière valoir renonciation à son immunité de juridiction, dès lors qu'est exclue toute intervention du juge étatique dans la procédure (...). »
2. La deuxième procédure arbitrale
Par la suite, le Groupement se fit céder les prétentions de ses sous-traitants à l'égard du CERN et engagea une seconde procédure arbitrale le 30 août 1993.
Dans sa sentence finale du 29 août 1997, le deuxième tribunal arbitral dit que les cessions devaient être considérées comme un fait nouveau et rejeta donc l'exception de chose jugée soulevée par le CERN. En revanche, il se déclara incompétent pour connaître de la demande du Groupement au motif que les prétentions cédées n'étaient pas couvertes par la clause d'arbitrage contenue dans l'article 33 alinéa 1 des conditions générales des contrats du CERN. Selon ce tribunal, l'article 33 de ces conditions générales ne faisait qu'exécuter la première partie de l'obligation contenue à l'article 24 a) de l'accord de siège, soit celle relative aux « différends résultant de contrats auxquels l'Organisation est partie » (voir ci-dessous « Le droit interne et international pertinent »). Il estima que, dès lors, l'article 33 des conditions générales ne pouvait être appliqué, même par analogie, sans l'accord préalable du CERN, à un différend relevant de la deuxième partie de l'article 24 a) de l'accord de siège, qui traite des « autres différends portant sur un point de droit privé ». En l'espèce, les sous-traitants, qui n'avaient jamais conclu de contrat avec le CERN, ne pouvaient pas non plus s'appuyer sur la première partie de la phrase de l'article 24 a) de l'accord de siège. Le même régime devait être appliqué au Groupement, en tant qu'il agissait en sa qualité de cessionnaire de ces sous-traitants. Par conséquent, le tribunal considéra qu'il appartenait au CERN de choisir par quel moyen il souhaitait résoudre le différend concernant les prétentions que les sous-traitants avaient cédées au Groupement. Le CERN ne saurait en revanche, de l'avis de la majorité du tribunal arbitral, opposer au Groupement une fin de non-recevoir pure et simple sans violer l'obligation que lui impose l'article 24 a) de l'accord de siège.
3. La troisième demande d'arbitrage
Le 16 septembre 1997, le Groupement adressa au CERN une troisième demande d'arbitrage dans laquelle il faisait valoir à l'encontre de cette organisation les droits que les sous-traitants lui avaient cédés.
Le 23 mars 1998, le CERN opposa au Groupement une fin de non-recevoir, refusant ainsi de se soumettre à la procédure d'arbitrage proposée par le Groupement ou d'accepter une autre forme de règlement de ce litige.
4. La procédure devant le Département fédéral des affaires étrangères
Le 3 novembre 1998, le Groupement s'adressa au Département fédéral des affaires étrangères (« le DFAE »), afin qu'il contraigne le CERN à se soumettre à la troisième procédure arbitrale ou à prendre toute mesure appropriée permettant de résoudre le litige. Cette requête était fondée sur l'article 24 a) de l'accord de siège.
Le 22 décembre 2000, le DFAE répondit au Groupement que le litige avait été soumis à l'arbitrage à deux reprises et que l'examen du dossier ne permettait pas de conclure que l'une des parties avait été victime d'un déni de justice flagrant. Dans ces conditions, la Confédération pouvait prendre acte du refus du CERN et considérer qu'il ne constituait pas une violation de l'accord de siège.
Le 26 février 2001, le Groupement invita le DFAE à statuer formellement et à mettre en oeuvre la protection diplomatique en faveur de la cinquième requérante, une société de droit suisse.
Par une décision du 19 octobre 2001, le DFAE considéra que la requête du Groupement était irrecevable en ce que les dispositions invoquées par celui-ci ne faisaient pas partie du droit public fédéral au sens de l'article 5 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (voir ci-dessous « Le droit interne et international pertinent ») et ne pouvaient de ce fait pas donner lieu à une décision.
5. La procédure devant le Conseil fédéral
Le 15 novembre 2001, le Groupement forma un recours administratif devant le Conseil fédéral contre cette décision en se prévalant de l'article 6 de la Convention. Il conclut que la décision du DFAE devait être annulée et le CERN contraint de se soumettre à la procédure arbitrale qu'il avait engagée le 16 septembre 1997 ou à prendre toutes les mesures appropriées permettant de parvenir à une solution satisfaisante du litige.
Par une décision du 14 janvier 2004, le Conseil fédéral accueillit partiellement le recours, annula la décision du DFAE du 19 octobre 2001 et rejeta la requête du Groupement sur le fond, qui fut condamné aux dépens.
Le Conseil fédéral donna partiellement raison aux requérantes, estimant que le DFAE aurait dû étudier la requête au fond, tant au sujet de l'accord de siège que de la protection diplomatique.
Le Conseil fédéral considéra que le refus du CERN de se soumettre à la troisième procédure arbitrale n'avait pas emporté violation d'une règle de droit international public, notamment de l'article 24 a) de l'accord de siège. La responsabilité internationale du CERN n'ayant pas été engagée, il n'y avait pas lieu d'accorder la protection diplomatique à la cinquième requérante.
Le Conseil fédéral précisa que, devant le premier tribunal arbitral, le Groupement n'avait jamais clairement dit s'il faisait valoir, s'agissant des prétentions des sous-traitants, une réclamation de surcoût qui lui était propre ou des réclamations des sous-traitants, qui étaient des tiers à la procédure. Selon lui, c'est en raison d'une erreur de stratégie du Groupement que les prétentions des sous-traitants - que le Groupement tantôt qualifiait de prétentions qui lui étaient propres, tantôt de prétentions des sous-traitants - n'avaient pas pu être considérées au fond par le premier tribunal arbitral.
Considérant que, dès avant la première sentence, le Groupement avait accepté et réglé les factures que les sous-traitants lui avaient adressées, le Conseil fédéral estima que le Groupement aurait pu invoquer ses propres prétentions devant le tribunal arbitral. Il conclut que la mauvaise stratégie développée par le Groupement lors de la première demande d'arbitrage ne pouvait plus être « rattrapée » par la suite par de nouvelles constructions juridiques, et ce malgré la conclusion du deuxième tribunal arbitral qui, en limitant l'effet de chose jugée de la première sentence arbitrale, n'excluait pas qu'une nouvelle juridiction pût se saisir de la demande du Groupement.
6. La procédure devant le Tribunal fédéral
Agissant le 16 février 2004 par la voie d'un recours de droit administratif, les requérantes demandèrent au Tribunal fédéral d'annuler la décision du Conseil fédéral et de lui renvoyer l'affaire. En substance, invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérantes affirmaient que la décision attaquée excluait la saisine d'un tribunal au sens de la Convention. Elles reprochaient au Conseil fédéral, d'une part, d'avoir limité son examen à l'interdiction de l'arbitraire dans l'octroi éventuel de la protection diplomatique et, d'autre part, de n'avoir pas examiné librement si les exigences de l'article 6 étaient respectées.
En outre, ils firent valoir que le Conseil fédéral avait violé les articles 6 et 13 de la Convention du fait que les autorités fédérales (le DFAE et le Conseil fédéral) avaient mis plus de cinq ans pour rejeter la requête, formulée le 3 novembre 1998.
Par un arrêt du 2 juillet 2004, notifié aux requérantes le 8 septembre 2004, le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit administratif.
En ce qui concerne le grief tiré de la violation du droit d'accès à un tribunal, la Haute Cour se référa à la sentence du premier tribunal arbitral, qui avait constaté que les prétentions des sous-traitants n'étaient pas « réellement intégrées » à la demande des requérantes, ce qui l'avait conduit à rejeter les conclusions du Groupement fondées sur les travaux sous-traités. Le Tribunal fédéral estima que les requérantes avaient pu soumettre le différend à une autorité juridictionnelle, qui avait statué en fait et en droit sur le bien-fondé de leurs conclusions, dans les limites de l'article 33 des Conditions générales des contrats du CERN et de l'Acte de mission. Il s'ensuit que les requérantes ont bel et bien eu accès à une juridiction indépendante, impartiale et douée d'une cognition ne rendant pas illusoire le recours au juge. Selon le Tribunal fédéral, savoir si le tribunal arbitral avait restreint sa compétence de façon arbitraire, ou si, à l'instar du Conseil fédéral, il avait mal compris la notion de « clause de rémunération » étaient des questions de droit qui touchent à l'objet même de la procédure arbitrale, que le Tribunal fédéral n'a pas pu revoir en raison de l'immunité de juridiction absolue du CERN (ATF 118 Ib 562 consid. 2b in fine p. 568) et qu'il n'y avait pas lieu d'examiner à nouveau présentement. Enfin, le Tribunal fédéral estima également que les requérantes avaient eu l'occasion de présenter le fond de leurs prétentions au deuxième tribunal arbitral, sur la base d'une argumentation juridique renouvelée, fondée sur leurs droits dérivant de la cession, et qu'elles avaient donc encore eu accès à une autorité juridictionnelle.
Statuant sur le fond du grief soulevé à l'égard de la troisième demande d'arbitrage, le Tribunal fédéral, rappelant l'article 24 a) de l'accord de siège, observa que l'exclusion de tout contrôle juridictionnel étatique en raison de l'immunité était corrigée par la possibilité de recourir à un tribunal arbitral ou à tout autre moyen que peut recouvrir l'expression « dispositions appropriées ».
Quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure devant les instances fédérales, le Tribunal fédéral considéra que l'affaire pouvait apparaître d'une certaine complexité. Par ailleurs, le Tribunal fédéral admit que les requérantes avaient sollicité à plusieurs reprises une décision du DFAE et l'avaient menacé d'un recours pour déni de justice formel ou matériel, en raison du déroulement, d'après elles trop lent, de l'instance. Compte tenu de l'ensemble des documents et arguments que le DFAE avait dû apprécier, et même s'il avait finalement rendu une décision d'irrecevabilité, le Tribunal fédéral constata que la durée relativement longue de la procédure (près de trois ans) ne faisait pas apparaître comme déraisonnable ou inadéquat le délai utilisé.
Selon le Tribunal fédéral, les mêmes raisons permettaient de considérer que le délai de près de vingt-six mois mis par le Conseil fédéral pour statuer sur le recours administratif demeurait raisonnable.
Au vu de toutes ces circonstances, le Tribunal fédéral considéra que le grief tiré de la durée excessive des procédures devant le DFAE et le Conseil fédéral était infondé. Eu égard au grief de violation de l'article 13 de la Convention, le Tribunal fédéral constata que celui-ci devait être rejeté pour les mêmes raisons que le grief tiré de l'article 6 § 1.
B. Le droit interne et international pertinent
L'article 5 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (RS 172.021) dispose :
« Champ d'application et terminologie
B. Définitions
I. Décisions
Article 5 :
Sont considérées comme décisions les mesures prises par les autorités dans des cas d'espèce, fondées sur le droit public fédéral et ayant pour objet :
a. de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations ;
b. de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits ou d'obligations ;
c. de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations.
(...) »
L'accord entre le Conseil fédéral et l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire pour déterminer le statut juridique de cette organisation en Suisse (l'accord de siège), conclu le 11 juin 1955 (RS 0.192.122.42), prévoit ce qui suit :
« Article 6 : Immunité de juridiction et immunité à l'égard d'autres mesures
1. L'Organisation bénéficie, pour elle-même, ses propriétés et ses biens, quel que soit le lieu où ils se trouvent ou la personne qui les détient, de l'immunité à l'égard de toute forme d'action judiciaire, sauf dans la mesure où cette immunité a été formellement levée par le Conseil de l'Organisation ou la personne par lui déléguée.
(...)
Article 24 : Différends d'ordre privé
L'Organisation prend des dispositions appropriées en vue du règlement satisfaisant :
a. De différends résultant de contrats auxquels l'Organisation est partie et d'autres différends portant sur un point de droit privé ;
(...) »
Les conditions générales des contrats du CERN de 1975 disposent :
« Article 8 : Cessions - Sous-traitance -Sous-commandes
8.1. Toute cession ou toute sous-traitance totale d'un marché, même sous forme d'apport en société, fait l'objet d'une autorisation préalable que le contractant est tenu de demander par écrit au CERN. Le CERN se réserve le droit de demander spécifiquement que toute cession ou toute sous-traitance d'une partie importante d'un contrat fasse l'objet d'une autorisation préalable présentée par écrit. Si dans un délai d'un mois à compter de la présentation de la demande le CERN n'a pas répondu, la non-réponse est interprétée comme un accord. Dans tous les cas le contractant reste seul responsable vis-à-vis du CERN de l'exécution du contrat et prend toutes les mesures nécessaires à la poursuite satisfaisante de son exécution.
8.2. Quand ils nécessitent un accord préalable, le CERN peut demander au contractant de lui faire parvenir copie des accords de sous-traitance et ou de sous-commande passés par lui, ainsi que de leurs modifications ultérieures, à l'exclusion des dispositions financières.
8.3. Le contractant est tenu d'informer ses sous-traitants de toutes dispositions du contrat pouvant s'appliquer à leurs obligations.
Article 33 : Arbitrage
Tout litige non réglé à l'amiable est soumis à arbitrage dans les conditions définies ci-après :
[Désignation des arbitres]
Les arbitres ont le droit de se faire assister par des conseillers juridiques, des experts ou d'autres personnes de leur choix, dans les conditions qui leur semblent convenables, de procéder à des mesures d'instruction, à l'audition des parties, séparément ou contradictoirement, assistés par des conseils juridiques et/ou des experts s'ils le désirent, et plus généralement aux enquêtes, investigations et interrogatoires propres à les éclairer dans l'accomplissement de leur mission.
Les parties apportent d'elles-mêmes aux arbitres l'aide qu'elles sont en mesure de leur fournir.
La sentence est rendue dans les trois mois qui suivent la désignation définitive du tiers arbitre. Toutefois ce délai peut être prolongé d'un commun accord des parties.
La décision des arbitres interprète fidèlement les termes du contrat. Cependant, pour toute question de procédure qui n'y est pas stipulée, elle se réfère, par analogie, au code de procédure civile du canton de Zurich.
La sentence est définitive et lie les parties qui, par avance, renoncent à tout recours possible.
Néanmoins, chacune des parties en cause a le droit, dans les quinze jours de la notification par les arbitres de leur décision, de leur demander d'interpréter conjointement leur sentence. Cette interprétation est donnée dans les trente jours suivant la date où ladite sentence a été rendue. Pendant ce temps, l'exécution de la décision est suspendue.
Les frais et honoraires de l'arbitrage seront fixés et répartis par le Tribunal arbitral.
La clause d'arbitrage définie dans le présent article s'applique de plein droit à tous les avenants, amendements et additifs à un contrat, même si elle n'y est pas expressément incluse, sous réserve de dispositions contraires formellement inscrites dans lesdits avenants, amendements et additifs. »
GRIEFS
1. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérantes se plaignent de ne pas avoir eu accès à un tribunal du fait que les autorités internes n'ont pas contraint le CERN à se soumettre à la procédure arbitrale requise par elles.
2. Les requérantes se plaignent en outre, sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, de la durée excessive de la procédure devant le DFAE et le Conseil fédéral, qui ont mis plus de cinq ans pour rejeter la requête.
3. Enfin, elles soutiennent que, en ne répondant pas au moyen tiré de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention, le Conseil fédéral a également violé l'article 13.


Considérants

EN DROIT
1. Grief tiré du droit d'accès à un tribunal (article 6 § 1 de la Convention)
Les requérantes dénoncent une violation du droit à un procès équitable. Elles allèguent que leur plainte portant sur le remboursement par le CERN des frais entraînés par l'accélération des travaux confiés au Groupement n'aurait pas fait l'objet d'un examen par un tribunal au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, libellé comme suit dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »
a. Les thèses des parties
i. Le Gouvernement
Le Gouvernement rappelle que, devant le premier tribunal arbitral, les requérantes ont déclaré faire « leurs » les prétentions litigieuses, sans toutefois dire clairement si elles faisaient valoir leurs propres prétentions ou celles des sous-traitants, qui étaient des tiers à la procédure (décision du Conseil fédéral du 14 janvier 2004). Ainsi, le premier tribunal arbitral aurait rejeté ces prétentions, à titre principal, pour des raisons formelles (sentence arbitrale du 27 décembre 1991, §§ 234 et suiv.). Selon le Gouvernement, il s'ensuit qu'elles ont été déférées à une juridiction qui pouvait « trancher, sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence » ( H. c. Belgique, 30 novembre 1987, § 50, série A no 127-B). A cela s'ajouterait que le premier tribunal arbitral aurait également déclaré que ces prétentions « ne seraient pas, en tout cas, justifiées en l'absence des contrats liant le Groupement à ses sous-traitants, car il n'est même pas possible, en cet état, de déterminer si et dans quelle mesure le Groupement serait débiteur de ceux-ci » (sentence arbitrale du 27 décembre 1991, § 236). Il les a ainsi rejetées, à titre subsidiaire, pour des raisons de fond.
Le Gouvernement soutient également que, saisi de la demande d'arbitrage, le deuxième tribunal arbitral s'est limité, avec l'accord des parties, à statuer tout d'abord sur toutes les questions afférentes à la recevabilité de la deuxième demande des requérantes (sentence arbitrale du 29 août 1997, § 7). Dans ce cadre, il aurait considéré que « la cession [aux requérantes] des prétentions des sous-traitants contre le CERN n'a pas pu avoir pour conséquence la naissance d'un rapport contractuel entre les cédants et le CERN » (sentence arbitrale du 29 août 1997, § 137), raison pour laquelle il aurait décliné sa compétence pour se prononcer sur les prétentions cédées aux requérantes (sentence arbitrale du 29 août 1997, § 138).
D'après le Gouvernement, les requérantes ont donc pu soumettre le fond de leurs prétentions au deuxième tribunal arbitral sur la base d'une argumentation juridique renouvelée. A cela s'ajoute, selon le Gouvernement, et comme il ressort du constat du deuxième tribunal arbitral, que la troisième demande d'arbitrage visait des prétentions ne constituant pas un « droit » que l'on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne. Dès lors, l'article 6 ne saurait s'appliquer au cas d'espèce.
ii. Les requérantes
Les requérantes soutiennent que lorsque c'est un organe non juridictionnel qui, à l'instar du Conseil fédéral, prend position sur une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil, le justiciable doit être en mesure de disposer d'un recours devant un organe judiciaire indépendant, doté d'un pouvoir d'examen complet, en fait et en droit, dans le respect des garanties de l'article 6 § 1.
Les requérantes allèguent qu'il est inexact de dire que le premier tribunal arbitral a rejeté les prétentions du Groupement pour des motifs d'ordre formel. En réalité, et comme l'a constaté le deuxième tribunal arbitral, ce rejet avait sa cause dans un défaut de légitimation active du Groupement (sentence arbitrale du 29 août 1997, consid. 106, p. 61). Selon elles, il s'agissait donc là d'une question qui relevait du fond, puisque l'obstacle au défaut de légitimation active du Groupement avait été levé à la suite de la cession à ce dernier des droits des sous-traitants à l'encontre du CERN, cession que la majorité du deuxième tribunal arbitral a considérée comme parfaitement valable (sentence arbitrale du 29 août 1997, §§ 109 et suiv.).
Selon les requérantes, le Gouvernement ne saurait soutenir que le deuxième tribunal arbitral s'est prononcé sur le fond de ses réclamations. Elles estiment que tel n'est à l'évidence pas le cas dès lors qu'en niant sa compétence, le deuxième tribunal arbitral n'a pas pu rendre de décision au fond. Partant, il ne saurait être considéré comme une « autorité juridictionnelle » au sens de l'article 6 § 1 ; en d'autres termes, cette disposition, ainsi que l'article 24 a) de l'accord de siège, auraient bel et bien été violés par le Tribunal fédéral.
Les requérantes font enfin valoir que la seule saisine d'un organe juridictionnel ne permet pas de conclure au respect des garanties de l'article 6 § 1, comme l'aurait affirmé à tort le Tribunal fédéral dans son arrêt du 2 juillet 2004. Encore faudrait-il que ce tribunal soit « apte à décider » sur le fond des prétentions que le justiciable a fait valoir devant lui, ce qui ne serait à l'évidence pas le cas si, comme en l'espèce, ce tribunal se déclare incompétent. Faute de pouvoir porter ses réclamations devant un tribunal étatique en raison de l'immunité de juridiction dont bénéficie l'organisation, celle-ci devait soit accepter la demande d'arbitrage du Groupement du 16 septembre 1997, soit proposer un autre mode de règlement approprié de ce litige, comme l'a du reste souligné le deuxième tribunal arbitral (sentence arbitrale du 29 août 1997, consid. 142). Les requérantes allèguent que, dans la mesure où le DFAE, le Conseil fédéral ainsi que le Tribunal fédéral ont tous rejeté les requêtes et recours du Groupement, leurs prétentions n'ont donc pas pu être jugées au fond, ce qui constituerait à l'évidence un déni de justice et, partant, une violation manifeste de l'article 6 § 1.
b. L'appréciation de la Cour
L'article 6 § 1 de la Convention garantit à toute personne le droit à ce qu'un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte le « droit à un tribunal », dont le droit d'accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu'un aspect( Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 36, série A no 18).
La Cour rappelle que le droit d'accès aux tribunaux, reconnu par l'article 6 § 1, n'est pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises, car il commande de par sa nature même une réglementation par l'Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d'une certaine marge d'appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en oeuvre ne restreignent pas l'accès offert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareille limitation ne se concilie avec l'article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, § 147, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, p. 3169, § 147, Waite et Kennedy c. Allemagne ([GC], no 26083/94, § 59, CEDH 1999-I, et Beer et Regan c. Allemagne ([GC], no 28934/95, § 49, 18 février 1999).
Par ailleurs, la Cour a également constaté que les clauses contractuelles d'arbitrage, qui présentent pour les intéressés comme pour l'administration de la justice des avantages indéniables, ne se heurtent en principe pas à la Convention( Deweer c. Belgique, 27 février 1980, § 49, série A no 35, et Pastore c. Italie (déc.), no 46483/99, 25 mai 1999). En effet, les parties à un litige sont libres de soustraire aux juridictions ordinaires certains différends pouvant naître de l'exécution d'un contrat. En souscrivant à une clause d'arbitrage, les parties renoncent volontairement à certains droits garantis par la Convention. Une telle renonciation - pour autant qu'elle soit licite - doit se trouver établie de manière non équivoque. En outre, pour entrer en ligne de compte sous l'angle de la Convention, elle doit s'entourer d'un minimum de garanties correspondant à son importance ( Pfeifer et Plankl c. Autriche, 25 février 1992, § 37, série A no 227).
En l'espèce, la Cour constate que, vu l'immunité de juridiction absolue dont bénéficie le CERN, les requérantes n'ont pas eu la possibilité de soumettre leur litige à une juridiction autre que l'arbitrage, en vertu de l'article 24 a) de l'accord de siège et de l'article 33 des conditions générales des contrats du CERN. En même temps, les requérantes, en exerçant leur liberté contractuelle, ont répondu à un appel d'offres lancé par le CERN et, l'ayant remporté, ont librement décidé de conclure un contrat avec le CERN et d'accepter les conditions générales de ses contrats, qui prévoient l'arbitrage comme voie exclusive de règlement des différends. De plus, il n'existe aucune indication - et les requérantes ne l'allèguent par ailleurs pas - que cette renonciation, par la souscription à la clause d'arbitrage, n'était pas entourée d'un minimum de garanties correspondant à son importance. A cet égard, la Cour constate que l'article 33 de ces conditions est rédigé de manière précise et n'est pas susceptible d'avoir induit les requérantes en erreur.
Par ailleurs, la Cour note que le premier tribunal arbitral a refusé d'examiner au fond les prétentions relevant des travaux exécutés par les sous-traitants, au motif que ces derniers n'avaient pas de lien contractuel direct avec le CERN et n'étaient pas parties à l'acte de mission du tribunal arbitral. Il a déclaré qu'à supposer même que ces demandes eussent été de sa compétence, et recevables, elles n'auraient en tout cas pas été justifiées, faute de pièces dans le dossier démontrant dans quelle mesure le CERN était débiteur des sous-traitants. Par la suite, les requérantes se sont fait céder les prétentions de leurs sous-traitants et ont engagé une seconde procédure arbitrale. Le deuxième tribunal arbitral a considéré que les conditions générales des contrats du CERN excluaient sa compétence matérielle pour examiner les prétentions litigieuses.
A l'instar du Conseil fédéral, la Cour estime que la mauvaise stratégie procédurale initialement suivie par les requérantes n'a en l'espèce pas permis au premier tribunal arbitral de se prononcer sur les prétentions litigieuses et n'a pas pu être rattrapée par l'accumulation de nouvelles demandes d'arbitrage. Partant, rien n'indique que les tribunaux arbitraux auraient de manière arbitraire restreint leur pouvoir d'examen alors qu'ils ont par ailleurs dûment motivé leurs décisions.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour parvient à la conclusion que les requérantes ont pu déférer leurs prétentions à une juridiction qui pouvait trancher, sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence( H. c. Belgique, précité, § 50). Les requérantes ne sauraient en conséquence se prétendre victimes d'un déni de justice.
De surcroît, quant à l'argument des requérantes selon lequel le CERN aurait violé l'article 24 a) de l'accord de siège puisque, contrairement à l'avis du deuxième tribunal arbitral, il a opposé au Groupement une fin de non-recevoir pure et simple, il sied de constater que cet accord est un traité international conclu exclusivement entre la Confédération helvétique et le CERN, en tant que sujet de droit international, et que les requérantes ne peuvent pas s'en prévaloir directement. Dans la mesure où les requérantes entendent soutenir que la Suisse aurait dû obliger le CERN à prendre des dispositions appropriées en vue d'un règlement satisfaisant du litige, il s'agit là de la question des immunités de l'organisation qui a été tranchée par le Tribunal fédéral le 21 décembre 1992. La Cour partage l'avis du Tribunal fédéral exprimé dans son arrêt du 2 juillet 2004, selon lequel il n'y avait pas lieu d'examiner à nouveau cette question, et elle estime que les requérantes auraient pu, voire dû, déjà contester devant elle les conclusions concernant le régime des immunités du CERN figurant dans l'arrêt du 21 décembre 1992. Partant, cette partie du grief s'avère tardive en vertu de la règle de six mois, au sens de l'article 35 § 1 de la Convention.
Il s'ensuit que ce grief est en partie manifestement mal fondé, et pour le reste, tardif. Dès lors, il doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
2. Grief tiré du manque de célérité de la procédure devant le DFAE et le Conseil fédéral (article 6 § 1 de la Convention)
Les requérantes allèguent que la procédure devant le DFAE et le Conseil fédéral a violé le principe de célérité de la procédure prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, libellé comme suit dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »
a. Les thèses des parties
Le Gouvernement déclare que les requérantes ont en l'espèce voulu que la Suisse contraigne le CERN à se soumettre une nouvelle fois à une procédure arbitrale. Selon lui, la procédure devant les autorités suisses servait à établir si le CERN avait respecté ou non ses obligations découlant de l'article 24 a) de l'accord de siège, interprété à la lumière de l'article 6 § 1. A aucun moment les autorités suisses n'auraient été appelées à trancher le litige de droit privé qui avait son origine dans un contrat d'entreprise. La procédure devant les autorités suisses n'étant pas déterminante pour le « droit » que les intéressées ont fait valoir, le Gouvernement conclut que l'article 6 § 1 n'était pas applicable ratione materiae au cas d'espèce.
Les requérantes s'opposent aux considérations du Gouvernement. Elles se réfèrent à l'arrêt du Tribunal fédéral du 2 juillet 2004, dans lequel celui-ci déclare que la jurisprudence de la Cour consacre l'application de cette disposition dans le cadre de procédures intentées contre une administration publique concernant les contrats.
b. L'appréciation de la Cour
L'article 6 § 1 vaut pour les « contestations » relatives à des « droits » de caractère civil que l'on peut dire, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne, qu'ils soient ou non protégés de surcroît par la Convention (voir, entre autres, Editions Périscope c. France, 26 mars 1992, § 35, série A no 234-B). L'article 6 § 1 joue dès lors que l'action a un objet « patrimonial » et se fonde sur une atteinte alléguée à des droits eux aussi patrimoniaux ou que son issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé ( Ortenberg c. Autriche, 25 novembre 1994, § 28, série A no 295-B).
Pour en venir aux circonstances de l'espèce, la Cour rappelle que, le 3 novembre 1998, le Groupement a prié le DFAE de contraindre le CERN à se soumettre à la troisième procédure arbitrale ou à prendre toute mesure appropriée permettant de résoudre ce litige. Cette requête était fondée sur l'article 24 a) de l'accord de siège, aux termes duquel le CERN est tenu de prendre toutes les dispositions appropriées en vue du règlement satisfaisant des différends portant sur un point de droit privé. Déboutées de leur requête par le DFAE, les requérantes ont saisi le Conseil fédéral d'un recours administratif le 15 novembre 2002.
La Cour estime opportun de clarifier qu'elle est seulement tenue de répondre à la question du caractère raisonnable de la durée de la procédure devant le DFAE et le Conseil fédéral, mais non de celle opposant les requérantes au CERN qui, portant sur la demande de remboursement des coûts des travaux sous-traités sur la base d'un contrat de droit privé, revêt sans doute un objet « patrimonial ».
La Cour constate que la procédure devant le DFAE et le Conseil fédéral s'est déroulée devant des organes administratifs et a mis en cause l'application de l'accord de siège conclu entre la Confédération et le CERN, qui relève du droit international public et plus particulièrement du droit des organisations internationales et leurs privilèges et immunités. L'accord de siège déployant ses effets exclusivement entre les parties contractantes, son article 24 a) ne peut pas être invoqué par des tiers. Il s'ensuit que les requérantes ne pouvaient pas se prévaloir d'un quelconque « droit » de saisir les instances internes pour qu'elles contraignent le CERN à se soumettre à la troisième procédure arbitrale ou à prendre toute mesure appropriée permettant la solution de ce litige. L'objectif de l'octroi de privilèges et immunités aux organisations internationales, sous-jacent à l'accord de siège, consiste justement à garantir le bon fonctionnement de celles-ci, sans ingérence unilatérale de tel ou tel gouvernement( Waite et Kennedy, précité, § 63, et Beer et Regan, précité, § 53).
Il s'ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.
3. Grief tiré de l'article 13 de la Convention
Les requérantes soutiennent que, en ne répondant pas au moyen tiré de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention, le Conseil fédéral a également violé l'article 13 de la Convention, libellé comme suit :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
La Cour constate que ce grief n'est pas suffisamment étayé devant elle. Par ailleurs, elle estime qu'il ne soulève aucune question qui se distinguerait essentiellement de celles examinées sous l'angle du droit d'accès à un tribunal au sens de l'article 6 § 1. Partant, la Cour n'estime pas avoir à déterminer s'il y a eu manquement aux exigences de l'article 13, moins strictes que celles de l'article 6 § 1 et entièrement absorbées par elles en l'espèce.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.


Disposition

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Claudia Westerdiek     Greffière
Peer Lorenzen      Président

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Considérants

Dispositif

références

Article: Art. 6 par. 1 CEDH, art. 35 par. 3 et par. 4 CEDH